La Bonne Femme

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chez Pierre Mortier, Libraire (p. 200-240).
Quatre personnes assises sur un banc. En arrière plan, un bâtiment classique avec colonnes et fronton.
Quatre personnes assises sur un banc. En arrière plan, un bâtiment classique avec colonnes et fronton.


LA BONNE FEMME.


CONTE.


IL y avoit une fois, une bonne Femme, qui avoit de l’honnêteté, de la franchiſe & du courage. Elle avoit ſenti tous les revers qui ſont capables d’agiter la vie.

Elle avoit été à la Cour, & y avoit éprouvé tous les orages qui y ſont ſi ordinaires ; trahiſons, perfidies, point de bonne foy, perte de biens, perte d’amis. De ſorte que rebutée d’étre dans un lieu où la diſſimulation & l’hypocriſie ont établi leur empire, & laſſée d’un commerce où les cœurs ne ſe montrent jamais tels qu’ils ſont, elle réſolut de quitter ſon pays & de s’en aller ſi loin, qu’elle put oublier tout le monde, & qu’on n’entendit jamais parler d’elle,

Quand elle crut être bien éloignée, elle fit une petite maiſonnette dans un lieu où la ſituation étoit extrémement agréable. Tout ce qu’elle put faire fut d’acheter un petit troupeau, dont le lait ſervoit à ſa nourriture, & la toiſon pour ſe vêtir.

À peine fut-elle quelque temps de la ſorte, qu’elle ſe trouva heureuſe. Il eſt donc un état dans la vie où l’on peut-être contente, diſoit-elle, & par le choix que j’ay fait je n’ay plus rien à deſirer. Elle alloit tous les jours filant ſa quenoüille, & conduiſant ſon petit troupeau : elle auroit bien ſouhaité quelqueſois d’avoir de la compagnie, mais elle en craignoit le danger.

Elle s’étoit inſenſiblement accoûtumée à la vie qu’elle menoit ; quand un jour voulant ramaſſer ſon troupeau, il ſe mit à ſe répandre par la campagne & à la fuïr. Il la fuit en effet ſi bien, qu’en peu de temps elle ne vit plus pas un de ſes moutons. Suis je un Loup raviſſant, s’écria-t-elle ? que veut dire cette merveille ? Et appellant ſa brebis la mieux aimée, elle ne reconnut plus ſa voix ; elle courut aprés. Je me conſoleray de perdre tout le troupeau, luy diſoit-elle, pourveu que tu me demeures. Mais l’ingrate le fut juſqu’au bout, elle s’en alla avec le reſte.

La Bonne Femme fut trés-affligée de la perte qu’elle avoit faite. Je n’ay plus rien, s’écrioit-elle ; encore peut-être que je ne retrouveray pas mon jardin, & que ma petite maiſon ne ſera plus à ſa place.

Elle s’en retourna tout doucement, car elle étoit bien laſſe de la courſe qu’elle avoit faite ; des fruits & des legumes la nourrirent quelque temps, avec une proviſion de fromage.

Elle commençoit à voir la fin de toutes ſes choſes. Fortune, diſoit-elle, tu as beau me chercher pour me perſecuter, aux lieux même les plus reculez, tu n’empêcheras pas que je ne ſois prête à voir les portes de la mort ſans frayeur, & aprés tant de travaux je deſcendray avec tranquillité dans les lieux paiſibles.

Elle n’avoit plus de quoy filer, elle n’avoit plus de quoy vivre : & s’appuyant ſur ſa quenoüille, elle prit ſon chemin dans un petit bois, & cherchant de l’œil une place pour ſe repoſer, elle fut bien étonnée de voir courir vers elle trois petits enfans plus beaux que le plus beaux jour. Elle fut toute réjoüie de voir une ſi gracieuſe compagnie. Ils luy firent cent careſſes, & ſe mettant à terre pour les recevoir plus commodément, l’un luy paſſoit ſes petits bras autour du col, l’autre la prenoit par derriere, & le troifiéme l’appelloit ſa mere. Elle attendit long-temps pour voir ſi on ne les viendroit point chercher, croyant que ceux qui les avoient amenez là ne manqueroient pas de les venir reprendre. Tout le jour ſe paſſa ſans qu’elle vit perſonne.

Elle ſe réſolut à les mener chez elles, & crut que le Ciel luy rendoit ce petit troupeau en la place de celuy qu’elle avoit perdu. Il étoit compoſé de deux filles qui n’avoient que deux & trois ans, & d’un petit garçon qui en avoit cinq.

Ils avoient chacun de petits cordons pendus au col, auſquels étoient attachez de petits bijoux. L’un étoit une Ceriſe d’or émaillée d’incarnat, & il y avoit gravé tout autour ces paroles, Lirette. Elle crut que c’étoit le nom de la petite fille, & elle ſe réſolut de l’appeller ainſi. L’autre étoit une Azerolle, où il y avoit écrit, Mirtis. Et le petit garçon avoit une Amande d’un bel émail verd, où il y avoit autour, Finfin. La Bonne Femme comprit bien que c’étoient leurs noms.

Les petites filles avoient quelques pierreries à leurs coëffures, & plus qu’il n’en faloit pour mettre la Bonne Femme à ſon aiſe. Elle eut bientôt acheté un autre troupeau ; & ſe donna les commoditez neceſſaires pour nourrir ſon aimable famille. Elle leur faiſoit pour l’Hyver des habits d’écorces d’arbres, & l’Eſté ils étoient vêtus de toile de cotton bien blanche.

Tout petits qu’ils étoient, ils gardoient leur troupeau. Et pour cette fois leur troupeau leur fut fidele ; il leur étoit plus docile & plus obéïſſant qu’à de grands chiens qu’ils avoient, & ces chiens étoient doux & flateurs pour eux.

Ils croiſſoient à vûë d’œil, & ils paſſoient leur vie dans une grande innocence : ils aimoient la Bonne Femme, & ils s’aimoient infiniment tous trois.

Ils s’occupoient à garder leurs moutons ; quelquefois ils pêchoient à la ligne, ils tendoient des rets pour prendre des oiſeaux, ils travailloient à un petit jardin qu’ils avoient, & ils employoient leurs mains délicates à faire venir des Fleurs.

