La Cathédrale (Huysmans)/VIII

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Plon-Nourrit (p. 206-229).
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VIII


Cet état de tranquillité un peu dolente, dans laquelle Durtal reposait depuis son installation à Chartres, cessa brusquement. Un jour, l’ennui s’implanta en lui, l’ennui noir qui ne permet ni de travailler, ni de lire, ni de prier, qui vous accable à ne plus savoir ni que devenir, ni que faire.

Après de lourdes et d’obscures journées traînées devant sa bibliothèque à feuilleter un volume, à le refermer, à en ouvrir un autre dont il ne parvenait pas à comprendre une page, il tenta d’échapper à la lassitude des heures par des sorties et il se résolut enfin à explorer Chartres.

Il y découvrit des ruelles sourdes et des sentes folles, telles que ce chemin du tertre Saint-Nicolas qui dévale du haut de la cité, en une fuite précipitée de marches ; puis le boulevard des Filles-Dieu si désert sous ses allées plantées d’arbres, valait qu’on s’y arrêtât. En partant de la place Drouaise, on arrivait à un petit pont, là où se réunissaient les deux bras de l’Eure ; à droite, c’était, au-dessus de l’eau tournant avec les masures qui côtoyaient ses rives, l’escalade de la vieille ville, hissant au-dessus d’elle la cathédrale ; à gauche, c’était, le long du quai, en face d’une haie de grands peupliers éventant des moulins hydrauliques, des scieries et des chantiers de bois, des lavoirs de blanchisseuses agenouillées dans des boîtes sur de la paille et l’eau moussait devant elles, décrivait des cercles d’encre éclaboussés par le coup d’aile d’un oiseau, de gouttes blanches.

Ce bras de la rivière coulant dans les fossés des anciens remparts, enveloppait le bas de Chartres, bordé, d’un côté, par les arbres des avenues, de l’autre, par des bicoques, par des jardins en lacets, descendant jusqu’au fil de l’Eure et reliés à l’autre rive par des passerelles de planches, par des ponceaux suspendus de fonte.

Et près de la porte Guillaume dressant les pâtés crénelés de ses tours, il y avait des maisons qui semblaient éventrées, qui montraient, ainsi que les cagnards disparus de l’Hôtel-Dieu, à Paris, une cave ouverte au ras de l’eau, un sous-sol dallé au fond duquel s’apercevaient, dans un jour de prison, les marches d’un escalier de pierre ; et si l’on franchissait sur un petit pont à dos d’âne la porte Guillaume dont la voûte conservait encore la rainure de la herse, que l’on abattait naguère pour clore, le soir, cette partie de ville, l’on retrouvait un nouveau bras de la rivière, baignant encore le pied de bâtisses, jouant à cache-cache dans les cours, musant entre des murs ; et aussitôt le rappel d’une rivière, semblable à celle-là, avec sa décoction de brou de noix bouillonnée de bulles, vous obsédait ; et, pour aider au souvenir, pour mieux évoquer la vision de la mélancolique Bièvre, l’odeur âpre et crue, chaude et comme vinaigrée du tan, fumait au-dessus de cette purée de jus de nèfles que roulait l’Eure.

Internée maintenant à Paris dans des égouts, la Bièvre paraissait s’être évadée de ses geôles et s’être réfugiée, afin de vivre au plein air, à Chartres, dans ces rues de la Foulerie, de la Tannerie, du Massacre, envahie par les mégissiers et les chamoiseurs, par les fabricants de mottes..

Seulement, le paysage Parisien, aride et inquiet, touchant par son côté de souffrance muette, n’était plus dans cette ville ; ces rues suggéraient simplement l’impression d’une bourgade malade, d’un village pauvre. Il lui manquait à cette autre Bièvre, la séduction de l’épuisement, la grâce de la Parisienne fanée, salie par la misère ; il lui manquait le charme fait de pitié et de regret, d’une déchéance.

Telles quelles cependant, ces rues, qui dessinaient une sorte de mouvement tournant autour de cette colline sur laquelle s’exhaussait la cathédrale, étaient les seules vraiment curieuses à parcourir à Chartres.

Là, Durtal parvenait souvent à s’éloigner de lui-même, à rêver sur la détresse fatiguée de ces eaux, à ne plus songer à ses propres transes ; puis la lassitude vint de ces promenades assidues dans un même quartier et alors il battit la ville dans tous les sens, tenta de se plaire au spectacle des gîtes usés, aux élégances de la tourelle de la Reine Berthe, de la maison de Claude Huvé, des autres bâtiments qui avaient survécu aux désastres des temps, mais l’entrain qu’il mit à scruter ces restes galvaudés par l’enthousiasme prévu des guides, ne dura guère ; alors il se dispersa dans les Eglises. Encore que la Cathédrale écrasât tout autour d’elle, Saint-Pierre, ancienne abbatiale d’un couvent bénédictin converti en une caserne, méritait qu’on s’y attardât à cause de la splendeur de ses vitraux habités par des abbés et des évêques qui vous dévisageaient, d’un œil sévère, en tenant des crosses. Et ces fenêtres, avariées par l’âge, étaient bizarres. Leurs ogives de verre incolore étaient traversées, au milieu, par une lame d’épée ayant perdu sa pointe ; et, dans ces glaives carrés, méditaient Saint Benoît et Saint Maur, des Apôtres et des Papes, des Prélats et des saints, se détachant, vêtus de flammes, dans la clarté blanche des vitres.

