La Chanson du biniou/12

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sous le pseudonyme Gilbert Doré
Le Monde illustré (février à avril 1890p. 28-44).


XII


Un mois s’est passé.

Que la terre bretonne est belle sous la bruyère et sous l’ajonc ! La bruyère, avec ses gammes violettes qui vont du mauve le plus tendre au pourpre le plus foncé, la bruyère est la poésie de ces landes et l’ajonc en est la gaieté. Au printemps, la sombre Armorique, assise au bord des murs sauvages sur un trône de séculaires granits, se pare d’un royal manteau de bruyère ; l’ajonc aux flammes d’or rayonne, sceptre épineux, dans sa main, et sur le granit de son front, court dans un rameau de chêne la pâle verdure du gui cher aux Gaulois.

Il est moins bleu que le ciel d’Italie, ton ciel, ô Bretagne ! Il ne découpe pas des lambeaux d’azur intense à travers des arcs et des colonnades où brillent des noms glorieux ; il ne baigne pas de sa lumière éclatante des bois de lauriers et de myrtes qu’illustrèrent d’olympiennes amours. Mais qu’il est doux au regard et plus doux à la pensée, ton ciel léger, d’une pâleur mystique, où la molle blancheur des nuées flotte comme une neige de plumes tombée des ailes d’un séraphin. Une lumière diffuse, une brume de clarté noie un horizon bleuâtre, émoussant tous les angles, toutes les vives arêtes, toutes les crudités de couleur. Les poètes et les rêveurs t’ont toujours aimé, pays doux et sauvage, et ceux qui t’ont vu dans ta beauté, ceux qui ont promené dans tes paysages le mystère de leur amour, ceux qui ont compris ton âme, ô Bretagne, ceux-là ne peuvent t’oublier. Ils rêvent de tes solitudes, de tes granits éboulés dans les gouffres, de la mélancolie du soir dans tes chemins ; ils rêvent de tes villages peuplés d’hommes graves et simples, fermes dans leurs traditions et dans leur foi, de tes mendiants riches d’un trésor de légendes et de tes jeunes filles aux yeux bleus. Ils tressaillent quand, dans les rumeurs des villes, résonne le dur parler de tes fils ; un peu de leur âme est resté dans le creux de tes rocs, dans les bruyères de tes landes, dans la dentelle de tes clochers…

Dans la campagne de Carnac, les formes tourmentées des arbres, tordus par les tempêtes d’équinoxe, donnent aux moindres taillis un caractère pittoresque. Des moulins abandonnés ouvrent leurs ailes cassées comme des bras de squelettes ; des murs crénelés, sous le noir linceul du lierre, sèment leurs pierres dans des fossés vides ; des calvaires du moyen âge attendent, au coin des routes, le salut pieux des laboureurs et partout, dans les bois de Kercado, dans les prairies de Kerlescan, dans les champs de Carnac, les dolmens et les menhirs — aînés des plus antiques ruines — sortent comme des sentinelles de granit de la verdure violâtre des landes.

En suivant la route d’Auray, blanche entre les petits murs de cailloux qui sillonnent la campagne, Robert Léris se laissait envahir par le charme de ce ciel délicieux, dont la mélancolie s’éclaire, les jours d’été, d’un sourire de joie. La première impression du peintre, en arrivant dans le Morbihan, était faite de déception et de malaise ; Robert s’en étonnait aujourd’hui, tant le même paysage revêt d’aspects divers, suivant la diversité du temps, du ciel et de nos états d’âme.

Au pied du tumulus où s’élève une chapelle dédiée à saint Michel, une ligne d’azur s’ourlait de neige éclatante, le long de la côte, tandis qu’à gauche, sur les collines, ondulaient les sapinières et les châtaigneraies de Kercado. La terre crevassée brûlait sous les pieds, par cet après-midi de chaleur torride. Les vaches se couchaient dans les pâturages et les pâtres ensommeillés cherchaient la fraîcheur dans l’étroite bande d’ombre des haies. De temps en temps, un souffle venait de la mer, remuant l’air en flamme, et soulevait la coiffe de Maria-Josèphe qui marchait, pensive, près de Robert.