Il y avoit un Roſier que la jeune Lirette aimoit fort : elle l’arroſoit ſouvent, elle en prenoit beaucoup de ſoin ; elle ne trouvoit rien de ſi beau que la Roſe, elle l’aimoit ſur toutes les Fleurs. Il luy prit une fois envie d’entr’ouvrir un bouton, & elle s’occupoit à en chercher le cœur, quand elle ſe piqua le doigt avec une épine. Cette bleſſure luy fut fort ſenſible, elle ſe mit à pleurer ; & le beau Finfin qui ne la quittoit gueres, s’étant approché, pleura auſſi de la douleur qu’elle reſſentoit. Il prit ſon petit doigt, le preſſoit, & en faiſoit ſortir le ſang tout doucement.

La Bonne Femme qui vit leur allarme pour cette bleſſure, s’approcha d’eux ; & ſachant ce qui l’avoit cauſée : Quelle curioſité auſſi, luy dit-elle ? Pourquoi dépoüiller cette Fleur que vous aimez tant ? Je voulois ſon cœur, réprit Lirette. Ces deſirs ſont toûjours funeſtes, repliqua la Bonne Femme. Mais, ma mere, interrompit Lirette, pourquoi cette Fleur qui eſt fi belle & qui me plaît tant, a-t-elle des épines ? Pour vous montrer, pourſuivit la Bonne Femme, qu’il faut nous défier de la plûpart des choſes qui plaiſent à nos yeux, & que les objets les plus agreables cachent des pieges qui peuvent nous être mortels. Comment, reprît Lirette, il ne faut donc pas aimer tout ce qui paroît aimable ? Non ſans doute, luy dit la Bonne Femme, & il s’en faut bien garder. Mais j’aime mon frere de tout mon cœur, réprit-elle ; il eſt ſi beau & fi charmant. Vous pouvez aimer vôtre frere, réprit ſa mere : mais s’il n’étoit pas vôtre frere, vous ne le devriez pas aimer.

Lirette branloit la tête, & trouvoit cette regle bien dure. Finfin étoit cependant toûjours occupé de ſon doigt ; il preſſoit ſur la piqueure du jus de feüilles de Roſe, & il l’en envelopoit. La Bonne Femme luy demandoit pourquoi il faiſoit cela : Parce que je crois, luy dit-il, que le remede peut venir de la même cauſe dont eſt parti le mal. La Bonne Femme ſoûrit de ce raiſonnement : Mon cher enfant , luy répondit-elle, ce n’eſt pas en cette occaſion. Je croyois que cela étoit en tout, réprit-il, car quelquefois que Lirette me regarde, elle me trouble entierement ; je me ſens tout émû, & le moment d’aprés ſes mêmes regards me font un plaifir que je ne ſaurois vous dire ; quand elle me gronde quelquefois , je ſuis tres-touché : mais qu’elle me diſe enfin une parole de douceur, je me trouve tout joyeux.

La Bonne Femme admiroit ce que ces enfans étoient capables de penſer ; elle ne ſavoit ce qu’ils s’étoient les uns aux autres, & elle craignoit qu’ils ne vinſſent à s’aimer trop. Elle eût bien voulu ſavoir s’ils étoinent freres, ſon ignorance la mettoit dans une terrible inquietude. Leur grande jeuneſſe la raſſuroit.

Finfin étoit déja tout rempli de ſoins pour la petite Lirette, il l’aimoit mieux que Mirtis. Il luy avoit une fois donné des Perdreaux les plus jolis du monde qu’il avoit pris. Elle en avoit élevé un qui devint Perdrix, dont le plumage étoit fort beau : Lirette l’aimoit infiniment, & la donna à Finfin. Elle le ſuivoit par tout ; il luy apprenoit mille choſes divertiſſantes. Il l’avoit une fois menée avec luy tandis qu’il gardoit ſon troupeau ; il ne trouva plus ſa Perdrix, il la chercha, il s’affligea extrémement de ſa perte ; Mirtis le voulut conſoler, mais elle n’y réüſſit pas. Ma ſœur, luy diſoit-il, je ſuis au deſeſpoir, Lirette ſera fâchée, tout ce que vous me dites ne deminuë point ma douleur. Eh bien, mon frere, luy dit-elle, nous nous leverons demain de bon matin, & nous en irons chercher une autre ; je ne ſaurois vous voir affligé comme vous êtes.

Lirette arriva comme elle diſoit cela ; & ayant ſçû le chagrin de Finfin, elle ſe mit à ſoûrire : Mon cher frere, luy dit-elle, nous retrouverons une autre Perdrix, il n’y a que l’état où je vous vois qui me fait de la peine. Ces paroles ſuffirent pour ramener la ſerenité & le calme dans le cœur & ſur le viſage de Finfin,

Pourquoi, diſoit-il en luy-même, Mirtis ne m’a-t-elle pû remettre l’eſprit par ſes bontez ? & Lirette l’a fait d’un ſeul petit mot ; elles ſont trop d’être deux, Lirette me ſuffit.

D’autre part Mirtis voyoit bien que ſon frere faiſoit de la difference d’elle à Lirette. Nous ne ſommes pas icy aſſez de trois, diſoit-elle, il faudroit que j’euſſe un autre frere qui m’aimât autant que Finfin aime ma ſœur.

Lirette avoit déja douze ans, Mirtis treize, & Finfin quinze ; quand un ſoir aprés ſoupé, ils étoient tous aſſis au devant de leur maiſonnette avec la Bonne Femme, qui les inſtruiſoit de cent choſes agreables. Le jeune Finfin voyant Lirette qui ſe joüoit avec le bijou qu’elle avoit au col, il demanda à ſa chere mere à quoi il étoit bon : elle lui répondit qu’elle les avoit trouyez en ayant chacun un, lors qu’ils étoient tombez entre ſes mains. Et lors Lirette dit. Si le mien vouloit faire ce que je dirois, je ſerois bien aiſe. Eh que voudriez-vous, luy demanda Finfin ? Vous l’allez voir, dit-elle. Et lors prenant le bout de ſon cordon : Petite Ceriſe, continua-t-elle, je voudrois avoir une belle maiſon de Roſes.

