La Cavalerie dans la guerre moderne/02

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La cavalerie dans la guerre moderne
A. A.

Revue des Deux Mondes tome 96, 1889


LA CAVALERIE
DANS
LA GUERRE MODERNE
II.

Aux époques des longues guerres, l’accord, la cohésion des différens rouages qui constituent les grandes unités de combat, résultent naturellement d’une série d’efforts communs. Sous l’influence de cette action persistante, les troupes se soudent, s’assouplissent, s’entraînent ; les chefs se révèlent, se forment et grandissent. Mais dans la vie des armées modernes, la guerre n’est plus un modus vivendi, c’est, de loin en loin, un formidable accident. Plus rares, les campagnes sont aussi plus courtes et plus décisives. On ne peut plus espérer qu’on fera, à la guerre, l’éducation de la guérite ; il faut s’y présenter armé de toutes pièces. Aussi l’axiome en vertu duquel, dès le temps de paix, les armées doivent être organisées et instruites pour la campagne, a pris une force et une extension nouvelles. Il domine l’art militaire. La cavalerie surtout doit s’y conformer, qui, à la première heure, avant les autres armes, ouvre les opérations.

À cette tâche redoutable, par ses institutions du temps de paix, est-elle bien et dûment préparée ?

Un principe défectueux semble avoir présidé à son organisation. De ce qu’elle avait à remplir, en guerre, une double mission, l’exploration générale en avant des fronts de concentration, puis la protection immédiate des armées, on a conclu qu’elle devait être, en paix, constituée en partie double.

On l’a donc divisée en deux portions à peu près égales : en fortes masses capables de lutter avec la cavalerie adverse ; en groupes relativement faibles, destinés à couvrir, à éclairer, à relier les colonnes. De la sorte, nous avons aujourd’hui deux cavaleries distinctes : les divisions indépendantes et les brigades des corps d’armée.

Pourtant, quand nous avons étudié la participation de cette arme à la guerre, sous cette dualité apparente, l’unité de son rôle et de son emploi nous est clairement apparue. Nous avons vu qu’il ne serait pas trop, aux débuts, de toutes ses forces, pour prendre part à ce terrible prélude d’où doivent jaillir les premiers élémens de supériorité tactique et morale : la lumière et la foi ; qu’ensuite, il faudrait encore grouper la cavalerie en masses variables, mais puissantes, pour qu’elle puisse concourir efficacement à la marche, à la collision des armées. Dans cette répartition, on ne pourra prendre pour guide un barème théorique ; on devra se fonder sur une conception clairvoyante des opérations.

L’exemple des guerres napoléoniennes est, sous ce rapport, instructif. La cavalerie était bien divisée en deux parts : l’une, la principale, était massée en Réserves ou en Corps spéciaux ; l’autre était répartie entre les différens corps de la grande armée. Mais cette organisation n’avait rien de fixe ni d’immuable ; elle variait avec les circonstances de guerre. Elle ne procédait pas d’une proportion rigide, elle découlait naturellement des nécessités de la campagne. Ainsi, en 1809, certains corps d’armée, le 7e et le 9e, disposent de cinq régimens de cavalerie ; d’autres, le 2e et le 4e, ont seulement deux ou trois escadrons[1].

La guerre moderne exige une application plus large et plus souple du même principe. Dans la mise en jeu considérable des effectifs actuels, les différentes unités de combat ont perdu leur ancienne valeur. Ce n’est plus entre des corps d’armée, mais entre des armées que doit s’opérer la répartition.

Aussi, quand on se demande à quelle éventualité de guerre correspond notre organisation des brigades de corps, la réponse échappe. Nulle part, ni dans la concentration, ni dans la marche d’approche, ni dans la bataille, on ne peut prévoir leur fonctionnement ou leur emploi. Jamais un chef d’armée ne se privera du concours de sa cavalerie pour la laisser, disséminée par groupes impuissans, à la disposition de ses commandans de corps. Quelle que soit leur répugnance à se séparer de leurs brigades, ces derniers sont bien obligés de prévoir que, dès l’entrée en campagne, ils devront se contenter des détachemens nécessaires à leur correspondance, à leur liaison, — détachemens qui leur seront fournis par les réservistes et les chevaux de réquisition. Ils sont bien obligés de convenir que l’organisation existante répond davantage aux commodités, sinon aux besoins du temps de paix, qu’aux nécessités de la guerre ; elle peut être territoriale, administrative ou simplement agréable, elle ne sera jamais tactique. En somme, soit indépendante, soit rattachée aux armées, la cavalerie tout entière n’a qu’une formule de son emploi : l’action en masses. Tout entière elle est appelée à explorer et à combattre. Dans sa mission, dans ses services, il n’y a pas dualité, il y a succession. Sa constitution du temps de paix ne ressemble donc en rien à celle que lui imposerait la guerre.

À ce vice fondamental, vient s’ajouter un autre inconvénient. La répartition sur le territoire, ou mieux, la diffusion des régimens de corps écarte la possibilité d’une concentration prompte et sûre. Le principal enjeu de la cavalerie se joue en un moment critique et véritablement aigu. Pour s’y présenter dans des conditions avantageuses, ses forces devraient être échelonnées sur les réseaux ferrés de telle sorte qu’au premier signal du télégraphe elles puissent accourir à la frontière. Ainsi, elles pourraient porter un coup retentissant et décisif. Les difficultés de casernement ou d’alimentation devraient seules faire manquer à cette règle ; l’organisation tactique n’y devrait point faillir.

Aussi bien, mieux que tous les raisonnemens, un fait établit l’incohérence et la fragilité du système. Le travail de mobilisation prévoit l’endivisionnement des brigades de corps. Leur répartition en arrondissemens d’inspection n’en est qu’une préparation déguisée. L’anomalie d’une organisation du pied de paix qui, aux débuts d’une guerre, serait complètement remaniée, est donc à ce point flagrante qu’on a dû en prévenir les effets. Alors quels puissans mobiles l’imposent ? .. Serait-ce l’unique désir de rendre plus étroits, plus intimes, les rapports entre les deux armes ? A cela, la communauté des garnisons, la fréquence du contact, les manœuvres combinées suffisent, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un expédient dont la gravité n’exclut pas, d’ailleurs, l’inutilité. Cette distinction dans la forme ne change rien au fond de la situation, et la liaison morale entre les deux armes est assez forte pour qu’elles dédaignent un procédé empirique, absolument contraire aux principes essentiels de leur tactique.

Ainsi, a priori, une organisation rationnelle repousse un pareil système. L’éducation, au moins, le réclame-t-elle ? Mais cette éducation doit être une, puisque le rôle est un. L’idéal d’instruction qui hante la cavalerie indépendante ne saurait rester caché à la cavalerie de corps ; pas plus le but poursuivi par cette dernière ne peut demeurer, pour la première, lettre morte… sinon l’une ou l’autre font fausse route, ou bien les deux sont incomplètement préparées. La solution juste ressortira de l’analyse de la question.

Un système d’éducation fortement pensé, fermement suivi, doit être objectif et non subjectif. Il doit procéder d’une notion claire de la guerre et ne pas tendre à lui imposer une formule préconçue. Ces conditions sont, en théorie, acceptées ; en fait, sont-elles remplies ?

La cavalerie couvre, découvre, combat. Les services d’exploration et de sûreté sont les préliminaires, le combat est la conclusion ; ils sont permanens, continus, il est intermittent et bref ; ils réclament des efforts disséminés et quasi-individuels, il exige l’emploi de toutes les forces réunies, l’action d’ensemble. Toute l’éducation de la cavalerie repose sur ces deux manifestations distinctes. Elle doit former à la fois un éclaireur et un combattant ; un homme isolé qui apportera son intelligence dans l’exploration, un homme du rang qui apportera son sabre dans la mêlée.

Ce n’est pas tout d’un coup qu’on a distinctement entrevu cette double physionomie du cavalier.

Au lendemain de 1870, une erreur, lentement dissipée, lança la cavalerie entière dans la voie unique du service en campagne. Son activité naissante ne s’étendait pas au-delà de ce cercle restreint. Elle s’épuisait en la répétition d’une pièce jamais complètement jouée, en la recherche d’un problème irréductible ; il manquait la vraie solution : le combat.

L’impression soudaine ressentie après la défaite n’avait d’ailleurs pas permis encore de procéder à une expérience calme et réfléchie. D’instinct on s’était mis à la besogne la plus pressante, mais on s’y était enlizé. Et comme l’emploi tactique de la cavalerie n’était pas formulé, pour tirer parti des masses ainsi réunies, on s’ingéniait à les distribuer en des dispositifs compliqués, capables d’assurer à la fois la clairvoyance et l’impénétrabilité, sans prévoir que l’arrangement entier était à la merci d’une concentration puissante, d’une offensive vigoureuse et prompte. Trois règlemens successifs[2] préconisèrent à tour de rôle ces dispositifs réputés infaillibles, et cependant différens. La recherche exagérée de la formule aboutissait à l’aveu de son impuissance. Il devint évident qu’on ne pouvait enserrer dans des règles fixes des questions d’application ne relevant que des circonstances variables de la campagne. Cependant, de ces tentatives accumulées, la lumière peu à peu se dégagea. La nécessité de combattre pour voir finit par s’imposer. Un enseignement substantiel et solide ressortit : c’est qu’indépendamment de toute formule théorique la cavalerie opère toujours en deux élémens : un ensemble de groupes isolés pour éclairer ou couvrir, une masse compacte et concentrée pour combattre. Toute la cavalerie devait être préparée à ce double rôle.

Dans le service en campagne, l’unité d’éducation résultait clairement de l’unité d’emploi. S’orienter, marcher, voir, rendre compte, sont des actes abstraits et simples, indépendans des circonstances extérieures auxquelles ils se rattachent. Aussi les groupes chargés de les accomplir fonctionnent-ils d’après des règles et des procédés identiques. Leur nombre ou leur éloignement seuls varient. Qu’ils opèrent pour le compte de la cavalerie ou de l’infanterie, qu’ils s’appellent patrouille, reconnaissance ou avant-garde, qu’ils précèdent un escadron ou un corps d’armée, leur service, demeuré le même, exige une éducation uniforme. Quand les deux élémens qui le composent, quand le chef et le cavalier sont instruits, le système entier, alerte et vigilant, est prêt à fonctionner dans tous les sens et sous toutes les formes. En arrière, la masse compacte interviendra pour dicter la solution : pour combattre. Cela, c’est la fonction cardinale de l’arme. On peut en discuter la forme, on ne peut en méconnaître l’unité. En tout cas, son exacte notion permettra seule de se former une opinion raisonnée sur les questions à l’ordre du jour.

De tous les combats que la cavalerie est appelée à affronter, le plus difficile est sans contredit celui qu’elle livre contre sa propre rivale. Quand elle se précipite sur les autres armes, le coup d’œil et la résolution du chef, la bravoure et l’impulsion des cavaliers, sont des facteurs décisifs et parfois suffisans. Contre un adversaire immobile et qu’il s’agit de frapper de terreur, l’audace, la surprise, l’impétuosité sont plus redoutables que l’habileté de la manœuvre. La force principale de l’attaque résulte de son à-propos et de sa vitesse. D’ailleurs, le chef peut à son gré livrer le combat ou s’y soustraire. Et s’il s’agit d’un sacrifice commandé, la difficulté morale seule subsiste. Droit devant elle, la cavalerie s’élance et frappe. Comme résolution, c’est héroïque ; comme tactique, c’est simple.

Tout autre est la lutte de deux cavaleries. Entre ces deux adversaires de même essence, se ruant avec une égale rapidité et doués d’impulsions identiques, l’espace, le temps, sont supprimés. La vitesse de l’un se double de celle de l’autre ; l’action est brève, fugitive, insaisissable. Les phases du combat : l’approche, la manœuvre, l’événement, se déroulent et se confondent en une seule et rapide poussée. Mais si toutes les difficultés sont condensées, toutes les facultés du commandement et de la troupe doivent être, en proportion, exaltées. En quelques secondes, il faut accomplir trois actes complexes : prendre une résolution, la transmettre, l’accomplir. C’est le triomphe de la rapidité de conception et d’exécution. Entre ces deux facteurs l’accord doit être intime et instantané. Aussi, quelles que soient les qualités géniales ou acquises des chefs, elles resteraient sans effet si leur outil n’était pas merveilleusement façonné. La lourdeur, l’inertie de l’instrument, paralysant leur initiative, les laisseraient désarmés en face d’adversaires égaux en habileté et en audace, mieux secondés par des troupes plus manœuvrières et plus maniables. En somme, à commandement égal, la lutte de deux cavaleries est une sorte d’escrime, un assaut, où le succès appartient au plus assoupli, au mieux exercé.

Mais s’il est difficile, ce combat aussi est inévitable. De lui dépend toute action ultérieure. Tant que la cavalerie adverse restera debout, elle opposera aux tentatives de l’adversaire la muraille vivante de ses escadrons. En travers de la route, elle surgira, sans cesse renaissante, jusqu’à ce que, démoralisée, épuisée, sentant qu’elle a en face d’elle une volonté supérieure à la sienne, un souffle plus puissant, un bras plus lourd, elle renonce à la lutte ou y succombe.

Ainsi le combat de la cavalerie contre sa rivale est la manifestation suprême et habituelle de son rôle ; c’est aussi la pierre de touche de son aptitude à la guerre. A lui se rattachent non-seulement tous les principes, mais encore toute la puissance, tout l’avenir de cette arme. Quand elle y est bien préparée, elle est, par cela même, prête à tout entreprendre et à tout surmonter.

A ne considérer que l’aspect, cela cependant paraît bien simple : deux masses de cavalerie qui s’aperçoivent et se précipitent. Mais d’où vient que l’une accélère l’allure, tandis que l’autre la ralentit ? Pourquoi celle-ci est-elle victorieuse et celle-là vaincue ? Quel insaisissable élément a fait pencher la balance, quels invisibles facteurs ont fondé le succès ? Pour analyser cet acte fugitif et violent, il faut en découvrir les rouages cachés, surprendre le fonctionnement secret du mécanisme.

L’entité formée par une troupe de cavalerie comprend trois élémens distincts : le chef, le cavalier, le cheval. Chacun possède des propriétés propres et joue des rôles différens. Du commandement dépendent la conception, le coup d’œil, l’habileté, la résolution ; de la troupe, la promptitude et la correction de la manœuvre, l’exécution ; des deux réunis, l’impulsion morale ; du cheval enfin, le fonds et la vitesse, l’impulsion matérielle. Un système d’éducation rationnel devra combiner ces trois facteurs de manière à en retirer le maximum de rendement.


