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La Chanson des gueux/Vieille statue

La bibliothèque libre.
Maurice Dreyfous (p. 44-45).


III

VIEILLE STATUE


Oubliée en un coin du parc, seule, abattue,
Sous le lierre qui ronge une vieille statue
Gisait. Pauvre statue ! elle me fit pitié.
Je suis de ces rêveurs qui dans leur amitié
Donnent aussi sa part à l’inerte matière
Et partagent leur cœur à la nature entière.
Je relevai le mort, et pour qu’il fût content,
Pour qu’il eût le bonheur de revivre un instant
Comme si nous étions aux époques anciennes
Où parmi les chansons il avait eu les siennes,
Je fis semblant de croire à sa divinité,
Et je lui dis ces vers où son los est chanté :

Ô Pan, gardien sacré de cette grotte obscure
D’où sort le ruisseau clair qui sous tes pieds murmure,
Toi qu’un lierre, en festons à l’entour de ton flanc,
De son feuillage noir fait paraître plus blanc,
Toi qui ris d’un air bon dans ta barbe de pierre,
Et regardes, clignant un œil sous ta paupière,

Si quelque blonde enfant vient par le bois profond,
Portant de ses bras nus une urne sur son front,
Ô Pan, je poserai mes lèvres arrondies
Sur la flûte dorée aux douces mélodies
Et je te chanterai ma plus belle chanson,
Et, comme à Jupiter le divin échanson
Verse le saint nectar qui parfume les lèvres,
Je verserai pour toi le lait pur de mes chèvres,
Et mon bouc t’offrira, sous le couteau sacré,
De sa gorge velue un flot de sang pourpré,
Si tu veux bien remplir à la saison nouvelle
De mon troupeau bêlant la traînante mamelle,
Si tu fais que mon mâle aux amoureux travaux
Donne à chaque femelle un couple de chevreaux,
Ô Pan, dieu des bergers, dieu revêtu de lierre,
Toi qui ris d’un air bon dans ta barbe de pierre.