En même temps ils entendirent un petit bruit derriere eux. Mirtis ſe tourna la premiere, & fit un grand cry, elle avoit raiſon de le faire ; car en la place de la maiſonnette de la Bonne Femme, il y en parut une la plus charmante que l’on eût pû voir. Elle n’étoit pas élevée, le toit en étoit tout de Roſes auffi bien en Hyver qu’en Eſté. Ils y furent & entrerent dedans ; ils y trouverent des appartemens agreables, meublez avec magnificence. Au milieu de chaque chambre il y avoit un Roſier toûjours fleuri dans un vaſe precieux, & dans la premiere où l’on entra on retrouva la Perdrix de Finfin, qui vola ſur ſon épaule, & qui luy fit cent careſſes.

N’y a-t-il qu’à ſouhaiter, dit Mirtis ? Et prenant ſon cordon : Petite Azerole, pourſuivit-elle, donnez nous un jardin plus peau que le nôtre.

À peine eut-elle achevé de parler, qu’il s’en preſenta un devant leurs yeux d’une beauté extraordinaire, où tout ce qui ſe peut imaginer pour contenter tous les ſens ſe trouvoit dans la derniere perfection.

Ces jeunes enfans ſe mirent d’abord à courir dans les belles allées, dans les parterres, & au bord des fontaines.

Souhaitez quelque choſe, mon frere, luy dit Lirette. Mais je ne deſirerois, luy dit-il, que d’être aimé de vous autant que je vous aime. Ô ! luy répondit-elle, c’eſt à mon cœur à vous ſatisfaire ; la choſe ne ſauroit dépendre de vôtre Amande. Eh bien, dit Finfin, Amande, petite Amande, je voudrois qu’il s’élevât prés d’icy une grande forêt où le fils du Roy vint chaſſer, & qu’il devint amoureux de Mirtis.

Que vous ay je fait, luy répondit cette belle fille ? je ne veux point ſortir de la vie innocente que nous menons. Vous avez raiſon, mon enfant, luy dit la Bonne Femme, & je reconnois vôtre ſageſſe à des ſentimens fi reglez ; auſſi bien on dit que ce Roy eſt un cruel, un ufurpateur, qui a fait mourir le veritable Roy & toute ſa famille ; peut-être que le fils ne ſera pas meilleur que le pere.

Cependant la Bonne Femme étoit toute étonnée des ſouhaits étranges de ces miraculeux enfans, elle ne ſavoit que penſer.

Quand la nuit fut venuë elle ſe retira dans la maiſon des Roſes, & elle apprit le lendemain qu’il y avoit une grand forêt aſſez prés de ſa maiſon. Ce fut un fort beau lieu de chaſſe pour nos jeunes Bergers ; Finfin y prenoit ſouvent à la courſe des Biches, des Dains & des Chevreüils.

Il donna un Fan plus blanc que la neige à la belle Lirette. Il la ſuivoit comme la Perdrix ſuivoit Finfin, & quand ils ſe ſeparoient pour quelques momens, ils s’écrivoient par eux ; c’étoit la plus jolie choſe du monde.

Cette petite troupe vivoit ainſi paiſiblement, s’occupant à divers exercices ſuivant les ſaiſons. Ils gardoient toûjours leur troupeau ; mais l’Eſté leurs occupations étoient plus douces. Ils chaſſoient extrémement l’Hyver ; ils avoient des arcs & des fleches, & faiſoient quelquefois des courſes penibles, aprés leſquelles ils revenoient au petit pas & tout gelez dans la maiſon des Roſes.

La Bonne Femme les recevoit avec un grand feu ; elle ne ſavoit par lequel commencer pour les réchauffer. Lirette, ma fille Lirette, luy diſoit-elle, approchez vos petits pieds ; & mettant Mirtis dans ſon ſein : Mirtis, mon enfant, continuoit elle, donnez-moy vos belles mains que je les échauffe : Et vous, mon fils Finfin, approchez-vous. Et les mettant dans un bon canapée tous trois, elle leur rendoit ſes ſoins fort agreables par ſes manieres & ſa douceur.

Ils vivoient ainſi dans une paix charmante. La Bonne Femme admiroit la ſympathie qu’il y avoit entre Finfin & Lirette ; car Mirtis étoit auſſi belle, & n’avoit pas des qualitez moins aimables, & cependant il s’en faloit bien que Finfin ne l’aimât ſi vivement. S’ils ſont freres, comme je le crois, diſoit la Bonne Femme, à leur beauté ſans pareille, que feray-je ? Ils ſont ſi égaux en tout, qu’ils ſont aſſurément formez d’un même ſang. Si la choſe eſt, cette amitié ſeroit tres-dangereuſe ; s’ils ne ſont rien, je puis la rendre legitime en les mariant, & ils m’aiment tant les uns & les autres, que cette union feroit la joye & le repos de mes jours.

Dans l’ignorance où elle étoit elle avoit défendu à Lirette, qui étoit déja un peu grande, de ſe trouver jamais ſeule avec Finfin, & elle avoit ordonné à Mirtis d’être toûjours avec eux. Lirette luy obéïſſoit avec une entiere ſoûmiſſion, & Mirtis faiſoit auſſi ce qu’elle luy avoit recommandé. Elle avoit entendu parler d’une habile Fée, elle ſe réſolut de l’aller trouver pour s’éclaircir du ſort de ces enfants.

Un jour que Lirette avoit une legere incommodité, Mirtis & Finfin furent à la chaſſe : la Bonne Femme vit que cette occaſion étoit commode pour aller trouver Madame Tu Tu ; la Fée s’appelloit ainſi. Elle laiſſa donc Lirette à la maiſon des Roſes : & comme elle avançoit ſon chemin, elle rencontra le Fan de Lirette, qui alloit vers la forêt, & elle vit en même temps la Perdrix de Finfin qui en revenoit. Ils ſe joignirent tous deux prés d’elle. Ce ne fut pas ſans étonnement qu’elle leur vit à chacun un petit ruban au col avec un papier. Elle appella la Perdrix, qui vola à elle, & luy prenant le papier, elle y trouva ces Vers.

B I L L E T.

Volez, chere Perdrix, allez trouver Lirette.

Je meurs pour un moment que j’en ſuis ſeparé.
Peiguez-luy mon ardeur, & ma peine diſcrette.
    Helas ! je ſuis preſque aſſuré
    Qu’une paſſion ſi parfaite
Ne ſe fait point ſentir à ſon cœur endurci.
    Je ſerois content ſi Lirette
Pouvoit un jour avoir un ſemblable ſoucy.

Quelles paroles, s’écria la Bonne Femme ! quelles expreſſions ! La ſimple amitié ne s’explique pas avec tant de feu. Et arrêtant le Fan qui luy vint lécher la main, elle détacha ſon papier, elle l’ouvrit, & y trouva ces paroles.