Vraiment les plus belles verrières du monde étaient à Chartres ; et chaque siècle avait estampé ces sanctuaires de sa plus altière empreinte ; le XIIe, le XIIIe, voire même le XVe, dans la Basilique ; le XIVe à Saint-Pierre — et il subsistait quelques spécimens malheureusement épars et placés sans dessus dessous, de carreaux peints par le XVIe siècle, à Saint-Aignan, une autre Eglise dont la voûte avait été badigeonnée de couleur de pain d’épice granulé d’anis, par les peintres de notre époque.

Durtal tua quelques après-midi dans ces temples, puis l’attrait de ces études prolongées cessa et le spleen s’imposa plus fort.

Pour le distraire, l’abbé Plomb l’entraîna hors de la cité, mais la Beauce était si monotone et si plate qu’aucun incident de site ne pouvait se produire. Alors le prêtre le ramena dans d’autres quartiers de la ville. Parfois certains monuments les requéraient tels que la maison de force située rue Sainte-Thérèse, près du Palais de Justice. A coup sûr, ils étaient peu imposants ces édifices, mais, en raison de leur origine, ils pouvaient servir de tremplins à de vieux rêves. Les murs de la prison avaient je ne sais quoi, dans leur forme haute et rigide, dans leur aspect net et rangé qui décelait le mur de clôture élevé par un Carmel. Ils avaient en effet abrité des moniales de cet ordre ; puis, à quelques pas, dans une impasse, s’ouvrait l’ancien cloître des Jacobins, devenu la maison-mère de la Grande Communauté de Chartres : les Sœurs Hospitalières de Saint-Paul.

L’abbé Plomb lui fit visiter ce monastère et il garda le souvenir enjoué d’une promenade, en l’air, sur les anciens remparts. Le chemin de ronde avait été conservé par les religieuses et il s’étendait en une longue et étroite allée qui tournait, en vous conduisant à chacun de ses bouts, devant une statue de Madone — l’Immaculée Conception d’un côté, et la Vierge Mère de l’autre. — Et cette allée, sablée de cailloux de rivière et liserée de fleurs, courait, bornée, à droite par l’abbaye et le noviciat, surplombait à gauche le vide, en plongeant sur l’avenue de la Butte des Charbonniers, longée, elle-même, par la rue de la Couronne ; et derrière elle fuyaient les pelouses d’herbe du clos Saint-Jean, la chaussée du chemin de fer, des taudis d’ouvriers et des couvents.

— Tenez, disait l’abbé, voici, derrière le remblai de la ligne de l’Ouest, la Maison des Sœurs de Notre-Dame et les Carmélites ; ici, plus près de nous, en-deçà de la voie des trains, les Petites Sœurs des Pauvres.

Au reste, la ville foisonnait de cloîtres : sœurs de la Visitation, sœurs de la Providence, sœurs de Bon-Secours, dames du Sacré-Cœur, vivaient en des ruches rapprochées à Chartres. Des prières bourdonnaient de toutes parts, montaient en des fumées odorantes d’âmes au-dessus de la cité qui, en guise d’office divin, ne lisait que les mercuriales des blés et les cotes de ces marchés aux chevaux qui réunissent, à certains jours, dans les cafés de la place, tous les maquignons du Perche.

En sus de cette promenade sur les vieux remparts, ce monastère des sœurs de Saint-Paul convenait encore par son calme et sa propreté. Dans de silencieux couloirs l’on apercevait des dos de religieuses, croisés par le triangle blanc d’un linge et l’on entendait le cliquetis de gros chapelets noirs, à chaînons de cuivre se heurtant, sur la jupe, à la trousse pendue des clefs ; la chapelle sentait son Louis XIV, était tout à la fois enfantine et pompeuse, trop glacée d’or et trop parquetée de cire, mais un détail intéressait ; à l’entrée, les murs avaient été remplacés par des glaces sans tain et, l’hiver, dans une salle chaude, les malades pouvaient s’asseoir devant la paroi de verre et suivre les cérémonies et écouter le plain-chant de Solesmes que les religieuses avaient eu le bon goût d’apprendre.

Cette visite raccorda Durtal, mais forcément il compara les heures quiètes égouttées dans ce couvent aux autres et son dégoût s’accrut de cette ville, de ses habitants, de ses avenues, de sa fameuse place des Epars qui joue au petit Versailles avec son cercle d’emphatiques hôtels et sa ridicule statue de Marceau, au centre.

