La Catastrophe de la Martinique (Hess)/22

La bibliothèque libre.
Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 124-128).


XXII

LE SERVICE DES GENDARMES


Il est de mode, en France, de blaguer les gendarmes. La maréchaussée offre des thèmes faciles pour la verve des rieurs qui ont l’esprit facile. Eh bien ! au cours des tragiques événements de Saint-Pierre, elle vient de prouver une fois de plus que, si elle a des bottes… — vous me dispensez de la suite, n’est-ce pas ? — Ces bottes sont chaussées par de braves gens.

Dès le 8 mai, à 3 heures, un détachement de gendarmes, comprenant le brigadier Marty, les gendarmes Santandréa, Patin, Allard, sous la conduite du capitaine Leroy, s’embarquait à bord du Pouyer-Quertier.

Après avoir stationné devant le Carbet, dont toute la partie Nord brûlait, et dont les habitants venaient d’être embarqués à bord de la drague, le navire essaya d’accoster à Saint-Pierre. C’était impossible, à cause des nombreuses épaves incendiées qui brûlaient sur rade.

On prit le large, pour arriver au petit jour en vue du cap Martin.

À 6 heures du malin, on approcha de Macouba. On fit des appels. Personne ne répondit. Les maisons paraissaient intactes. Il en fut de même à la Grande-Rivière.

Prêcheur, il y avait beaucoup de personnes sur le rivage. Il tombait une aveuglante pluie de cendres. On mit deux cutters à l’eau. Impossible d’accoster, à cause de la mer mauvaise, qui faisait barre. On se servit alors de pirogues, où des femmes et des enfants s’embarquèrent, avec des cris et des pleurs.

On apprit que 300 personnes qui se trouvaient au Nord du Prêcheur n’avaient ni bu ni mangé depuis trois jours…

Au morne La Talie, il y avait 300 cadavres calcinés. Le Prêcheur avait souffert d’un raz de marée et reçu une pluie de feu.

À 11 heures et demie, un soulèvement sous-marin se produisit. À midi, le maire fit parvenir une lettre à l’adresse du gouverneur, une lettre demandant du secours pour cinq mille personnes sans vivres et sans eau…

À midi et demi le sauvetage devint impossible à cause de la mauvaise mer.

Le capitaine Leroy dit :

« On ne distinguait plus la côte. De sourds grondements donnaient l’illusion de trains rapides passant sur des ponts métalliques sans interruption. De forts et nombreux tourbillons de fumée, avec bouillonnements, se formaient sur la mer, autour du navire.

« À 3 heures, on partit…

« Les habitants du Nord ignoraient la destruction de Saint-Pierre. Deux cents personnes du Céron refusèrent de s’embarquer. Le curé de Grande-Rivière raconta l’exode des habitants vers Basse-Terre et la Trinité.

« En résumé, dit le capitaine Leroy, en cette journée, le Pouyer-Quertier recueillit, du bourg de la Grande-Rivière à celui du Prêcheur, environ cinq cents personnes, dont la majeure partie n’avait ni bu ni mangé depuis trois jours, par suite du tarissement des sources et de l’interruption des voies de communication avec Saint-Pierre, interruption provenant de l’éruption du 5.

Le même jour, une autre mission, commandée par le chef d’escadrons Herbay, comprenant l’adjudant Lagarde et le maréchal des logis Lamfranchi, les gendarmes Calé et Donati, s’embarquait à bord du Rubis en compagnie du R. P. Vetgli, de l’abbé Auber, du pharmacien Rozé et de quelques douaniers.

Les prêtres, en débarquant sur la place Bertin, donnèrent l’absoute aux morts et chantèrent le Libera. Ensuite, on alla au Trésor et à la Banque. Le trésor était pillé. On y avait pris 103.000 francs. À la Banque, dans la première pièce, le coffre était éventré ; dans la deuxième, le coffre était intact. Les caveaux étaient entourés de feu.

Les renseignements fournis par les gendarmes permirent au procureur de la République d’aller, le lendemain, avec le capitaine Evanno et le trésorier Peyrouton, opérer le sauvetage des valeurs de la Banque.

Le 10 et le 11, les gendarmes firent des missions de reconnaissance et de surveillance.

Le 12, ils accompagnèrent la mission d’incinération.

Le 12, on apprit que des bandits pillaient à Bellefontaine et au Carbet. Cinq gendarmes les pourchassèrent.

Le 13, un poste de surveillance fut établi à Saint-James.

Le 14, ils prirent quarante-cinq pillards.

Le 15, ils firent dix-sept arrestations.

Rue Victor-Hugo, 11 mai.

Le 20, ils furent exposés à la deuxième éruption. Le poste de Saint-James dut fuir devant la pluie de pierres.

Etc…, etc…

Ajoutez à cela le service de renseignements dans les communes du Nord, puis la police dans toute une région où circulaient des pillards en quête d’habitations abandonnées à dévaliser, et vous ne vous ferez encore qu’une faible idée de la besogne écrasante dont fut chargée la brigade de la Martinique, besogne qu’elle sut parfaitement accomplir, grâce à l’intelligence de ses chefs et au dévouement de ses soldats.