BILLET.

Le jour s’en va finir, & vous chaſſez encore ;
    Revenez, aimable Finfin,
    Vous étes parti ce matin
    Avant le lever de l’aurore :
Quelle abſence, bon Dieu ! n’a-t-elle point de fin ?

Voilà comme l’on faiſoit quand j’étois dans le monde, continua la Bonne Femme ; qui en a tant appris à Lirette dans ce deſert ? Comment feray-je pour couper de bonne heure la racine d’un mal ſi pernicieux ? Eh Madame, de quoi vous inquietez-vous, luy dit alors la Perdrix ? laiſſez-les faire, ceux qui les conduiſent en ſavent plus que vous.

La Bonne Femme demeura toute interdite ; elle connut bien que la Perdrix parloit par la force d’un art ſurnaturel. Les Billets luy tomberent des mains de frayeur ; le Fan & la Perdrix les ramaſſerent, l’un courut, & l’autre vola : & la Perdrix luy chanta ſi ſouvent Tu Tu, qu’elle crut que cette puiſſante Fée la faiſoit parler. Elle ſe remit un peu aprés cette reflexion ; & n’ayant pas la force d’achever ſon petit voyage, elle réprit le chemin de la maiſon des Roſes.

Cependant Finfin & Mirtis avoient chaſſé tout le long du jour ; & étant las, ils avoient porté leur gibier à terre, & s’étoient couchez ſous un arbre pour ſe repoſer : ils s’endormirent.

Le fils du Roy chaſſoit auſſi ce jour-là dans cette forêt. Il s’écarta de ſes gens, & vint dans l’endroit où repoſoient nos deux jeunes Bergers : il les conſidera quelque temps avec admiration. Finfin avoit la tête appuyée ſur ſa trouſſe, & Mirtis avoit la ſienne ſur l’eſtomac de Finfin.

Le Prince la trouva ſi belle, qu’il deſcendit precipitamment de cheval, & la regardoit avec une grande attention. Il jugea à leurs pannetieres & à la ſimplicité de leurs habits que ce n’étoit que des Bergers : il en ſoûpira de douleur, parce qu’il avoit déja ſoûpiré d’amour ; cet amour même fut ſuivi dans un inſtant de la jalouſie. La maniere dont ces jeunes gens étoient luy fit croire qu’une telle familliarité ne venoit que de l’amour qui les uniſſoit.

Dans cette penſée inquiette, ne pouvant ſouffrir un ſommeil trop long, il toucha de ſon épieu le beau Finfin. Il ſe réveilla en ſurſaut, & voyant un homme devant luy, il paſſa la main ſur le viſage de Mirtis, & l’éveilla auſſi en l’appellant ſa ſœur ; parole qui raſſura dans le même moment le jeune Prince.

Mirtis ſe leva toute étonnée : elle n’avoit jamais vû que Finfin. Le jeune Prince étoit de même âge qu’elle. Il étoit ſuperbement vêtu, & il avoit un viſage tout rempli d’agrément.

Il luy dit d’abord bien des douceurs ; elle les entendit avec un plaiſir qu’elle n’avoit pas encore ſenti, & elle y répondit d’une maniere naïve, pleine de grace. Finfin voyoit qu’il ſe faiſoit tard, & le Fan étoit venu luy porter ſon Billet ; il dit à ſa ſœur qu’il faloit ſe retirer. Venez, mon frere, dit-elle au jeune Prince, en lui tendant la main, venez avec nous dans la maiſon des Roſes.

Comme elle croyoit Finfin ſon frere, elle penſoint que tout ce qui étoit joli comme luy le devoit être auſſi.

Le jeune Prince ne ſe fit pas prier pour la ſuivre. Enfin chargea le dos de ſon Fan de la chaſſe qu’il avoit faite, & le beau Prince porta l’arc & la trouſſe de Mirtis.

En cet état ils arriverent à la maiſon des Roſes. Lirette fut au devant d’eux ; elle fit un accûeil riant au Prince, & ſe tournant vers Mirtis : Je ſuis bien aiſe, luy dit-elle, que vous ayez fait une fi belle chaſſe.

Ils furent tous enſemble trouver la Bonne Femme, à qui le Prince fit ſavoir ſa naiſſance. Elle eut grand ſoin d’un hôte ſi illuſtre, elle luy donna un beau logement.

Il demeura ainſi deux ou trois jours avec elle, & ce fut aſſez pour achever de s’enflammer pour Mirtis, ſelon que Finfin l’avoit demandé à ſa petite Amande.

Cependant les gens du Prince avoient été bien étonnez de ne le point voir. Ils avoient trouvé ſon cheval, & ils craingnoient que quelque accident funeſte ne luy fût arrivé. On le cherchoit par tout, & le méchant Roy qui étoit ſon pere, étoit dans une grande fureur de ce qu’on ne le trouvoit point. La Reine ſa mere qui étoit vertueuſe, & ſœur du Roy qu’il avoit fait cruellement mourir, étoit dans une douleur inconcevable de la perte de ſon fils.

Dans ſon extréme affliction elle envoya chercher ſecretement Madame Tu Tu, qui étoit ſon ancienne amie, mais qu’il y avoit long temps qu’elle n’avoit vûë, parce que ce Roy la haïſſoit, & luy avoit fait de ſanglantes pieces en une perſonne aimée.

Madame Tu Tu ſe rendit, ſans qu’on l’apperçût, dans le cabinet de la Reine. Aprés qu’elles ſe furent bien embraſſées, car il n’y a pas une grande difference d’une Fée à une Reine, ayant preſque le même pouvoir, la Fée Tu Tu luy dit qu’elle verroit bientôt ſon fils ; qu’elle la prioit de ne s’inquieter point, & de ne prendre aucun chagrin de tout ce qu’elle verroit arriver ; qu’elle ſeroit bien trompée, ou qu’elle luy promettoit une joye à laquelle elle ne s’attendoit pas, & qu’elle ſeroit un jour la plus heureuſe de toutes les créatures.

Les gens du Roy s’enquirent tant du Prince, & le chercherent avec tant de ſoin, qu’étant arrivez à la maiſon des Roſes ils le trouverent.