Et la veulerie de cette bourgade qui s’éveillait à peine au lever du soleil et redormait à la brune !

Une seule fois Durtal la vit alerte, ce fut le jour où Mgr Le Tilloy des Mofflaines prit possession de son siège. Alors, subitement dans la ville galvanisée des plans surgirent ; les corps constitués délibérèrent et des gens qui restaient enfermés chez eux depuis des années sortirent.

On réquisitionna chez les maçons des perches d’échafaudage ; on jucha à leurs sommets des oriflammes jaunes et bleues et l’on relia ces mâts entre eux par des guirlandes de lierre aux feuilles cousues, les unes sur les autres, par du fil blanc.

Et Chartres épuisé souffla.

Surpris par cet apparat imprévu et par ce simulacre inusité de vie, Durtal s’était rendu au-devant de l’évêque jusqu’à la rue Saint-Michel. Là se dressait, planté sur une grande place, un portant de gymnastique débarrassé de ses trapèzes et de ses anneaux, entouré de branches de sapin, de fleurs en papier d’or et surmonté d’un faisceau de drapeaux tricolores s’écartant en lames d’éventail, sous un bouclier peint, de carton. Cela mimait l’arc de triomphe sous lequel des frères des écoles chrétiennes devaient charrier le dais.

Et la procession qui était allée chercher l’évêque à l’hospice Saint-Brice où, selon un usage séculaire, il couche la nuit de son arrivée dans son diocèse, s’était déroulée sous la pluie fine des cantiques, coupée par l’averse des cuivres que déchaînait une fanfare pieuse.

Lentement, à pas comptés, le cortège défilait entre deux haies de foule massée sur les trottoirs ; partout, les croisées pavoisées de banderoles exposaient des grappes de visages et des corps penchaient séparés au milieu par la balustrade des fenêtres.

En tête, derrière les dos chamarrés de pesants suisses, serpentaient, en deux bandes tenant toute la chaussée, les filles des écoles congréganistes, habillées de bleu cru et voilées de blanc ; puis venaient les délégations des nonnes de tous les ordres installés dans le département : sœurs de la Visitation de Dreux, Dames du Sacré-Cœur de Châteaudun, sœurs de l’Immaculée Conception de Nogent-le-Rotrou, les tourières des moniales en clôture à Chartres même, et des sœurs de Saint Vincent de Paul et des Clarisses qui tranchaient avec leurs robes d’un gris bleuté et d’un brun de motte à brûler sur les costumes noirs des autres sœurs.

Mais ce qui était bizarre, c’était la forme variée des coiffes.

Les unes avaient des œillères molles et lisses, d’autres les portaient tuyautées et durcies par de savants empois ; l’on n’apercevait la face de celles-ci qu’au fond d’un tunnel blanc ; la physionomie de celles-là au contraire se voyait dégagée, dans un cadre ovale et godronné de linge, mais elles allongeaient derrière leurs nuques des cônes de toile amidonnée, lustrés par de puissants fers. En regardant ce champ de béguins, Durtal pensait à ces paysages de toits Parisiens où les tuyaux de cheminée affectent ces aspects de cornette comme en arboraient ces religieuses, de chapeaux de gendarmes comme en exhibaient ces suisses.

Et derrière ce défilé de jupes sombres, sonnèrent telles que des fanfares les robes vermillon de la maîtrise. Les enfants marchaient, les yeux baissés, les bras croisés sous la pèlerine rouge, frangée d’hermine et, après eux, quelques pas en avant des autres groupes, deux coules blanches éclatèrent, celle d’un Picpucien et celle d’un Trappiste représentant les Trappistines de la Cour Peytral dont il était l’aumônier.

Enfin, en une multitude noire, piétinaient le grand séminaire de Chartres et le petit séminaire de Saint-Chéron, devançant le clergé à la suite duquel, sous un dais de velours amarante, brodé d’épis et de raisins d’or et paré aux quatre coins de plumes de catafalque couleur de neige, cheminait, mître en tête et crosse au poing, Mgr Le Tilloy des Mofflaines.

Au geste de l’évêque bénissant la rue, des Lazares inconnus surgirent, des morts oubliés ressuscitèrent. Sa Grandeur multipliait le miracle du Christ ! des vieillards éteints, tassés dans des fauteuils, sur le seuil des portes ou sur le bord des fenêtres, se ranimaient pour une seconde et retrouvaient la force de se signer. Des gens que l’on croyait enterrés depuis des années parvenaient presque à sourire. Des yeux ébahis de très anciens enfants contemplaient la croix violette que dessinait la main gantée du prélat, dans l’air. La nécropole qu’était Chartres se muait en une maison de maternité ; dans l’excès de sa joie, la ville revenait à l’enfance.

Mais quand le dais fut passé, ce fut bien autre chose. Durtal, effaré, hennit.

Le spectacle auquel il assistait devenait fou.