Le commandement est la clé de voûte. Il constitue le centre de toutes les impulsions. C’est l’élément le plus subtil et le plus fort, — en un mot, c’est l’âme. Dans la cavalerie surtout, son influence est frappante et immédiate. Cette arme ressent vivement. Une étincelle la galvanise ou une contrainte la retient. A la voir passer, on peut deviner qui la commande. Suivant que son chef lui inspire la confiance ou le doute, elle court alerte et vive, sûre du succès, ou bien elle se traîne résignée, par avance vaincue. Cette impression profonde, indéniable, a été ressentie par tous ceux qui ont vu de près des manœuvres de cavalerie. Presque toujours l’entrain ou l’inertie, l’action ou l’inaction, dépendent du caractère du chef ; qu’il change, et, sans transition, le découragement succède à la conviction, la passivité à l’enthousiasme. Ces brusques reviremens sont sans doute excessifs ; on peut les regretter, mais non les dédaigner ; ils ont la force d’un fait.

Si le commandement est l’agent principal, il faut s’efforcer d’en développer la valeur, d’en rehausser le prestige.

Un jour sans doute on reconnaîtra le péril auquel est exposé un corps d’officiers, dans une société où la concurrence, la poussée vertigineuse de bas en haut, sont érigées en règle ; où les convoitises constamment surexcitées conduisent au dédain des principes méthodiques d’un avancement justifié. On mesurera la difficulté de former et de maintenir intacte, à l’abri d’une contagion quasi-endémique, une race particulière d’hommes uniquement préoccupés de leur devoir. On sentira le besoin d’apporter la plus rigoureuse impartialité dans l’appréciation des titres et la distribution des récompenses. Pourtant, depuis douze années, l’armée, quelle que soit son apparente vitalité, a profondément souffert de l’influence de notre état social. Elle n’a pu complètement se maintenir en dehors des atteintes de la politique. Sans rappeler des exemples où l’on a pu constater trop clairement qu’il était parfois plus avantageux de faire preuve d’attachement aux idées du jour que de capacité, ne voit-on pas les lois mêmes armer la politique contre le haut commandement, en imposant aux chefs des corps d’armée, après trois années de fonctions, l’éprouve d’un renouvellement de pouvoirs, absolument contraire à toute idée de saine hiérarchie, comme à toutes les traditions de discipline ? N’a-t-on pas vu des chefs autorisés, longtemps écartés comme suspects, et dont les concurrens avaient parfois pour principal titre d’appartenir à une nuance mieux assortie ? N’a-t-on pas vu des ministres portés au pouvoir par de bruyantes coteries et réduits à se préoccuper avant tout, dans le choix du haut personnel, de l’effet que pouvait produire sur leurs amis politiques telle ou toile nomination ? Quelques-uns furent à ce point même entraînés, qu’ils ne durent leur portefeuille qu’à l’étrange condition d’élever tel général ou d’abaisser tel autre sans qu’aucun motif d’ordre militaire pût être invoqué. Chez les puissances militaires voisines, il suffit, pour se distinguer, de faire preuve de capacité et de talent, ici il faut encore produire un mérite originel et nouveau : il faut plaire. Ce n’est pas seulement un aréopage militaire qui juge ; il s’y joint un tribunal politique, assisté de reporters différens. Suivant leurs sympathies ou leurs opinions, ces membres anonymes d’une commission occulte s’appliquent à faire ou à de faire les réputations. Là est le mal profond, latent, en général ignoré, connu seulement de ceux qui en souffrent. Et si une réaction salutaire semble se produire, souhaitons qu’elle s’achève vite. Il est temps d’en finir avec des erremens dont on n’a que trop toléré les troublantes manifestations.


L’organisation du commandement ne doit prendre pour base que la valeur militaire démontrée ; c’est la première et la plus solide garantie. À ce point de vue, les grandes manœuvres spéciales doivent jouer un rôle décisif. Quand, après une année d’instruction, des brigades sont réunies en divisions, et ces dernières même concentrées, ce n’est plus seulement pour disserter sur des alignemens ou des allures, pour vérifier l’exactitude de l’épure ou de la formule. Ceci, c’est la partie mécanique des manœuvres ; c’est l’évolution. Il s’agit surtout d’apprécier l’habile tactique, le tempérament, le caractère, le coup d’œil et l’esprit de décision, de juger enfin de cet ensemble de qualités qui constituent l’aptitude au commandement. Cela, c’est le côté moral, le plus important.

Dans la cavalerie surtout, — arme délicate et coûteuse, — il est nécessaire d’entretenir une pépinière de chefs ardens et jeunes, — jeunes, non pas tant par leur acte de naissance que par leur vigueur physique, leur ressort intellectuel, leur énergie morale. On ne le pourra qu’au prix d’une soigneuse sélection.

Cependant nos institutions sont ainsi faites qu’elles permettent difficilement d’élever les hommes de valeur en écartant les incapables ou les impotens. Le manque de retraite proportionnelle ferme à ces derniers une porte honorable de sortie. On est donc fatalement réduit à un surcroît de rigueur ou à un excès de bienveillance. L’un ou l’autre l’emportent, suivant les tempéramens. Et cette sélection nécessaire, loin de découler uniformément de règles rationnelles et fixes, dépend le plus souvent du caractère variable de ceux qui ont charge de l’exercer. La cavalerie a contemplé ces reviremens subits ; elle a connu deux systèmes, également remarquables, également animés d’un ardent désir du progrès. L’un, fondé sur une impitoyable énergie, sur un exercice absolu de l’autorité, sur une recherche persistante de la valeur intrinsèque des hommes, faisant volontiers litière des considérations philanthropiques, avait semé dans l’arme entière une activité dévorante et une impulsion vraiment extraordinaire. Le secret mobile était peut-être un enthousiasme mélangé de quelque terreur, mais les effets étaient incontestables et généralisés. L’autre essentiellement bienveillant, circonspect, presque timide, cherchant son point d’appui en la constatation des connaissances purement théoriques, inspirait, il est vrai, une quiétude inaccoutumée, une allure discrète et calme, sous lesquelles ne tardèrent pas à se glisser les principes dissolvans d’une stagnation dangereuse. Ce n’étaient pas là les seules ni les principales différences. Le premier système, sacrifiant l’intérêt des personnes à celui des institutions, agissait par une sélection violente, mais judicieuse, car il ne prenait pas seulement pour base le décevant appareil des formules acquises, mais bien la valeur innée de l’individu, dégagée des qualités manufacturées que peuvent produire le travail et la mémoire réunis. Le second, au contraire, ne s’appliquait pas tant à pénétrer la nature des hommes qu’à apprécier leurs mérites superficiels, par la rigoureuse analyse de leurs travaux et de leurs efforts. L’un s’attachait aux actes et l’autre à l’examen.

L’adoption projetée de la retraite proportionnelle, ou simplement d’une situation nouvelle pour les officiers quittant l’armée avant trente ans de services, permettra, sans doute, de transformer cette élimination jusqu’alors exceptionnelle ou blessante, en une dérivation normale, méthodique et par tous acceptable. Mais qui prononcera sur cette élimination nécessaire ? quelle sera l’épreuve et quels seront les juges autorisés ? Dans les divisions de cavalerie indépendante, dès le temps de paix organisées et instruites en fortes masses, les élémens d’appréciation, de comparaison, de compétence, abondent. Dans les brigades de corps, isolées, disséminées par régimens, livrées à elles-mêmes, sans impulsion centrale, sans réunions annuelles où puiser l’esprit et la note de l’arme, ces élémens font défaut. Une fois par an, un inspecteur général, laissé pendant tout le reste du temps sans commandement effectif, sort de cette retraite anticipée pour venir procéder à des opérations méticuleusement définies, et, pour la plupart, purement administratives. Encore se gardera-t-il de s’élever contre les idées particulières du commandant de corps d’armée, dont il n’est pour ainsi dire que le délégué. Pourtant cette opération sommaire suffit ; c’est la seule sanction et la seule garantie. On conviendra sans peine que ce n’est pas là une organisation solide, ni rationnelle. Si ce général-inspecteur doit avoir, en temps de guerre, la conduite et la responsabilité des brigades qu’il examine, il est logique et prudent qu’il ait, en temps de paix, le soin de les préparer. A lui seul appartient de façonner l’instrument dont il devra se servir.

Ainsi l’organisation actuelle des brigades de corps, déjà défectueuse au point de vue de leur emploi à la guerre, porte encore atteinte à la bonne constitution de leur commandement.


Si le commandement représente l’élément moral d’une troupe de cavalerie, le cheval en est le plus important facteur matériel. C’est par excellence l’arme du cavalier ; il résume le fonds même de sa tactique : la mobilité et la vitesse.

L’évolution qui, depuis quinze années, transforme notre système de remonte, sera bientôt achevée. A un mode défectueux, encombrant nos escadrons de jeunes chevaux incapables de rendre des services immédiats ; à la fluctuation continuelle des effectifs ; au manque absolu de règles fixes dans les achats et les réformes, ont succédé, d’abord l’institution des dépôts de transition, débarrassant les corps des sujets trop jeunes pour entrer en campagne ; puis, par la fixité des achats et des réformes, celle des effectifs. Enfin les régimens ont été exonérés, pour la plupart, des prélèvemens périodiques opérés autrefois au profit d’officiers étrangers à l’arme. Les progrès paraissent donc constans et généralisés. Ils le seraient réellement s’ils n’étaient contrariés par des influences politiques d’autant plus nombreuses que le système des remontes se rattache plus étroitement aux questions industrielles et agricoles.

Par une anomalie caractéristique, c’est surtout en vue de satisfaire aux revendications, — d’ailleurs légitimes, — des éleveurs, qu’a été décidée la fixité du chiffre annuel des achats. La cavalerie en a bénéficié dans une large mesure, mais par conséquence, et non à titre d’objectif direct. Ce côté électoral de la question a continué de prédominer. La production chevaline n’est pas égale, en qualité et en quantité, dans toutes les parties de la France. Cette considération aurait dû imposer une répartition rationnelle. Il n’en a rien été. Au lieu de développer les achats là où existe le meilleur cheval d’armes, de les restreindre là où il est défectueux, on semble s’être attaché surtout à offrir aux éleveurs un débouché mesuré à la nuance de leurs opinions encore plus qu’aux mérites de leurs produits. C’est ainsi que le sud-ouest offre une qualité exceptionnelle de chevaux de cavalerie légère dont on est loin de tirer tout le parti possible, alors qu’on achète à profusion, dans le nord-ouest, des animaux très peu propres au service de la selle. Les considérations patriotiques, les efforts des commissions ou des ministres sont impuissans quand ils se heurtent à cette manifestation souveraine du parlementarisme.

Pourtant on a peine à concevoir qu’une partie de cette généreuse race du Midi reste sans emploi, — quand elle n’est pas enlevée par les courtiers de l’Italie, — alors que nombre de nos régimens de chasseurs ou de hussards sont encore encombrés de ce produit hybride, mal équilibré, lymphatique, qu’en termes d’élevage on appelle « le petit normand. » Si on n’achetait des chevaux de cette catégorie qu’après avoir épuisé ceux de la première, du même coup on développerait l’extension des élémens de choix, et on déciderait à faire le cheval de selle certains éleveurs qui semblent réserver pour l’arme leurs sujets défectueux. Dans le même ordre d’idées, il serait à souhaiter qu’un accord plus étroit s’établit entre les remontes et l’administration des haras. Ce dernier service devrait encourager avant tout la production des élémens que lui demande la remonte, et ne pas réduire cette dernière à l’obligation d’accepter, sans réserve, les animaux qu’il a achetés ou primés.

C’est en travaillant pendant de longues années à diriger la production vers les besoins de l’armée que l’Allemagne a pu arriver à créer de toutes pièces une véritable race de chevaux d’armes, et à remonter d’une manière remarquable sa nombreuse cavalerie. Pour l’imiter, il suffirait de s’affranchir du joug électoral dans une question qui n’en relève pas. Et si, à la tribune législative, quelques récriminations intéressées venaient à se produire, la chambre aurait beau jeu à leur imposer silence, en faisant simplement observer que, si l’on veut poursuivre l’idéal de la « nation en armes, » c’est bien le moins qu’on en subisse les plus élémentaires conséquences. Le jour où un fait brutal viendrait à démontrer la fragilité d’une organisation d’armée dans laquelle les motifs d’ordre militaire sont relégués au second rang, ceux-là mêmes qui y poussent le plus ne trouveraient pas de reproches assez lourds pour accabler les éditeurs responsables.


Après le commandement et la remonte, un troisième facteur, indépendant de l’éducation, complète l’outillage de la cavalerie. C’est son armement. Un cavalier qui a confiance en son chef, en son cheval, en son arme, est virtuellement prêt.

L’armement et la tactique sont intimement liés ; en termes scientifiques, ils sont « fonctions » l’un de l’autre. Aussi, le débat que soulève aujourd’hui l’apparition de la lance n’est ni indifférent, ni superficiel. Il touche aux principes mêmes de l’emploi de la cavalerie. Il ne se borne pas à une discussion spéciale ; il doit aller, de la cuirasse, — ce vestige d’une époque déjà vécue, — à la carabine Lebel, cette expression la plus récente d’un ordre de choses nouveau. Entre ces deux formules y a-t-il une infranchissable distance ? Faut-il arrêter un choix exclusif, ou bien, habilement, les concilier ? Quoi qu’il arrive, — qu’on se prononce pour le choc ou le feu, ou qu’on les combine ; — il est indispensable, a priori, de doter la cavalerie de l’engin le plus redoutable. A une arme si coûteuse, dont l’intervention rapide se produit toujours à des momens critiques, on doit donner l’outil de combat le plus perfectionné. Cette nécessité résulte de sa mobilité et de sa vitesse. Pour retirer de ses qualités propres le bénéfice qu’elles impliquent, en quelques minutes la cavalerie doit produire de grands résultats.


Une arme qui porte avec elle tout un passé de traditions, qui évêque l’idée des époques chevaleresques, et dont l’aspect rappelle les plus héroïques annales de la cavalerie, l’arme à la fois la plus imposante et la plus prestigieuse, — la cuirasse, — a failli disparaître.