Ils le ramenerent au Roy, qui le gronda brutalement, comme s’il n’eût pas été le plus joli garçon du monde. Il vivoit triſte auprés de ſon pere, penſant à la belle Mirtis. Enſin ſon chagrin parut ſi fort ſur ſon viſage, qu’il fut obligé d’en faire confidence à la Reine ſa mere, qui le conſoloit extrémement. Si vous vouliez monter ſur vôtre belle Haquenée, luy diſoit-il, & venir à la maiſon des Roſes, vous ſeriez charmée de ce que vous y verriez. La Reine y conſentit volontiers ; elle y mena ſon fils, qui fut ravi de revoir ſa chere maîtreſſe.

La Reine fut étonnée de ſa grande beauté, de celle de Lirette & de Finfin. Elle les embraſſa avec autant de tendreſſe que s’ils euſſènt tous été ſes enfans, & conçut dés ce moment même une grande amitié pour la Bonne Femme.

Elle admira la maiſon, le jardin, toutes les ſingularitez qu’elle y vit. Quand elle fut retournée, le Roy voulut qu’elle luy rendît conte de ſon voyage : elle le fit naturellement. Il luy prit une forte envie d’aller voir auſſi tant de merveilles. Son fils luy demanda la permiſſion de l’accompagner ; il y conſentit d’un air bourru, parce qu’il ne faiſoit jamais rien de bonne grace. D’abord qu’il vit la maiſon des Roſes, il la convoita : il ne prit pas ſeulement garde aux charmans habitans d’un ſi beau lieu, & pour commencer à s’en emparer, il dit qu’il y vouloit coucher ce ſoir là.

La Bonne Femme fut trés-fâchée d’une telle réſolution. Elle entendit un tintamarre, & vit un deſordre chez elle qui l’effraya. Qu’allez vous devenir, s’écria-t-elle, heureuſe tranquilité que je goûtois ? Le moindre air de fortune renverſe tout le calme de la vie.

Elle donna au Roy un lit excelent, & ſe retira à un coin du logis avec ſa petite famille. Quand le méchant Roy fut couché, il luy fut impoſſible de dormir ; & ouvrant les yeux, il vit au pied de ſon lit une petite Vieille qui n’étoit pas plus haute que le coude, & qui étoit auſſi large : elle avoit de grandes lunettes qui couvroient tout ſon viſage, elle luy faiſoit des grimaces effroyables. Les lâches ſont ſujets à la peur ; il en eut une épouvantable, & il ſentit en même temps mille pointes d’aiguilles qui le perçoient de toutes parts. Dans un ſi grand tourment de corps & d’eſprit il fut éveillé toute la nuit, & l’on fit un bruit étrange. Le Roy tempêtoit, & diſoit des paroles qui n’étoient point du tout bienſeantes à ſa dignité. Dormez, dormez, Sire, luy dit la Perdrix, ou laiſſez nous dormir ; ſi l’état de la Royauté eſt rempli de tant d’inquiétudes, j’aime encore mieux être Perdrix que d’être Roy. Ce Prince acheva de s’épouvanter à ces paroles ; il commanda qu’on prît la Perdrix qui ſe repoſoit dans une jatte de porcelaine : mais elle s’enfuit à cet ordre, & s’envola en luy battant des aîles ſur le viſage.

Il avoit toûjours la même vifion & il ſentoit les mêmes piqueures ; il étoit fort effrayé, ſa colere en devint plus furieuſe. Ah ! dit il, c’eſt un charme de cette Sorciere, qu’on appelle la Bonne Femme : il faut que je me délivre d’elle & de toute ſa race, & que je la faſſe mourir.

Il ſe leva, ne pouvant demeurer dans ſon lit ; & dés que le jour parut, il commanda à ſes Gendarmes de prendre toute l’innocente petite famille, & de la conduire dans des cachots : il ſe les fit amener devant luy, pour être témoin de leur deſeſpoir. Ces charmans viſages qui étoient tout arroſez de pleurs ne le touchoient point, au contraire il en avoit une maligne joye.

Son fils, dont le tendre cœur étoit déchiré par un ſpectacle ſi ſenſible, ne pouvoit tourner les yeux ſur Mirtis ſans reſſentir une douleur à laquelle rien n’étoit comparable.

Uu veritable Amant dans ces occaſions ſouffre encore plus que la perſonne aimée.

On prit ces pauvres innocens, & l’on les amenoit déja, quand le jeune Finfin, qui n’avoit point d’armes pour oppoſer à ces barbares, prit tout d’un coup le cordon de ſon col. Petite Amande, s’écria-t-il, je voudrois que nous puſſions être hors de la puiſſance du Roy. Avec ſes plus grands ennemis, ma chere Ceriſe, continua Lirette. Et que nous emmenions le beau Prince, mon Azerole, pourſuivit Mirtis.

Ils avoient à peine proferé ces paroles, qu’ils ſe trouverent tous dans un char avec le Prince, la Perdrix & le Fan, & s’élevant en l’air ils eurent bientôt perdu de vûë le Roy & la maiſon des Roſes.

Dés que Mirtis eut fait ſon ſouhait elle s’en repentit ; elle connut bien qu’elle s’étoit laiſſée inconſiderément emporter à un premier mouvement dont elle n’avoit pas été la maîtreſſe : auſſi pendant toute la route elle tint les yeux baiſſez, & elle eut une grande honte. La Bonne Femme luy jetta un coup d’œil ſeverre. Ma fille, luy dit-elle, vous n’avez pas bien fait de ſeparer le Prince de ſon pere ; quelque injuſte qu’il ſoit, il ne doit pas le quitter. Ah ! Madame, luy répondit le Prince, ne trouvez pas mauvais que j’aye la douceur de vous ſuivre Je reſpecte le Roy mon pere : mais je m’en ſerois cent fois allé ſans la vertu, la bonté & la tendreſſe de la Reine ma mere, qui m’ont toûjours retenu.

En achevant ces paroles ils ſe trouverent devant un beau Palais, où étant deſcendus, Madamme Tu Tu vint au devant d’eux. C’étoit la plus jolie perſonne du monde, jeune, vive, gaye.

Elle leur fit cent honnêtetez, & leur avoüa que c’étoit elle qui leur avoit fait tous les plaiſirs qu’ils avoient eus dans leur vie, & qui avoit donné aux trois Bergers la Ceriſe, l’Azerole & l’Amande, dont la vertu étoit finie, puis qu’elle les avoit auprés d’elle.