A la queue de l’évêque, une cour des Miracles se dandinait en flageolant ; une colonne de vieux birbes, costumés avec les friperies vendues des morgues, ballottait, se soutenant sous les bras, s’étayant les uns aux autres. Tous les décrochez-moi-ça d’il y a vingt ans ajustaient leurs mouvements, les accompagnaient, sur eux ; des culottes à ponts ou à pieds d’éléphants, des pantalons ballonnés ou collants, tissés d’étoffes lâches ou rétractiles, refusaient de se joindre aux bottines, laissaient voir des pieds où des élastiques grouillaient comme des vermines, des chevilles d’où coulaient des vermicelles cuits dans de l’encre ; puis, c’étaient d’invraisemblables vestons ras et déteints, taillés dans des draps de billard, dans des prélarts élimés, dans des rebuts de bâches ; des redingotes découpées dans de la tôle, dévernie dans la raie du dos et aux coudes ; des gilets glauques, parsemés de fleurettes et fermés par des boutons en fromage de cochon sec ; mais tout cela n’était rien, ce qui était prodigieux, hors de toute réalité, dûment insane, c’était la collection de chapeaux hissés sur ces défroques.

Les spécimens des couvre-chefs abolis, perdus dans la nuit des âges, s’étaient assemblés là ; les vétérans s’avançaient coiffés de boîtes à manchons et de tuyaux à gaz ; d’autres exposaient des hautes-formes blancs, pareils à des seaux renversés de toilette ou à des bondons percés dans le bas d’un trou ; d’autres encore se pavoisaient de feutres semblables à des éponges, de bolivars hérissés et velus, de melons à bords plats imitant des tourtes posées sur des assiettes ; d’autres enfin affichaient des chapeaux à claque qui gondolaient, jouaient de l’accordéon tout seuls, avec leurs côtes visibles sous la soie.

La démence des gibus dépassait le possible. Il y en avait de très élevés dont le fût menait à des plates-formes évasées tels que les shakos des voltigeurs du premier Empire, de très bas qui s’achevaient en gueule de tromblon, en table de schapska, en pots de chambre retournés d’enfants !

Et, au-dessous de ce sanhédrin de chapeaux saouls, grimaçaient des figures ridées de vieillards, avec des pattes de lapin le long des joues et des poils de brosses à dents sous le nez.

Durtal fut secoué par un rire inextinguible devant ce carnaval d’invalides, mais bientôt son hilarité cessa. Il distinguait deux petites sœurs des Pauvres qui conduisaient ce lycée de fossiles et il comprenait. Ces braves gens étaient vêtus avec des hardes quêtées, ils étaient habillés avec des fonds d’armoires dont personne ne voulait plus ; la cocasserie de leur accoutrement devenait touchante ; les petites sœurs avaient dû se donner bien du mal pour utiliser ces déchets de la charité et les vieux enfants, peu au courant des modes, se rengorgeaient très fiers d’être ainsi mis.

Durtal les suivit jusqu’à la Cathédrale. Quand il arriva sur la petite place, le cortège, cahoté par un coup de vent, se débattait, pendu à des bannières qui se gonflaient ainsi que des voiles de navire et entraînaient les hommes cramponnés à leurs hampes. Enfin, tant bien que mal, tout ce monde s’était engouffré dans la Basilique. Le Te Deum avait jailli dans le torrent des orgues. A ce moment, il semblait qu’exaltée par ce chant magnifique, l’Eglise lancée dans les airs en un jet éperdu, montât encore ; l’écho s’y répercutait à travers les siècles de cet hymne de triomphe qui avait tant de fois retenti sous ses voûtes ; pour une fois maintenant la musique était d’accord avec la nef, parlait la langue que la Cathédrale avait depuis son enfance apprise.

Durtal exulta. Il lui parut que, dans ses vitres de feu, Notre-Dame souriait, émue par ces accents que des Saints qu’Elle aima créèrent pour qu’ils pussent à jamais résumer en une décisive mélodie, en une unique prose, les louanges dispersées des fidèles, les joies informulées des foules.

Mais subitement, sa griserie s’évapora ; le Te Deum était fini et un roulement de tambours et une sonnerie de clairons éclataient dans le transept. Et tandis que la fanfare de Chartres canonnait avec la balistique de ses sons les murs, il s’était enfui pour respirer loin de la multitude qui n’arrivait pas cependant à remplir le vaisseau, et, après la cérémonie, il avait encore assisté au défilé des corps constitués rendant visite au prélat, dans l’évêché.

Là, il s’était diverti sans honte. La cour qui précédait le palais regorgeait de prêtres ; tous les doyennés des archidiaconés de Chartres, de Châteaudun, de Nogent-le-Rotrou, de Dreux, avaient déposé, derrière la grille d’honneur, leurs troupes de vicaires et de curés qui s’ébrouaient autour du manège vert d’une pelouse.

