La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XI

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 72-74).
XI. Du renart et de toute sa nature

Chapitre onzième.
Du renart et de toute sa nature.


Renart est assés commune beste ; si ne me convient jà dire de sa faisson ; quar pou de gens sont qui bien n’en ayent veu. Elle a auques et moultes des condicions telles comme le loup ha ; quar elle porte, autant comme la louve fet, ses chiauls, ore plus, ore moins, einsi comme la louve ; mes que elle les fet dessoubz terre bien profond plus que la louve ne fet, et est une fois chaulde l’an. Elle a la morsure venimeuse comme le lou, et sa vie n’est pas plus longue que d’un lou. À grant paine prent on renard preinhs, quar quant elle se sent grosse et pesant elle demuere touzjours viron ses fosses, et si elle oït rien, tantost se boute dessoubz terre ansois que chiens la puissent prendre. Elle est malicieuse et fausse beste comme le lou.

La chasse du renart est moult belle, quar les chiens la chassent de près. Et voulentiers touzjours en assentent, pource que elle fuit les forts pays et aussi pource que elle est puant durement. À grant peine vuelt vuydier un pays ne prendre la champainhe, pource que elle ne se fie en courre ni en sa deffense, quar est trop feble, et si elle le fet ce sera par droite force et touzjours vendra le couvert et se ne se povoit couvrir que d’une ronsse elle s’en couvrira. Et quant elle voit que n’y pourra durer, donc se met elle dedens terre ; et ha ses fosses qui sont ses forteresses, lesquelles elle scet bien ; et ilec les puet on bien fouir et prendre, mes qu’il soit en plain pays et non pas en roches ne costes. Se lévriers la courent, le dernier remède que elle ha, se elle est en plain pays, elle conchie voulentiers les lévriers afin qu’ils le leissent pour la puour et pour l’ordure, et aussi pour la paour qu’il ha.

Un petit lévrier de lièvre qui prent tout seul un renart fet biau hardement ; quar j’en ay bien veu de grans qui prennent cerf et sanglier et lou, et qui laissoient bien aler un renart.

Quant elle va en amour, et elle quiert son compaignon, elle crie à vois enrouée comme vois de chien enraigié. Et aussi quant elle n’a tous ses renardiaus, elle les appelle en celle mesme guise. Elle ne se plaint point quant on la tue ; mes touzjours se deffent à son povoir. Elle vit de toutes vermines, de toutes charoinhes et ordures ; mes sa meilleure viande que elle ayme plus, si sont gelines et chapons, et canes et oves[1] ; petis oiselès sauvaiges, quant elle les trueve à point, pavillons[2], grillons, let froumaige et burre. Grand dommage font ès garenes des connills et des lièvres, des quieuls ils prennent et menjent voulentiers pour leur grant subtilesse et malice, et non pas pour courre. Aucunes sont qui chassent comme les lous ; aucunes qui ne vont fors que aux villaiges querir leur proye comme j’ay dit. Elles sont si malicieuses et si subtilz, que ne hommes ne chiens n’y pevent metre remède, ne gaitier de ses fauls tours. Elles demuerent voulentiers ès fors hayes et buissons ou fosses, près des viles ou vilaiges, pour touzjours fere mal à gélines et autres choses comme j’ay dit.

La peau du renart est bien chaude pour fere moufles ou pelisses ; mes ce n’est pas belle fourreure, et aussi elle put touzjours se elle n’est bien conreiée. Le sayn du renart et les meoulles sont bonnes à adurcissement de nerfs. De ses autres manières et malices parleray plus à plain, quant je diray comment on le doit chassier.

On les prent aux chiens, aux lévriers, aux laz et ès cordes ; mes il coupe laz et cordes einsi comme fet le lou, mes non pas si tost.

Séparateur

  1. Oves, oies.
  2. Pavillons, papillons.