La Chasse aux lions/04
IV
LA PERMISSION
Comme ça, vers l’heure de l’absinthe du matin, qui est le meilleur moment de la journée pour causer là-bas, voilà que le capitaine Chambard, homme d’élite à pied et à cheval, était en train de siroter avec le capitaine Bonnivet, de la 5e du 7e léger ; le lieutenant Caron, de la 6e du 7e ; le sous-lieutenant Bardet, de la 3e du 5e, et quelques autres que je ne me rappelle pas. Suffit de savoir qu’ils étaient plusieurs et qu’ils parlaient du capitaine Corbeville, qui venait de permuter pour rentrer en France, vu qu’il avait attrapé la fièvre et la colique au Sénégal, et qu’il ne les avait pas perdues en Algérie, où rien ne se perd, tant la police est bien faite, — de ce côté-là du moins.
Les uns disaient qu’il aurait mieux fait de ne pas permuter et que pierre qui roule n’amasse pas mousse ; d’autres, qu’il avait besoin d’aller à Vichy et de là voir son père, qui était très vieux et qu’il n’avait pas vu depuis sept ans…
Pendant qu’on causait, voilà que nous arrivons, Pitou et moi, pour raconter notre histoire et demander un congé de deux jours.
Naturellement, c’est moi qui fus chargé de porter la parole, qui est une chose si lourde, au dire de Pitou, qu’il n’y a pas plus lourd que ça dans la nature. D’ailleurs, comme il dit : « Tu es orateur, Dumanet, tu parlerais cinq heures de suite sans débrider. Va donc de l’avant ; ce que tu feras sera bien fait ; ce que tu diras sera bien dit. »
Voyant ça et que je ne risque pas d’être blâmé par mon Pitou, je dis à M. Chambard :
« Mon capitaine ! »
Lui se retourne :
« C’est toi, Dumanet ?
— Oui, mon capitaine, c’est moi et Pitou.
— Eh bien, qu’est-ce que vous me voulez ?
— Un congé de deux jours, mon capitaine, si c’était un effet de votre bonté.
— Pour quoi faire ? »
Ah ! voilà ! Je me grattais la tête, et Pitou aussi ; c’est-à-dire, il grattait la sienne et moi la mienne. Si nous disions notre idée au capitaine Chambard, il était capable de nous la prendre. Dans un pays comme celui-là, où les lions ne sont pas aussi communs que les perdreaux en France, ça pouvait le tenter, lui et ses amis, une chasse au lion.
Il demanda encore :
« Dis tes raisons, Dumanet.
— Mon capitaine, voilà. Pitou et moi, nous avons une fameuse idée, mais nous avons peur, si quelque camarade venait à le savoir, qu’il voulût nous la voler. Ça fait que nous avons de la peine à nous confesser.
— Eh bien, confessez-vous, ne vous confessez pas, ça m’est égal. Mais, si vous ne dites pas pourquoi, vous n’aurez pas de congé. »
Voyant ça, je dis tout bonnement notre affaire, que nous avions vu et entendu le lion, qu’il était dans la montagne, enfin tout ce que j’ai déjà raconté.
Les officiers m’écoutaient comme si j’avais débité l’histoire la plus intéressante, et le capitaine Chambard les regardait du coin de l’œil, pour les avertir qu’il lui poussait une idée, à lui aussi. Malheureusement, c’était justement celle que je craignais.
Quand j’eus fini, il demanda aux autres en riant :
« Eh bien, qu’en pensez-vous ? Voulez-vous en être ? »
Tous firent signe que ça leur faisait plaisir.
Alors, se tournant vers moi, il dit :
« Eh bien, Dumanet, c’est convenu. Tu auras tes deux jours de congé, même quatre, si c’est nécessaire. Vous nous attendrez, toi et Pitou, et nous partirons ce matin à dix heures tous ensemble. Vous deux et l’Arabe Ibrahim vous nous servirez de guides. »