La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Sommaire 4 évangiles

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SOMMAIRE HISTORIQUE

DES QUATRE ÉVANGILES.

I. Βίϐλος γενέσεως Ἰησοῦ Χριστοῦ, υἱοῦ Δαϐὶδ, υἱοῦ Ἀϐραὰμ.

Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham, etc. (Matth., ch. I.)

Cette génération de Jesus, fils de David, a fait naître d’interminables disputes entre les doctes. Je ne parle pas des incrédules, à qui ces mots fils de David ont paru une affectation, et qui ont dit que si Jesus avait été réellement le fils de Dieu-même, il n’était pas nécessaire de le faire sortir de David ; et qu’un roi et un berger sont égaux devant la divinité. Je parle de ceux qui ne veulent avoir que des idées nettes des faits : et c’est ce que nous allons exposer.

II. Πᾶσαι οὖν αἱ γενεαὶ, ἀπὸ Ἀϐραὰμ ἕως Δαϐὶδ, γενεαὶ δεϰατέσσαρες.

Toutes les générations d’Abraham à David sont quatorze, etc. (Matth., chap. I, V. 17,)

L’auteur en compte encore quatorze de David à la transportation en Babylone ; et quatorze encore de la transportation à Jesus : ainsi il suppose quarante-deux générations d’Abraham à David en deux mille ans ; mais, en comptant après lui exactement, on n’en trouve que quarante et une.

La controverse la plus forte est ici entre saint Matthieu et saint Luc[1]. Le premier fait naître Jesus-Christ par Joseph fils de Jacob, fils de Mathan, fils d’éliud, etc… le second lui donne pour pere Joseph fils d’Héli, fils de Mathat, fils de Lévi, fils de Janna, etc… de sorte qu’un homme, peu au fait, serait tenté de croire que ce n’est pas le même Joseph dont il est question.

Il y a une difficulté non moins embarrassante. Luc compte treize générations, de plus que Matthieu, de Joseph à Abraham ; et ces générations sont encore différentes.

Ce n’est pas tout. Quand ils s’accordent tous deux, c’est alors que l’embarras devient plus grand. Il se trouve qu’ils n’ont point fait la généalogie de Jesus, mais celle de Joseph qui n’est point son pere. Pour concilier ces contradictions apparentes, voyez Abadie, Calmet, Houteville, Thoinar.

III. Μνηστευθείσης γὰρ τῆς μητρὸς αὐτοῦ Μαρίας τῷ Ἰωσὴφ, πρὶν ἤ συνελθεῖν αὐτοὺς, εὑρέθη ἐν γαστρὶ ἔχουσα ἐϰ Πνεύματος Ἁγίου.

Marie, la mère de Jésus, étant fiancée, avant de se conjoindre avec Joseph, fut trouvée portant dans son ventre par le saint souffle (le Saint— Esprit). (Matth., chap. I, v. 18.)

Or l’auteur sacré n’ayant point encore parlé du st esprit, on a prétendu qu’il y avait là quelque chose d’oublié.

L’auteur du commentaire imparfait sur st Matthieu dit, que Joseph ayant fait de violents reproches à sa femme, elle lui répondit : en vérité, je ne sais qui m’a fait cet enfant.

On voit dans l’évangile de st Jacques, que sur la plainte de Joseph contre sa femme le grand-prêtre fit boire à tous deux des eaux de jalousie[2] ; et que leur ventre n’ayant point crevé, Joseph reprit son épouse.

Nous n’entrons point ici dans le mystere de l’incarnation de Dieu : nous révérons trop les mysteres pour en parler.

IV. Καὶ οὐϰ ἐγίνωσϰεν αὐτὴν ἕως οὗ ἔτεϰε τὸν υἱὸν αὑτῆς τὸν πρωτότοϰον.

Et il n’approcha pas d’elle jusqu’à ce qu’elle enfanta son premier-né. {Matth., chap. i, v. 25.)

C’est ce qui a fait croire à plusieurs chrétiens déclarés hérétiques que Marie eut ensuite d’autres enfants, qui sont même nommés dans l’Évangile frères de Jésus-Christ.

V. Ἰδοὺ μάγοι ἀπὸ Ἀνατολῶν παρεγένοντο.

Voilà que les mages arrivèrent d’Orient, etc. (Matth., ch. ii, v. 1.)

Anatole signifiait l’orient. Voilà pourquoi les Grecs nommèrent l’Asie Anatolie. Nous devons remarquer, à cette occasion, que la plupart des auteurs et des imprimeurs ont grand tort d’imprimer presque toujours la Natolie, au lieu d’Anatolie.

Ce qu’il faut remarquer davantage c’est l’arrivée de ces trois mages, qu’on a transformés en trois rois. L’auteur dit que l’enfant étant né du temps du roi Hérode, les mages arriverent un mois après, et demanderent : où est le nouveau-né, roi des juifs ? Car nous avons vu son étoile dans l’Anatolie, etc. »

Toute cette avanture des trois mages, ou des trois rois, a beaucoup occupé les critiques. On a recherché quelle était cette étoile ; pourquoi il n’y eut que ces trois mages qui la virent ; pourquoi ils prirent un enfant, né dans l’étable d’une taverne, pour le roi des juifs ; comment Hérode, âgé de soixante et dix ans, et qui avait autant d’expérience que de bon sens, put croire une si étrange nouvelle. On a fait sur tout cela beaucoup d’hypotheses. Des commentateurs ont dit que la chose avait été prédite par Zoroastre. On trouve dans Origene que l’étoile s’arrêta sur la tête de l’enfant-Jésus. La commune opinion fut que l’étoile se jetta dans un puits ; et on prétend que ce puits est encore montré aux pélerins qui ne sont pas astronomes. Ils devroient descendre dans ce puits ; car la verité y est.

