La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LIX

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 234-236).
LIX. Ci devise comment on doit chassier et prendre la loutre

Chapitre cinquante-neuvième.
Ci devise comment on doit chassier et prendre la loutre.


Et quant le veneur voudra chassier la loutre, si doit avoir limiers pour la loutre, quar ce sera plus seure chose. Et doit fère aler quatre vallez en queste : deux amont l’eaue et les autres deux aval l’eaue ; les unz d’une part de l’eaue, et les autres de l’autre part. Et s’il ha loutres ou pays, les unz ou li autres en encontrera ; quar loutre ne puet tousjours demourer en l’eaue, qu’il n’en saille hors la nuyt, ou pour soy esbatre ou pour soy vider, ou pour pestre de l’erbe ce que elle fet aucunefois. Et si son chien en encontre, il doit regarder s’il en pourra veoir par le pies ou en sablon, ou en autre mol terrain près de l’eaue. Et doit regarder où tient la teste en alant aval ou amont. Et s’il ne n’en puet veoir par le pié, il en devroit veoir par les fientes ou espreintes ; et le doit poursuyr de son chien, et destourner le einsi que on fet un cerf ou un sanglier. Et s’il n’en puet encontrer tantost, il puet aler demie lieue querant amont l’eau ou aval, quar une loutre va bien querir demie lieue ses menjures et volontiers amont l’eaue, pource que l’eau qui vient aval porte le vent des poissons qui sont dessus, ou le nés au vent, pource que le vent li aporte au nés l’assentement des poissons qui sont au dessus du vent.

Et se doit fère assemblé pour la loutre einsi comme pour le cerf ; quar de toutes choses en quoy on va en queste, se doit fère assemblée. Et là doit fère chescun son report de ce qu’il hara trouvé en sa queste. Et quant où hara beu, et desjeuné ses chiens, celuy qui hara destourné la loutre, où en hara encontré doit fère leisser les chiens einsi comme de deux trets d’arc avant qu’il soit là où il en ha encontré affin que les chiens se soient vuidiés. Et aussi quant chiens partent descouplés, ilz courent sà et là ; si vault mieulz qu’ilz ayent fetes leurs folies avant quilz soient ès routes, et se soyent vuidiez que s’ilz les descouployent sur les routes et aloient foloyant. Et quant les chiens en assentiront, ils iront querant les rives de l’eaue ; quar une loutre demuera desous les racines qui sont en près de l’eau. Et le vallet de limier et les autres doivent tousjours quérir par les rives et racines près de l’eaue, jusques tant que aucun des chiens le truevent. Et doyvent estre deux ou trois vallez amont de l’eaue ou le vallet en hara encontré et autans aval l’eaue sus les gués ou lieux où plus petite yeaue hara. Et doit avoir chescun un baston fourchie et aguisié de fer devant. Et quant il verra venir la loutre devant qui vendra par dessouz l’eaue, il la doit férir, s’il puet, et se non, quant elle l’ara passé ou amont ou aval il doit courre par la rive jusques à aucun autre lieu ou il ait basse yeaue, et là doit attendre pour veoir s’il la pourra férir autre fois. Et einsi doit fère tant de fois jusques tant qu’il la fière. Quar les chiens s’ils sont bons pour la loutre, vendront chassant tousjours après ; et, pource qu’ils ne pourront assentir en l’yaue, vendront ilz tousjours chassant et querant par les rives dessouz les racines. Et einsi ne pourra il estre que les chiens ne la preignent ou que les hommes ne la fièrent. Et c’est très belle chasse et bon déduit quant les chiens sont bons et les rivières sont petites. Et se les rivières sont grosses, ou en estanx ou viviers, on doit avoir des filez qui tieinhent de l’une rive à l’autre emplommés desouz et non pas dessuz, afin que le filez aille au fons de l’iaue. Et deux hommes doivent tenir le bout à deux cordes l’un de l’une part de la rive et l’autre de l’autre part. Et quant la loutre qui vendra desoubs cuydera passer, elle se vendra bouter dedans le filè, ilz sentiront branler le bout de la corde qu’ils tendront. Si doyvent tirier leur filè. Et einsi sera la loutre prise plus tost.

Les chiens qui sont bien bons pour la loutre et on les met au cerf, mès qu’ilz ne soient trop viels, sont merveilleusement bons quant un cerf bat les yaues.

Et sil n’a limier il le doit quérir de ses chiens en traillant en la forme que j’ay dit.

La cuyrée de la loutre se fet tout einsi que j’ay dit du renard.

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