Ils contournèrent le moulin abandonné et s’arrêtèrent à l’entrée des alignements du Ménec, éblouis de lumière, accablés de chaleur, troublés peut-être par leurs pensées. Et comme ils regardaient les masses confuses de Kermario, de l’autre côté de la route, un paysan, blanc de poussière, le bâton à la main, le biniou sous le bras, les croisa, venant de la ferme. Maria-Josèphe devint très rouge… Cependant, elle parla, par politesse :

— Et vous allez, Yann ?…

— Je vais à Kerloquet. Je rentre chez moi, répondit-il en français. Et plus bas, en breton, regardant Robert, il ajouta :

— Dieu vous garde.

Puis il passa.

— Que dit ce garçon ? demanda le peintre.

— Rien, fit Maria-Josèphe… Il salue, comme c’est l’usage… Et la conversation cessa aussitôt.

Ils remontèrent le Ménec entre deux allées de menhirs qui leur faisaient une avenue triomphale. Les colosses de pierre se rangeaient en onze files parallèles, couvrant la lande solitaire, profondément enfoncés dans le sol par des mains inconnues. Sous la brillante lumière de juillet, le granit se nuançait de teintes roses, les ombres bleues, les pénombres presque lilas. Ils montaient leur garde éternelle, des maisons de Kermario à la plaine du Ménec, écrasant de leur masse et de leur durée, les créatures éphémères qui promenaient devant leurs faces impassibles leur amour d’une heure et leur jeunesse d’un jour. Derrière un bouquet de sapins, un étang luisait, métallique, dans les bruyères. Des gentianes bleues, des étoiles jaunes, tremblant au bout d’un fil rigide, fleurissaient la terre séchée. Dans le ciel, très haut, un oiseau planait, semblant immobile.

— C’est beau, dit Robert.

Et il reprit :

— Le soir, par les crépuscules de nuages, ces vieilles pierres ont l’air méchant. On dirait qu’elles complotent entre elles ou qu’elles se racontent des histoires du temps passé. Mais sous la lumière du jour, les mousses, les ajoncs, les bruyères adoucissent leur rude silhouette.

Maria-Josèphe répondit :

— Je crois que je commence à comprendre ce que vous trouvez beau dans ces grandes pierres-là. Nous autres, gens du pays, qui les avons vues depuis notre enfance, nous les regardons comme des cailloux très vieux et énormes. Les anciens content là-dessus un tas d’histoires : ils disent que ce sont des soldats païens pétrifiés par saint Cornély. Mais, au couvent, les sœurs m’ont appris à ne pas croire aux légendes.

— C’est dommage, dit-il. Vous êtes si parfaitement l’idéal de la Bretonne qu’un peu de superstition ne vous messiérait pas, mademoiselle.

Elle sourit.

— Oh ! monsieur Robert, j’ai mes idées ; moi aussi, et des idées bien folles quelquefois. J’ai peur la nuit, je vous assure, et je n’irais pas jusqu’au bout du bourg sans me signer à chaque minute.

— Avez-vous peur des revenants ?

Elle sourit encore.

— Je ne sais pas de quoi j’ai peur.

— Je le sais moi, dit le jeune homme avec malice. Allons, un peu de franchise. Vous craignez les galants, n’est-ce pas ?

Elle leva sur lui de grands yeux calmes.

— Oui, je sais certain joueur de biniou — beau gars ma foi, quoiqu’un peu… simple — et dont la cour… naïve et un peu villageoise ne semblait pas…

Maria-Josèphe rougit violemment.

— Monsieur Robert, je vous en prie, laissez le pauvre Yann tranquille… Si je craignais les galants, je ne serais pas ici…

— Avec moi ! dit-il d’une voix qui arrêta net la jeune fille confuse… Oh ! Maria-Josèphe, je vous en conjure, ne me prenez pas pour un galant…

Puis, comme elle semblait interdite, il se rapprocha, la voix changée maintenant et les yeux émus.