Ces discussions occupent les savants. Il n’y a point de dispute sur la morale ; elle est à la portée des esprits les plus simples.

Il est étrange que la commémoration des trois rois et des trois mages soit parmi les catholiques un objet de culte et de dérision tout ensemble, et qu’on ne connaisse guere ce miracle que par le gâteau de la feve, et par les chansons comiques qu’on fait tous les ans[3] sur la mere et l’enfant, sur Joseph, sur le bœuf et l’âne, et sur les trois rois.

VI. Ἰδοὺ, ἄγγελος Κυρίου φαίνεται ϰατ’ ὄναρ τῷ Ἰωσὴφ, λέγων· Ἐγερθεὶς παράλαϐε τὸ παιδίον ϰαὶ τῆν μητέρα αὐτοῦ, ϰαὶ φεῦγε εἰς Αἴγυπτον.

Voilà que l’ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil, disant : Éveille-toi, prends l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte. (Matth., cbap. ii, V. 13.)

Ce qui a le plus embarrassé les commentateurs, c’est que ni saint Jean, ni Marc, ni Luc qui a écrit si tard, et qui dit avoir tout écrit diligemment et par ordre, non-seulement ne parle point de cette fuite en Egypte, mais que Luc dit expressément le contraire. Car après avoir montré la multitude d’anges qui apparut aux bergers dans Bethléem et dont st Luc ne dit rien, et après avoir négligé le voyage et les présens des trois rois dont st Matthieu parle, il dit positivement que Marie alla se purifier au temple, et qu’elle s’en retourna en Galilée à Nazareth avec son mari et son fils.

Ainsi Luc paraît contraire à Matthieu dans les circonstances qui accompagnent la naissance de Jésus, dans sa généalogie, dans la visite des mages, dans la fuite en Égypte.

Les interprètes concilient aisément ces prétendues contradictions, en remarquant que les différents rapports ne sont pas toujours contraires ; qu’un historien peut raconter un fait, et un second historien un autre fait, sans que ces faits se détruisent.

VII. Καὶ ἀποστείλας ἀνεῖλε πάντας τοὺς παῖδας τοὺς ἐν Βηθλεὲμ.

Et ayant dépêché des apôtres (des envoyés), il fit tuer tous les enfants de Bethléem, etc. (Matth., chap. ii, v. 16.)

Les critiques ne cessent de s’étonner que les autres évangélistes se taisent sur un fait si extraordinaire, sur une cruauté si inouie, dont il n’est aucun exemple chez aucun peuple. Ils disent que plus ce massacre est affreux, plus les évangélistes en devraient parler. Ils ne conçoivent pas comment un prince, honoré du nom de grand, un roi favori d’Auguste, ait été assez imbécille pour croire, à soixante et dix ans, qu’il était né dans une étable un enfant de la populace, lequel était roi des juifs et qui allait le détrôner. Il ne paraît pas moins incroyable aux critiques, que cet Hérode ait été en même temps assez follement barbare pour faire tuer tous les enfants du pays.

Cependant l’ancienne lithurgie grecque compte quatorze mille enfants d’égorgés. C’est beaucoup. Les critiques ajoutent que Flavien Joseph, historien qui entre dans tous les détails de la vie d’Hérode, Flavien Joseph parent de Mariamne, aurait parlé de cette aventure horrible, si elle avait été vraie, ou seulement vraisemblable.

On répond que le témoignage de saint Matthieu suffit : il affirme, et les autres ne nient pas, ils omettent. Personne n’a contredit le rapport de st Matthieu. On allegue même le témoignage de Macrobe, qui vécut, à la vérité, plus de quatre cents ans après, mais qui dit qu’Hérode fit tuer plusieurs enfants avec son propre fils. Macrobe confond les temps : Hérode fit mourir son fils Antipater avant le temps où l’on place le massacre des innocents. Mais enfin il parle d’enfants tués : on peut dire qu’il entend les enfants massacrés sous Hérode dans la sédition excitée par un maître d’école ; sédition rapportée dans Joseph. Quoiqu’il en soit, le témoignage de Macrobe n’est pas comparable à celui de st Matthieu.

VIII. Καὶ ἐλθὼν ϰατῴϰησεν εἰς πόλιν λεγομένην Ναζαρὲτ, ὅπως πληρωθῇ τὸ ῥηθὲν διὰ τῶν προφητῶν, ὅτι Ναζαραῖος ϰληθήσεται.

Et quand il fut venu, il habita dans une ville qui s’appelle Nazareth, afin que s’accomplît ce qui a été prédit par les prophètes : on l’appellera Nazaréen. (Matth., chap. ii, v. 23.)

Les critiques se récrient sur ce verset. Ils attestent tous les prophetes juifs, dont aucun n’a dit que le messie serait appellé nazaréen. Ils prennent occasion de cette fausseté prétendue, pour insinuer que l’auteur de l’évangile selon st Matthieu a été un chrétien du commencement de notre second siecle, qui a voulu trouver toutes les actions de Jésus prédites dans l’ancien testament. Ils croient en voir la preuve dans le soin même que prend l’évangéliste de dire, que le massacre des enfants est prédit dans Jérémie par ces paroles : « Une voix, une grande plainte, un grand hurlement, s’est entendu dans Rama ; Rachel pleurant ses fils n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus ».

