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La Bonne Armelle/I

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Vie et conversation de la bonne Armelle.
Vve Levrault (p. 4-30).


VIE ET CONVERSATION
de la
BONNE ARMELLE.


I. Notice historique sur la bonne Armelle.


§. 1.

La bonne Armelle naquit dans la paroisse de Campenéac, près de la ville de Ploërmel, en Bretagne, le 9 septembre 1606.

Son père s’appelait George Nicolas et sa mère, Françoise Néant.

Les parents de la bonne Armelle étaient des laboureurs, jouissant d’une certaine aisance et d’une grande piété.

Son père avait l’excellente habitude de sanctifier les dimanches et les jours de fête, et de passer son temps, ces jours là, dans le recueillement et dans la prière. Il élevait son âme au Seigneur, en se promenant dans la campagne, et évitait ainsi les vaines conversations et les mauvais exemples de plusieurs de ses voisins, qui ne vivaient point selon Dieu. La mère de la bonne Armelle partageait les sentiments de son mari, et cherchait à les entretenir.

Dieu bénit leur mariage, et leur donna six enfants : la bonne Armelle, puis une seconde fille et encore quatre fils.

§. 2.

On put remarquer de bonne heure dans la jeune Armelle, que la grâce de Dieu agissait avec puissance dans son cœur. Douée d’un caractère excellent, d’un jugement sain, d’une douceur toute particulière, et d’une modestie peu commune, elle se fit chérir de ses parents et de tous ceux qui la connaissaient ; mais surtout de sa tendre mère, qui éprouvait pour elle une affection profonde.

Dès que la petite Armelle fut en état de parler, sa mère lui apprit à réciter Notre Père et quelques autres prières, et l’enfant y trouvait un si grand plaisir, qu’elle n’avait pas de plus grande joie, que de s’entretenir avec Dieu.

En grandissant, elle fit voir de plus en plus un penchant prononcé pour le calme et la solitude. Dès qu’elle fut assez forte, sa mère l’envoya aux champs garder les bestiaux. La jeune fille profitait de ce temps pour se recueillir. Au lieu de prendre part aux dissipations des jeunes bergères de son âge, elle se retirait derrière une haie, pour y réciter ses prières et pour s’entretenir avec Dieu.

Ce fut là une époque bénie pour elle. Elle sentit naître dans son âme un grand amour pour le Sauveur, et elle éprouva surtout une vive repentance, et un grand besoin de pardon et de salut, en méditant sérieusement sur les souffrances et sur la mort du Fils de Dieu.

Dès lors, elle sentit croître son amour pour Jésus, en qui nous avons la rédemption par son sang, et par les blessures duquel nous avons été guéris.

§.3.

La bonne Armelle fit tout son possible pour se préparer dignement à la première communion. Elle attendait avec humilité le jour où elle devait recevoir le corps et le sang de son cher Sauveur. Le sentiment de ses péchés la travaillait fortement ; le besoin d’être reçue en grâce, par le sacrifice de Jésus-Christ, la faisait soupirer après le saint sacrement. Enfin elle y fut admise ; elle y prit part avec dévotion, avec foi, et son amour pour le Seigneur en fut augmenté.

Dans la suite, elle se sentit poussée par l’Esprit de Dieu, à participer bien souvent à la Sainte-Cène, et chaque fois qu’elle avait communié, elle en recevait de nouvelles bénédictions.

À mesure que la bonne Armelle aimait davantage son Dieu, elle éprouvait aussi pour les âmes une plus vive charité. Elle priait pour les autres, se faisait un devoir de leur rendre service, avait pour eux toutes sortes de prévenances, et quoiqu’elle fut si jeune encore, tous ceux qui étaient dans la peine, venaient auprès d’elle chercher des consolations. Son respect et son obéissance envers son père et sa mère ne se démentirent jamais un instant.

§. 4.

Elle atteignit ainsi l’âge de vingt-deux ans. Alors, ses parents voulurent la marier ; mais elle ne put s’y résoudre. Elle crut devoir se retirer de toutes les compagnies mondaines, où la piété et la modestie avaient à souffrir, et finit par se rendre à Ploërmel, où elle devint successivement domestique, dans plusieurs maisons.

