La Chaîne des dames/Madame Louise Hervieu

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G. Crès (p. 85-96).



LOUISE HERVIEU


Quel est, à votre avis, l’oiseau qu’il faudrait prendre pour le blason de Louise Hervieu ?

Est-ce le corbeau qui plane sur les charniers, parle à l’oreille de Baudelaire et d’Edgar Poë, ces maîtres de l’artiste ?

Est-ce le cygne noir, percé d’une flèche, qui promène sa blessure empoisonnée sur un lac triste et pourissant ?

De l’oiseau prophétique, Hervieu n’a point la cruauté, même quand elle s’attaque à la charogne du poète, mais de l’oiseau en manteau de deuil, elle a la force, la grâce, la langueur et la mélancolie. Sa fantaisie d’artiste erre parmi les Lédas amoureuses qui lui livrent, sans pudeur, le mystère de leurs désirs charnels, de leurs luxurieuses folies. Son œil attentif garde impitoyable le souvenir de ces beautés que fatiguent l’amour et la débauche. Mais cet œil, épris de vérité, n’est pas le prisonnier de ces images du vice et du péché, il se repaît au sortir de cette vie secrète, de l’innocence de l’enfant, de la naïveté, de ses jeux, du charme de son intimité. Louise Hervieu est par le cœur une mère spirituelle, qui couvre de sa tendresse des enfants imaginaires, et c’est par son tempérament d’artiste la visionnaire des gouges qui peuplent l’œuvre de Baudelaire.

Si le poète avait connu celle qui décora les Fleurs du mal de si magnifiques illustrations, il l’aurait nommée : « Mon enfant, ma sœur », car la femme qui a répondu à l’Invitation au voyage que Baudelaire lui envoyait post mortem, c’est bien Louise Hervieu, et désormais leurs noms seront inséparables.

Cette jeune femme qui débuta un peu avant la guerre n’était connue que d’un cénacle d’artistes très enthousiastes de son talent. Elle se révéla, et d’un seul coup atteignit la célébrité, lorsqu’elle exposa chez Bernheim les dessins qu’elle avait faits pour décorer les Fleurs du mal.

Que connaissait-on d’elle auparavant ?

Un Missel consacré à la Vierge, un missel fleuri comme son âme de douceur, de résignation, de foi et d’amour mystique, car c’est une âme brûlante d’amour que la sienne, et la première effusion était une effusion religieuse, qui fut suivie bientôt d’une effusion de tendresse sage et douce dont l’enfant était l’objet. Le beau Livre de Geneviève, écrit et décoré par l’artiste, enseigne à une fillette l’art de voir et de connaître ingénuement les merveilles du monde qui l’entoure. Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/106 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/107 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/108 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/109 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/110 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/111 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/112 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/113 avec délices l’odeur des roses et de la glycine, comme le Bon Jardinier dont elle a dit les innocents plaisirs. Pleine de sagesse elle murmure doucement sa petite prière aux choses bonnes et éternelles. Or tandis qu’elle songeait, passa près d’elle un beau monsieur en habit vert, qui fut bien étonné d’ouïr langage si pur. Prenant une couronne qui n’était point de lauriers, mais de roses, il la posa doucement sur son front torturé !…

C’est ainsi qu’en l’an de grâce 1923, Louise Hervieu, coupable d’exciter la luxure dans le cœur des hommes par son œuvre, reçut de l’Académie française, en récompense de cette jolie prière dans un jardin, le prix Fabien, qui est, comme chacun sait, le plus recherché des prix de vertu !