Ces paroles de Jérémie regardent visiblement les tribus de Juda et de Benjamin, menées captives à Babylone. Rachel n’a rien de commun avec Hérode ; Rama rien de commun avec Bethléem. Ce n’est, disent-ils, qu’une comparaison que fait l’auteur entre d’anciennes cruautés exercées par les babyloniens, et les barbaries qu’on suppose à Hérode. Ils osent prétendre qu’il en est de-même quand l’auteur, au premier chapitre, fait parler aussi l’ange à Joseph pendant son sommeil. Tout cela s’est fait pour accomplir ce que le seigneur a dit par le prophete, disant : « Voilà qu’une fille ou femme sera grosse ; elle enfantera un fils, dont le nom sera Emmanuel, ainsi interprêté, avec nous le seigneur ».

Ils soutiennent que cette aventure d’Isaïe, qui fit un enfant à sa femme, ne peut avoir le moindre rapport avec la naissance de Jésus ; que ni le fils d’Isaïe, ni le fils de Marie, n’eurent nom Emmanuel ; que le fils du prophete s’appella maher-salal-has-bas, partagez vite les dépouilles ; que le butin et les dépouilles ne peuvent être comparés, par les allusions même les plus fortes, à JésusChrist qui a prêché dans Kapernaüm ; qu’enfin cette application continuelle à détourner le sens des anciens livres juifs est un artifice grossier. C’est ainsi que s’explique une foule d’auteurs nouveaux, qui tous ont marché sur les traces du fameux rabbin Maimonide, et surtout du rabbin Isaac, lequel écrivit son rempart de la foi au commencement du seizieme siecle dans la Mauritanie, imprimé depuis dans le recueil de Wagenzeil[4].

S’il ne s’agissait ici que de disputes entre des scholiastes sur quelque auteur profane, comme Cicéron ou Virgile, il serait permis de prendre le parti qui paraîtrait le plus vraisemblable à la faible raison humaine ; mais c’est un livre sacré ; c’est le fondement de notre religion : notre seul parti est d’adorer et de nous taire.

IX. Καὶ βαπτισθεὶς ὁ Ἰησοῦς ἀνέϐη εὐθὺς ἀπὸ τοῦ ὕδατος· ϰαὶ, ἰδοὺ, ἀνεῴχθησαν αὐτῷ οἱ οὐρανοὶ, ϰαὶ εἶδε τὸ πνεῦμα τοῦ Θεοῦ ϰαταϐαῖνον ὡσεὶ περιστερὰν, ϰαὶ ἐρχόμενον ἐπ’ αὐτόν.

Et Jésus baptisé sortit aussitôt de l’eau ; et voilà que les cieux lui furent ouverts, et qu’il vit le souffle de Dieu descendant comme une colombe, et venant sur lui. (Matth., chap. III, v. 16.)

Et Jésus baptisé sortit aussitôt de l’eau ; et voilà que les cieux lui furent ouverts, et qu’il vit le souffle de Dieu descendant comme une colombe, et venant sur lui. C’est lorsque Jésus fut baptisé par Jean dans le Jourdain selon les anciennes coutumes judaïques, qui avaient établi le baptême de justice et celui des prosélytes. Cette coutume était prise des indiens ; les égyptiens l’avaient adoptée. Non seulement le ciel s’ouvrit pour Jésus ; non seulement le souffle de Dieu descendit en colombe ; mais on entendit une voix du ciel disant : celui-ci est mon fils chéri, en qui je me repose [5]. Les incrédules objectent, que si en effet les cieux s’étaient ouverts, si un pigeon était descendu du ciel sur la tête de Jésus, si une voix céleste avait crié celui-ci est mon fils chéri  ; un tel prodige aurait ému toute la Judée ; la nation aurait été saisie d’étonnement, de respect et de crainte ; on eût regardé Jésus comme un dieu. On répond à cette objection, que les cœurs des juifs étaient endurcis ; et qu’un miracle encore plus grand fut, que le Seigneur les aveugla au point qu’ils ne virent pas les prodiges qu’il operait continuellement à leurs yeux.

X. Πάλιν παραλαμϐάνει αὐτὸν ὁ διάϐολος εἰς ὄρος ὑψηλὸν λίαν.

Derechef le diable emporte Jésus sur une montagne fort haute, etc. (Matth., chap, iv, v. 8.)

Jésus-Christ, ayant été baptisé, est d’abord emporté par le knatbul dans un désert. Il y reste quarante jours et quarante nuits sans manger ; et le diable lui propose de changer les pierres en pain. Ensuite il le transporte sur les pinacles, les acroteres du temple ; et il l’invite à se jetter en bas. Puis il le porte au sommet d’une montagne, dont on découvre tous les royaumes de la terre ; je te les donnerai tous, dit-il, si tu te prosternes devant moi et si tu m’adores.

Jamais les incrédules n’ont laissé plus éclater leur mécontentement que sur ces trois entreprises du diable, qui s’empare de Dieu-même, et qui veut se faire adorer par lui. Nous ne répéterons point les innombrables écrits dans lesquels ils frémissent de surprise et d’indignation. Le comte de Boulainvilliers et le Lord Bolingbroke ont dit, « qu’il n’y a point de pays en Europe où la justice ne condamnât un homme qui viendrait nous débiter pour la premiere fois de pareilles histoires de Dieu et du diable ; et que par une démence inconcevable nous condamnons cruement ceux qui, pénétrés pour Dieu de respect et d’amour, ne peuvent croire que le diable l’ait emporté ».