Non moins comiques que les pensionnaires des petites sœurs des Pauvres, les seigneurs de la ville affluaient et refoulaient les ecclésiastiques dans les allées ; la tératologie vidait ses bocaux ; c’était un grouillement de larves humaines, de têtes en boulets de canons et en œufs, une série de visages vus au travers d’une bouteille, déformés par certains miroirs, échappés des albums fantastiques de Redon ; c’était un musée de monstres en marche. L’hébétude des métiers monotones, vécus de pères en fils, dans une cité morte, figeait toutes les faces et l’allégresse endimanchée de ce jour greffait sur ces laideurs transmises le ridicule.

Tous les habits noirs de Chartres humaient l’air. Les uns dataient du Directoire, absorbaient les cous, grimpaient à l’assaut des nuques, engloutissaient jusqu’aux oreilles, enflaient ; d’autres, au contraire, avaient diminué dans les tiroirs, et leurs manches raccourcies craquaient, sciant les aisselles de leurs maîtres qui n’osaient remuer.

Une odeur de benzine et de camphre flottait au-dessus des groupes. Ces habits tirés, le matin même, de leur saumure, et dessalés par des épouses, empestaient. Les tuyaux de poêle étaient à l’avenant. Ils avaient grandi, poussé tout seuls dans les armoires et ils se dressaient immenses, ramenaient sur leur colonne de carton des épis de poils rares.

Ce monde réuni s’admirait, se congratulait, pressait des mains enduites de gants blancs, nettoyés au pétrole, frottés à la gomme élastique et à la mie de pain. Et subitement, un remous s’était creusé dans la cohue des laïques et des prêtres qui se rangèrent, chapeaux bas, devant un vieux landau de corbillard traîné par une rosse étique et conduit par une sorte de moujick, un cocher dont la face bouffait sous des broussailles lui sortant des joues et de la bouche, des oreilles et du nez. La carriole s’était amarrée devant le perron et il en était descendu un gros homme, soufflé tel qu’une baudruche, et sanglé dans un uniforme brodé d’argent ; puis, derrière lui, un monsieur plus mince, vêtu d’un habit à parements bleu foncé et bleu clair ; et tous saluèrent le préfet qu’escortait un de ses trois conseillers de préfecture.

Ils avaient soulevé leurs bicornes empanachés de plumes, distribué quelques poignées de mains et ils se perdaient dans le vestibule, quand l’armée parut, à son tour, représentée par un colonel de cuirassiers, par des officiers de l’artillerie et du train, par quelques fantassins gradés à culotte rouge, par un gendarme.

Et ce fut tout ; une heure après cette réception, la ville exténuée s’était rendormie, n’ayant même pas le courage de déplanter ses mâts ; les Lazares étaient retournés dans leurs sépulcres, les vieillards ressuscités étaient à nouveau retombés morts ; les rues étaient vides ; la réaction avait lieu ; Chartres gisait épuisé pour des mois par cet excès.

Quelle cambuse, quelle turne ! s’exclamait Durtal.

Certains soirs, las des après-midi internés au milieu des livres ou employés à suivre les heures canoniales dans l’Eglise, à écouter des chanoines jouer languissamment, de chaque côté du chœur, à la raquette avec des psaumes dont ils se renvoyaient, en grommelant, des volants de versets, il descendait fumer, après son dîner, des cigarettes sur la petite place. pour Chartres, huit heures du soir, c’était trois heures du matin pour une autre ville ; aussi tout était-il éteint et tout était clos.

Pressé de se coucher, le clergé avait, dès sept heures, bouclé la Vierge. Pas de prières, pas de bénédictions, rien dans cette Cathédrale. Ces instants où lorsqu’on est agenouillé dans l’ombre, on croit que la Mère est plus présente, plus près de vous, plus à vous ; ces minutes d’intimité où on lui raconte moins timidement ses pauvres maux, n’existaient point à Notre-Dame. Ah ! l’on ne s’épuisait pas en de tardives oraisons dans cette Basilique !

Mais s’il ne pouvait pénétrer dans son intérieur, Durtal pouvait au moins rôder dans ses alentours. A peine éclairée par les indigentes lueurs de réverbères isolés dans les coins de la place, la Cathédrale prenait alors une étrange forme. Ses porches s’ouvraient en des cavernes pleines de nuit et le parcours extérieur de sa nef, compris entre les tours et l’abside, avec ses contreforts et ses arcs-boutants devinés dans l’ombre, se dressait ainsi qu’une falaise rongée par d’invisibles mers. L’on avait l’illusion d’une montagne déchiquetée à sa cime par des tempêtes, creusée dans le bas, par des océans disparus, de profondes grottes ; et si l’on s’approchait, l’on discernait dans l’obscurité de vagues sentiers abrupts courant le long de la falaise, serpentant en galeries au bord des rocs et parfois, dans ces noirs chemins, de blanches statues d’évêques surgissaient, en un rayon de lune, hantant comme des revenants ces ruines, bénissant, avec leurs doigts levés de pierre, les visiteurs.

Cette promenade dans le circuit de cette Cathédrale qui, si légère, si fluette pendant le jour, grossissait avec les ténèbres et devenait farouche, n’était pas faite pour dissiper la mélancolie de Durtal.