Dans les commencements, la bonne Armelle se trouva bienheureuse, d’être ainsi éloignée de toutes les réunions folâtres et dansantes, qui avaient coutume de se former, parmi la jeunesse de son village, les dimanches et les jours de fêtes, et dans lesquelles ses camarades l’avaient quelquefois conduite, malgré elle.

Arrivée à Ploërmel, elle put fréquenter assidûment l’église, vaquer tranquillement à ses prières, et entendre souvent prêcher la parole de Dieu. C’était pour elle une douce chose, et elle ne manqua pas d’en profiter fidèlement.

D’un autre côté, elle était infatigable au travail, et sa maîtresse, qui n’avait jamais à lui adresser de reproches, pour la moindre chose, la prit en affection, comme si elle eut été sa fille.

§. 5.

Tout à coup, au milieu même de circonstances si favorables et si heureuses, son âme fut saisie d’une profonde tristesse. Elle se sentit dégoûtée de tout, et sans avoir aucune raison de quitter, elle désira, malgré elle, de sortir de la maison où elle était. Son père étant venu à mourir, sur ces entrefaites, elle obtint de sa maîtresse la permission d’aller consoler sa mère, à condition de revenir le plus tôt possible.

Elle revint en effet ; mais elle fut obligée de retourner une seconde fois dans son village, au grand regret de sa maîtresse, qui elle-même ne pouvait se résoudre à perdre une servante si fidèle.

De retour à la campagne, la bonne Armelle éprouva des contrariétés pénibles. On voulut de nouveau la marier, malgré elle ; on voulut lui faire prendre part aux folles joies d’une jeunesse peu décente et légère, dans sa conduite et dans ses mœurs. Elle ne put fréquenter l’église et communier aussi souvent qu’à Ploërmel. Toutes ces circonstances l’engagèrent à retourner dans cette ville, avec la permission de sa mère.

À peine y fut-elle arrivée, que trois ou quatre personnes voulurent l’avoir à leur service, tant elle avait donné de satisfaction à son ancienne maîtresse. Enfin, elle entra dans une maison respectable, où chacun l’aimait. Toutefois elle ne se sentait pas suffisamment occupée, tant elle désirait faire le bien. Elle craignait de s’amollir, et de ne pas être fidèle à Dieu, en vivant si commodément. Elle quitta donc cette maison, et servit encore dans deux autres, jusqu’à ce que le Seigneur lui fit trouver une place, où elle put satisfaire son besoin de travail et de fatigue.

En offrant cette place à la bonne Armelle, on la prévint qu’il y aurait beaucoup à faire, et qu’elle aurait à soigner, à elle seule, un très-grand ménage. Ces conditions, qui semblaient faites pour la dégoûter, lui causèrent au contraire une joie si grande, qu’elle crut reconnaître, en cela, une direction de la Providence, et qu’elle accepta.

§. 6.

C’est dans cette nouvelle maison, que la bonne Armelle devait être comblée de bénédictions spirituelles, et se sanctifier chaque jour davantage. Elle y éprouva des contrariétés et des épreuves de tout genre, qui lui furent mille fois plus profitables, que les caresses et les prévenances dont on l’avait comblée ailleurs.

Dans le commencement, elle ne fut chargée que d’avoir l’œil sur les enfants : mais plus tard, elle dût s’occuper de tous les travaux du ménage.

Une coutume louable qu’on avait dans la maison, contribua bientôt à lui faire faire de grands progrès dans la vie chrétienne. On lisait chaque soir, en famille, après le souper, quelque livre d’édification, entre autres l’histoire des martyrs et d’autres personnes pieuses. La bonne Armelle, qui ne savait ni lire, ni écrire, assistait à ces lectures. Elle y prit un grand intérêt, et en fut tellement touchée, qu’elle se sentit nuit et jour poussée dans son cœur, à marcher sur les traces de Jésus-Christ et de ses Saints. Elle pria même l’une des filles de la maison, de lui faire encore la lecture, dans d’autres moments de la journée. La jeune personne s’y prêta volontiers. Elle lui lut, entre autres, un traité sur les souffrances du Sauveur, et c’est là, surtout, ce qui produisit sur son âme l’impression la plus profonde. La bonne Armelle fut tellement touchée de tout ce que Jésus-Christ a souffert pour les pécheurs, qu’elle en éprouva de violentes agitations intérieures, et consulta un ecclésiastique sur ce qu’elle éprouvait. Il lui donna le meilleur de tous les conseils, celui de s’attacher sans relâche, avec confiance et avec calme, à ce cher Sauveur qui a tout fait pour nous ; de s’abandonner comme un enfant à la direction de son Saint-Esprit ; d’éviter avec soin toute espèce de péché, et d’être bien fidèle à suivre tous les bons mouvements que la grâce ferait naître dans son cœur.