Ils supposent encore que cette histoire est aussi absurde que blasphématoire, et qu’il est trop ridicule d’imaginer une montagne dont on puisse voir tous les royaumes de la terre.

Nous répondons que ce n’est pas à nous de juger de ce que Dieu peut permettre au diable, qui est son ennemi et le nôtre. « Qui n’est effrayé au seul récit de ce transport ? (dit le révérend pere Calmet) ; et à quoi les plus justes ne seraient-ils pas exposés de la part de cet ennemi du genre humain, si Dieu ne mettait des bornes à sa puissance et à son envie de nous nuire ! »

XI. Πᾶς ἄνθρωπος πρῶτον τὸν ϰαλὸν οἶνον τίθησι, ϰαὶ ὅταν μεθυσθῶσι, τότε τὸν ἐλάσσω.

Tout homme donne d’abord de bon vin dans un repas, et ensuite, quand les convives sont échauffés, il sert le plus mauvais. (Jean, ch. ii, v. 10.)

Nous entremêlons ici saint Jean avec saint Matthieu, afin de ranger de suite des principaux miracles. C’est ici le miracle de l’eau changée en vin, dont saint Jean seul parle, et que les autres évangélistes omettent. Les critiques se sont trop égayés sur ce miracle. Ils trouverent mauvais que Jésus rebute d’abord sa mere lorsqu’elle lui demande du vin pour les gens de la noce ; qu’il lui dise : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi[6] ? » et que le moment d’après il fasse le prodige demandé. Ils lui reprochent de changer l’eau en vin pour des gens déjà ivres ὅταν μεθυσθῶσι (hotan methusthôsi). Ils disent que tout cela est incompatible avec l’essence suprême et universelle, avec le Dieu éternel et invisible, créateur de tous les êtres.

Mais ils ne songent pas que ce Dieu s’est fait homme, et a daigné converser avec les hommes. Ils ne songent pas que les dieux-mêmes de la fable, s’il est permis de les citer, en firent autant chez Philémon et Baucis longtemps auparavant ; ils remplirent de vin la cruche de ces bonnes gens. On ne conçoit pas après cela comment Mahomet, qui reconnaît Jésus pour un prophete, a pu défendre le vin.

XII. Οἱ δὲ δαίμονες παρεϰάλουν αὐτὸν, λέγοντες· Εἰ ἐϰϐάλλεις ἡμᾶς, ἐπίτρεψον ἡμῖν ἀπελθεῖν εἰς τὴν ἀγέλην τῶν χοίρων. Καὶ εἶπεν αὐτοῖς· Ὑπάγετε.

Et les diables le prièrent, disant : Si tu nous chasses, laisse-nous aller dans le corps de ces cochons. Et il leur dit : Allez, etc. (Matth., ch. viii, v, 31 et 32.)

Il s’agit de l’aventure de ces deux diables, dont Jésus-Christ daigna délivrer deux possédés au bord du lac de Tibériade, que les juifs appellaient la mer. Ces mélancoliques, agités de convulsions, passaient alors chez tous les peuples pour être persécutés par des génies mal-fesants. On les excluait de toute société, comme des enragés ; et cela-même redoublait leur maladie.

Saint Marc et saint Luc ne spécifient ici qu’un seul possédé, et st Matthieu en pose deux. La grande question a été de savoir comment il se trouvait un grand troupeau de cochons dans un pays qui les avait en horreur, dont il était abominable de manger, et dont l’aspect même était une souillure. St Marc dit qu’ils étaient au nombre de deux mille. Si ce troupeau allait à Tyr pour la salaison des viandes sur les vaisseaux, la perte était immense pour les marchands qui les fesaient conduire. Il ne paraît pas aux critiques qu’il fût juste de ruiner ainsi ces marchands. Mais ce n’est pas à l’homme à juger les jugemens de Dieu.

Ils font encore des difficultés sur la contradiction entre saint Matthieu et le texte de Marc et de Luc ; et sur-tout sur la prétendue impossibilité qu’un ou deux diables entrent dans le corps de deux mille cochons à la fois.

Saint Marc prévient cette objection. Car, selon lui, Jésus demande au diable comment il se nomme ; et le diable lui répond : « Je m’appelle légion. »

D’ailleurs il ne faut pas chercher à comprendre comment un miracle a pu s’opérer. Si on le comprenait, il ne serait plus miracle.

XIII. Καὶ ἐλθὼν ἐπ’αὐτὴν οὐδὲν εὖρεν εἰ μὴ φύλλα· οὐ γὰρ ἦν ϰαιρὸς σύϰων.

Et quand il vint au figuier, il n’y trouva que des feuilles, car ce n’était pas le temps des figues. (Marc, chap. xi, v. 13.)

Et quand il vint au figuier, il n’y trouva que des feuilles : car ce n’était pas le temps des figues.

Les critiques s’élevent avec violence contre le miracle que fait Jésus en séchant le figuier qui ne portait pas des figues avant la saison. Dispensons-nous de rapporter les railleries de Woolston et du curé Mêlier ; et contentons-nous de dire avec les sages commentateurs que, sans doute, Jésus désignait par-là ceux qui ne devaient jamais porter des fruits de pénitence.

