La Chanson des gueux/ Remède féroce

La bibliothèque libre.
Maurice Dreyfous (p. 219-221).


I

REMÈDE FÉROCE


Ma gaieté, tu as la colique
          D’amour.
Depuis le soir jusqu’au retour
          Du jour,
Tu geins comme un mélancolique
          Tambour.

Ma vieille, si tu veux m’en croire,
          Ce goût
Ne me plaît pas beaucoup, beaucoup,
          Et tout
Ce que je peux pour toi, c’est boire
          Un coup.


Nettoie avec la rouge lie
          Des brocs,
Loin des larmes et des sirops,
          Tes crocs,
Et lance à la mélancolie
          Des rots.

Et prends une purge, bégueule !
          Du miel
Ne t’irait pas ; prends du gros sel.
          Duquel ?
Je m’en moque un peu ! Mais dégueule
          Ton fiel.

Puis, bois ! Et sans faire scandale,
          Sans bruit,
Éclaire avec le vin qui luit
          Ta nuit,
Et soûle, ivre-morte, ravale
          L’ennui.

Nous allons lâcher d’un coup d’aile
          Le sol.
Monté sur un flacon sans col,
          Ton vol
Va planer dans l’air qui ruisselle
          D’alcool.


Et dans une ivresse sans bornes,
          Sans but,
Sur des cheveux de femme en rut
          Pour luth,
Nous dirons aux tristesses mornes :
          Bren ! zut !