La bonne Armelle s’appliqua toute sa vie à suivre ce conseil, et consulta souvent le pieux ecclésiastique, qui fut toujours pour elle un instrument de bénédiction.

La méditation continuelle des souffrances de Christ, lui donna un sentiment toujours plus profond de ses péchés, augmenta son humilité, sa foi, son amour, son obéissance, et la fit arriver à un degré de piété et de vie chrétienne, dont l’histoire offre peu d’exemples.

§. 7.

Toutefois, comme toutes les âmes qui veulent sincèrement appartenir au Sauveur, la bonne Armelle fut obligée de passer par toutes sortes de tentations et de luttes intérieures, que cherchait à lui susciter l’ennemi de notre salut. Des doutes, de mauvaises pensées, des mouvements condamnables et mille choses semblables, vinrent la troubler à différentes époques de sa vie. Mais elle sortit victorieuse de tous ces combats, en regardant à Jésus le chef et le consommateur de notre foi ; en se souvenant que nous sommes sauvés gratuitement par sa grâce, que nous avons, par son sang, la rémission de nos péchés, et en l’invoquant sans cesse, pour obtenir d’être purifiée et gardée par son Saint-Esprit.

Pendant longtemps la bonne Armelle avait eu beaucoup à souffrir de sa maîtresse, et ces souffrances avaient contribué à lui faire faire des progrès dans la sanctification. Un jour enfin, cette femme fut touchée dans son cœur, apprit à lui rendre justice, se convertit par elle au Seigneur, et lui témoigna dès lors une grande affection.

§. 8.

Plus tard la bonne Armelle accompagna la fille aînée de sa maîtresse, qui venait d’épouser un gentilhomme des environs de Vannes, et qui supplia sa mère de lui céder cette précieuse domestique. Armelle était alors âgée d’environ vingt-neuf ou trente ans.

Arrivée chez ses nouveaux maîtres, elle dut passer de nouveau par des épreuves intérieures, qui furent si douloureuses qu’on ne saurait les décrire. Elle se crut abandonnée du Seigneur, et vécut deux ans dans cet état, où elle n’éprouvait plus que de la crainte, de l’horreur d’elle-même et du désespoir.

Cependant elle soupirait vers le Sauveur, et faisait tout son possible pour retrouver la confiance, le calme et la paix. Une occasion s’étant présentée de parler à l’ecclésiastique, auquel elle avait déjà tant d’obligations, celui-ci comprit que le Seigneur éprouvait cette âme, pour la faire avancer encore dans la vie spirituelle. Il lui dit avec assurance : Allez, ma fille, consolez-vous, ne craignez rien, Dieu ne vous abandonnera pas. Non, il ne vous laissera jamais, et quelle que soit la misère que vous éprouviez, il vous assistera, vous pouvez y compter. Votre combat n’est pas fini, mais il sera pour vous une bénédiction.

Il prononça ces paroles avec tant de force, qu’Armelle se soumit. Elle souffrit encore plusieurs mois ; mais elle fut enfin délivrée, et se trouva plus ferme qu’auparavant, dans la foi, dans l’espérance, dans l’amour du Sauveur, dans le renoncement qu’il exige de ses disciples, et dans la vraie liberté des enfants de Dieu.

§. 9.

Peu de temps après, elle éprouva au cœur des douleurs brûlantes, qui durèrent plusieurs années, et qui souvent la poussaient à se jeter par terre et à crier, lorsqu’elle était seule. Malgré ces cruelles souffrances, elle ne cessa de jouir d’une paix profonde et de consolations si grandes, qu’elle en était étonnée elle-même. Dans cet état, elle versait, à chaque instant, des larmes de joie et de reconnaissance envers le Sauveur. Son esprit était libre, son imagination tranquille et calme, et son âme se reposait avec confiance en Jésus. Aux douleurs qu’elle éprouvait au cœur, vint se joindre, pendant huit mois, une fièvre brûlante, qui l’obligea de garder le lit, à cause de son excessive faiblesse. Personne dans la maison ne s’occupait d’elle ; on la laissait souffrir, sans lui marquer aucun intérêt : mais le Seigneur la dédommageait, en lui donnant une patience, une [illisible]une joie spirituelle et une charité [illisible]croissante. Elle pouvait dire avec [illisible]Étant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ ; nous restons fermes dans la grâce, et nous nous glorifions même dans nos afflictions. (Rom. V.)