Cet aspect de brèches frappées par la foudre et d’antres abandonnés par les flots, le jetait dans de nouvelles rêveries et finissait par le ramener à lui-même, par aboutir, après bien des vagabondages d’idées, à ses propres décombres ; et une fois de plus, il se sondait l’âme et essayait de mettre un peu d’ordre dans ses pensées.

Je m’ennuie à crever, se disait-il, pourquoi ? — et, à vouloir analyser cet état, il arrivait à cette conclusion :

Il n’est pas simple, mais double mon ennui ; ou tout au moins s’il est unique, il se divise en deux parties bien distinctes. J’ai l’ennui de moi-même, indépendant de toute localité, de tout intérieur, de toute lecture et j’ai aussi l’ennui de la province, l’ennui spécial, inhérent à Chartres.

De moi-même, ah oui, par exemple ! Ce que je suis las de me surveiller, de tâcher de surprendre le secret de mes mécomptes et de mes noises. Mon existence, quand j’y songe, je la jaugerais volontiers de la sorte : le passé me semble horrible ; le présent m’apparaît, faible et désolé, et quant à l’avenir, c’est l’épouvante.

Il se tut, puis :

Les premiers jours, ici, je me suis plu dans le rêve suggéré par cette Cathédrale. Je croyais qu’elle serait un réactif dans ma vie, qu’elle peuplerait ce désert que je sentais en moi, qu’elle serait en un mot, dans l’atmosphère provinciale, une aide. Et, je me suis leurré. Certes, elle m’opprime toujours, elle m’enveloppe encore dans l’ombre tiède de sa crypte, mais je raisonne maintenant, je la scrute dans ses détails, j’essaie de causer d’art avec elle ; et je perds à ces recherches l’impression irraisonnée de son milieu, le charme silencieux de son ensemble.

Maintenant c’est moins son âme qui me hante que son corps. J’ai voulu étudier l’archéologie, cette misérable anatomie des édifices ; je suis devenu, humainement amoureux de ses contours et le côté divin a fui pour ne plus laisser place qu’au côté terrestre. Hélas ! j’ai voulu voir et je me suis malédifié ; c’est l’éternel symbole de la Psyché qui recommence !

Et puis… et puis… n’y a-t-il pas aussi, dans cette lassitude qui m’accable, de la faute à l’abbé Gévresin ? Il a épuisé pour moi, en m’en imposant l’accoutumance, les vertus pacifiques et pourtant révulsives du Sacrement ; et le résultat le plus clair de ce régime, c’est que je suis tombé l’âme à plat, sans force pour résister.

Eh non, reprit-il après un silence ; me voici encore à rabâcher mes permanentes présomptions, mes infatigables soucis, me voilà une fois de plus, injuste envers l’abbé. Ce n’est cependant pas de sa faute si la fréquence de mes communions les rend frigides ; j’y cherche des sensations et il faudrait pourtant se convaincre d’abord que ces désirs sont méprisables, se persuader ensuite que c’est précisément parce que ces communions sont glacées qu’elles deviennent méritoires et sont meilleures. Oui, c’est facile à raconter, mais quel est celui des catholiques qui les préfère celles-là aux autres ? des Saints, sans doute ; mais eux aussi en souffrent ! c’est si naturel de demander à Dieu un peu de joie, d’attendre de cette union qu’Il appelle un mot affectueux, un signe, un rien, montrant qu’Il pense à vous !

L’on a beau faire, on ne peut pas ne point envisager comme douloureuses, les mortes consomptions de ces vivants azymes ! et l’on a bien de la peine à confesser que Notre Seigneur a raison de nous cacher le mal qu’elles nous évitent et les progrès qu’elles réalisent, car, sans cela, nous serions peut-être sans défense contre les attaques de l’amour-propre et les assauts de la vanité, sans abri contre nous-même.

Enfin quelle qu’en soit la cause, je ne suis pas mieux à Chartres qu’à Paris, concluait-il. Et quand ces réflexions l’assaillaient, le dimanche surtout, il regrettait d’avoir accompagné l’abbé Gévresin dans cette province.

A Paris, ce jour-là, il avait au moins son temps défrayé par les offices. Le matin, il pouvait messoyer chez les Bénédictines ou à Saint-Séverin, écouter les Vêpres et les Complies, à Saint-Sulpice.

Ici rien ; — et cependant, où réunir de meilleurs éléments pour exécuter le répertoire grégorien qu’à Chartres ?

A part, quelques antiques basses qui aboyaient et qu’il eût été bien nécessaire d’abattre, il y avait une gerbe opulente de sons frais, une psalette de près de cent enfants qui eussent pu dérouler, dans de limpides voix, les simples mélodies du vieux plain-chant.

