La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LXXVII

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 265-266).

Chapitre soixante-dix-septième.
Ci devise comment on puet trère aux bestes noires.


Aussi puet on trère aux noires bestes, et les doivent querir en tieu manière. Je loe qu’ils soient deux archiers ou trois. Et quant ilz sauront une forest où il hara menjures comme de glant ou fayne, ou blez ou autres choses, selon la sayson, comme j’ay dit, ilz doivent aler au matin là et chescun doit avoir un chien ou deux ; et doivent lessier aler un tout seul, le meilleur trouveour qui soit, et aler après leur chien, sans dire mot. Et quant ils oront que le chien abayera le senglier ou bestes noires, ilz doivent aler le plus coyment qu’ils pourront là et se metre au desouz du vent, et adviser de trère. Et s’ilz li tréent, ils doivent abatre tous les autres chiens après. Et s’il est en si fort buisson qu’ilz n’i puissent entrer, ne le veoir pour trère, ilz doivent environner la place où il est, l’un sà, l’autre là et lessier aler un autre chien sans dire mot, affin qu’ilz le facent saillir hors, ou il vieinhe courre sus à l’un ou à l’autre des chiens, tant qu’ils le puissent veoir et férir. Et s’ilz faillent à le férir et le senglier s’en va, si aillent après leurs deux chiens, tousjours sans dire mot ; l’un avec les chiens, et les deux au devant aux avantaiges et lès[1] acours des bestes et il ne puet estre que en aucun lieu il ne se face abayer, ou que en passant ils ne le fièrent ; et s’il se fet abayer, si facent comme j’ai dit ; et einsi aillent tousjours après jusques tant que la nuyt les y preinhe. Et s’ilz l’avoient blessié et la nuyt les y prenoit, mès qu’il soit féru en bon lieu, ilz doivent reprendre leurs chiens et demourer le plus près qu’ilz pourront d’ilec, en aucune borde. Et s’il n’y avoit borde[2], ilz doivent demourer en mi le bois ; quar chescun archier, que vuelt fère à droit son mestier, doit aporter esche[3], pierre et fer pour fère du feu. Et doit aussi chescun archier porter un pain troussé derrière lui et un petit barillet de vin ; quar on ne scet les aventures qui avienent en chasse.

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  1. Lès. À côté.

    Quand la vieille voit que léans
    N’avoit qu’eux deux tant seulement
    Lès lui s’assied tout bellement
    Et si luy commence à preschier.

    Roman de la Rose, vers 13499.
  2. Borde. Habitation, cabane. On lit dans le roman d’Aubery :
    « N’y trouvissiez ne borde ne maison. »

    Le mot borde signifiait principalement une habitation rurale. Les expressions borderie, boërie, servaient à désigner la portion de terre comprise dans la location de la borde. On trouve ces passages dans de vieux titres cités par Ducange :

    « Je Guillaume des Francs, escuyer, cognois et confesse et advoue à tenir… une bordie qui contient en soi six septérées de terre. »

    « Icellui Bernard et un varlet du suppliant alèrent au lieu de Saint-Felix en une boerie ou métairie du lieu de Valières. »

    Dans le Médoc on se sert encore du mot borde pour désigner une petite habitation à laquelle est joint un minime tènement de terre ; et du nom de bordier pour appeler le colon auquel la borde est louée.

  3. Esche. Hache.