Et s’adreſſant particulierement au Prince, elle luy dit qu’il avoit entendu parler mille fois des déplaiſirs que ſon pere luy avoit faits, qu’elle l’avertiſſoit d’avance qu’il ne l’accusât pas du mal qui luy pourroit arriver : qu’à la verite elle luy faiſoit bien quelques malices, mais que c’étoit là tout au plus où pouvoit aller ſa vangeance.

Aprés cela elle les aſſura qu’ils ſéroient tous trés-heureux chez elle ; qu’ils auroient des troupeaux à garder, des houlettes, des arcs, des fléchez & des lignes, qu’ils ſe divertiroient à cent plaiſirs differens. Elle leur donna des habits de Bergers d’une gentilleſſe infinie, & au Prince comme aux autres : leurs noms & leurs diviſes étoient ſur leurs houlettes. Dés le ſoir même le jeune Prince changea la ſienne. avec celle de l’aimable Mirtis.

Le lendemain Madame TuTu les mena dans les plus charmantes promenades du monde, & leur montra des bons pâturagez pour leurs moutons, & un beau païs pour la chaſſe. Vous pouvez, leur dit-elle, aller de ce côté juſques à cette belle Rieviere, n’allez jamais à l’autre bord, & de ce côté-là chaſſez dans les bois ; Mais prenez garde, continua-t-elle, de paſſer un grand Chêne qui eſt au milieu de la forêt ; il eſt fort remarquable, parce qu’il a les racines & le tronc de fer. Si vous allez plus avant, il pourroit vous arriver des malheurs dont je ne ſaurois vous garantir ; & aprés cela je ne ſerois peut-être pas en état de vous ſecourir promptement, car une Fée a bien de l’occupation.

Ces jeunes Bergers l’aſſurerent qu’ils feroient exactement ce qu’elle leur preſcrivoit ; & ſe mettant à conduire leur troupeau tous quatre, Madame Tu Tu demeura avec la Bonne Femme. Elle remarqua quelque inquietude dans ſon air : Qu’avez-vous, Madame, luy dit-elle ? quel nuage s’éleve dans vôtre eſprit ? Je ne vous nieray point, réprit la Bonne Femme ; que j’ay de la peine de les laiſſer ainſi tous enſemble. Il y a quelque temps que je vois avec chagrin que Finfin & Lirette s’aiment peut-être plus que de raiſon, & voicy pour m’accabler une autre amitié qui ſe forme, le Prince & Mirtis ne ſe haïſſent pas, je crains d’abandonner leur jeuneſſe à l’égarement de leurs cœurs.

Vous avez ſi bien élevé ces deux jeunes filles répliqua Madame Tu Tu, que vous ne devez rien craindre ; je rêpons de leur ſageſſe. Je vais vous éclaircir de leur deſtin.

Elle luy apprit que Finfin étoit fils du méchant Roy, & frere du Prince ; que Mirtis & Litette étoient ſœurs, & filles du défunt Roy qu’il avoit fait mourir, frere de la Reine ſa femme, que ce cruel Roy avoit épouſée, qu’ainſi ils étoient fort proches parens ; que ce méchant Roy étant monté ſur le Trône, aprés avoir commis mille horreurs, les voulut combler en faiſant mourir ces deux petites Princeſſes ; que la Reine fit tout ce qu’elle put pour l’empêcher, & n’y pouvant réüſſir, elle l’avoit appellée à ſon ſecours : qu’alors elle avoit dit à la Reine qu’elle les ſauveroit, mais qu’elle ne le pouvoit faire à moins qu’elle ne prît auſſi ſon fils aîné ; qu’elle luy répondit qu’elle le reverroit un jour heureux : qu’à ces conditions la Reine avoit conſenti à une ſeparation qui luy paroiſſoit d’abord dure ; qu’elle les avoit tous trois enlevez, & avoit voulu confier à ſes ſoins comme à la perſonne la plus digne d’un tel employ. Aprés cela la Fée la pria de ſe mettre en repos, l’aſſurant que l’union de ces jeunes Princes rendroit la paix à tout le Royaume, où Finfin regneroit avec Lirette.

La Bonne Femme écouta tout ce diſcours avec une grande admiration, mais ce ne fut pas ſans laiſſer tomber quelques larmes. Madame Tu Tu en fut ſurpriſe, & en demanda le ſujet. Helas ! dit-elle, je crois qu’ils vont perdre leur innocence par cette grandeur à laquelle ils vont être élevez, & qu’une fortune ſi éclatante va corrompre toute leur V6Ttlle

Non, réprit la Fée, ne craignez point un ſi grand malheur, vous leur avez donné de trop bons principes ; on peut être Roy & honnête homme. Vous ſavez qu’il en eſt un dans l’univres, qui eſt le modele des parfaits monarques : ainſi calmez vôtre eſprit. Je vais être avec vous autant qu’il me ſera poſſible, j’eſpere que vous ſerez ſans ennuy.

La Bonne Femme la crut, & au bout de quelque temps elle ſentit une grande ſatisfaction. Les jeunes Bergers ſe trouvoient auſſi fi contens, qu’ils ne deſiroient que la continuation d’une fortune ſi agreable. Leurs plaiſirs quoyque tranquiles ne laiſſoient pas d’être vifs. Ils ſe voyoient tous les jours, & les jours leur ſembloient encore trop courts.

Le mauvais Roy apprit qu’ils étoient chez Madame Tu Tu : mais tout ſon pouvoir ne les en pouvoit pas ôter. Il ſavoit toutes les diſpoſitions de ſes charmes ; il vit bien qu’il ne les ſauroit avoir que par ruſe. Il n’avoit pû habiter dans la maiſon des Roſes, par les malices continuelles que Madame Tu Tu luy faiſoit. Il l’en haïſſoit plus, auſſi bien que la Bonne Femme, & cette haine même retomboit juſques ſur ſon fils.

Il employoit toute ſorte de ſtratagemes pour avoir en ſa puiſſance quelqu’un de ces quatre jeunes Bergers : mais ſon pouvoir & ſes artifices ne s’étendoient pas ſur les terres de Madame Tu Tu.