L’opinion, sollicitée par l’exemple de l’Allemagne qui décuirassait ses régimens de cavalerie lourde, n’était pas éloignée d’en réclamer la suppression. La question même a été soumise au conseil supérieur de la guerre ; et il n’a fallu rien moins que l’autorité de cet aréopage militaire pour réagir contre une tendance irréfléchie.

Devant l’armée, le prestige des cuirassiers est resté et restera toujours intact. On y a le culte instinctif des traditions. Une sorte de voix intérieure, que ne recouvre jamais l’écho de dissensions politiques, semble transmettre la légende de régiment à régiment. Ceux d’aujourd’hui croient aussi avoir entendu ce cri si connu, aux momens suprêmes, des soldats de la grande armée : « Voilà les cuirassiers ! » Alors un courant magnétique passait sur le champ de bataille. L’espoir revenait aux cœurs, la terreur glaçait l’ennemi. Cela, c’est un document d’histoire. Lorsque les cuirassiers donnaient, ils faisaient leur trou, comme un boulet. — Wellington, qui les avait vus de près, disait : « Quand je vois un cuirassier français à côté de sa rosse, je ris ; quand il est dessus, je l’admire ; quand il charge, j’ai peur ! »

Lorsqu’une arme possède une tradition pareille, il faudrait être bien présomptueux ou bien puissant pour la dédaigner. Les traditions portent avec elle une force surhumaine, supérieure à la logique, et dont les effets étonnans sont hors de proportion avec toutes les causes apparentes ou connues. Qui n’a médité ce joli épisode raconté par le colonel de Gonneville ? C’était en 1809, près de Culmsée. De Gonneville, alors sous-lieutenant de cuirassiers, était en reconnaissance avec une vingtaine de cavaliers. Tout à coup, il se voit barrer la route par une nuée de dragons et de hussards prussiens. Sans hésiter, il fait mettre le sabre à la main et commande la charge : « Dans cet instant assez solennel, raconte-t-il, une chose me frappa. — Nous avions nos manteaux et de loin, à cause de nos casques, on nous avait pris pour des dragons. Or depuis quelques semaines, une division de dragons, la division Milhaud, avait eu deux ou trois affaires malheureuses qui avaient discrédité cette arme aux yeux de l’ennemi. — Mais en mettant le sabre à la main, mes hommes, rejetant sur l’épaule la partie droite de leur manteau, découvrirent les cuirasses, et la réputation des cuirassiers était colossale. — Je remarquai alors un mouvement très prononcé d’hésitation dans la tête de colonne[3]. » N’est-elle pas magique et concluante, cette apparition des cuirasses ? Depuis, la réputation des cuirassiers a, s’il est possible, grandi. A Borodino, à Waterloo, à Morsbronn, ils ont jeté une lueur d’héroïsme sur le champ de bataille assombri. Même à travers nos désastres, ils sont restés prestigieux et invaincus. Ils respirent la confiance et inspirent la terreur. Ils se croient invincibles, et, par cela même, ils le sont.

Leurs adversaires répètent volontiers que les cuirassiers sont trop lourds pour se plier aux exigences du service actuel de la cavalerie. Encore hantés par les idées en vogue au lendemain de la guerre, ils les déclarent incapables d’exécuter des raids, d’accomplir de longues marches, d’explorer, de garder leurs cantonnemens. Et ils ajoutent, croyant fournir un argument terminal et sans réplique, que cette cuirasse, à laquelle ils sacrifient la plus belle partie de leur rôle, n’est plus qu’un ballast inutile, puisqu’elle ne peut même plus les protéger contre les balles des nouveaux fusils. Cette argumentation est décevante ; les prémisses sont virtuellement exactes, la conclusion est pratiquement fausse. Le principe que la guerre moderne débutera par une grande lutte de cavalerie n’implique nullement pour cette arme une longue période de chevauchées. Le temps n’est plus où l’on transportait les troupes par étapes, d’un camp de Boulogne à un Iéna. Depuis on a trouvé la vapeur ; — et ceci est un détail important. Au jour de la déclaration de guerre, embarquée le matin, la cavalerie sera le soir à son poste de combat, en face de la cavalerie rivale, contre laquelle la cuirasse aura conservé toute sa valeur. Et le terrain même des premières batailles ne sera pas assez éloigné de celui de sa propre lutte, pour que les fatigues de la marche puissent sensiblement diminuer ses effectifs. S’il faut aller plus loin, s’il faut pénétrer en pays ennemi,.. eh bien ! on jettera les cuirasses dans le Rhin ! — La cavalerie d’une armée victorieuse n’a plus besoin d’armes défensives. Mais ce sacrifice même serait inutile, car il est difficile d’admettre qu’on ait jamais recours aux régimens de cuirassiers pour accomplir l’exploration, pour garder les cantonnemens. Confier de pareilles missions à la cavalerie lourde, alors que les divisions comprennent quatre régimens de cavalerie légère ou de dragons, serait méconnaître le rôle spécial et le caractère de cette arme. Son rôle, — le mot cavalerie de réserve l’indique, — c’est d’intervenir, masse compacte et irréfragable, pour briser les suprêmes résistances. Ce sera toujours le marteau terrible qui frappera le coup décisif. Tel, au milieu d’une flotte, le vaisseau cuirassé s’avance imposant et superbe, éclairé par des croiseurs légers et rapides, protégé par d’invisibles torpilleurs.

Il importe donc peu que la cuirasse soit aujourd’hui à l’épreuve de la balle ; elle est à l’épreuve du sabre ou de la lance ; cela suffit. Pourtant l’Allemagne a invoqué ce prétexte pour la supprimer. Est-on bien certain que cette mesure soit définitive ? La cuirasse, en effet, a été déposée dans les magasins d’escadrons. Au pied du lot de ses effets de guerre, chaque cavalier conserve la sienne, soigneusement entretenue. Et comme il doit la prendre pour la tenue de parade, il est encore exercé à la porter. Entre temps, on a expérimenté dans les usines allemandes des cuirasses d’un modèle nouveau, plus légères, à l’épreuve de l’arme blanche seulement. Qu’on prenne garde à une ruse de guerre ! La brusque réapparition de cet engin constituerait une de ces surprises dont nos voisins sont coutumiers. Un autre indice est plus caractéristique. L’ordre impérial du 12 mai 1888, armant les anciens cuirassiers de la carabine, prescrivait aussi pour ces régimens l’essai de la lance. Le 1er octobre, ils en étaient tous munis. Ainsi, de ces hésitations plus ou moins réelles, se dégage nettement l’idéal poursuivi : la cavalerie prussienne se prépare surtout à lutter avantageusement contre sa rivale. C’est une profonde entente d’un rôle considérable et nouveau.

Il fut une époque dans notre histoire où la cuirasse tomba en défaveur. C’était après les guerres malheureuses de la succession d’Autriche ; on avait décidé de l’abolir. Voici comment le premier général de l’époque appréciait cette mesure : « Je ne sais pourquoi, écrivait-il, on a quitté les armures. Bien n’est si beau ni si avantageux. S’il y avait seulement dix régimens comme cela (cuirassés) dans une armée, et qu’ils eussent secoué quelques escadrons ennemis, la frayeur s’y mettrait bientôt parce que tout leur paraîtrait cuirasse. Cet habillement met notre cavalerie en état de ne pas craindre celle de l’ennemi, mais au contraire lui fait naître le désir de la joindre au plus vite parce qu’elle sait que c’est son avantage[4]. » Les cuirassiers du premier empire devaient rendre un éclatant hommage à la perspicacité du maréchal de Saxe. Tant que deux cavaleries rivales seront appelées à se combattre, l’argument gardera sa valeur. Aussi, loin de songer à restreindre les élémens matériels du choc, il est plus que jamais nécessaire de les conserver et de les développer. C’est à cet ordre d’idées qu’on doit la réapparition de la lance.


La lance est le point nouveau et passionnant du débat. Supprimés en 1815, après une existence brillante, mais éphémère, les lanciers avaient cependant rendu de tels services dans les dernières années de l’empire, que l’opinion publique accusa formellement les alliés d’en avoir exigé l’abolition. On sait leurs dernières prouesses, et comment, la veille de Waterloo, à Genappe, les 1er et 2e lanciers, formant la brigade Colbert, détruisirent presque entièrement, en une seule charge, la brigade des hussards anglais de sir Hussey Vivian ; comment encore le lendemain, les 3e et 4e lanciers se couvrirent de gloire en écrasant la brigade des dragons écossais de Ponsonby.

Cependant l’apparition des lanciers avait été trop courte pour laisser des souvenirs durables. Lorsqu’en 1870, d’un trait de plume, ils furent supprimés, il ne se trouva personne pour réclamer au moins à l’exposé des motifs » d’un aussi subit abandon. Depuis, dix-huit années ont passé sans que l’idée soit venue d’en réclamer la création. Aussi leur faveur spontanée a de quoi surprendre. On se demande quel ordre de choses nouveau, jusqu’alors ignoré, brusquement les réclame. Sans histoire, sans traditions, la lance doit remporter sur l’opinion une victoire complète, non de surprise, de persuasion.

Lorsque le général Marmont, au lendemain des guerres de l’empire, affirmait : « Que la lance était l’arme principale de la cavalerie et le sabre une arme auxiliaire, » il avait une perception nette de la tactique moderne, — cette tactique qui se résume toujours en une manifestation terminale et unique : le choc. Or, par effet matériel ou moral, soit que le choc ait réellement lieu, soit qu’il se résume à une menace[5], la lance en est l’arme souveraine. Si deux troupes de cavalerie s’abordent, le fait est tangible ; car l’efficacité de ce choc résulte surtout de la rencontre d’une ligne continue de pointes. La lance est la première des pointes ; c’est la plus sûre et la plus longue. Si l’une des cavaleries s’arréte, ou fait demi-tour avant la charge, c’est que l’effet moral que produit sa rivale est supérieur ; sa résolution l’emporte. Mais cette résolution, fruit de la confiance, ne peut naître, — à égalité de nombre et de commandement, — que de la supériorité de l’armement. Or la lance, au suprême degré, est propre à produire cet effet terrifiant. Rien n’impressionne comme le spectacle de cette forêt de pointes abaissées. En somme, par son aspect, par ses effets, c’est par excellence l’arme du choc. Mais après le choc ou après la menace, il y a mêlée. Dans ce corps à corps, la lance perd ses droits ; elle devient un outil médiocre, sinon embarrassant. La plupart du temps, d’ailleurs, cette mêlée prendra la forme d’une poursuite. Pourtant, il faut tout prévoir. Après avoir donné la lance au premier rang, qui menace ou défonce, qui prépare le succès, il faut laisser le sabre au second rang qui l’achève. C’est la solution aujourd’hui acceptée, c’est celle aussi que préconisait Jomini, au lendemain des guerres napoléoniennes : « L’armement et l’organisation de la cavalerie, écrivait-il, ont été l’objet de bien des controverses qu’il serait facile de réduire à quelques vérités. La lance est la meilleure arme offensive pour une troupe de cavaliers qui chargent en ligne, car elle atteint un ennemi qui ne saurait les approcher ; mais il peut être bon d’avoir un second rang ou une réserve armée du sabre, plus facile à manier lorsqu’il y a mêlée et que les rangs cessent d’être unis. » Et un peu plus loin il ajoute : « Quelques militaires expérimentés penchent même à armer les cuirassiers de lances, persuadés qu’une telle cavalerie renverserait tout devant elle. » Ainsi, réservant les services d’exploration et de sûreté aux seuls régimens de cavalerie légère, l’illustre tacticien revendiquait la lance pour le premier rang des cuirassiers et des dragons.

Un préjugé cependant s’élève contre cette arme. On dit qu’elle convient surtout aux hommes du nord, plus robustes, mais plus méthodiques et plus froids ; que le sabre va mieux au tempérament des peuples du midi, nerveux, souples et alertes. C’est là un inexplicable contre-sens. L’histoire prouve que de tout temps le cavalier français a combattu par la pointe qui est, en définitive ; l’arme de l’offensive, de la charge en ligne, de la résolution et de l’audace. Par elle, il s’est rendu redoutable. Ses adversaires, les cavaliers allemands et anglais, frappaient toujours du tranchant. Plus vigoureux, mais aussi plus lents, moins « impulsifs, » ils étaient surtout des sabreurs. Ce qui peut surprendre, c’est qu’une vérité si universellement connue soit aussi souvent dénaturée. D’ailleurs, en dépit de toutes les argumentations de détail, le seul fait que la cavalerie allemande se présentera armée de la lance nous dicte la solution. Ce serait courir grand risque que d’exposer nos jeunes escadrons à la surprise et à l’effet moral saisissant que ne manquerait pas de produire un engin dont l’aspect et les effets leur seraient inconnus.

Mais la question relève de plus haut. Il ne suffit pas, pour justifier son éclosion spontanée, qu’une arme nouvelle réponde à des besoins généraux, à un idéal abstrait. Il faut qu’elle soit en concordance directe avec les tendances qu’elle représente ; elle doit être l’expression précise, et comme la résultante obligée d’une tactique définie. Tel est le caractère et telle la raison d’être de la lance. Elle implique, en effet, l’idée absolue de l’offensive, de l’attaque en lignes compactes, en un mot de cette cohésion dans la charge qui est la note caractéristique et originelle des théories récentes.

Qu’est-ce donc que cette question de la cohésion, dont l’apparition a failli diviser la cavalerie en deux camps rivaux ?

Entre ses partisans et ses détracteurs n’existe-t-il qu’une subtilité didactique ; ou bien est-elle vraiment le point de séparation de deux écoles distinctes et de deux principes différens ? L’une et l’autre opinion ont été exprimées ; en réalité, la cohésion dans la charge est la manifestation normale d’une évolution rationnelle.

Entre la pratique exclusive du service en campagne adoptée après la guerre et le concept moderne de la tactique des masses, le règlement de 1876 a posé un échelon intermédiaire. S’il a revendiqué hautement la part d’action de la cavalerie au combat, il n’a point marqué la liaison naturelle qui devait rattacher les services stratégiques d’exploration ou de sûreté à l’intervention tactique sur les champs de bataille. Ce point de raccord, le Projet d’instruction de 1819 l’a seulement établi, en faisant entrevoir la lutte fréquente et inévitable contre la cavalerie adverse, en créant la formule : explorer, c’est combattre.