Mais en guise de cantilènes liturgiques, un maître de chapelle imbécile parquait, dans cette malheureuse Cathédrale, une ménagerie d’airs forains qui, lâchés le dimanche, grimpaient, avec des gambades de ouistitis, le long des piliers, sous les voûtes. L’on pliait à ces singeries musicales les voix ingénues de la maîtrise. Décemment, à Chartres, il était impossible d’assister à la grand’messe.

Les autres offices ne valaient pas mieux ; aussi Durtal était-il réduit, pour entendre les Vêpres, à descendre dans le bas de la ville, à Notre-Dame de la Brèche, une chapelle, où un prêtre, ami de l’abbé Plomb, avait instauré le chant de Solesmes et patiemment formé une petite manécanterie, composée d’ouvriers fidèles et de mômes pieux.

Ces voix, celles des gosses surtout, étaient médiocres, mais l’expert musicien qu’était ce prêtre, les avait quand même ajustées et polies et il était parvenu, en somme, à imposer l’art Bénédictin dans son Eglise.

Seulement, elle était si laide, si tristement embellie d’images, Notre-Dame de la Brèche, qu’il fallait fermer les yeux, pour y séjourner !

Et dans cette houle de réflexions sur son âme, sur Paris, sur l’Eucharistie, sur la musique, sur Chartres, Durtal finissait par s’abasourdir, par ne plus savoir où il était.

Parfois, cependant, il trouvait un peu de calme, et alors il s’étonnait, ne se comprenait plus.

Regretter Paris, se disait-il alors, pourquoi ? est-ce que l’existence que j’y connus diffère de celle que je mène ici ?

Est-ce que les Eglises, est-ce que Notre-Dame de Paris pour en citer une, n’étaient pas exécrées par de sacrilèges flons flons, comme Notre-Dame de Chartres ? D’autre part, je ne sortais guère pour flâner dans de fastidieuses rues et je ne fréquentais en fin de compte que l’abbé Gévresin et Mme Bavoil, et je continue à les visiter même plus souvent, ici. J’ai en outre gagné, en me déplaçant, un compagnon savant et aimable, l’abbé Plomb ; alors ?

Puis, un beau matin, sans qu’il s’y attendît, tout s’éclaira. Très lucidement, il comprit qu’il errait sur de fausses pistes et découvrit, sans même la chercher, la vraie.

Pour rencontrer les causes ignorées de ses velléités d’il ne savait quoi et de ses inintelligibles malaises, il avait suffi qu’il remontât dans sa vie et qu’il s’arrêtât à la Trappe. En somme, tout dérivait de là. Arrivé à ce point culminant de son recul, il pouvait, ainsi que du haut d’un mont, embrasser d’un coup d’œil le versant des années descendues depuis qu’il avait quitté ce monastère ; et il discernait maintenant dans ce panorama penché de ses jours, ceci :

Dès sa rentrée à Paris, l’appétence des cloîtres s’était, sans discontinuer, infiltrée en lui ; ce rêve de se retirer loin du monde, de vivre placidement, dans la retraite, auprès de Dieu, il l’avait poursuivi sans relâche.

Sans doute, il ne se l’était formulé qu’à l’état de postulations impossibles et de regrets, car il savait bien qu’il n’avait, ni le corps assez solide, ni l’âme assez ferme pour s’enfouir dans une Trappe ; mais une fois lancée sur ce tremplin, l’imagination partait à la vanvole, sautait par dessus les obstacles, divaguait en de flottantes songeries où il se voyait moine dans un couvent débonnaire, desservi par un ordre clément, amoureux de liturgies et épris d’art.

Il devait bien hausser les épaules quand il revenait à lui et sourire de ces avenirs fallacieux qu’il se suggérait dans ses heures d’ennui ; mais, à cette pitié de l’homme qui se prend en flagrant délit de déraison, succédait quand même l’espoir de ne pas perdre entièrement le bénéfice d’un bon mensonge et il se remettait à chevaucher une chimère qu’il jugeait plus sage, aboutissait à un moyen terme, à un compromis, pensant rendre l’idéal plus accessible, en le réduisant.

Il se disait qu’à défaut d’une vie monastique réelle, il s’en susciterait peut-être une suffisante illusion, en fuyant le tohu-bohu de Paris, en s’inhumant dans un trou.

Et il s’apercevait qu’il s’était absolument dupé lorsque, discutant la question de savoir s’il délaisserait Paris pour aller s’installer à Chartres, il lui avait semblé s’être décidé sur les arguments de l’abbé Gévresin et les instances de Mme Bavoil.

Certainement, sans se l’avouer, sans se l’expliquer, il avait surtout agi sous l’impulsion de ce rêve si constamment choyé. Chartres n’était-il pas une sorte de havre conventuel, de monastère complaisant, où il conserverait toute sa liberté et ne renoncerait pas à son bien-être ? En tout cas, n’était-ce point, à défaut d’un inaccessible ascétère, une pâture jetée à ses désirs et, en admettant qu’il parvînt à se débarrasser de souhaits trop exigeants, ce repos définitif, cette paix auxquels il aspirait depuis son retour de la Trappe ?

