La Chasse et l’Amour

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La Chasse et l’Amour, à Lysidor.

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La Chasse et l’Amour, à Lysidor.
MDCXXVII.
In-8º. 15 pages.

L’Amoureuse Chasse, à Lysidor.

Lysidor, voicy le printemps
Qui remet sa gaye verdure ;
Mais les bons veneurs en ce temps
Ont une bien maigre adventure.
—-La saison ne rit à leurs cœurs ;
En vain s’y romproient-ils la teste,
La senteur de l’herbe et des fleurs
Prive leurs chiens d’aller en queste.
—-Ils ont beau sonner de leurs cors,
Et brosser dans les forets vertes ;
Ils ont beau picquer dans les forts,
Leurs meutes n’y vont qu’à leurs pertes.
—-Ny leurs forhus, ny leurs relais,
Ny leurs routes, ny leurs brisées
Ne servent qu’à rendre à leurs frais
Toutes leurs peines abusées.
—-Mais si vous aymez à chasser,
Vous plaisant à la venerie ;
Si vous aymez à relancer,
Que ferez-vous donc, je vous prie ?
—-Tandis, si vous le desirez,
Estant chasseur comme vous estes,
Doucement vous esquiperez
Vostre chasse pour les fillettes.
—-Bien garny de tout ce qu’il faut,
Et les voyant de bonnes prises,
Sans les aller courre en deffaut,
Les belles vous seront acquises.
—-Tantôt la blonde vous suivrez,
Remarquant son erre et sa voye ;
Ore à la brune vous irez,
Mariant la peine à la joye.
—-Ore un tetin dont l’Orient
Ne sera que lys et qu’ivoire,
Un teint de rose, un œil friand,
Vous induiront à la victoire.
—-Ores vous prendrez les devants,
Maintenant vous ferez l’enceinte :
Les veneurs expers et sçavans
Usent d’une pareille feinte.
—-Maintenant vous plierez le trait
Du limier avec retenuë,
Ou l’alongerez, comme on fait
À l’heure que la beste est veuë.
—-C’est le moyen de r’habiller
Les désordres que l’on peut faire :
Lysidor, il y faut veiller,
Et regarder à son affaire.
—-On eslogne souventes fois
La venaison que l’on pourchasse,
N’usant des statuts et des loix
Qui sont de l’amoureuse chasse.
—-Or les plaines et les forests
De ce quartier, sans raillerie,
Assez, de loin comme de près,
Nourrissent telle venerie.
—-Chassez donc et soir et matin,
Car telle chasse le merite ;
Et, pour un si digne butin,
La gloire n’en sera petite.
—-Revoir, rencontrer, retourner,
Demesler, cognoistre le change,
Lancer, r’embucher1, ramener,
Vous donneront heur et louange.
—-Quand vous aurez fait tout cela,
Cherchant le frais de la serée
Comme gens qui font le holà,
Vous sonnerez pour la curée.
—-Lors (s’il me doit estre permis
De vous le dire sans feintise),
Vous obligerez vos amis
De quelque chose de la prise,
—-Afin qu’ils soient mieux restaurez
Des biens qui viennent de la chasse,
Qu’ils n’ont esté remunerez
De ceux des muses du Parnasse.

Eslection d’une maistresse.