Enfin l’ecclésiastique qui avait sa confiance, et qui en était si digne, obtint des maîtres de la bonne Armelle, qu’on lui permit de se rendre à la ville, chez une veuve respectable, pour s’y faire soigner. Il lui amena des médecins ; mais ils ne comprirent point sa maladie, et ils ne purent la soulager un peu, que par la saignée. L’un d’eux eut même, à son égard, des soupçons injurieux et tellement humiliants, qu’elle aurait pu en être irritée et bouleversée ; mais elle rendit grâces à Dieu, de cette occasion qu’il lui donnait, de souffrir injustement un opprobre ; et au lieu d’éprouver contre ce médecin du ressentiment, elle put lui pardonner de tout son cœur, et voir en lui un instrument de bénédiction pour son âme.

La maladie de la bonne Armelle se prolongea encore, et elle disait, en parlant de ses horribles souffrances : Je suis comme dans une fournaise, mais c’est dans une fournaise bénie, allumée par l’amour même de mon Dieu. Plusieurs ecclésiastiques vinrent la visiter, et s’édifièrent puissamment auprès d’elle. Tous ses discours respiraient la paix et la piété la plus intime et la plus douce.

§. 10.

Lorsqu’elle fut un peu remise, la bonne Armelle entra au service d’une société de dames religieuses, dans la maison desquelles elle reprit bientôt toutes ses forces. Une autre servante, qui se trouvait depuis longtemps dans la maison, conçut pour elle un profond attachement, et fit son possible pour lui éviter toute espèce de fatigue. Elle put jouir ainsi d’une grande tranquillité, et fut en édification à toutes les personnes qui l’entouraient. Son humilité et son respect pour ses maîtres, lui faisaient garder le silence, et il fallait s’y prendre avec une grande délicatesse pour la faire parler. Alors elle se laissait aller insensiblement à des entretiens pleins de vie et d’onction ; elle parlait de l’amour du Sauveur, d’une manière ravissante, et attirait puissamment les cœurs à Jésus.

Une année et demie s’écoula ainsi, pour la bonne Armelle, au milieu de cette vie douce et tranquille ; elle se rétablit parfaitement. Mais dès qu’elle se trouva en état de travailler et de reprendre son genre de vie pénible, elle éprouva un désir ardent de retourner dans son ancienne condition.

Cependant cela ne put se faire immédiatement. On la retint là où elle était ; car elle y était révérée de tout le monde. On lui donna des enfants à soigner et à diriger, et ils prirent pour elle une telle affection, un tel respect, une telle confiance, qu’ils lui étaient soumis en tout. Sa présence seule, le calme, la sérénité et la modestie qui brillaient en elle, les retenaient dans l’ordre et dans le devoir. Si quelqu’un d’eux tombait en faute, elle le prenait à part, l’exhortait avec douceur et avec amour, et elle inspirait ainsi, à tous ces enfants, une piété sincère et une obéissance de cœur. Quant aux autres soins qu’elle devait leur donner, elle s’en acquittait avec un calme parfait, avec un ordre admirable.

Ses grandes occupations ne l’empêchaient pas de remplir tous ses devoirs religieux. Mais s’il lui survenait des besoins de piété et de prière, au milieu d’un travail que son devoir l’obligeait de faire, elle savait se vaincre elle-même, pour se priver de ce que son âme désirait, et continuait son travail. Cependant une des dames de la maison s’en étant aperçue, eut l’attention de l’envoyer se reposer et se recueillir, toutes les fois qu’elle crut remarquer en elle ce besoin de prière. La bonne Armelle reprenait de nouvelles forces, une nouvelle vie dans ces exercices de piété, et retournait à ses occupations avec une ardeur plus grande.

Pendant tout le temps qu’elle passa dans la maison, personne n’eut jamais à la reprendre pour aucune faute, ni pour aucune parole.

§. 11.