Un jour malheureux (il eſt de tels que l’on ne peut éviter) ces aimables Bergers avoient porté leurs pas du côté du Chêne fatal. La belle Lirette apperçût ſur un arbre à vingt pas de là un oiſeau d’un ſi rare plumage, qu’elle eut tiré plûtôt ſa fléche qu’elle n’y eut penſé ; & voyant l’oiſeau mort, elle courut pour le prendre. Tout cela ſe fit promptement & ſans reflexion, de ſorte que la pauvre Lirette ſe livra à ſa perte & fe trouva priſe elle même ; car il luy fut impoſſible de pouvoir s’en retourner, elle n’avoit qu’une volonté impuiſſante. Elle reconnut ſa faute, & tout ce qu’elle put faire fut de tendre les bras pitoyablement à ſes freres & à ſa ſœur. Mirtis ſe mit à pleurer, & Finfin ſans heſiter courut à elle ; Je veux me perdre avec vous, s’écria t-il ; & dans un moment il l’eut jointe.

Mirtis vouloit les aller trouver, le beau Prince la retint. Allons avertir madame Tu Tu, luy dit-il, c’eſt le plus grand ſecours que nous puiſſions leur donner. En même-temps ils virent les gens du méchant Roy qui les prirent. Tout ce qu’ils purent faire de part & d’autre, fut de ſe crier adieu.

Le Roy avoit fait mettre là ce bel oiſeau par ſes chaſſeurs pour ſervir de piége à ces Bergers : il s’étoit bien attendu à l’avanture qui arriva. On mena Lirette & Finfin devant ce cruel Prince ; il leur dit mille injures, & les fit enfermer dans une obſcure & forte priſon. Ce fut alors qu’ils regretterent bien de ce que leur petite Ceriſe & leur petite Amande n’avoient plus de vertu. Le Fan & la Perdrix les furent trouver : mais le Fan ne pouvant les voir, jetta quelques larmes de douleur ; & voyant que le Roy commandoit qu’on le prit & qu’on l’écorchât tout vif, il ſe ſauva à la courſe vers Mirtis. La Perdrix fut plus heureuſe ; elle les voyoit tous les jours à travers la grille de leur priſon. Par bonheur le mauvais Roy ne s’étoit pas aviſé de les faire ſeparer. Quand on s’aime c’eſt un plaiſir de ſouffrir enſemble.

La Perdrix revoloit tous les jours, & alloit dire de leurs nouvelles à Madame Tu Tu, à la Bonne Femme & à Mirtis. Mirtis étoit trés-affligée, & ſans le beau Prince elle auroit été inconſolable. Elle ſe réſolut d’écrire à ces pauvres captifs par la fidelle Perdrix ; elle luy pendit une petite bouteille d’ancre au col avec du papier, & luy mit une plume au bec. La bonne Perdrix ainſi chargée, ſe rendit aux grilles de la priſon. Ce fut une grande joye à nos jeunes Bergers de la revoir. Finfin avança la main, & prit tout ce qu’elle avoit ; aprés quoy ils ſe mirent à lire.

Mirtis & le Prince, à Lirette & à Finfin.

Savez vous que nous languiſſons
Depuis une ſi dure abſence,
Qu’inceſſamment nous ſoûpirons,
Que peut-être nous en mourrons ;
Nous l’aurions déja fait, je penſe,
Si nous n’aurions plus d’eſperance :
Nous ſoûtenons nôtre vertu
Depuis que Madame Tu Tu
Nous aſſure de vôtre vie.
Lirette & Finfin, croyez nous,
Nous vous verrons malgré l’envie,
Et nous aurons un ſort bien doux.

Cette Lettre fit un puiſſant effet ſur l’eſprit de Lirette & de Finfin ; ils en conçurent une grande joye, & firent ſur le champ cette réponſe.

Lirette & Finfin, à Mirtis & au Prince


Nous avons reçû vôtre Lettre
Avec un extréme plaiſir,
Nous avons ſçu le reſſentir
Plus qu’on ne devoit ſe promettre.

Dans ces lieux ſi remplis d’horreur
Nôtre tourment ſeroit extrême,
Si nous n’avions pas la douceur
Que nous rencontrons en nous-mêmes.

Avec l’objet que ſait charmer
On ne reſſent aucun ſupplice,
Et pour ceux qui ſavent aimer.
Tout peut ſe tourner en delice.

Adieu, beau Prince, adieu Mirtis,
Ayez une ardeur mutuelle,
Sous une tendreſſe fidelle
Soyez toûjours aſſujetis.

Vous nous donnez une eſperance
Laquelle nous reſſentirons :
Le plus grand bien que nous aurons
Nous viendra de vôtre preſence.

Finfin ayant attaché ce Billet au col de la Perdrix, elle s’envola bien vite. Les jeunes Bergers la virent avec conſolation : mais la Bonne Femme n’en pouvoit recevoir depuis qu’elle étoit ſeparée de ces perſonnes ſi cheres, & qu’elle ſavoit en ſi grand peril. Que ma felicité eſt changée, diſoit-elle à Madame Tu Tu ; je ne ſuis dans le monde que pour être perpetuellement agitée : je croyois avoir pris le ſeul parti qui me pouvoit mettre dans le repos, qu’on eſt borné dans les vûës que l’on prend. Et ne ſavez vous pas, réprit la Fée, qu’il n’eſt point d’état dans la vie où l’on puiſſe vivre heureux. Je le ſay, s’écria triſtement la Bonne Femme, & fi l’on ne fait ſon bonheur ſoy même, on le trouve rarement ailleurs. Mais, Madame, voyez un peu le ſort de mes enfans, je vous prie ; je ne ſaurois vivre inquiéte comme je ſuis. Ils ne ſe ſont pas reſſouvenus de l’ordre que je leur avois preſcrit, réprit Madame Tu Tu : mais ſongeons au remede.

Madame Tu Tu entra dans ſa Bibliotheque avec la Bonne Femme. Elle lut preſque toute la nuit : & ayant pris enfin un grand livre qu’elle avoit ſouvent negligé, quoy qu’il fût couvert de lames d’or, elle ſe plongea tout à coup dans une triſteſſe exceſſive. Aprés bien du temps, & ſur la petite pointe du jour, la Bonne Femme voyant quelques larmes qui tomboient ſur les feüillets de ſon livre, oſa prendra la liberté de luy demander la cauſe de ſa douleur. Je m’afflige, luy dit elle, pour le deſtin irrevocable qui vient de s’offrir à ma connoiſſance ; j’en fremis & je tremble à vous le dire. Sont-ils morts ? s’écria la Bonne Femme. Non, pourſuivit Madame Tu Tu : mais rien ne les peut ſauver , ſi vous ou moy ne nous allons preſenter pour aſſouvir la vangeance du Roy. Je vous avoüe la verité, Madame, pourſuivit la Fée, je ne me ſens pas aſſez d’amitié pour eux, ni aſſez de courage pour aller ainſi m’expoſer à ſa fureur, & je crois auſſi que peu de perſonnes ſeroient capables de le faire. Pardonnez-moy, Madame, répliqua la Bonne Femme avec une grande fermeté, j’iray trouver le Roy ; rien ne m’eſt difficile pour ſauver mes enfans, je luy donneray de bon cœur tout le ſang que j’ay dans les veines.