Dès lors, ce combat de cavalerie qui, dans le règlement de 1876, n’était que la manœuvre suprême de l’arme, en devint une fonction accoutumée. La charge, de manifestation exceptionnelle qu’elle était, se transforma en exercice cardinal, il est vrai, mais fréquent. Il ne s’agissait plus d’obtenir cet élan foudroyant et désespéré, où les plus braves, se jetant en tête, entraînaient une masse surexcitée et désordonnée. Une forme nouvelle s’imposait ; une impulsion vigoureuse, mais réglée, devait assurer au choc ou à sa figuration, à sa menace, leur maximum d’effet. En avant du rang, les officiers, par essence les plus braves et les mieux montés, devaient imprimer l’élan, régler la vitesse, suivis d’une troupe compacte, cohérente, alignée et soudée comme une barre de fer. Ainsi, le plus souvent, cette démonstration pourrait ébranler le moral de l’adversaire et le maîtriser tactiquement.

Cette évolution terminale fut l’œuvre du règlement de 1882. La tactique des masses l’imposait. Dans les luttes gigantesques qu’on prévoyait pour l’avenir, c’eût été d’une imprudence incalculable de déchaîner, sans régulateur, de pareils torrens de cavalerie. Leur collision, se réglant par efforts successifs, mais rapides, exigeait que chacun de ces efforts fût calculé, que chaque troupe restât, jusqu’à la minute décisive, dans la main de ses chefs. L’idéal, quelque attrayant qu’il fût, devait céder le pas à la réalité brutale.

La cohésion, d’ailleurs, n’exclut pas l’idée de la charge à fond, telle que l’exécutait la cavalerie de la grande armée ; elle y ajoute l’aspect de cette résolution ferme, qui, moralement, aura toujours raison des galopades désespérées. Napoléon, Maurice de Saxe, Wrangel, Jomini, Frédéric-Charles, von Schmidt, tous les généraux qui ont marqué dans l’histoire de la cavalerie, ont préconisé ce principe[6]. Le plus fougueux de tous, le légendaire Lasalle, avait coutume de dire à ses cavaliers, quand il voyait l’adversaire se ruer en un galop désordonné : « Ces gens-là sont perdus ! » Et Jomini, qui cite cet exemple, Jomini qui, de 1804 à 1814, avait suivi pas à pas, en observateur attentif autant qu’en acteur, toutes les campagnes de la grande armée, va jusqu’à affirmer « que le grand trot lui paraît la meilleure allure pour les charges en ligne. »

La lance, procédant directement de la charge alignée et cohérente, est donc bien la résultante naturelle d’une conception méthodique, la représentation tangible d’une tactique voulue.

Contre son adoption, une seule objection subsiste, — déjà élevée à propos de la cuirasse, — c’est qu’elle prive le cavalier d’une arme à feu. Dans cette grave question, le dernier mot n’est pas dit. Tant que la cavalerie possédera la carabine actuelle, on peut hardiment soutenir qu’elle ne devra user de son feu que dans des circonstances toutes spéciales : l’attaque ou la défense d’un défilé, d’un cantonnement, l’occupation provisoire d’un point éloigné. Alors, si l’on réfléchit qu’il faut des cavaliers pour tenir les chevaux haut le pied, pour les protéger ; qu’il faut encore une réserve à cheval, on se rendra compte qu’en toutes circonstances il suffira que le deuxième rang, — c’est-à-dire une moitié de l’effectif, — soit armé de la carabine.

Mais la sphère d’action de la cavalerie par l’emploi du feu peut grandir avec un armement nouveau. Quelque partisan que l’on soit de l’idée maîtresse que la principale puissance, de cette arme résidera toujours dans la mobilité et l’impétuosité de son choc, on ne peut s’empêcher de prévoir pour l’avenir un facteur nouveau. La cavalerie armée d’une carabine de petit calibre, — à plus grande portée et à répétition, — pourra produire, par l’emploi rapide et inattendu de son feu on masses, des résultats saisissans. Alors il sera facile de donner la carabine aux lanciers, car cette arme nouvelle, plus puissante, sera encore plus courte et plus légère. D’ailleurs les uhlans, les cosaques n’ont-ils pas à la fois la lance et la carabine, et ne sont-ils pas à juste titre réputés pour des cavaliers hors de pair ? Lorsqu’il ne s’agit plus, pour doter la cavalerie de l’arme correspondant à sa tactique, que de résoudre des questions d’arrimage ou de harnachement, on peut dire que la discussion est close et que le problème, virtuellement, est résolu.

La cavalerie moderne sera donc à la fois armée des deux engins les plus redoutables pour le choc et pour le feu : de la lance et de la carabine à répétition. — Cela paraît certain. — Ainsi sa force et son champ d’action seront infiniment agrandis ; mais elle conservera intact le fond même de sa tactique si elle veut demeurer une puissante arme de bataille. Car le combat à pied ne pourra jamais donner lieu à une tactique généralisée ; il s’appliquera à des circonstances, heureuses peut-être, mais exceptionnelles ; en définitive, l’arme blanche seule décidera du dénoûment.

Le danger de l’emploi des feux, danger capital pour la cavalerie, c’est qu’il pourrait l’engager dans la voie funeste de la défensive ; compromettre irrémédiablement son esprit d’initiative et d’audace, sa généreuse et vive impulsion. Si une pareille éventualité devait jamais se produire, mieux vaudrait renoncer à une arme qui désormais coûterait trop cher, en comparaison des services qu’elle pourrait rendre. L’expérience ne serait pas nouvelle et les résultats en sont, par avance, connus.

Frédéric II, qui, avant Napoléon, sut le mieux tirer parti de la puissance de la cavalerie, poussait l’horreur du feu jusqu’au paradoxe : « Vous ne sauriez croire, disait-il au comte de Gisors en 1754, ce que ma cavalerie m’a coûté à exercer. Elle avait la fureur de tirer, et le propre feu de la cavalerie est plus dangereux pour elle que celui de l’adversaire ! » Il est vrai qu’alors la cavalerie ne se contentait pas de tirer à pied ; elle tirait aussi à cheval. Mais l’esprit de l’arme était compromis et c’est ce que Frédéric redoutait le plus. Il sut faire triompher universellement ses idées. Un de ses plus brillans élèves, après Seydlitz et Ziethen, le général Warnery, écrivait : « Les manœuvres défensives sont désavantageuses à toutes les cavaleries du monde. Quelque bien qu’une cavalerie y fasse son devoir, elle succombera tôt ou tard, parce que, à l’exception de celle des Tartares, aucune autre ne fera attention à son feu[7]. » En somme, il peut être prudent d’exercer la cavalerie au tir ; il l’est bien davantage encore de ne pas lui en enseigner systématiquement les avantages. Ce serait infuser un poison lent qui, brusquement, se révélerait à des indices funestes. On retrouverait un jour de l’infanterie à cheval ! Plus l’arme à feu sera perfectionnée, plus la tentation d’y chercher asile, d’échapper à la terrible échéance du choc, deviendra violente. Pour décider des hommes à se lancer dans une course vertigineuse, au bout de laquelle ils se heurtent inévitablement à l’ennemi, — c’est-à-dire à un danger tangible et immédiat, — ce n’est pas trop de leur démontrer l’impossibilité de s’y soustraire. Si on leur découvre une solution nouvelle, ils seront fatalement tentés de s’y réfugier. En somme, le combat à pied est, pour la cavalerie, une arme à double tranchant ; on n’en doit user qu’avec des précautions infinies. Il faut s’y préparer, mais n’en point trop parler.


III

Ainsi voilà notre cavalerie idéale dans les meilleures conditions, commandée, montée, armée. Elle possède tous les élémens de force, il reste à fabriquer un engin dûment soudé et équilibré, compact et souple. L’éducation de détail a été donnée dans les régimens ; ces mêmes régimens ont évolué soit isolément, soit groupés par brigades. Il s’agit de les réunir en corps de combat, en divisions, de les faire évoluer d’abord, puis manœuvrer. En un mot, le moment est venu d’aborder la préparation à la Tactique de masses. Ce sera l’objet des manœuvres spéciales d’abord, puis des manœuvres d’armes combinées.

Avant tout, on doit mesurer exactement la valeur de deux termes fondamentaux qui, correspondant à deux ordres d’idées différens, ont cependant donné lieu à de fréquentes confusions.

L’évolution et la manœuvre sont des actions simultanées, mais distinctes. L’évolution est le mouvement régulier, le procédé par lequel une troupe passe d’un ordre à un autre. C’est l’intermède entre deux formations. La manœuvre est l’emploi tactique de ces formations. D’un côté, c’est une partie fixe, réglée, mécanique, ne laissant aucun accès à l’improvisation ; de l’autre, une partie variable, imprévue, exigeant l’initiative et l’habileté des chefs. En somme, c’est la conception et l’exécution. Dans la bataille, il est indispensable que ces deux actions soient réunies ; la troupe doit traduire nettement et sûrement l’idée tactique que le chef a conçue.

C’est parce que cette distinction capitale n’a pas toujours été observée qu’on a vu parfois des manœuvres s’abaisser aux proportions des exercices du Champ de Mars et ne produire, à la place d’un bénéfice solide et durable, qu’un enseignement banal et purement spéculatif.

Un général qui se borne à être un évolutionneur, quelque érudit qu’il soit, n’est pas fait pour diriger la cavalerie. Il peut préparer l’instrument, il ne sait pas s’en servir ; il peut obtenir l’exécution merveilleuse de mouvemens compliqués ; il est incapable d’en faire jaillir l’étincelle utile, l’idée tactique.

La distinction, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. Elle est de toutes les époques ; elle a été perçue par tous ceux qui ont eu, à quelque degré que ce soit, l’intuition du combat : « On doit une fois pour toutes, écrivait le maréchal de Saxe, établir une manière de combattre que les troupes doivent savoir, ainsi que les généraux qui les mènent. Ce sont des règles générales, comme qu’il faut garder des distances dans la marche, que, lorsqu’on charge, il faut le faire vigoureusement, que s’il se fait des trouées dans la première ligne, c’est à la seconde de les boucher, etc. Il ne faut point discuter pour cela, c’est l’A B C des troupes. Rien n’est si aisé, et le général ne doit pas y donner son attention. Mais ce dont il doit bien s’occuper, c’est d’observer la contenance de l’ennemi, les mouvemens qu’il fait, où il porte ses troupes ; de chercher à lui donner le soupçon dans un endroit, pour lui faire faire quelque fausse démarche ; de profiter des momens et de savoir porter le coup de la mort où il le faut. Mais pour tout cela, on doit se conserver le jugement libre et n’être pas occupé des petites choses. » Pour tout cela… il faut que les troupes sachent évoluer, et les généraux manœuvrer. — Comment, dans la cavalerie moderne, ces deux conditions se trouvent-elles remplies ?

A toutes les époques la cavalerie a combattu par échelons ou lignes, — c’est-à-dire par une succession d’actions rapides, mais réglées. — C’est le fond même de la tactique des Frédéric et des Napoléon : « Il ne faut pas oublier, écrivait ce dernier, que la cavalerie est plus ou moins sur quatre ou cinq lignes, et que les lignes de derrière, si elles ne sont pas contournées par la cavalerie qui leur est opposée, peuvent la prendre à dos. » Murat, Lasalle, Montbrun, Kellermann, — comme l’avaient fait Ziethen et Seydlitz, — employèrent toujours ce procédé, et lui durent, avec la possibilité de manier des masses, leurs principaux succès.

Pourtant, cet aspect du combat de cavalerie semble peu compris. On paraît trop souvent croire qu’il exige un théâtre spécial, aplani, démesuré. Cette erreur résulte d’une fausse interprétation.

En langage militaire, une « ligne » n’est pas une droite géométrique ; — c’est un groupe spécial, quelle qu’en soit la formation tactique. — La répartition sur plusieurs lignes n’implique donc pas l’idée d’une série de fronts déployés, mais bien d’une succession de forces disposées en échelons. Cette définition était nécessaire pour combattre la légende assez communément répandue, en vertu de laquelle il ne se trouverait pas en Europe, en dehors des camps d’instruction, de terrains propres à l’action de la cavalerie.

Une telle opinion repose sur une notion bien superficielle de la tactique de cette arme. Quelles expériences, quels faits de guerre permettent de conclure à la nécessité de ces fronts étendus, alors que toute l’histoire militaire montre que les combats de cavalerie, loin de se développer en une ligne continue, se sont presque toujours livrés en profondeur, par échelons, par une succession de groupes jetés l’un après L’autre sur l’objectif commun ?

Croit-on qu’à Kollin et à Rosbach, Zicthen et Seydlitz aient conduit à la charge l’un 65 et l’autre 48 escadrons sur un seul front ? A Prague, l’on vit de part et d’autre 70 et 80 escadrons entrer en lutte ; à Aspern et à Eylau, Bessières et Murat chargent à la tête de 40 et de 80 escadrons ; à Kœniggratz, deux divisions de cavalerie se précipitent sur l’ennemi vainqueur. Croit-on que ces masses de cavalerie aient combattu en un seul bloc et sur une seule ligne ?

De tout temps, le sol a présenté des obstacles, des fossés ou des barrières ; de tout temps, cependant, les cavaleries victorieuses ont agi par grandes masses. Le terrain est un facteur commun aux deux adversaires ; mais, le tacticien saura toujours en tirer parti pour imposer, — et ne pas subir, — le combat ; pour n’engager ses troupes qu’au fur et à mesure des besoins ; pour se ménager la dernière réserve. C’est tout le secret et toute la force du mécanisme des lignes. Ce caractère du combat, joint à son instantanéité, exige de chaque chef de ligne ou d’échelon une collaboration rapide et constante. Chacun d’eux, par le coup d’œil, par l’à-propos, par la décision, doit se montrer tour à tour, dans la mesure de ses forces, un tacticien.