XIV. Καὶ ἔσται σημεῖα ἐν ἡλίῳ, — ϰαὶ τότε ὄψονται τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου ἐρχόμενον ἐν νεφέλῃ, μετὰ δυνάμεως ϰαὶ δόξης πολλῆς…

Il y aura des signes dans le soleil, et dans la lune, et dans les astres. Et ils verront alors le Fils de l’Homme venant dans une nuée avec grande majesté et gloire. Quand vous verrez ces choses, connaissez que le royaume de Dieu est proche. Je vous dis en vérité : cette génération ne passera pas que tout cela ne s’accomplisse, (Luc, chap. xxi, v. 25-27.)

Cette prédiction, qui ne s’est pas accomplie encore, a été un grand scandale aux critiques. Ils ont crié que c’était prédire la fin du monde, le jugement dernier, et Jésus venant dans les nuées prononcer ses arrêts sur le genre humain, qui devait périr avec le globe entier sous le regne de Tibere. Les apôtres ont été si persuadés de cette prédiction, que st Paul dit expressément, dans son épitre aux thessaloniciens : « Nous qui vivons et qui vous parlons, nous serons emportés dans les nuées pour aller au-devant du seigneur au milieu de l’air. »

Saint Pierre, dans sa première Épitre, dit en propres mots : « l’Évangile a été prêché aux morts : la fin du monde approche. »

St Jude dit[7] : « Voilà le seigneur avec des milliers de saints pour juger les hommes. »

Cette idée de la fin du monde, d’une nouvelle terre, et de nouveaux cieux, fut tellement enracinée dans la tête des premiers chrétiens qu’ils assurent que la nouvelle Jérusalem était déjà descendue du ciel pendant quarante nuits, et qu’enfin Tertullien la vit lui-même. Enfin on fit des vers grecs acrostiches, imputés à une sibylle, dans lesquels la Jérusalem nouvelle était prédite.

C’est là ce qui a tant enhardi les critiques et les incrédules : ils n’ont jamais voulu comprendre le véritable sens caché de Jésus-Christ et des apôtres ; et ils ont pris à la lettre ce qui n’est qu’une figure. Il est vrai qu’il y eut dans ces premiers siècles de notre église une infinité de fraudes pieuses ; mais elles n’ont fait aucun tort aux vérités pieuses qui nous ont été annoncées.

XV. Ἀμὴν ἀμὴν, λέγω ὑμῖν· ἐὰν μὴ ὁ ϰόϰϰος τοῦ σίτου πεσὼν εἰς τὴν γῆν ἀποθάνῃ, αὐτὸς μόνος μένει· ἐὰν δὲ ἀποθάνῃ, πολὺν ϰαρπὸν φέρει.

En vérité, en vérité, je vous le dis : si le grain de froment jeté dans la terre ne meurt ; il reste inutile ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. ( Jean, ch. XII, v. 24.)

Les critiques prétendent que Jésus et tous ses disciples ont toujours ignoré la maniere dont toutes les semences germent dans la terre. Ils ne peuvent souffrir que celui qui est venu enseigner les autres ne sache pas ce que les enfants savent aujourd’hui. Ils méprisent sa doctrine, parce qu’il se conformait à l’erreur alors universelle, que les graines doivent pourrir en terre pour lever ; et ils soutiennent que Dieu ne peut être venu parmi nous pour débiter des absurdités reconnues. Mais on a déjà remarqué[8] que Jésus n’a pas prétendu nous enseigner la physique. Tout l’ancien testament se conforme à l’ignorance et à la grossièreté du peuple pour lequel il fut fait. Les serpens y sont les plus subtils des animaux ; on les enchante par la musique ; on explique les songes ; on chasse les diables avec de la fumée ; les ombres apparaissent ; l’atmosphère a des cataractes, etc… l’auteur sacré suit en tout les préjugés vulgaires ; il ne prétend point enseigner la philosophie. Il en est de-même de Jésus.

Mais, disent les critiques ; si Jésus ne voulait pas apprendre aux hommes les vérités physiques, il ne devait pas au moins confirmer les hommes dans leurs erreurs ; il n’avait qu’à n’en point parler : un homme divin ne doit tromper personne, même dans les choses les plus inutiles. La question alors se réduit à savoir ce que Jésus devait dire et taire. Ce n’est pas certainement à nous d’en décider. Et nous taire est notre devoir.

XVI. Αὔτη δέ ἐστιν ἡ αἰώνιος ζωὴ, ἴνα γινώσϰωσί σε τὸν μόνον ἀληθινὸν Θεὸν, καὶ ὂν ἀπέστειλας Ἰησοῦν Χριστὸν.

La vie éternelle est de connaître le seul vrai Dieu, et son apôtre Jésus-Christ. (Jean, chap. xvii, v. 3.)

Selon la loi que nous nous sommes faite de ne parler que de l’historique, nous dirons que c’est-là un des principaux passages qui produisirent les fameuses disputes entre les Arius, les Eusebe et les Athanase : disputes qui divisent encore sourdement la savante Angleterre et plusieurs autres pays. On prétendit que ce passage annonce manifestement l’unité de Dieu, et qu’il dit clairement que Jésus est un simple homme envoyé de Dieu. On fortifia encore ce verset par celui de saint Jean, chap 20 [v. 17] : « Je monte vers mon pere et votre pere, vers mon dieu et votre dieu. » Et encore plus par celui-ci, « Pater autem major me est » : mon pere est plus grand que moi. » Saint Jean, chap. xiv 28. Et cet autre encore : « Nul ne le sait que le père[9]… » Enfin on éluda les autres passages qui présentaient un sens différent.