Madame Tu Tu ne pouvoit aſſez admirer une ſi grande réſolution ; elle luy promit de l’aſſiſter de tout ce qui ſeroit en ſon pouvoir : mais qu’elle le croyoit borné en cette rencontre par la faute qu’ils avoient faite. La Bonne Femme prit congé d’elle, & ne voulut point dire ſon deſſein à Mirtis ni au Prince, de peur de s’attendrir & de les affliger.

Elle partit, la Perdrix vola toûjours à côté d’elle ; & ayant paſſé l’arbre de fer, la Perdrix arracha avec ſon bec une petite mouſſe qui étoit autour du tronc, & qu’elle mit dans les mains de la Bonne Femme. Quand vous ſerez au plus grand peril où vous puiſſiez être, luy dit elle, jettez cette mouſſe ſur les pieds du Roy. La Bonne Femme retient bien ces paroles ; & à peine eut-elle fait encore quelques pas, qu’elle fut priſe par les gens que le méchant Prince tenoit toûjours aux environs des terres de Madame Tu Tu.

On l’amena devant luy. Je te tiens donc, méchante créature, luy dit-il, je te feray mourir par les plus cruels ſupplices. Je ne ſuis venuë icy que pour cela, luy répondit elle, & tu peux exercer ta cruauté ſur moy ; épargenez mes enfans qui ſont jeunes, & incapables d’avoir jamais pû t’offenſer : voilà ma vie que je t’abandonne.

Tous ceux qui entendirent ces paroles étoient penetrez de pitié pour une telle grandeur d’ame ; le Roy ſeul n’en fut point émû. La Reine qui étoit preſente verſoit des torrens de larmes. Le Roy en fut ſi indigné contr’elle, qu’il l’auroit tuée ſi on ne ſe fût mis entre deux. Elle ſe ſauva en faiſant des cris pitoyables.

Ce Roy barbare fit enfermer la Bonne Femme , ordonnant qu’on la nourrît bien, afin de luy rendre une prompte mort plus affreuſe. Il commanda qu’on emplît un abîme de couleuvres, de viperes & de ſerpens, ſe faiſant un plaiſir d’y voir precipiter la Bonne Femme. Que1 genre de ſupplice : qu’il eſt êpouvantable !

Les Officiers de cet injuſte Prince luy obéïrent à regret ; & quand ils ſe furent acquittez de cette funeſte commiſſion, le Roy ſe rendit ſur le lieu. On voulut lier la Bonne Femme ; elle pria qu’on la laiſsât libre, les aſſurant qu’elle avoit aſſez de courage pour aller en cet état à la mort. Et conſiderant qu’elle n’avoit pas de temps à perdre, elle s’approcha du Roy, & luy jetta ſa mouſſe ſur les pieds. Il étoit auprés de l’effroyable gouffre ; & voulant le conſiderer encore avec plaiſir, les pieds luy gliſſerent, & il tomba dedans. À peine y fut-il, que toutes ces bêtes ſanguinaires ſe jetterent ſur luy, & le firent mourir en le piquant. La Bonne Femme ſe trouva en la compagnie de ſa chere Perdrix dans la maiſon des Roſes.

Pendant que ces choſes ſe paſſoient, Finfin & Lirette étoient preſque morts de miſere dans leur affreuſe priſon ; leur affection innocente les retenoit encore à la vie. Ils ſe diſoient des choſes bien triſtes & bien touchantes ; quand ils apperçurent tout d’un coup les portes de leur priſon qui s’ouvrirent, & Mirtis, le beau Prince, & Madame Tu Tu, qui ſe jetterent à leur col, & qui leur parlant tous à la fois, ne laiſſerent pas dans ce deſordre de leur faire entendre la mort du Roy. C’étoit vôtre pere, Finfin, auſſi bien que celuy du Prince, luy dit Madame Tu Tu : mais c’étoit un dénaturé & un tyran, il a voulu cent fois faire mourir la Reine. Allons la trouver. Ils s’y en allerent. Sa vertu luy fit donner quelques regrets à la mort du Roy ſon mary ; Finfin & le Prince ſatisfirent auſſi aux devoirs de la nature. Finfin fut reconnu Roy, & Mirtis & Lirette pour Princeſſes. Ils furent tous enſemble à la maiſon des Roſes, pour voir la genereuſe Bonne Femme : elle penſa mourir de joye en les embraſſant. Ils luy dirent tous qu’ils luy devoient la vie, & plus que la vie, puis qu’ils luy devoient leur bonheur.

Ce fut pour lors qu’ils ſe crurent veritablement heureux. On celebra ces mariages avec une grande pompe : le Roy Finfin épouſa la Princeſſe Lirette, & Mirtis le Prince. Quand ces belles noces furent faites, la Bonne Femme demanda la permiſſion de ſe retirer à la maiſon des Roſes ; on eut bien de la peine a y conſentir : mais ils ſe rendirent à ſa volonté. La Reine Veuve voulut auſſi demeurer avec elle le reſte de ſa vie : la Perdrix & le Fan y paſſerent auſſi leurs jours. Ils étoient tous rebutez du monde, ils trouverent de la tranquilité dans cette retraite. Madame Tu Tu les alloit ſouvent viſiter, auſſi bien que le

Roy & la Reine, le Prince & la Princeſſe.


    Heureux qui pourroit imiter
    Tout ce que fit la Bonne Femme ;
    Une pareille grandeur d’ame
    Trouve bien de quoi meriter.

    Ecüeils cruels, on vous peut éviter ;
    On ne craint gueres le naufrage,
Quand on peut laiſſer tout avec tant de courage.
Conduite, eſprit vertu que l’on doit à vos ſoins,
    Vous paroiſſez dans les beſoins.


FIN.