Or si l’aptitude au commandement est plus ou moins géniale, l’habileté manœuvrière s’acquiert. Elle est le fruit d’une longue pratique, d’une sorte de gymnastique particulière qui, en même temps qu’elle exerce l’ouvrier, façonne aussi l’instrument. Alors le mécanisme agit sans efforts, le jeu des rouages fonctionne sans frottement, la masse se meut promptement et aisément dans tous les sens. Un tel résultat ne s’obtient qu’au prix d’exercices répétés. Même les mouvemens les plus simples sont d’une exécution difficile. Tel un tireur prudent, pour porter avec sûreté un coup droit, doit se livrer à de fréquens assauts ; telle la cavalerie, pour arriver à l’instantanéité manœuvrière qui doit caractériser son action, doit être rompue à son escrime spéciale. Napoléon résumait cela d’un mot : « La tactique, disait-il, est plus nécessaire à la cavalerie qu’à l’infanterie. » Et pour expliquer cette sorte d’axiome, il ajoutait : « Ce n’est pas seulement sa vélocité qui assure son succès ; c’est l’ordre, l’ensemble, le bon emploi de ses réserves. »

Mais la cohésion, pour être complète, doit être aussi morale. On même esprit d’impulsion en avant, de solidarité, de confiance, doit animer les parties de ce vaste corps. Par un accord quasi magnétique, toutes, dès que l’objectif parait, doivent se ruer à l’attaque. Leurs efforts successifs, mais bien liés, doivent se fondre en une action commune, menée d’une seule traite, en un seul essor.

Telle était la physionomie de ces merveilleux escadrons de la grande armée, à ce point entraînés et « offensifs » qu’ils ne pouvaient apercevoir une cavalerie rivale sans lui courir sus. Leurs chefs, sans doute, étaient par éducation, par tempérament, des entraîneurs. Pourtant, ils n’étaient pas arrivés du premier coup à la sûreté de main qu’ils eurent plus tard. Sous l’impulsion de Napoléon, ils avaient appris, en dix années de guerre ininterrompues, à connaître, dans tous ses rouages, leur outil de combat. Non seulement, ils l’avaient façonné tactiquement, mais encore ils l’avaient moralement pénétré de leur esprit, de leur âme. Ils lui avaient communiqué leur ardeur et leur foi. Pas un général ou un colonel qui ne fût connu d’eux, jugé à sa juste valeur ; qui, en retour, ne fut pétri à leur guise, et n’eût placé en eux toute sa confiance.

S’il ne devait pas en être ainsi, si le lien tactique et le lien moral leur faisaient défaut, ces masses de cavalerie ne seraient plus qu’une force aveugle, ayant pour seul guide et pour seule garantie cette divinité capricieuse et décevante qu’on appelle le hasard !

Il serait téméraire, sans doute, de compter qu’on pourra complètement réaliser, dès le temps de paix, le programme d’éducation de la guerre, — mais au moins les institutions doivent-elles se rapprocher le plus possible de l’idéal entrevu. La cavalerie connaît aujourd’hui sa voie rationnelle : la tactique de masses. Elle y progresse trop lentement.

Les premiers essais remontent à 1876. À cette époque une division de cavalerie lut concentrée pour exécuter des manœuvres d’ensemble. Il s’agissait d’expérimenter le règlement paru cette même année et comportant une Instruction des corps de cavalerie composés de plusieurs armes. Mais en raison même de leur nouveauté, en raison surtout des changemens profonds que la théorie nouvelle apportait aux idées reçues, ces manœuvres ne pouvaient être et ne furent qu’une tentative rudimentaire aux résultats provisoires et restreints. L’instruction des corps de cavalerie, d’ailleurs, était encore à l’état embryonnaire. Elle se bornait à des indications générales qu’aucune règle précise ne venait pratiquement traduire. Les manœuvres s’en ressentirent. L’idée des masses réunies pour combattre n’avait pas encore pris une forme solide et arrêtée. Encore sous l’empire du trouble profond causé par la défaite, la cavalerie cherchait sa route. On hésitait à codifier des principes dont l’application avait été peu ou point étudiée. Le règlement de 1876 entr’ouvrait bien une ère nouvelle, mais il ne s’y engageait pas résolument. Dans la maison neuve, c’était la base et non le couronnement.

Cependant la physionomie des guerres futures commençait à se dessiner. Peu à peu on se dégagea des conceptions générales pour se rattacher à un objectif précis. Le règlement de 1882 consacra cette évolution. Dans l’emploi des masses de cavalerie, il fut plus radical et plus explicite ; il ne se contenta pas d’en tracer les règles générales, il indiqua les procédés d’exécution ; il créa les écoles de brigade et de division.

Mais les règlemens sont fragiles alors que leur manque la sanction de l’épreuve ; celui de 1882 devait se heurter à bien des obstacles. A beaucoup d’esprits non encore ouverts aux horizons de la guerre moderne, l’éducation tactique des masses de cavalerie semblait une utopie ; ils n’en pénétraient ni l’utilité, ni l’application. N’entrevoyant dans les combats de cavalerie que le choc de deux fronts démesurés et non l’engagement successif d’échelons accumulés, ils se refusaient à admettre qu’on pût rencontrer des terrains propices à d’aussi considérables engagemens. Enfin ils arguaient de l’impossibilité de prévoir tous les cas particuliers de la guerre pour nier l’utilité d’en réglementer quelques-uns, voire à titre d’exercice ou d’exemple. Alors que les auteurs du règlement avaient cherché à forcer tous les cerveaux à travailler, à méditer, à prévoir, on les accusait de formalisme ; alors qu’ils faisaient appel à l’initiative, qu’ils recommandaient de s’attacher surtout à l’esprit des théories nouvelles, on s’obstinait à n’en considérer que la lettre.

Quelques écrivains militaires se fondèrent même sur cette étrange confusion pour essayer d’une réaction tardive. Ils avaient d’ailleurs un rôle facile, car ils exploitaient des sentimens faits pour plaire. Ils proclamaient que cette tactique compliquée était de provenance allemande, qu’elle était opposée à nos traditions, qu’il fallait avant tout compter sur l’initiative des généraux, sur la fougue des troupes. Et ils appelaient cela la « tactique française. » — Singulière tactique que celle qui consiste à nier même son utilité propre et qui, sous prétexte d’une confiance, — à coup sûr honorable, mais vraiment trop accommodante, — dans l’inspiration des chefs et dans le cœur des soldats, semble vouloir nous ramener aux procédés héroïques, sans tenir compte des progrès accumulés. Comme si une seule arme aujourd’hui pouvait échapper à la nécessité constante de travailler et d’agir, comme si la cavalerie, particulièrement, ne combattait pas, ne vivait pas par le mouvement, par l’action ! Au fond, que réclament donc ces partisans d’une tactique aussi élémentaire ? — De dormir en paix ? La trompette allemande se chargerait de sonner le réveil !


Donc il fallait multiplier les champs d’expériences, étudier dans leurs détails ces rouages nouveaux, les faire fonctionner dans tous les sens, en un mot acquérir la pratique absolue du mécanisme ; puis, l’instrument prêt, créer des ouvriers habiles à son emploi. Tel était le but des manœuvres spéciales. Si l’épreuve a été longue, elle a été aussi concluante.

Lorsqu’en 1881, on réunit des divisions entières pour manœuvrer dans les plaines de Châlons, de Vézelise et d’Avor, ou se trouva en présence de masses dont chaque élément, pris isolément, était souple et alerte, dont l’ensemble était lourd, rigide, inerte. Pour mettre en mouvement le mécanisme complet, il fallait passer par une longue série d’efforts et de répétitions. Cependant, pendant cinq années, ces manœuvres se succédèrent ; on y convoquait sans distinction les régimens de cavalerie indépendante ou de cavalerie de corps. Un moment, on put croire que toute l’arme allait venir se retremper à ces sources fécondes et y acquérir le complément d’instruction que l’exiguïté des terrains habituels de garnison ne lui permettait pas d’atteindre. Cet espoir fut déçu. Soit que les dépenses eussent paru trop lourdes, soit que le particularisme naissant de la cavalerie eût semblé suspect, on supprima tout à coup les manœuvres spéciales. Elles reprirent, mais modifiées, en 1887.

Si cette interruption fâcheuse a été de courte durée, elle n’en a pas moins permis de mesurer le chemin parcouru. Entre les manœuvres du début et celles des deux dernières années, on a pu remarquer une différence profonde. Tandis, en effet, qu’en 1881 les généraux étaient obligés d’intervenir dans les détails même des évolutions, d’en faire répéter, pièce à pièce, les plus petites phases ; en 1888, au contraire, ils pouvaient se borner à la recherche de l’idée tactique. N’ayant plus le souci du choix des moyens, ils se préoccupaient seulement du but. La mise au point était complète. Ainsi ressort, par l’évidence même des progrès accomplis, l’utilité des manœuvres des masses. Des divisions de cavalerie qui y ont pris part, elles ont fait un outil maniable, bien emmanché, approprié à son but. En plus, elles leur ont communiqué la vitalité et l’entrain ; elles les ont amenées à ce point d’envisager avec confiance l’éventualité d’une lutte implacable avec quelque rivale que ce soit. Cette cavalerie possède à la fois l’unité d’organisation, d’éducation et de doctrine. Matériellement et moralement, elle est prête.

Mais, depuis qu’ont été interrompues, puis reprises, les manœuvres spéciales, leur caractère primitif a été dénaturé ; elles ne s’étendent plus à toute la cavalerie ; les divisions indépendantes seules y sont convoquées. Les 38 régimens répartis dans les brigades des corps d’armée en sont exclus. Voués aux seules évolutions de brigade, auxquelles succèdent des manœuvres d’armes combinées, ces régimens, au point de vue de leur préparation tactique, de leur emploi en masses, sont absolument sacrifiés. Pourtant, c’est réunis en masses qu’en guerre ils devront agir. Espère-t-on que, par un phénomène imprévu, la liaison et l’entente entre ces élémens, jusqu’alors épars, s’opéreront spontanément ? que les chefs des différentes unités se trouveront subitement à la hauteur d’un rôle nouveau ? Mais l’expérience des dix dernières années prouve surabondamment qu’une telle espérance est vaine. Pour qu’une division de cavalerie puisse intervenir efficacement dans le combat, il faut au moins qu’entre le divisionnaire et les généraux de brigade, entre ces derniers et les colonels, comme entre les régimens eux-mêmes, règnent cette habitude du même commandement, de la manœuvre commune, cette entente mutuelle, cette confiance réciproque d’où jaillira l’exécution rapide et précise. Croit-on, d’autre part, que leurs évolutions particulières suffisent à préparer les brigades à leur rôle dans le combat ? Jamais vérité ne fut moins démontrée. Exercées en dehors de toute action d’ensemble, de tout contrôle supérieur, ces brigades sont trop souvent, — il faut l’avouer, — entre les mains de généraux qui, ne provenant pas de la cavalerie, recherchent dans les évolutions un sujet d’étude et n’y voient que matière à leur instruction personnelle. Et ceux mêmes qui sortent de l’arme, après quelques années de cet exil, loin du centre de tout mouvement et de tout progrès, finissent par perdre leur force d’impulsion ; heureux encore quand ils ne sont pas réduits à voir leurs escadrons servir de champ d’expériences à des innovations inutiles, sinon nuisibles. Ce ne sont pas là des argumens imaginés pour les besoins d’une cause. On se souvient encore, dans la cavalerie, qu’un ministre de la guerre[8] fut obligé de rappeler certains commandans de brigades à une observation stricte des règlemens. Enfin, l’essai retentissant qui fut fait, il y a cinq années[9], d’une tactique toute spéciale d’exploration et de sûreté, prouve à quels dangers peut être parfois exposée cette unité de doctrine que nous avons achetée au prix de tant d’efforts ! Les officiers de l’arme qui suivirent ces manœuvres parlent encore avec amertume de la contrainte qu’ils subirent, alors qu’obligés de se plier sans réserve aux barèmes d’entraînement, aux graphiques d’exploration, à tout cet échafaudage scientifique qui leur était imposé, ils se voyaient réduits à l’état de rouages inconsciens d’un mécanisme strictement réglé. Tout esprit d’entreprise, toute velléité d’initiative, tout ce qu’il y a de généreux et de vibrant dans le cœur des cavaliers avait été étouffé sous cette codification étroite. Malgré la rigueur qu’avait mise à l’appliquer celui-là même qui en avait été l’inventeur, le système échoua. Mais jamais n’avait éclaté d’une manière plus frappante la nécessité de mettre la cavalerie sous la protection d’institutions fixes, de rompre avec une organisation qui laissait la porte ouverte à de telles entreprises.

Quant aux évolutions des brigades de corps, il suffirait le plus souvent de constater dans quel état d’esprit elles laissent les officiers qui y prennent part pour avoir de leur valeur une juste idée. Au retour, c’est un concert de récriminations et de plaintes, c’est une expression générale de lassitude et d’ennui, sinon une irritation voisine de l’indiscipline. Que dire de manœuvres qui peuvent produire de tels résultats ? L’opinion s’égare parfois ; elle peut trop facilement adopter des idées nouvelles, audacieuses, et par cela séduisantes ; mais qu’importe ! si de cet enthousiasme passager naît une énergie nouvelle. L’excès se corrige et l’équilibre se rétablit. Mais quand l’indifférence, le découragement, le mécontentement, succèdent à l’ardeur et à la foi, le mal est incurable. Les médications ordinaires ne suffisent plus : il faut changer d’air et de climat.

En somme, l’éducation actuelle des brigades de corps vient accentuer le malaise produit par leur organisation ; à un vice de forme elle ajoute une erreur de direction. À ce point défectueuses, l’organisation et l’éducation n’ont pas seulement pour effet de priver les troupes de l’aptitude tactique ; elles leur refusent encore l’aptitude morale. Aux débuts d’une guerre, les masses formées de ces élémens disparates et anémiés manqueraient à la fois de vigueur, d’habileté et d’âme.

On a coutume de tenir grand compte, en France, de ce qui se passe de l’autre côté des Vosges. Ce n’est pas sans raison ; car, outre que nos adversaires se sont depuis près d’un siècle étroitement attachés — avec une persévérance et un esprit de suite vraiment remarquables — à consolider et à améliorer leurs institutions militaires, aucun de leurs faits et gestes ne doit nous laisser indifférens. Un mouvement de leur part détermine un mouvement de la nôtre, tout comme une attaque appelle une parade. Aussi l’organisation de leur cavalerie a pu servir, en apparence, à justifier celle de la nôtre. La cavalerie allemande est bien, en effet, répartie sur l’ensemble du territoire, et la plupart de ses régimens sont rattachés administrativement aux divisions d’infanterie. Mais cette distribution, purement territoriale et administrative, pour défectueuse qu’elle soit, n’entraîne pas du moins une division correspondante dans l’éducation et l’emploi. Il n’y a pas, comme en France, deux espèces distinctes de cavalerie. Tous les régimens sont imbus du même esprit et reçoivent la même éducation ; tous participent à l’unité d’instruction et de doctrine. La notion de notre infériorité, sous ce rapport, n’a pas échappé à la presse allemande, toujours en éveil. Dès le mois de septembre 1885, la Gazette de Cologne émettait cette appréciation qui résume assez nettement les inconvéniens de notre système : « La réunion de douze régimens, au camp de Châlons, paraît trop mesquine ; car, en n’exerçant pas annuellement une plus forte fraction, six années seront encore nécessaires à la cavalerie française pour la mettre en état de concourir intelligemment à l’œuvre de la revanche. » Quelle qu’en soit la provenance, le conseil est d’autant plus à méditer qu’en ce moment même les Allemands préparent la constitution permanente de deux nouvelles divisions de cavalerie en Silésie et en Alsace. Tous leurs régimens, d’ailleurs, sont exercés, d’après des méthodes uniformes, au même rôle et au même emploi.