Les eusébiens ou arriens écrivirent beaucoup pour persuader, au bout de trois cents ans, qu’il n’était pas possible de croire Jésus consubstantiel à Dieu, après ces aveux formels de Jésus lui-même ; et l’on sait quelles guerres furent allumées par ces querelles.

Il parut que d’abord les chrétiens ne reconnurent pas Jésus pour Dieu dans le premier siecle de l’église, et que le voile qui couvrait sa divinité ne fut levé que par degrés aux faibles yeux des hommes, qui auraient pu être éblouis d’un subit éclat de lumiere.

Les adorateurs de Jésus, qui niaient sa divinité, s’appuyerent sur les épitres de saint Paul. Ils avaient toujours à la bouche, et dans leurs écrits, ces épitres aux juifs romains, dans lesquelles il les exhorte à être bons juifs, et leur dit expressément : le don de Dieu s’est répandu sur nous par la grace donnée à un seul homme, qui est Jésus ; la mort a regné par le péché d’un seul homme ; les justes regneront dans la vie par un seul homme.

Ils citaient continuellement tous ces témoignages de st Paul : à Dieu, qui est le seul sage, honneur et gloire par Jésus. — Vous êtes à Jésus ; et Jésus est à Dieu, [Corinthiens, I, chap. iii]. — Tout est assujéti à Jésus, en exceptant sans doute Dieu qui a assujetti toutes choses [chap. xv].

C’est ainsi que les chrêtiens combattirent par des paroles, avant de combattre avec le fer et la flamme. Leurs successeurs les ont trop souvent imités. Puisse enfin une religion de douceur être mieux connue et mieux pratiquée.

XVII. Καὶ τὰ μνημεῖα ἀνεῴχθησαν· ϰαὶ πολλὰ σώματα τῶν ϰεϰοιμημένων ἁγίων ἠγέρθη.

Et les tombeaux s’ouvrirent, et plusieurs corps de saints qui dormaient ressuscitèrent. (Matth. chap. xxvii, v. 52.)

Le texte ajoute à ce prodige, qu’ils se promenerent dans la ville sainte. Une foule d’incrédules a prétendu, que si tant de morts étaient ressuscités et s’étaient promenés dans Jérusalem lorsque Jésus expirait, un si terrible miracle, opéré à la vue de toute une ville, aurait fait un effet encore plus sensible et plus grand que la mort de Jésus-même. Ils osent affirmer qu’il eût été impossible de résister à un tel prodige ; que Pilate l’eût écrit à Rome ; que Joseph l’historien n’eût pas manqué d’en faire mention dans son histoire très-détaillée, toute remplie de prodiges bien moins considérables et moins intéressants ; que Philon, contemporain de Jésus, en aurait sûrement parlé ; que leur silence est une preuve de la fausseté.

La réponse est toujours que Dieu endurcissait le cœur des juifs, comme il avait endurci le cœur de pharaon, et comme il endurcit tous les impies, qu’aucun miracle ne peut convaincre, et qu’aucune représentation ne peut toucher.

XVIII. Καὶ σϰότος ἐγένετο ἐφ’ὅλην τὴν γῆν, ἕως ὥρας ἐννάτες. ϰαὶ ἐσϰοτίσθη ὁ ἥλιος.

Et les ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure ; et le soleil s’obscurcit. (Luc, chap. xxiii, v. 44 et 45.)

Les critiques disent encore qu’une éclipse centrale du soleil ne pouvait arriver durant la pleine lune, qui était le temps de la pâque juive. Ils ont élevé de longues disputes, et fait de grandes recherches sur la nature de ces ténèbres. On a cité les livres apocryphes de saint Denys l’aréopagite[10], et un passage des livres de Phlégon rapporté par Eusèbe. Voici ce texte de Phlégon :

« Il y eut, la quatrième année de la deux-cent-deuxieme olympiade, la plus grande éclipse qui fût jamais : il y fut nuit à la sixieme heure ; on voyait les étoiles. »

Les savants remarquèrent que le supplice de Jésus n’arriva point cette année ; et que l’éclipse de Phlégon, qui n’était point centrale, arriva au mois de novembre : ce qui ne peut en aucune maniere s’accorder avec le supplice de Jésus, qui est de la pleine-lune de mars.

Ils remarquerent aussi que, selon saint Jean, Jésus fut condamné à la sixieme heure, et que, selon saint Marc, il fut mis en croix à la troisieme : ce qui redoublerait encore la difficulté.

Ne nous enfonçons point dans cet abyme plus ténébreux que l’éclipse de Phlégon. Contentons-nous d’être soumis de cœur et d’esprit. Soyons persuadés qu’une bonne œuvre vaut mieux que toute cette science.

XIX. Καὶ τοῦτο εἰπὼν, ἐνεφύσησε, ϰαὶ λέγει αὐτοις· Λάϐετε Πνεῦμα Ἅγιον.

Comme il eut dit cela, il souffla sur eux, et leur dit recevez le saint esprit. (Jean, chap. xv, v. 22.)