Et rien de tout cela ne s’était réalisé ; cette impression, éprouvée à Paris, qu’il n’était pas assis, il la gardait à Chartres. Il se sentait, en camp volant, perché sur une branche, se faisait l’effet d’un homme qui n’est pas chez lui, mais qui s’attarde dans un meublé dont il faudra déguerpir.

En somme, il s’était déçu quand il s’était figuré que l’on pouvait assimiler une chambre solitaire, dans un alentour muet, à une cellule ; le train-train pieux, dans l’atmosphère d’une province, n’avait aucun rapport avec le milieu d’une abbaye. L’illusion du cloître n’existait pas.

Cet échec enfin constaté exaspéra l’ardeur de ses regrets et le mal qui était demeuré, à l’état confus, à l’état latent, à Paris, éclata, net et clair, à Chartres.

Alors ce fut une lutte sans répit avec lui-même.

L’abbé Gévresin, qu’il consultait, se bornait, en souriant, à le traiter, ainsi qu’on traite dans un noviciat ou dans un séminaire, le petit postulant qui vient avouer une grande mélancolie et une persistante fatigue. On feint de ne pas prendre son mal au sérieux, on lui atteste que tous ses camarades subissent les mêmes tentations, les mêmes épreintes ; on le renvoie consolé, tout en ayant l’air de s’en moquer.

Mais au bout de quelque temps, cette méthode échoua. Alors l’abbé tint tête à Durtal et un jour que son pénitent gémissait il lui répondit :

— C’est une crise à supporter — puis, négligemment après un silence, il ajouta : — vous en verrez bien d’autres !

Et comme Durtal se cabrait sur ce mot, il l’accula au pied du mur, voulant lui faire avouer l’inanité de ses luttes.

— Le cloître, reprit-il, vous obsède — eh bien, mais, qui vous empêche d’en tâter ? pourquoi ne vous séquestrez-vous pas dans une Trappe ?

— Vous savez bien que je ne suis pas assez robuste pour endurer ce régime !

— Alors faites-vous oblat, rejoignez, à Notre-Dame de l’Atre, M. Bruno.

— Quant à ça, non, par exemple ! L’oblature à la Trappe, c’est encore Chartres ! c’est une situation moyenne, mitigée. M. Bruno restera toujours hôte et ne sera jamais moine. Il n’a, en somme, que les inconvénients des communautés et pas les avantages.

— Il n’y a point que les Trappes, répliqua l’abbé. Devenez père ou oblat Bénédictin, moine noir. Leur règle doit être douce ; vous vivrez dans un monde de savants et d’écrivains, que pouvez-vous désirer de plus ?

— Je ne dis pas, mais…

— Mais quoi ?

— Eh ! je ne les connais point…

— Rien n’est plus facile que de les connaître. L’abbé Plomb est un grand ami de Solesmes. Il vous procurera, pour ce couvent, toutes les recommandations que vous voudrez.

— Dame, c’est à voir… Je consulterai l’abbé, fit Durtal qui se leva pour prendre congé du vieux prêtre.

— Notre ami, le Bourru vous travaille, lança Mme Bavoil qui avait entendu, de la pièce voisine dont la porte était ouverte, la conversation des deux hommes.

Elle entra, tenant son bréviaire.

— Ah çà, reprit-elle, en le regardant sous ses lunettes, pensez-vous donc qu’en déménageant son âme de place, on la change. Votre ennui, il n’est ni dans l’air, ni autour de vous, mais en vous ; ma parole, à vous entendre, on croirait qu’en se transférant d’un lieu dans un autre, on échappe à ses discordes et qu’on parvient à se fuir. Or, rien n’est plus faux… demandez au père…

Et lorsque Durtal qui souriait, gêné, fut parti, Mme Bavoil interrogea son maître :

— Ah çà, qu’a-t-il au juste ?

— L’épreuve des sécheresses le lamine, répondit le prêtre. Il subit une opération douloureuse, mais sans danger. Du moment qu’il conserve le goût de la prière et ne néglige aucun de ses exercices religieux, tout va bien. C’est là la pierre de touche qui nous sert à discerner si, dans ce genre d’affection, l’origine est divine…

— Mais, père, il serait quand même nécessaire de le soulager ?

— Je ne puis rien, sinon prier pour lui.

— Autre question, il est hanté par les monastères, notre ami ; peut-être bien que c’est là que vous devriez l’envoyer.

L’abbé eut un geste évasif. Les sécheresses et les phantasmes qu’elles engendrent ne sont point indices de vocation, fit-il. j’ajouterai même qu’elles ont plus de chances de s’accroître que de s’atténuer dans un cloître — Et, à ce point de vue, la vie conventuelle peut être pour lui mauvaise… cependant il n’y a point que cette question à envisager… il y a autre chose… puis qui sait ? — et après un silence il reprit :

Tout est possible, donnez-moi mon chapeau, Madame Bavoil, je vais causer avec l’abbé Plomb de Durtal.