Plus la bonne Armelle se trouvait à son aise et commodément, dans la maison où elle était, plus elle sentit naître en elle le désir de la quitter. Certaines tentations qu’elle avait dès longtemps vaincues, lui revenaient tout de nouveau ; quoiqu’elle ne se relâchât point dans sa fidélité ordinaire, elle s’apercevait d’un changement dans son âme, et n’avait plus la même ardeur de piété, le même élan de prière. Sur les conseils de deux ecclésiastiques pleins d’expérience, et à la demande de son ancienne maîtresse, elle retourna chez cette dernière, en emportant dans son cœur un attachement profond et une vive reconnaissance, pour les dames religieuses dont elle s’éloignait.

En la quittant, l’un des deux ecclésiastiques, dont nous venons de parler, lui avait dit : Vous aurez encore bien des doutes et bien des combats ; mais restez ferme, comme un rocher dans la mer, et cramponnez-vous à ce que vous aurez reconnu être la sainte volonté de Dieu.

§. 12.

Une fois rentrée dans la maison de ses anciens maîtres, la bonne Armelle y resta jusques à la fin de ses jours. C’est dans cette maison qu’elle devait, par une multitude d’expériences intérieures et de tentations spirituelles, faire de nouveaux progrès, vraiment étonnants, dans l’union avec le Sauveur, et parvenir pleinement à cet état que S. Paul appelle la vie cachée avec Christ en Dieu. Ce qui l’avait toujours distinguée, c’était son amour extraordinaire pour le Sauveur. Cet amour s’augmenta de jour en jour, et la bonne Armelle y avança tellement, qu’elle parvînt, par la foi en Jésus, à un degré de renoncement à elle-même, de paix et de joie, dont on rencontre peu d’exemples.

Cette paix et cette joie ne l’abandonnèrent point, dans les souffrances nombreuses qu’elle eût encore à supporter ; car elle souffrait chrétiennement, en regardant à celui qui a souffert pour nous, et ainsi, ses souffrances même, devenaient pour elle, un sujet d’actions de grâces.

§. 13.

En 1666, la bonne Armelle passant auprès d’un cheval, en reçut un coup de pied, qui la renversa par terre et lui cassa la jambe. Cet accident ne lui causa aucune émotion. Elle eut la force d’en remercier le Seigneur, au même instant, et de le bénir de l’épreuve qu’il lui envoyait.

Malgré les grandes douleurs qu’elle éprouva jusqu’à sa mort, malgré la nécessité où se trouvèrent les chirurgiens de lui extraire plusieurs os, elle ne laissa jamais échapper la moindre marque d’inquiétude ou d’impatience. Chacun était étonné de la voir si contente et si joyeuse, au milieu de ses souffrances aiguës. Un ecclésiastique étant allé la visiter, dit en revenant, à la personne qui nous a conservé tous ces détails : Si un ange avait un corps comme nous, et s’il se cassait une jambe, il ne se comporterait pas mieux, dans ses souffrances, que la bonne Armelle.

Pendant quinze mois entiers, elle fut hors d’état de sortir. Sa bonne jambe était perclue par un rhumatisme douloureux, et la faisait souffrir, bien plus encore que sa jambe cassée. Elle était obligée de rester au lit, ou d’être assise dans un fauteuil. Les dimanches et les jours de fête, elle se faisait porter à l’église ; les autres jours, elle s’occupait encore des soins du ménage, tout en étant sur sa chaise, dans quelque coin de la cuisine, et ne restait pas un moment oisive.

Un grand nombre de personnes, de toute condition, prenaient plaisir à la visiter, à s’entretenir avec elle. Sa conversation les édifiait puissamment, et sa patience leur servait d’exemple.

Le Seigneur ayant enfin jugé à propos de lui accorder quelque soulagement, la bonne Armelle commença à marcher avec des béquilles, à la suite de prières ferventes, par lesquelles elle avait demandé à Dieu cette grâce. Son cœur en fut pénétré de reconnaissance. Mais cette reconnaissance devint bien plus vive encore, lorsque, dans l’été de 1669, elle recouvra, dans l’Église même, en priant de tout son cœur et de toute son âme, la faculté de marcher seule et sans ses béquilles. Elle en eut une joie si grande, qu’elle se jeta à genoux, fondit en larmes, et supplia tous les assistants de rendre grâces avec elle.