Ces mots, Il souffla sur eux ont donné lieu à bien des recherches. On prétendait, dans les anciennes théurgies, que le souffle était nécessaire pour opérer, et qu’il pouvait communiquer des affections de l’ame. Cette idée même était si commune, que l’auteur sacré de la genese se sert de ces expressions : « Dieu lui souffla un souffle de vie dans les narines » (selon l’hébreu). Isaïe dit : le souffle du seigneur a soufflé sur lui. Ézéchiel dit : je soufflerai dans ma fureur. L’auteur de la sagesse : celui qui lui a soufflé l’esprit.

Avant le temps de Constantin on eut la coutume de souffler sur le visage et sur les oreilles des catéchumenes qu’on allait baptiser ; et par ce souffle on fesait passer dans eux l’esprit de la grâce.

Comme il n’est rien de si innocent et de si saint dont la folie des hommes n’abuse, il arriva que ceux d’entre les mauvais chrétiens qui s’adonnaient à la prétendue théurgie, se firent souffler aussi dans la bouche et dans les oreilles par les maîtres de l’art, et crurent recevoir ainsi l’esprit et la puissance des démons ; ou plutôt ils rappellerent les antiques cérémonies de la théurgie chaldéenne et syriaque. Ces cérémonies de nos prétendus magiciens se perpétuerent de siecle en siecle. De misérables insensés s’imaginerent que d’autres fous leur avaient soufflé le diable dans la bouche. Il se trouva par-tout, jusqu’au dernier siecle, des juges assez imbécilles et assez barbares pour condamner au feu ces infortunés. On sait l’histoire du curé Goffredi[11], qui crut avoir forcé Magdelaine La Pallu à l’aimer en soufflant sur elle. On sait la fatale et méprisable avanture des religieuses de Loudun, ensorcelées par le souffle du curé Urbain Grandier[12]. Et enfin, à la honte éternelle de la nation, le jésuite Girard[13] a été condamné de nos jours au feu par la moitié de ses juges, pour avoir soufflé sur la Cadiere ; et on a trouvé des avocats assez imbecilles pour soutenir gravement, que rien n’est plus avéré que la force du souffle d’un sorcier.

Cette opinion de la puissance du souffle venait originairement de l’idée répandue dans toute la terre, que l’ame était un petit phantôme aërien. Delà on parvint aisément jusqu’à croire, qu’on pouvait verser un peu de son ame dans l’ame d’autrui. Ainsi ce qui fut chez les vrais chrétiens un mystere sacré, était ailleurs une source d’erreurs.

XX. Λέγει αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς· Ἐὰν αὐτὸν θέλω μένειν ἕως ἔρχωμαι, τί πρὸς σέ ;

Jésus dit : Si je veux que celui-ci reste jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? (Jean, chap. xxi, v. 22.)

C’est ce que dit Jésus à st Pierre après sa résurrection, quand Pierre lui demande ce que deviendra Jean. On crut que ces mots, jusqu’à ce que je vienne signifiaient le second avénement de Jésus, quand il viendrait dans les nues. Mais ce second avénement étant différé, on crut que st Jean vivrait jusqu’à la fin du monde, et qu’il paraitrait avec Énoch et Élie pour servir d’assesseurs au jugement dernier, et pour condamner l’antechrist juridiquement. Le profond Calmet a trouvé la raison de cette immortalité de st Jean, et de son assistance au procès qu’on fera à l’ante-christ quand le monde finira. Voici ses propres mots dans sa dissertation sur cet évangile. " il semble qu’il manquerait quelque chose dans la guerre que le seigneur doit faire à l’ennemi de son fils, s’il ne lui opposait qu’énoc et élie. Il ne suffit pas qu’il y ait un prophete d’avant la loi, et un prophete qui ait vécu sous la loi : il en faut un troisieme qui ait été sous l’évangile " . Ainsi, selon ce commentateur, le monde sera jugé par cinq juges, Dieu le pere, Dieu le fils, énoc, élie et Jean. Delà il conclut que Jean n’est point mort ; et voici les preuves qu’il en rapporte. " si Jean était mort, on nous dirait le temps, le genre, les circonstances de sa mort. On montrerait ses reliques ; on saurait le lieu de son tombeau. Or tout cela est inconnu. Il faut donc qu’il soit encore en vie. En effet, on assure que se voyant fort avancé en âge, il se fit ouvrir un tombeau où il entra tout vivant ; et ayant congédié tous ses disciples, il disparut, et entra dans un lieu inconnu aux hommes " . Cependant Calmet est du sentiment de ceux qui pensent que st Jean mourut et fut enterré à éphese. Mais il y a encore des difficultés sur cette derniere opinion ; car bien qu’il fut enterré, il ne passa point cependant pour mort. On le voyoit remuer deux fois par jour dans sa fosse ; et il s’élevait sur son sépulcre une espece de farine. St éphrem, st Jean Damascene, st Grégoire De Tours, st Thomas, l’assuraient. Heureusement, comme nous l’avons dit[14], ces disputes entre les savants, et même entre les saints, ne touchent point à la morale, qui doit être uniforme d’un bout de la terre à l’autre.

[15] On sait quelles interminables disputes se sont élevé entre les interprètes sur presque tous les passages des Évangiles, des Actes des apôtres, et des Épitres. On a tant creusé cet abîme que les terres remuées sont retombées sur les travailleurs, et en ont écrasé un grand nombre.

A commencer par ce verset qui regarde la destinée de saint Jean, on a soutenu que ce passage même démontrait que ce saint Jean n'avait écrit ni pu écrire son Évangile. Car dans ce passage il est dit sur la fin : « C'est ce même disciple Jean qui atteste ces choses ; et nous savons que son témoignage est vrai [ch. XXI, V. 24]. »

Il est évident que Jean n'a pu parler ainsi de lui-même dans son propre ouvrage.