— Maria, dit-il, je ne suis pas plus un vulgaire galant que vous n’êtes une paysanne vulgaire. Je ressemble aussi peu aux jeunes gens qui vous ont courtisée que vous, ma charmante amie, aux femmes que j’ai pu connaître. Si vous avez l’esprit de votre beauté si délicate et si fine, vous essayerez de comprendre un langage nouveau… Mon amour est bien au-dessus des préjugés et des coutumes établies. J’aime l’amour pour l’amour et je voudrais que vous l’aimiez aussi… en moi. Voyez si je suis sincère… Non, je ne suis point un galant, Maria-Josèphe, mais un amant qui vous admire et vous adore…

Il murmura ces mots lentement, comme pour bien lui glisser au cœur la mélodie de ces syllabes. Elle s’était arrêtée subitement : « Ô mon Dieu ! » fit-elle… et elle devint toute blanche, de rose qu’elle était.

Alors, se rapprochant davantage, avec cette fièvre du succès qui grise les hommes de leurs propres paroles, il lui parla simplement pour se faire comprendre et ardemment pour vaincre le malaise de pudeur, l’effroi incertain de cette âme qu’il voulait à lui, toute à lui. Il lui prit la main et marcha ; elle le suivit, muette et docile, de l’air d’une femme qui rêve… Et il parlait sans cesse, tout bas, évoquant l’idée d’un voyage à deux, la vision d’une vie nouvelle, dans les appartements bien clos, où règne un parfum d’élégance intime, dans les fêtes où des parures dignes d’elle enchâsseraient sa beauté comme dans l’or une perle rare ? il murmurait des prières… elle seule pourrait inspirer le génie qui dormait en lui, couvant des chefs-d’œuvre. Il immortaliserait sa grâce et sa jeunesse dans sa gloire, à lui. Puis, plus ardemment encore, il fit vibrer à ses oreilles les mots d’amour, de bonheur, d’union dans la félicité éternelle, toutes ces paroles dorées qui séduisent les femmes et dont les hommes couvrent l’égoïsme de leur désir — musique divine, devenue banale, et dont le sens même échappe à ceux qui la chantent.

Ils avaient dépassé les cromlechs qui entourent la vieille ferme, obliquant à droite, et ils entraient dans un bois de pins où, plus haut que les hautes bruyères, de grandes fougères étendaient leurs éventails verts. Au lourd silence des journées chaudes se mêlaient des rumeurs d’insectes, des bruissements de feuilles, les frémissements insensibles des végétaux qui aspirent la vie dans le soleil. Au centre du bois, entre les droites colonnettes des pins, un menhir colossal se dressait près d’une grosse pierre. Ils s’assirent là, sans qu’elle dît un mot, anéantie par l’émotion, la surprise et une foule de sentiments inconnus qui l’effrayaient.

Il se penchait vers elle, continuant le lent enchantement de ses paroles.

Les ombres maigres des pins tremblaient sur lui, sur la robe noire de Maria-Josèphe, sur la mousseline qui voilait sa tête penchée, sur ses mains frémissantes et froides. Et de lui parler ainsi, dans cette solitude brûlante, une passion folle le prenait et il s’animait à ses propres aveux. De grandes raies lumineuses filtraient à travers les branches et sur l’herbe rase, entre les touffes violettes, dansaient des taches de soleil. Un fort parfum de résine se mêlait aux aromes puissants du sol fendu par la sécheresse ; de longues mouches brillantes bourdonnaient dans la vibration de l’air et se posaient sur la robe de la jeune fille. On sentait vraiment l’ardeur féconde de l’été ; et cet embrasement de l’atmosphère saturée de flammes et de senteurs, cette haleine enfiévrée des choses, c’était bien l’amour immense de la terre, s’exhalant de tous ses pores vers le baiser du soleil.

— L’amour… disait Robert.

