Suite de Joseph Delorme/La Boucle de cheveux
VII
LA BOUCLE DE CHEVEUX
Je ne regrette rien : ces lettres que je pleure,
M’en voilà tout payé, bien plus riche à cette heure !
Quoi ? tous ces souvenirs lentement amassés,
Ces purs commencements que rien n’a dépassés,
Et qui, par longs détours déroulant leur nuance,
Au cœur qui les revoit n’ont laissé nulle offense ;
Quoi ? ces bonjours charmants, mille fois variés,
Ces gracieux appels l’un à l’autre liés,
Ces demi-mots parlant au rêve du poëte,
Où j’achevais le sens sous la page discrète ;
Ces mots plus sérieux qui s’annonçaient d’abord,
Écrits à certains soirs tout près d’un lit de mort,
Et d’où, pour épurer ce qui tient à la terre,
Un éclair m’arrivait du terrible mystère ;
Ces bons propos souvent quand j’étais affligé,
Cette plainte parfois si je semblais changé ;
Mais surtout la douceur de ce courant que j’aime,
Ce flot continuel, la belle âme elle-même ;
Quoi ? tous ces chers trésors, à peine dévoilés,
Voilà que je les perds, et vous m’en consolez !
Même en les retirant, vous savez me les rendre
Par le plus chaste gage et non pas le moins tendre ;
Je les pleure, et pourtant je n’en regrette aucun :
Je les respire là tous en un seul parfum,
Ô cheveux odorants ! ô ma boucle adorée,
Qu’elle noua longtemps sur sa tête sacrée ;
Qui, dans ses belles nuits, dormait sous le réseau,
Reployée à demi comme une aile d’oiseau,
Et qui chaque matin, quand l’âme aussi se lève,
S’échappait sur son front et caressait le rêve !
Anneau léger, le nœud le plus sûr de sa foi !
Feuille de l’arbre saint, cueillie exprès pour moi !
- ↑ J’ai un doute : est-ce bien au même objet que s’adresse cette autre Élégie, douce de ton et moins vive ?