Les contradictions qu'on a cru trouver dans les autres évangélistes ont surtout déterminé les critiques téméraires à rejeter absolument tous ces écrits, qu'ils attribuent à des auteurs pseudonymes, moitié juifs, moitié chrétiens, comme Abdias, Marcel, Hégésippe, et d'autres, qui vivaient sur la fin du premier siècle de l'Église chrétienne.

Nos indomptables critiques, dont nous avons tant parlé, disent qu'ils ne peuvent admettre les Actes des apôtres, puisqu'ils sont contraires aux Évangiles; et ils disent qu'ils rejettent les Évangiles, puisqu'ils sont contraires à la conduite de Jésus rapportée par eux. Voici comme ils soutiennent leur fatale opinion.

« Jésus, par le récit des Évangiles mêmes, ne baptisa jamais personne ; et cependant ces Évangiles annoncent qu'il faut administrer le baptême juif au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Et après que ces Évangiles ont ordonné ce baptême au nom de ces trois personnes, viennent les Actes, qui font baptiser au nom de Jésus seul en plusieurs passages.

« A qui croire? A rien, continuent ces examinateurs intraitables. Nous ne savons ni quels furent les auteurs de ces livres, ni en quels temps ils furent écrits ; nous savons seulement qu'ils se contredisent tous les uns les autres, et que tous ensemble contredisent la faible raison humaine, seule lumière que Dieu nous donne pour juger.[15] « Il nous paraît seulement vraisemblable que, Jésus s'étant fait des adhérents, ayant toujours insulté les pharisiens et les prêtres, et ayant succombé sous ses ennemis, qui le firent livrer au dernier supplice, ses adhérents s'en vengèrent en criant partout que Dieu l’avait ressuscité. Bientôt après ils se séparèrent entièrement de la secte juive. Ce ne fut plus un schisme, ce fut une secte nouvelle qui combattait toutes les autres. Ils avaient toute l'obstination des Juifs et tout l'enthousiasme des novateurs. Ils se répandirent dans lempire romain, où toute religion était bien reçue de cent peuples différents. Le christianisme s'établit d'abord parmi les pauvres. C'était une association fondée sur l'égalité primitive entre les hommes, et sur la désappropriation des esséniens et des thérapeutes, qui étaient imités par les premiers partisans de Jésus.

« Mais plus cette société s'étendit, plus elle dégénéra. La nature reprit ses droits. Les chrétiens, ne pouvant parvenir aux dignités de l'empire, s'adonnèrent au commerce, comme font aujourd'hui tous les dissidents de l'Europe. Ils acquirent des trésors, ils en prêtèrent au père de Constantin. On sait le reste. Leurs querelles funestes pour des chimères métaphysiques troublèrent longtemps tout l'empire romain. Enfin cette religion, chassée de l'Orient où elle était née, se réfugia dans l'Occident, qu'elle inonda de son sang et de celui des peuples. Il est resté à ses principaux pontifes la rosée du ciel et la graisse de la terre. Puissent-ils toujours en jouir en paix! Qu'ils aient pitié des malheureux; que jamais ils n'en fassent; et que le fondateur de cette société particulière, devenue une religion dominante, ce fondateur juif, né pauvre et mort pauvre, ne puisse pas toujours lui dire: Ma fille, que tu ressembles mal à ton père! »

FIN DE LA BIBLE ENFIN EXPLIQUÉE.
  1. Voyez aussi tome XIX, page 217 ; et XXIV, 307.
  2. Voyez tome XXVII, page 478.
  3. Les Mémoires secrets, connus sous le nom de Bachaumont, en ont conservé une très-piquante, à la date du 31 décembre 1763. (B.)
  4. Le recueil de J.-C. Wagenseil est intitule Tela ignea Satanœ, sive arcani et horribiles Judœorum adversus Christum Deuin et christianam religionem libri anecdoti, 1681, deux volumes in-4o.
  5. Matthieu, III, 17.
  6. Jean, ii, 4.
  7. Verset 14.
  8. Tome XXV, page 365 ; et ci-dessus, pages 4 et 18.
  9. Matthieu, xxiv, 36.
  10. Voyez tome XVIII, page 338.
  11. Voyez le paragraphe ix du Prix de la justice et de l’humanité.
  12. Voyez ibid.
  13. Voyez ibid.
  14. Page 302.
  15. a et b Des cinq éditions dont il est parlé dans l'Avertissement de Beuchot, celle qui est intitulée Troisième est la seule qui, pour la fin, contienne le texte actuel. Dans les autres éditions, qui sont les premières, la Bible enfin expliquée se terminait ainsi : « Nous ne prétendons point répéter ici toutes les objections dont la sagacité dangereuse des critiques élève des monceaux, toutes ces contradictions qu'ils prétendent trouver entre les évangélistes, toutes ces interprétations diverses que les Eglises opposées les unes aux autres donnent aux mêmes paroles : à Dieu ne plaise que nous fassions un recueil de disputes ! Jésus a dit à toutes les sectes : Aimez Dieu, et votre prochain comme vous-même, car c'est la tout l'homme. Tenons-nous-en là si nous pouvons ; ne remplissons point d'amertume la vie de nos frères et la nôtre. Tâchons qu'on n'ait pas à nous reprocher de haïr notre Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « p324 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.