La Chanson des gueux/Idylle sanglante

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Maurice Dreyfous (p. 77-79).


V

IDYLLE SANGLANTE


Ah ! ah ! voulez-vous-t-y l’histoire
D’la Margot et du grand Frisé ?
Oh ! oh ! l’ Frisé aimait à boire ;
Margot itou, mais d’ l’aut’ côté.

Margot mit sa cotte et ses bas,
Et s’en alla là-bas, là-bas.

Ah ! ah ! c’était sous l’ blé en meule
Qu’ Margot choutait l’aut’, son amant.
Oh ! oh ! l’ Frisé, du vin plein l’ gueule,
Vint près d’ la meule au bon moment.

Sa cott’ troussé’ plus haut qu’ ses bas,
Margot riait là-bas, là-bas.

Ah ! ah ! qu’ell’ disait, comm’ c’est farce !
Mon cocu s’emplit, j’ peux m’emplir.

Oh ! oh ! cria l’ Frisé, ma garce,
Tu es trop chaud’, j’ vas te r’froidir.

Margot j’ta sa cott’ sur ses bas
Et s’ensauva là-bas, là-bas.

Ah ! ah ! l’amant, qu’était point brave,
Laissa Margot avé l’ Frisé.
Oh ! oh ! l’ Frisé, mâchant d’ la bave,
Tira son eustach’ raiguisé.

Margot dans sa cotte et ses bas
S’empiergeonna là-bas, là-bas.

Ah ! ah ! la pauv’ Margot la belle,
Elle eut dans le cou le couteau.
Oh ! oh ! l’ Frisé guincha sur elle
Et puis s’ lava les patt’s dans l’eau.

Margot sur sa cotte et ses bas
A mis du sang là-bas, là-bas.

Ah ! ah ! dit l’ Frisé, te v’là morte !
Et l’ grand niqu’doul’ s’ mit à pleurer
Oh ! oh ! qu’il chialait, faut qu’ j’emporte
Un bout d’ souv’nir pour l’adorer.

Et prenant la cotte et les bas,
Il est parti là-bas, là-bas.

Ah ! ah ! personn’ sait c’ qu’il fiche
Depuis qu’il roul’ par les grands ch’mins.
Oh ! oh ! p’t’ êt’ qu’il est merlifiche,
Va-trop d’ chartier, ou tend-la-main.

Mais il a la cotte et les bas
Pou’ s’ consoler là-bas, là-bas.