Dès lors, elle déclara qu’elle ne désirait pas être mieux jusqu’à sa mort ; qu’elle priait Dieu de lui laisser toujours des douleurs, pour lui apprendre à porter sa croix et à se tenir sans cesse attaché à lui. C’est en effet ce qui eut lieu. Les douleurs ne diminuèrent point ; mais la bonne Armelle pouvait aller et venir avec un bâton, et elle était sereine et joyeuse. Elle goûtait, au plus haut degré, la présence de Dieu, dans son cœur, et les dernières années de sa vie furent plus édifiantes encore que les précédentes.

§. 14.

Le 5 août 1671, elle fut saisie d’une fièvre intermittente, qui finit par revenir tous les jours, pendant un mois. On crut qu’elle allait mourir ; mais elle répondit avec assurance : Oh, non ! Je ne mourrai pas encore : il faut que je souffre davantage, pour que le Seigneur puisse achever son œuvre en moi.

Au bout d’un mois, elle fut un peu mieux, quoique la fièvre continuât. On la conduisit à Vannes, vers la fin de septembre. Sa faiblesse devint extrême, et elle ne put plus sortir du lit. Sentant sa fin approcher, elle donna quelques instructions, sur le ménage, à la fille de la maison.

Peu de jours après, une inflammation à la gorge se déclara, et elle ne fut plus capable de prendre aucune nourriture. Elle éprouvait des douleurs atroces, en avalant même un peu d’eau ; mais plus les douleurs étaient fortes, plus elle faisait preuve de sérénité, de patience et de reconnaissance envers Dieu.

Un samedi soir, comme la maladie faisait des progrès, et que la faiblesse devenait plus grande, la bonne Armelle désira faire sa confession, et recevoir le saint sacrement de la Sainte-Cène. Elle remplit ce devoir avec une repentance profonde, en versant beaucoup de larmes, et le cœur rempli de foi et d’amour pour le Sauveur. Le mardi, 20 octobre, elle communia encore une fois avec toute sa présence d’esprit.

C’est ce jour-là, que l’agonie de la mort commença pour elle. Tant qu’elle put parler, elle prononça le saint nom de Jésus. Pendant deux jours et trois nuits que dura son agonie, sa chambre fut toujours remplie de personnes de tout rang, qui venaient la voir encore, et s’édifier aux derniers moments de cette pauvre servante, dont la piété sincère et l’humilité, inspiraient généralement une profonde vénération. Enfin, le 24 octobre 1671, entre midi et une heure, la bonne Armelle s’éteignit doucement, et rendit son âme à Dieu.

§. 15.

Dès que la nouvelle s’en fut répandue dans la ville, on accourut de toutes parts, avec respect, afin de contempler encore ses restes mortels. Chacun désirait posséder quelque chose d’elle, comme un souvenir, et la plus grande partie de ses chétifs effets, fut ainsi emportée par ceux qui purent les obtenir. Il n’était personne qui ne fît l’éloge de cette humble servante, à laquelle son maître surtout rendait un touchant témoignage. La perte de la bonne Armelle fut aussi sensible à son cœur, que l’eût été celle d’un de ses enfants. Il lui fit rendre les derniers devoirs, comme à sa propre fille. Il arrosa ses pieds de ses larmes. Toute sa famille en fit autant, et plusieurs personnes suivirent cet exemple. L’expression des traits de la bonne Armelle semblait avoir, après sa mort, quelque chose de plus spirituel encore que pendant sa vie. Elle paraissait être en prière, et cette vue inspirait un respect religieux.

Le dimanche suivant, le corps fut porté et déposé dans une chapelle, et le convoi qui l’accompagna, fut si nombreux, qu’on l’aurait pris pour une immense procession. L’office des morts fut célébré avec recueillement, et les grâces que Dieu avait faites à sa fidèle servante, furent énumérées dans un petit discours, qu’un ecclésiastique prononça dans cette occasion.

Enfin, on grava sur sa tombe, l’inscription suivante, par laquelle nous terminons cette notice :

Ici repose le corps d’Armelle Nicolas, qui par sa naissance fut une simple paysanne, et par son état, une humble servante. On l’appelle communément la bonne Armelle. — Elle a vécu dans une communion intime avec Dieu, et fut la fille de son amour. Elle est morte sur la terre, et a commencé de vivre au ciel, le 24 octobre 1671, à l’âge de 65 ans.

Marchez sur ses traces, c’est-à-dire : Aimez Dieu comme elle. Qu’elle repose en paix.

Amen.