C’est que bien avant nous, et plus méthodiquement, la cavalerie prussienne avait parcouru la série des études et des expériences. Ayant traversé les mêmes incertitudes, elle était arrivée aux mêmes conclusions.

Un ouvrage documentaire, — remarquable recueil où sont enregistrés les efforts et les progrès de l’arme (l’Histoire de la cavalerie prussienne de 1806 à 1876), — permet de suivre, pas à pas, cette lente évolution. Les premières manœuvres de masses datent de 1843. Le maréchal Wrangel, le plus renommé parmi les généraux de cavalerie de l’époque, en eut la direction. Il conclut « à l’impuissance des corps de cavalerie non exercés aux manœuvres d’ensemble. » L’expérience, plusieurs fois renouvelée, confirma son opinion : « Il me paraît indispensable, écrivait-il, de former des corps de cavalerie dès le temps de paix et de les exercer tous les ans[10]. » Après 1866, Frédéric-Charles, l’élève de Wrangel, et son successeur à la tête de la cavalerie prussienne, reprit son œuvre. Il professait l’opinion qu’il manquait surtout à la cavalerie, pour être à la hauteur de sa mission, « une préparation suffisante pour l’emploi en grandes masses. »

Malgré son influence et son activité, cette arme n’était pas encore prête en 1870. Et si elle fit preuve d’initiative et d’intelligence dans les services d’exploration et de sûreté, elle fut absolument au-dessous de sa tâche sur les champs de bataille. Tous ses historiens le constatent, non sans amertume : « Les rameaux de laurier qui se penchaient vers la cavalerie prussienne, écrit l’un d’eux, ne purent être cueillis, non qu’on manquât de bonne volonté, mais parce que l’habileté nécessaire aux chefs et aux troupes faisait défaut[11]. » — « les attaques de la cavalerie allemande, écrit un autre, ne furent pas entreprises en grand et ne pouvaient l’être, parce que les conditions essentielles manquaient, tant au point de vue des chefs qu’au point de vue de la facilité de manier l’instrument[12]. »

L’œuvre de régénération fut vigoureusement reprise après la guerre. Les manœuvres de 1873, 1874 et 1875, exécutées par des divisions entières, eurent pour principal objectif le mécanisme de l’action d’ensemble. Elles aboutirent au règlement de 1876, contenant des règles fixes pour l’emploi des masses. Quelques mois après paraissait notre règlement qui, lui aussi, présentait une codification nouvelle des écoles de brigade et de division. Chez les deux cavaleries rivales, le même travail d’enfantement aboutissait, à la même époque, au même point. Quant au singulier reproche, adressé aux auteurs du règlement français, d’avoir imité les procédés allemands, il tombe de lui-même, si l’on considère que ces derniers sont le fruit de plus de quarante années de recherches et de travaux ininterrompus, sous une autorité toujours stable et respectée, et chez une nation où toutes les considérations politiques ou sociales sont subordonnées à l’idéal d’une organisation militaire puissante et souveraine.

La conclusion s’impose : il est temps de soustraire la cavalerie de corps à une organisation et à une éducation défectueuses. Et si l’on doit procéder par réformes successives, la plus urgente consistera à réunir annuellement ces brigades en divisions de manœuvres, pour les préparer à la première et essentielle partie de leur rôle à la guerre, à la tactique des masses ; sinon on peut légitimement redouter que, constituées aux débuts mêmes d’une campagne, ces divisions nouvelles ne soient capables de rendre des services qu’au moment où il serait trop tard pour en profiter.


Ainsi, la première phase d’éducation de la cavalerie à la tactique de masses constitue une période d’entraînement, d’exercice, d’escrime du combat. Pour cette répétition à peu près mécanique, on devra rechercher des terrains doux, élastiques, pas trop accidentés, sur lesquels, sans fatigue pour les chevaux, sans danger pour les cavaliers, on pourra recommencer, autant qu’il sera nécessaire, l’exécution des mêmes mouvement Le camp de Châlons avec sa superficie de 13,000 hectares, ses ondulations lentes, son sol également bon par la pluie ou le soleil, est le module des « camps d’instruction. » Une telle expression, — évoquant l’idée de ces réunions surannées et stériles dont la dure expérience a condamné les erremens, — pourrait à juste titre paraître suspecte, si cette première préparation n’était elle-même le prélude d’une éducation plus substantielle, dans laquelle la cavalerie préalablement entraînée, devenue manœuvrière et alerte, pourra, dans des conditions analogues à celles de la campagne, s’exercer à son emploi à la guerre.

Alors le moment sera venu de placer ces masses en terrain varié, de les faire marcher, cantonner, vivre, s’éclairer, prendre le contact et combattre. Ce sera l’objet d’une deuxième période, exécutée en dehors du camp, et qui constituera le couronnement nécessaire des manœuvres spéciales. L’application succédera à la préparation. Mais autant la préparation exigeait de méthode, de ménagement et de sollicitude, autant l’exécution impliquera, avant toute autre considération, l’accomplissement habile et vigoureux de la mission reçue, la recherche exclusive de l’idée tactique.

En 1888, au camp de Châlons, le programme des manœuvres comprenait cinq journées d’opération en terrains variés. A la dernière heure, ce projet fut abandonné, l’état peu avancé des récoltes ne permettait pas de le mettre à exécution. Les considérations économiques prirent le dessus. On craignit qu’en face de cette irruption de masses de cavalerie, quelque reporter classique n’évoquât le souvenir des hordes d’Attila dévastant les champs catalauniques ! Cette année on a pu reprendre et appliquer cette deuxième partie des manœuvres ; les résultats obtenus permettent d’espérer qu’à l’avenir, développée et agrandie, elle succédera toujours à la première, tenant lieu à la fois d’épreuve et de sanction.

Pour bien marquer l’importance qu’ils attachaient à cette phase particulière des manœuvres spéciales, les Allemands ont pris soin d’en inscrire l’exécution dans leur Règlement sur le service de campagne : « Si plusieurs divisions doivent manœuvrer simultanément, on établit le programme des manœuvres de manière à joindre aux manœuvres mêmes de cavalerie des exercices du service d’exploration et du service de sûreté à grandes distances et sur un front étendu, dans des conditions analogues à celles qui se présenteraient en temps de guerre pour les divisions de cavalerie appelées à devancer les armées[13]. »

En résumé, le programme des manœuvres spéciales de cavalerie ne sera complet qu’à la condition de comporter deux périodes : l’une de préparation dans l’intérieur d’un camp, l’autre d’exécution en terrain varié. Ainsi exercé et éprouvé, l’instrument est prêt. Il reste à le livrer aux ouvriers qui auront charge de l’utiliser. En dehors de l’ensemble, sous l’œil de chefs compétens, la cavalerie s’est longuement et méthodiquement préparée : elle sait éclairer, couvrir, combattre. Il s’agit de la faire rentrer dans le concert, de la restituer aux armées. Ce sera l’objet d’une troisième période pendant laquelle elle prendra part aux grandes manœuvres d’armes combinées. Mais ici, nous abordons un sujet agrandi et nouveau. Il nous faut en esquisser le plan général avant d’y adapter le cadre particulier de la cavalerie.


Au point de vue de la guerre, les grandes manœuvres doivent constituer une triple préparation : physique, morale, intellectuelle. De ces trois conditions, les deux premières sont naturellement remplies : elles résultent de l’exécution même des manœuvres et s’accomplissent, pour ainsi dire, ipso facto.

Quel que soit le bénéfice technique qu’on en retire, les manœuvres produisent, en effet, une amélioration matérielle et constante : l’entraînement et la cohésion d’élémens qui, jusqu’alors, n’avaient pas été réunis ; la mise au point mécanique d’une agglomération d’hommes s’accoutumant, dans des circonstances spéciales, quoique bien éloignées encore de celles d’une campagne, à remplir régulièrement les trois fonctions primordiales de la guerre : marcher, vivre, dormir.

L’avantage moral est non moins évident. C’est dans ces rassemblemens périodiques que les differens rouages des fortes unités de combat s’agencent et fonctionnent en vue d’une action commune. Ainsi réunies, entrevoyant le but, confondant leurs efforts, ces troupes, hier dispersées et indifférentes, comprennent alors leur admirable solidarité. L’enthousiasme et la confiance leur viennent au cœur quand s’ébranlent les colonnes profondes, quand se déploient les longues lignes, quand s’illuminent les armes et que s’élèvent, en leur troublante harmonie, le grondement du canon et le crépitement des fusils ; quand tout enfin leur révèle la poésie entraînante du combat. Mais est-ce bien là le point essentiel ? Est-ce dans la répétition purement mécanique d’une scène jamais rénovée que se formera le puissant instrument capable de ramener la victoire sous nos drapeaux ? Cette double préparation encore ne suffit pas. Les forces physiques et morales n’auront toute leur valeur et tout leur effet qu’à la condition d’être mises en jeu et dirigées par une -force intellectuelle et supérieure ; en d’autres termes, à la vigueur et au courage doit s’ajouter l’habileté du commandement. — Au-dessus des muscles et du cœur est le cerveau.

Or, si l’entraînement et la cohésion sont des résultantes quasi obligées, le progrès intellectuel, lui, ne peut jaillir que d’un travail incessant et d’un effort continu. Constamment, il doit adapter la stratégie au caractère des guerres futures, et maintenir la tactique au niveau des progrès sans cesse renouvelés. Car, si la stratégie amène les ennemis en bonne position pour livrer bataille, la tactique seule utilise les forces amassées, tranche le nœud gordien habilement noué. L’accord de ces deux facteurs est indispensable au succès ; les plus hautes combinaisons théoriques resteraient sans effet, si le développement régulier des opérations, si la précision des mouvemens ne leur apportaient une sanction matérielle. De nos jours, la tactique acquiert une influence d’autant plus prépondérante que les guerres, accomplies à coups de chiffres et non plus avec les jambes des soldats, renferment pour ainsi dire la stratégie dans cette idée simple d’une accumulation rapide. En 1870, cette puissance de concentration, cette justesse et cette sûreté de manœuvre furent le procédé caractéristique de nos adversaires. Grâce à elles, les armées allemandes purent s’avancer régulièrement, méthodiquement, à la conquête de notre territoire, sans qu’une grande pensée stratégique eût présidé à cette sorte de poussée brutale. Il faut tenir compte d’enseignemens aussi clairs, envisager nettement l’avenir, et bien nous persuader que lorsque 50,000 hommes évolueront avec la même souplesse et la même précision que pouvait le faire, autrefois, une simple brigade, alors seulement l’armée moderne sera à la hauteur de sa mission. Quand on a compris cela, on découvre tout de suite quel est le rôle et quel aussi le point faible de nos grandes manœuvres actuelles. Ce rôle, c’est l’éducation tactique du haut commandement ; ce point faible, c’est qu’on n’exécute pas sur une assez grande échelle les manœuvres de masses.

La tactique des masses, nous l’avons déjà dit, est un résultat direct et inéluctable de la guerre de masses. C’est un ordre d’idées nouveau, mais essentiel ; il serait peu prévoyant d’en méconnaître la portée. L’évolution est aujourd’hui complète ; il n’y a plus à la discuter, mais seulement à l’étudier.

Lorsque furent élaborées, en 1881, les premières règles relatives aux manœuvres d’automne, l’idée de cette tactique de masses n’avait évidemment pas assez mûri. On ne pouvait, sans une certaine hésitation, abandonner un ordre de choses étudié, connu, pour s’aventurer de plain-pied sur un terrain inexploré. Au seuil de la guerre nouvelle, on se rattachait encore à ce qui surnageait du passé. Ce qui s’était produit pour la cavalerie se produisit avec plus d’amplitude pour toute l’armée. Une certaine confusion devait s’établir et s’établit entre les évolutions qui sont le mécanisme régulier des différentes formations, et la manœuvre qui est l’emploi tactique de ces formations. Aussi, dans l’incertitude où l’on était de poser des règles précises pour le maniement des grandes masses, on prit le parti de décorer du nom de « manœuvres » les mouvemens exécutés par des unités secondaires, sans tenir compte que dans les guerres futures, les unités inférieures aux corps d’armée, n’ayant que très exceptionnellement à jouer un rôle spécial et isolé, se borneraient presque toujours à évoluer.

Ces règles, en effet, portaient que chaque année : « Un tiers des corps d’armée de l’intérieur devrait exécuter des manœuvres de brigade, un second tiers des manœuvres de division, et les six autres corps des manœuvres d’ensemble. » Ces prescriptions sont restées stationnaires ; la dernière même n’a pas été observée. Deux corps d’armée seulement exécutent, en effet, des manœuvres d’ensemble ; sur tout le reste du territoire, on s’en tient aux manœuvres de brigade et de division. Et cependant quel peut être désormais le rôle de ces dernières unités, sinon celui de simples comparses, noyés dans le flot montant des nombres infiniment agrandis ! Dans les effectifs considérables des armées modernes, les différens élémens de combat ont, en effet, perdu leur ancienne et relative valeur. Tout est réduit des trois quarts, et la division, qui, sous le premier empire, apparaissait comme une unité tactique essentielle, ne semble plus destinée à sortir d’un rôle subordonné et secondaire[14]. Quant à la brigade, elle disparaît complètement dans l’amplitude de l’ensemble. Seul, le corps d’armée, quoique presque toujours encadré, reste une unité cohérente et forte, seul il peut jeter dans la bataille un appoint personnel et puissant ; seul cependant, il n’est réuni et exercé qu’à l’état d’exception !

il est temps d’aborder on ordre d’idées plus rationnel et plus fécond, de reléguer les manœuvres de division et, de brigade au second plan, dans le cadre des manœuvres de garnison. Elles sont accessoires et dépendantes ; elles doivent servir de prélude et non de but. Le décret de 1831 n’a plus sa raison d’être ; il faut lui en substituer un autre, dans un esprit nouveau, et donner pour premier objectif aux manœuvres d’automne : l’Éducation tactique du corps d’armée. En même temps on doit chercher à constituer, dans le cercle des grandes manœuvres, si restreint qu’il soit, une plus large et plus solide école du haut commandement.