Ce mot qui sortait de toute la matière animée, des murmures des herbes sèches, des lueurs du ciel, des sourds tressaillements des bois, ce mot, le seul mot de la langue universelle des mondes, se fondait sur les lèvres du jeune homme, passionnément. Et Maria Josèphe, la tête renversée, les yeux mi-clos, buvait l’ivresse qu’il lui versait, à pleine âme…

Il demanda, d’une voix câline et suppliante :

— Vous voudrez m’aimer ?

Elle répondit en se cachant le visage :

— Vous le savez bien, je ne puis pas faire autrement… ne me forcez pas à dire…

Il sourit.

— Vous me suivrez, alors… pour toujours.

Elle baissa la tête.

— Hélas ! vous le devinez… mais comment pouvez-vous m’aimer, moi, si sotte, si niaise… Vous m’élèverez jusqu’à vous.

— L’amour égalise tout, dit-il.

Puis il y eut un silence, un de ces silences anxieux qui précèdent l’aveu d’une pensée difficile à dire.

Il s’était agenouillé ; il prit ses mains qu’elle tenait obstinément sur ses yeux ; et comme elle tremblait, il se fit très respectueux, très tendre, noyant ses frayeurs dans un flot de tendresses légères, timides, chastes en apparence, qui lui livraient le cœur sans défense de l’enfant. Alors, elle s’enhardit jusqu’à murmurer des phrases hésitantes où il devina son amour. Et dans tout ce qu’elle disait, tout autre qu’un jeune homme enivré par la dangereuse solitude de ces bois, le trouble visible de cette fille charmante et son propre désir, eût senti tant d’ignorance de la vie, tant d’inconscience du danger, tant de simplicité enfantine qu’il eût abandonné tout autre rêve que celui de la laisser, paisible et pure, à quelque meilleur amour.

Mais Robert ne songeait pas — et ce fut sa seule excuse — que Maria-Josèphe eût pu se tromper un seul instant sur ses véritables intentions.

— Maria, mon adorée, dit-il, tandis qu’elle le contemplait avec un ineffable sourire, dites, n’aurez-vous point trop de peine à partir ?

Elle tressaillit…

— Partir ?…

— Avec moi, toujours avec moi.

— Hélas ! dit-elle, puis-je avoir aucune peine avec vous.

Et elle pensait en elle-même que ni le pays, ni la maison, ni rien au monde de tout ce qu’elle aimait ne lui tenait tant au cœur que cet homme agenouillé devant elle. Elle secouait à peine la surprise dont l’avait saisie la révélation d’un tel amour, mais elle se calmait peu à peu, car il demeurait respectueux, non sans un effort sur lui-même, mais respectueux pourtant, par crainte d’effaroucher dans sa tendresse naissante cette sauvage tourterelle à peine apprivoisée.

Il lui baisait les doigts et elle songeait : « Oh oui, je veux bien le suivre partout quand je serai sa femme !… »

— Sa femme !

Ce mot la remplissait d’un émoi pudique. Rouge du front au sein, une langueur heureuse la pénétrait. Il était si près d’elle ! Et elle aurait voulu poser son front sur son épaule. N’était-il pas l’amant appelé de ses vœux, son rêve fait chair, le fiancé, l’époux inconnu à qui, depuis si longtemps, allaient ses pensées ?

Soudain, une pression de la main qui tenait la sienne la rendit à la réalité.

— Mon amie… disait-il.

Elle se pencha, attendrie.

— Mon ami ? — Quand partons-nous, dites ? Ô Maria, mon amour, mon aimée, il me tarde tant de vous emmener, de vous emporter, de vous avoir seule, à moi seul.

— Déjà ! dit-elle… et puis n’avons-nous pas été heureux — oh ! si heureux, dans ce pays, dans ces landes, dans cette maison où je vous ai connu ?…

— Vous ne m’aimez pas comme je vous aime ! répondit-il un peu fâché.

Elle, vaincue, eut un élan.