Il est hors de doute, en effet, que c’est là une occasion unique d’exercer les généraux à leur rôle futur. Simples exécutans dans ce vaste concert, les officiers de troupes y jouent leur partition pour ainsi dire par cœur ; à peine les colonels aperçoivent-ils le chef d’orchestre ! Mais les généraux qui toute l’année sont restés dans la coulisse doivent ! à leur tour entrer en scène, ils sont les personnages de la pièce ; ils en détiennent les rôles principaux. Encore doivent-ils répéter ce rôle dans les conditions mêmes où ils seront appelés à le jouer.

Si les nombres ont grandi, en effet, le champ d’action des unités de combat a proportionnellement diminué. Dans la concentration très, dense qu’on entrevoit pour l’avenir, les intervalles se resserrent et chaque groupe apparaît fortement encadré. Les fronts de combat des corps d’armée sont doublement réduits, et par la nécessité de mettre en jeu de formidables effectifs, et par celle d’opposer à des feux plus destructeurs, à une défensive plus puissante, une série d’efforts, multiples, rapides, mais successifs, une sorte de crescendo offensif qui, du début au dénoûment, ne permet pas à l’adversaire de se ressaisir. Pour ces unités, le combat gagne en profondeur ce qu’il perd en étendue du front.

Sans entrer dans des considérations stratégiques qui évidemment reposeraient sur des- données fantaisistes, on peut cependant supposer que les années modernes se composeront, en moyenne, de quatre à cinq corps d’armée, formés sur deux lignes ; c’est-à-dire qu’elles présenteront une première ligne de trois ou quatre corps d’armée. Dans ces conditions, il est difficile d’admettre que ces unités continuent, aux grandes manœuvres, d’occuper des fronts de combat supérieurs à 4 ou 5 kilomètres. A quelle hypothèse de guerre un tel développement pourrait-il correspondre, et quel chef d’armée serait capable de diriger l’ensemble d’opérations aussi démesurément étendues ? — Ce n’est pas là une éducation tactique rationnelle. Pour rentrer dans les conditions de la prochaine guerre, il faut supposer le corps d’armée encadré, faisant partie d’un ensemble, et ramener le développement de son front de combat à 3 ou 4 kilomètres. Si l’on manœuvre avec aisance sur cet espace restreint, alors on se montrera un tacticien, non du passé, mais de l’avenir ! Du même coup, il faut enfermer dans la collection des exercices du Champ de Mars les manœuvres avec ennemi figuré par des fanions, ou représenté par des groupes à effectifs considérablement réduits. Ces lignes ou ces colonnes factices se meuvent et se forment avec une aisance et une rapidité invraisemblables. Jamais elles ne produisent un effet correspondant à leur valeur de convention. Trompées elles-mêmes, elles trompent l’adversaire, faussent les idées sur la portée de la menace, sur l’étendue du front de combat, sur la durée de la manœuvre. On peut s’en servir avec fruit dans les manœuvres préparatoires (que nous appellerions plus volontiers évolutions) en les réduisant au rôle de simples plastrons. Mais quand des corps d’armée sont réunis, — on sait au prix de quels sacrifices, — ce n’est plus pour confectionner ces petits tableaux de convention, c’est pour faire utile et grand.


Alors quel programme nouveau permettra d’aborder les manœuvres d’automne dans les conditions les plus rapprochées de la guerre, de les mettre, pour ainsi dire, au point moderne ?

A grands traits on peut l’esquisser ainsi.

Une première période, dite préparatoire, comprendrait les marches et combats des régimens, brigades, divisions, et servirait en même temps à la concentration de ces différens groupes. Ainsi, le premier jour, les deux régimens de la même brigade, opposés l’un à l’autre, exécuteraient une marche d’approche et livreraient un combat d’avant-garde. A l’issue de la journée, ils se trouveraient naturellement concentrés. Doux exercices analogues réuniraient successivement les brigades en divisions, et les divisions en corps d’armée. Cette période durerait de quatre à six journées.

La deuxième période dite essentielle serait uniquement consacrée aux manœuvres d’ensemble des corps d’armée. Deux corps limitrophes, concentrés dans les conditions précédentes, accompliraient, opposés l’un à l’autre, une série d’opérations d’une durée de cinq à six jours, puis, réunis sous le commandement d’un général d’armée, exécuteraient des manœuvres combinées : marches d’approche, déploiemens, changemens de fronts, etc. Et pour donner à cette période une consécration efficace, en même temps que pour en retirer des enseignemens durables, les membres du conseil supérieur de la guerre y seraient convoqués comme arbitres. Réunis, à la fin de la journée, dans des sortes de conférences du plus puissant intérêt, ces futurs chefs de nos armées de campagne pourraient dès lors échanger leurs observations et leurs idées, mettre en commun leur expérience et rédiger, pour la conduite des opérations de guerre, un corps de doctrine qui, aujourd’hui, nous fait encore défaut.

Ainsi conçues et appliquées, les manœuvres d’automne présenteraient le triple avantage d’exercer les troupes dans les conditions les plus rapprochées de celles de la guerre, c’est-à-dire, par une série de manœuvres à double action, de réaliser l’éducation tactique des corps d’armée et de former les futurs chefs d’armée à l’école de commandement.

Les manœuvres du 6e corps, exécutées cette année, ont d’ailleurs été une première et éclatante manifestation de l’idée nouvelle de la tactique des masses. Sans doute un tel système ne saurait être généralisé, car les dépenses dépasseraient les prévisions budgétaires. Mais il suffirait de l’appliquer, chaque année, à deux corps d’armée limitrophes. En même temps, si l’orientation était définitivement changée, si les manœuvres actuelles de divisions et de brigades, réduites à leur juste valeur, étaient transformées en évolutions destinées à préparer ces unités secondaires à leur rôle intérieur dans le corps d’armée, il serait possible d’y réaliser quelques sérieuses économies. En somme, en ajustant le cadre des manœuvres aux proportions nouvelles de la guerre, en n’attribuant à chaque unité que la part d’indépendance et le rayon d’action qui lui reviennent, il y aurait méthode là où il y a fantaisie, coordination où il y a diffusion, progrès où il y a stagnation. L’économie serait générale et le bénéfice immédiat : on ne perdrait ni temps ni argent à répéter une pièce qu’on ne jouera jamais ; au lieu de tourner en un cercle, sans but, on suivrait la ligne droite.


Dans ce cadre général, quelle place sera réservée à la cavalerie, quelle part d’action lui sera attribuée ? Le principe de la tactique de masses rejette comme une conception trop étroite et comme une pratique démodée le rattachement accoutumé, dans les manœuvres, d’une brigade de cavalerie au corps d’armée, d’un régiment à une division, de deux escadrons à une brigade. Ce sont là les formes usées d’un ordre de choses terminé. Il faudrait remonter aux premières guerres de la révolution pour retrouver l’exemple d’un pareil morcellement. Alors le système divisionnaire était en vigueur. Les régimens de cavalerie, répartis par détachemens dans toute l’armée, participant à la gloire ou à l’effacement des divisions auxquelles ils étaient attachés, étaient bien capables d’enrichir leurs annales de hauts faits individuels, mais ils étaient impuissans à produire un résultat généralisé et décisif. Le génie de Napoléon opéra la condensation de ces clémens épars, et désormais, en une sente intervention sur les champs de bataille, la cavalerie du premier empire pendit plus de services et récolta plus de gloire que n’avaient pu le faire, en dix années de combats partiels, les héroïques régimens qui avaient servi à la former.

Aujourd’hui, l’idée ne viendrait à aucun général de flaire à la guerre un emploi ainsi divisé de la cavalerie. Il est dûment reconnu ; et admis qu’elle serait réunie en fortes masses. Cependant on continue de l’exercer par petits corps. Personne ne croit plus à l’action des brigades ou des régimens accolés à l’infanterie, et tout le monde paraît trouver naturel qu’on continue de les organiser et de les instruire dans ces conditions. De cette étrange contradiction entre les moyens et le but, nous avons en vain cherché les motifs. Craindrait-on, en enlevant la cavalerie des corps d’armée, de retirer en même temps aux généraux qui les commandent la faculté de s’exercer à leur maniement ? Mais ils n’auront à s’en servir que dans des circonstances exceptionnelles. En règle, les commandans d’armée, seuls, devront employer les régimens, groupés en cavalerie d’armée. Encore se montreront-ils disposés à lui laisser une indépendance complète dans le choix des moyens, à lui indiquer seulement la mission générale, le but ; sinon ils paralyseraient son action ; sous prétexte d’en tirer meilleur parti, ils se priveraient des bénéfices qu’elle pourrait, libre et sans entraves, leur procurer. Aussi bien il n’est pas besoin, pour cela, qu’ils pénètrent dans les détails de l’instruction de l’arme. Est-ce que, dans un concert, le chef d’orchestre a la prétention d’enseigner tous les instrumens ? Le plus souvent, il ne connaît la pratique que d’un seul de ces instrumens ; mais il sait les faire intervenir, tour à tour, dans l’ensemble, — et de leur accord, de leurs notes successives ou mêlées, il obtient l’harmonie. Il dirige et n’instruit pas l’orchestre. De même un général, avec les interventions successives ou simultanées de toutes les armes, livre sa bataille. En somme, un chef d’armée doit savoir employer la cavalerie, — tel Napoléon ; — un chef de cavalerie doit l’entraîner et la conduire, — tel Murat. Pourtant les manœuvres des 9e et 3e corps, en 1887 et 1888, — dans lesquelles des brigades furent constituées en divisions, — semblent marquer un essai de retour vers un ordre d’idées plus fécond et plus rationnel. Mais à ces divisions provisoires, formées la veille même de leur emploi, il manquait, et un commandement solidement constitué et une préparation suffisante pour l’action d’ensemble ; il manquait la période d’assouplissement tactique que, seules, des manœuvres spéciales auraient pu leur offrir. Entre ces différentes unités agglomérées, mais non cohérentes, l’entente devait faire et fit défaut. Chefs et troupe n’avaient pas eu le temps de se connaître, de se souder, que déjà les manœuvres étaient terminées. La dislocation s’opéra avant même que la liaison eût commencé. Et l’on put à juste titre s’étonner de l’emploi incertain qui fut fait de cette cavalerie, de son inaction ou de son intervention exagérée ; en somme, de son impuissance.

Depuis trois années, les Allemands sont entrés résolument dans une meilleure voie. Leur cavalerie n’aborde les manœuvres en liaison avec les autres armes qu’après avoir été exercée à l’action d’ensemble dans sa double manifestation tactique et stratégique. Les ordres du cabinet du 24 février 1887, du 16 février 1888, du 9 février 1889, relatifs à l’exécution des grandes manœuvres, ont en effet prescrit, pour la cavalerie, la division des opérations en deux périodes : une période de manœuvres spéciales de cavalerie, une période de participation aux manœuvres d’armes combinées. Ce programme a été strictement exécuté. En 1887, les troupes de cavalerie stationnées dans le Ier et le 2e corps, après avoir été, pendant dix jours, rassemblées en brigades et en divisions exercées à la tactique d’ensemble, ont ensuite pris part aux manœuvres impériales. La même progression a été observée, l’année suivante, pour les régimens de cavalerie de la garde et ceux stationnés dans le 3e corps. Enfin, en 1869, les deux divisions de cavalerie, formées dans les 7e et 10e corps, marchèrent avec leur corps d’armée dans les manœuvres exécutées devant l’empereur.

Les efforts de cette cavalerie rivale ne se bornent pas d’ailleurs à l’exécution stricte des programmes officiels. Loin d’assister en spectatrice inactive aux manœuvres d’armes combinées, loin de craindre de s’y compromettre en jouant un rôle trop accusé, elle s’efforce au contraire, par tous les moyens et sous toutes les formes, de ressaisir le rôle traditionnel et glorieux de la cavalerie frédéricienne. C’est ainsi qu’aux manœuvres impériales de 1888, exécutées aux environs de Berlin, on a pu Voir les deux divisions de la garde et du 3e corps, — soit 60 escadrons[15], — réunies sous un commandement unique, intervenir sur le champ de bataille, par une action en masses, d’abord contre la cavalerie adverse figurée, puis contre l’infanterie. Ces deux charges eurent lieu dans la même journée. On peut trouver qu’elles indiquent un excès d’audace assez explicable quand manque le facteur des balles dans les fusils. Mais la seule progression de ces opérations prouve une conception nette de la tactique de l’arme ; car c’est après s’être débarrassée de sa rivale, que la cavalerie pourra seulement attaquer l’infanterie. Il en ressort surtout un généreux mouvement d’impulsion en avant, un désir manifeste de revendiquer une part d’action trop longtemps abandonnée. Qui, en la cavalerie allemande d’aujourd’hui, exaltée, surchauffée, « mordante, » reconnaîtrait cette arme dont Napoléon pouvait dire : « Les Allemands ne savent pas se servir de leur cavalerie ; ils craignent de la compromettre ; ils l’estiment au-delà de ce qu’elle vaut réellement ; ils la ménagent trop. » Et l’opinion, en Allemagne, accompagne et soutient les prétentions de la cavalerie. Contrairement à l’avis, trop répandu en France, qu’on ne peut employer utilement en campagne de grands corps de cette arme, on se montre plein de confiance, de l’autre côté des Vosges, en la tactique de masses. L’enthousiasme que suscitèrent ces dernières manœuvres eut un écho retentissant dans la presse allemande ; la Gazette de la Croix, avec un peu plus d’orgueil que de compétence, fit même remarquer, « que depuis la guerre de sept ans, on n’avait jamais réuni d’aussi grandes masses de cavalerie sous une direction unique. » Cela peut être vrai pour l’Allemagne ; pour nous, c’est inexact.

Ce que nous contemplons, en effet, dans ces tendances, d’une cavalerie rivale, c’est simplement un retour à nos propres traditions. Après Frédéric ? et plus efficacement encore, c’est Napoléon qui a été l’éducateur de la cavalerie prussienne. Battue par ses escadrons, au moment même où elle se croyait le plus puissante, elle lui a emprunté et ses principes et ses procédés. Ils ne sont ni obscurs ni compliqués. C’est avant tout une organisation rationnelle, appropriée à la guerre. D’une part, une immense réserve de cavalerie ; de l’autre, des groupes d’effectifs variables distribués entre les différentes unités agissantes de l’armée. La réserve de cavalerie est toujours massée, d’abord par divisions entières, puis, l’objectif grandissant, par corps spéciaux. En 1805, elle comprend cent vingt-huit escadrons[16] ; en 1807, cent soixante-dix[17]. En 1812, constituée en quatre corps de deux ou trois divisions chacun, elle présente le total formidable de plus de deux cents escadrons[18]. Cette réserve, c’est la part du généralissime. Napoléon seul en dispose. Il donne les indications générales. Murat ou Bessières, et au-dessous d’eux Kellermann, Lasalle, Montbrun, Nansouty, Milhaud, Colbert, exécutent. En dehors de ces fortes masses, le reste de la cavalerie est réparti entre les différens corps, non plus d’après une formule empirique et abstraite, mais d’après les rôles attribues à ces corps, et selon qu’ils sont plus ou moins encadrés, plus ou moins agissans. En 1806, les huit corps de la grande armée ont à leur disposition les uns deux, les autres trois, les autres quatre régimens de cavalerie. En 1809, la distribution est plus nettement appropriée : les corps de Bernadotte et de Lefebvre ont chacun cinq régimens ; ceux d’Oudinot et de Masséna, la moitié d’un seulement[19]. D’ailleurs, cette distribution était encore provisoire ; elle variait avec les circonstances de guerre. Plusieurs fois, dans une même campagne, l’empereur puisait dans la réserve pour augmenter les ressources en cavalerie de tel ou tel corps ; inversement, il prenait, dans les corps, des régimens pour grossir la réserve[20].

Dans le commandement, dans l’emploi comme dans l’organisation, le même esprit pratique domine. Napoléon voulait toujours, à la tête de la cavalerie, des chefs jeunes encore, ayant gardé intacte cette impulsion ascensionnelle que donnent l’ambition et le goût de la gloire réunis. Les plaçant toujours dans les meilleures conditions pour vaincre, il leur inculquait ainsi cette confiance en la puissance de leur arme, cette résolution et cette audace qu’eux-mêmes ensuite communiquaient à leurs troupes. C’était toute cette pléiade de brillans généraux dont les noms éclatent comme une fanfare prestigieuse dans les annales de notre cavalerie.

Dans l’emploi, le principe de la concentration régnait, imposant l’action en masse et la tactique de décision. À cette idée maîtresse, Napoléon subordonne tout : le cantonnement et l’alimentation, la conservation des hommes et des chevaux. Le but tactique seul domine. Il veut obtenir de sa cavalerie des effets généralisés et décisifs, et, par ce procédé, il les obtient. En fin de compte, il se trouve que tout le monde y puisait gloire et profit.

Sans doute on ne peut espérer de faire revivre, en temps de paix, les institutions du temps de guerre, ni surtout d’en retirer un égal bénéfice. L’état de campagne implique un mouvement, une sélection, qui s’opèrent d’eux-mêmes, sollicités par le développement naturel des opérations. Mais au moins doit-on s’efforcer de se rapprocher du but.

Par ses traditions, — les plus belles qu’une nation militaire puisse revendiquer, — par son tempérament, par la passion de la gloire, par le goût des aventures et le mépris du danger, le Français est né cavalier. Que manque-t-il à nos escadrons pour être à la hauteur des exigences multiples et agrandies de la guerre moderne ? — Simplement ceci : une organisation et une instruction correspondant à leur emploi.

Dans les 74 régimens répartis sur le territoire, 36 seulement jouissent de ce privilège, cependant inaliénable, d’être constitués et préparés au point de vue de leur rôle en campagne. Les 38 autres stationnent dans une situation ambiguë, dans des pratiques surannées ou superflues, sans orientation définitive, sans objectif précis, sans idéal, sans loi. Exclus de la famille, il leur manque à la fois la force matérielle et la force morale. Il est temps de les émanciper, de leur rendre la place au foyer et à la lumière. En somme, cela revient à constituer, dès le temps de paix, les groupemens prévus pour les brigades de corps et à les exercer, — comme on le fait pour la cavalerie indépendante, — à leur rôle tactique, à l’action d’ensemble.

Plus on considère, en effet, l’organisation existante, plus en éclate l’incomparable illogisme. — Partout on en voit les inconvéniens et nulle part les avantages. Ni la répartition, ni l’éducation qui en résultent ne correspondent au but, à l’emploi en campagne. Elle compromet à la fois la rapidité de concentration et la solidité du commandement ; elle laisse la moitié de notre cavalerie languir dans un isolement et une stagnation funestes, exposée à toutes les fantaisies, à tous les hasards ; elle lui retire, avec la cohésion, la vitalité et la confiance ; elle la prive de l’aptitude tactique et de l’aptitude morale. En regard, ses avantages sont nuls ou illusoires. Ni au point de vue du budget, ni au point de vue de la mobilisation, elle ne procure un bénéfice sérieux. Sauf les états-majors des divisions, tous les élémens du commandement existent ; il n’y aurait qu’à les grouper. Enfin, l’organisation de la cavalerie territoriale est absolument indépendante de celle de la cavalerie active. Aucune bonne raison ne peut donc la justifier. D’un trait de plume, sans perturbation, sans dépenses, on pourrait rendre à cette partie anémiée et découragée la vitalité et l’énergie. A la tête de ces divisions nouvelles, il faudrait constamment maintenir des chefs ardens, convaincus de la grandeur de leur mission, de la possibilité de la remplir ; au-dessus de tous, enfin, le ministre devrait assurer, par son action directe, — sous quelque forme qu’elle se manifeste, — un centre inattaquable et permanent, un foyer de cohésion et de rattachement, une inébranlable unité d’impulsion et de doctrine.

Alors seulement la cavalerie entière, soustraite aux influences latérales, assurée du but, confiante en sa force, pourrait marcher d’un seul et vigoureux essor vers l’idéal entrevu. A la place des doutes, des discussions, des défaillances, brillerait la foi : cette foi ardente et irréfragable sans laquelle on peut bien affronter la mort, mais rarement conquérir le succès.


A une réforme aussi rationnelle, calculée sur les exigences pratiques de la guerre, on a opposé et on opposera encore des argumens philosophiques, d’autant plus sonores qu’ils sont plus vides. On accusera la cavalerie de viser à une autonomie égoïste, et l’on rappellera que le particularisme fut souvent un indice de dégénérescence. Il est vrai, le particularisme est une faiblesse quand on en use pour se cantonner dans des pratiques étroites ou surannées, pour refuser son concours à l’œuvre commune, pour demeurer isolés et stationnaires au milieu des efforts incessans et des progrès renouvelés. Mais quand on ne le réclame que pour agrandir un champ d’action trop étroitement mesuré, pour faire la place plus large à toutes les manifestations de son rôle, pour rendre plus de services, supporter plus de fatigues et courir plus de dangers, pour aller à la fois plus loin et plus vite ; alors il devient une force. C’est un généreux amour-propre et une ambition légitime.

Aussi bien, on peut trouver, chez une nation voisine et rivale, un exemple saisissant. Les transformations matérielles et scientifiques de la guerre, par la variabilité des causes et des résultats, ne peuvent donner de recettes pour le succès ; au contraire, les manifestations morales, par leur immutabilité même, fournissent parfois de lumineux enseignemens.

Il fut une époque où la cavalerie prussienne, aujourd’hui confiante et forte, traversa, comme a fait la nôtre, une période de désillusion et de trouble. C’était au lendemain des guerres napoléoniennes. Après un passé traditionnel, cette cavalerie, du faite des illusions et du prestige, venait de brusquement tomber dans un état d’infériorité et de prostration accablantes. Après Rosbach, elle avait eu Iéna. Tout était analogue dans les situations. Comme la cavalerie française, elle avait un brillant héritage de gloire, comme elle, elle était brave, et, comme elle, elle avait succombé, — succombé à ce point que, des deux cent cinquante-cinq escadrons qui étaient entrés en campagne en 1806, quatre-vingts à peine subsistaient en 1807 ! La surprise avait été complète et le réveil douloureux, — pas assez cependant pour éteindre jusqu’au désir de renouer des traditions si brusquement brisées. Alors, la paix venue, on rechercha les causes de cette déception soudaine. Le 16 juillet 1816, sur l’ordre du roi, le feld-maréchal Blücher posa à tous les généraux de cavalerie qui n’avaient pas désespéré de l’avenir la question suivante : « Pourquoi la cavalerie prussienne n’a-t-elle pas rendu les services qu’on était en droit d’en attendre pendant les dernières campagnes contre Napoléon ? — Par quel moyen faut-il remédier aux inconvéniens qui se sont présentés ? » Tous répondirent : « Au lieu de disséminer sa cavalerie dans les brigades ou divisions d’infanterie, Napoléon la groupait en masses aussi fortes que possible. Il en résultait que là où elle rencontrait un de nos régimens, elle pouvait lui en opposer trois ; là où nous avions une division, elle en possédait plusieurs. Ceci assurait son succès, et, dans ce succès, la cavalerie française puisa une telle confiance en elle-même que plus tard elle n’hésita pas à nous aborder, n’ayant qu’une cavalerie égale et quelquefois inférieure en nombre. La cavalerie prussienne a succombé, concluaient-ils, parce qu’il lui manquait l’éducation, l’exercice et une organisation permettant l’emploi en masses. Ces conditions, ainsi qu’une direction supérieure et unique, devront lui être rendues si à l’avenir on ne veut pas s’exposer aux mêmes échecs[21]. »

N’est-ce pas concluant ? Et quand on examine de près l’histoire de cette cavalerie régénérée, on voit qu’elle se résume en trois noms, ceux de trois entraîneurs, Wrangel, von Schmidt, Frédéric-Charles, qui, tour à tour, eurent sur l’arme entière une action et une autorité incontestées. On voit aussi que ses transformations ne sont pas le résultat d’engouemens passagers, mais bien d’une tendance persistante vers l’unité d’organisation, d’éducation et d’emploi.

Certes, l’œuvre fut lente et laborieuse. Commencée après 1815, reprise après Sadowa, elle n’était pas encore terminée au moment de la dernière guerre ; — si peu qu’un de ses plus illustres et plus tenaces propagateurs, le général von Schmidt, pouvait, au lendemain de 1870, blâmer à la fois et le manque d’aptitude à la tactique de masses et l’organisation défectueuse de la cavalerie : « Au jour de la bataille, écrivait-il, le Grand Roi[22] réunissait de grands corps de cavalerie et distribuait à leurs chefs des instructions spéciales. Ces corps chargeaient sur plusieurs lignes, que l’on disposât de 30, de 50, de 60 ou de 90 escadrons… Et nous, que faisons-nous ? Tout en ayant 84 escadrons à notre disposition, nous les disséminons et nous chargeons avec 4, avec 6, avec 8 escadrons au plus, en une ligne, sans aucune espèce de réserve ! Qu’y a-t-il d’étonnant alors si, malgré un dévoûment sans bornes, nous n’avons obtenu que de faibles résultats ? » Et, plus loin, il ajoute : « Le service de brigades de corps d’armée n’a pas eu une influence bien favorable sur la cavalerie. La vie, l’énergie, l’élan, l’élément vivifiant de l’arme, s’en vont[23]. »

Sans parti-pris, sans exclusivisme, sans comparer plus longuement deux cavaleries égales en traditions et en courage, en souvenirs glorieux comme en profonds revers, nous souhaitons que les dures épreuves de nos rivaux en 1806, comme les nôtres en 1870, rapprochées des lumineux enseignemens légués par les Frédéric et les Napoléon, servent à nous faire entrevoir la vérité.


A. A.


  1. Situation de la grande armée au 1er juillet.
  2. Instruction pratique de 1875 sur le service de la cavalerie en campagne. — Instruction de 1876 sur le service de la cavalerie éclairant une armée. — Instruction provisoire de 1877 sur le service des marches.
  3. Souvenirs du colonel de Gonneville.
  4. Maréchal de Saxe, Rêveries.
  5. « Les manœuvres de la cavalerie sont des menaces ; la plus forte l’emporte. » (Colonel Ardant du Picq, le Combat).
  6. Wrangel (Instructions pour les manœuvres), — Frédéric Charles (Instructions sur les exercices de l’escadron et du régiment). — von Schmidt (Directives pour les régimens de la 3e division). — Jomini (Précis de l’art de la guerre).
  7. Warnery, Remarques sur la cavalerie.
  8. Le général Campenon.
  9. Aux manœuvres du 17e corps, en 1884.
  10. Opinion du général Wrangel sur le développement et l’emploi de la cavalerie prussienne, 1851.
  11. Kœhler, Histoire de la cavalerie prussienne de 1806 à 1876.
  12. Becker, la Division de cavalerie dans la bataille.
  13. Article 24. — Des prescriptions relatives aux manœuvres d’automne.
  14. . Napoléon lui-même n’admettait l’emploi de la division isolée que provisoirement et à courte distance : « Une division de 9 à 12,000 hommes, écrit-il, peut être sans inconvénient laissée pendant une heure isolée ; elle contiendra l’ennemi, quelque nombreux qu’il soit, et donnera le temps à l’armée d’arriver. Aussi est-il d’usage de ne pas former une avant-garde de moins de 9,000 hommes, d’en faire camper l’infanterie bien réunie, et de la placer au plus à une heure de l’armée. » (Napoléon, Mémoires.)
  15. Les régimens allemands, depuis 1887, sont constitués, pour les manœuvres, a cinq escadrons.
  16. Tableau de la grande armée du 1er au 23 frimaire.
  17. Situation de la grande armée au 1er juillet.
  18. Situation de la grande armée au 30 juin.
  19. Situations de la grande armée au 1er juillet.
  20. . Situations de la grande armée au 1er et au 15 février 1807.
  21. Kœhler, Histoire de la cavalerie prussienne de 1806 à 1876.
  22. Les historiens et les écrivains militaires allemands désignent toujours ainsi Frédéric II.
  23. Considérations sur la cavalerie après les expériences de la campagne de 1870-1871 (Mémoire rédigé en 1871).