— Je ne vous aime pas !… Oh ! vous me chagrinez, monsieur Robert, ce n’est pas bien !… Eh mon Dieu, je vous suivrai où vous voudrez, quand vous voudrez, vous savez bien. Mais pensez un peu à la pauvre grand’mère. Quand on n’a qu’un enfant, c’est dur de le voir partir avec un autre. Il faut lui donner le temps de s’y habituer.

Il resta stupéfait et songea à part lui : « Est-elle folle ? » Mais elle le regardait sérieuse, un peu attendrie, sans embarras dans ses yeux clairs.

Alors il soupira :

— Qu’est-ce que cela fait, quelques jours de plus ou de moins ?… et les jours, quand on attend, quand on aime, ce sont des siècles de bonheur perdus.

Elle eut un grand chagrin de le voir triste et se résignant :

— Quand vous voudrez, dit-elle, et si cela vous plaît, le plus tôt possible… C’est égal !… Il faut que je vous aime !… Ah ! pauvre grand’mère ! Quel coup !

— Je vous aime tant, dit-il, pour la consoler par une pensée égoïste.

Et vivement :

— Oh ! vite, n’est-ce pas, vite ! Le plus tôt possible, je le veux ! Il me tarde tant de vous emmener, je le répète encore… Voilà. J’ai tout prévu…

Elle se rapprocha de lui, curieuse.

— Comment cela ?

— Demain, dit-il, vers le soir…

— Demain, reprit-elle, étonnée.

Il continua, resserrant son étreinte, s’enivrant de la sentir si proche et voulant l’enivrer aussi.

— Oui, demain soir… Je partirai le premier, avec la voiture, comme pour prendre le train de Plouharnel, vous savez, le train qui passe à sept heures. Vous arriverez ensuite et nous n’aurons pas l’air de nous reconnaître. Alors, vous monterez dans un compartiment, seule. Je vous rejoindrai à la station suivante. La nuit même nous serons à Nantes ; le lendemain soir à Paris. Personne ne saura rien et…

Il n’acheva pas… Elle avait glissé dans ses bras, raide, froide, les mains crispées. Une sueur glacée couvrait son front, son cou, ses bras. Elle était livide. On eût dit une femme frappée par une mort subite.

Robert s’épouvanta, ne comprenant rien à cet évanouissement si rapide. Il ne savait comment ranimer Maria-Josèphe. Elle restait inerte sous ses baisers, sourde à ses appels, insensible à ses caresses. Alors, il se souvint qu’une petite mare, demi-bue par le soleil, achevait d’évaporer dans un coin du bois son eau saumâtre. Il courut y tremper son mouchoir et, soulevant Maria-Josèphe sur son genou, il posa la batiste humide sur les tempes de la pauvre enfant, écartant, arrachant la coiffe. La mousseline déchirée s’en allait par lambeaux dans la lourde chevelure qui croulait, mi-défaite... Dans son affolement, le jeune homme se désespérait vainement, ne se demandant même pas s’il n’était point la cause de l’état de Maria-Josèphe.

Autour d’eux le bois était calme ; les pins frémissaient dans le soleil et des zébrures lumineuses flottaient sur les bruyères.

Enfin une faible rougeur monta aux joues blêmes de la Bretonne ; ses cils tremblèrent et battirent. Elle ouvrit les yeux, se redressa, aperçut Robert et se leva droite. Lui, demi-agenouillé, se releva aussi, les bras ouverts, pour la reprendre ; mais elle recula subitement, indignée, tout son sang de vierge celte se révoltant à la vue de cet homme, et elle s’enfuit, éperdue, courant devant elle, n’importe où, jetant à travers les bois un long cri d’épouvante.

Robert ne voulait pas comprendre encore. Blessé dans sa passion, il se sentait humilié dans son orgueil, presque irrité contre cette Bretonne écervelée qui, au dernier moment, brouillait ainsi son jeu. Il n’essaya pas de la suivre, et, n’osant s’en retourner à Carnac, il s’en alla, triste, pensif, mécontent de tout et surtout mécontent de lui-même, vers la route de Plouharnel.