—-Pour faire une belle maistresse,
Capable de ravir mon cœur
Et d’estre un jour une deesse,
Malgré le temps et sa rigueur,
Voicy comme je la desire
Et comme je la veux eslire.
—-Premièrement, je la demande
Entre seize et dix et sept ans,
De taille qui soit riche et grande,
Et que la fleur de son printemps
Ait un air de qui la merveille
La fasse juger nompareille.
—-Je ne la recherche trop grasse,
Ny trop maigre je ne la veux :
Toutes deux ont manque de grace
Pour embarquer un amoureux.
Un gresle embonpoinct je souhaitte,
La desirant toute parfaicte.
—-Je veux qu’elle ait la face ronde,
Peinte de roses et de lys,
Et qu’une amorce autre que blonde
Rende ses cheveux embellis,
Frisez en leur brune teinture
Par un miracle de nature.
—-Je luy desire un front d’yvoire,
Et que deux bruns sourcils pareils
Ombragent l’une et l’autre gloire
De ses yeux (deux humains soleils)
Riant, sans l’emprunt de la bouche,
Pour attirer le plus farouche.
Aussi je veux en ceste belle
Un nez de moyenne longueur,
Traitis, comme l’eut jadis celle
Par qui Roland fut en langueur,
Et que son oreille desclose
Imitte la nouvelle rose.
—-Sa bouche soit ronde et petitte,
Vermeille dehors et dedans,
Où deux rangs de perles d’elitte
Se manifestent pour les dents
Avec une grace alléchante,
Soit qu’elle rie ou qu’elle chante.
—-Qu’aux deux bords deux fossettes rient,
El que, par l’effect de leurs ris,
En ravissant elles marient
Et la civette et l’ambre gris
Sous une haleine parfumée,
Naturellement embasmée.
—-Comme la pomme nouvelette
Qui n’a plus rien de son cotton
Paroist en embas jumelette,
Ainsi la belle ait un menton ;
Sa gorge soit doüillette et blanche
Comme nège au long d’une branche.
—-Son col apparoisse de mesme,
Droit, charnu, bien uni partout ;
Et que, d’une blancheur extresme,
Ses tetins, fraisez sur le bout,
Lentement, d’une suitte esgalle,
Soient agitez par intervalle.
—-Que ses mains aux lys fassent honte ;
Que ses longs doits appareillez
Ay’nt une beauté qui surmonte
Les marbres polis et taillez ;
Ses pieds ay’nt la forme divine
Des pieds de la nymphe marine.
—-Les autres beautez soient pareilles :
J’entends celles qu’on ne voidt pas,
Et dont les secrettes merveilles
Àttrairoient les dieux icy-bas,
Et feroient marcher en trophée
Les monts et les bois, comme Orphée.
—-Mais, si je la veux excellente
Et parfaitte en beauté de corps,
Je la desire aussi brillante
Par dedans comme par dehors,
Recherchant un esprit en elle
Qui soit digne d’une immortelle.
—-J’entends qu’elle soit bien apprise
Toujours dans la civilité ;
Qu’elle parle avec galantise,
D’un entendement arresté,
Sans vouloir estre dedaigneuse
Que par une feinte amoureuse.
—-Je veux (si, partant de l’enfance,
On peut acquerir un tel art)
Qu’elle ait parfaitte cognoissance
De tous les escris de Ronsard
Et de tous les chants de Petrarque,
Dignes de surmonter la parque.
—-Je veux qu’elle adore leur style,
Dont l’air est toujours de saison,
Dont la seule voix est habile
Pour une fille de maison :
Le jargon d’un autre langage
Est pour les filles de village.
—-Rien d’austaire je ne desire,
Ny de revesche en son humeur :
La severité n’a l’empire
Que sur le fait d’un age meur.
Les ris, les jeux et les blandices
D’amour sont les vrays exercices.
—-Je veux donc qu’elle soit gaillarde
Comme un chevreuil dedans un bois,
Impatiente et fretillarde,
Et moderement, toutesfois,
Car en cette humeur vive et prompte,
Mon desir est qu’elle se domte.
—-De plus, je veux que ses œillades
Facent mille et dix mille tours,
Soit pour rendre les cœurs malades,
Soit pour alleger leurs amours,
Donnant, comme Achille en Mysie,
D’un coup et la mort et la vie.
—-Je veux qu’à la dance elle monstre
Je ne sçay quoy de nompareil,
Et que son chant, de sa rencontre,
Plonge les yeux dans le sommeil,
Quand au luth ses mains charmeresses
Joindront ma peine ou mes liesses.
—-Je la souhaitte bien parée,
Nette, propre et sans afficquets,
N’estant seulement bigarée
Que de perles et de bouquets
À l’oreille, au col, sur la teste :
L’excès est tousjours mal honneste.
—-Aussi la desiré-je encore
De bon sang et de bons ayeux,
Affin que mieux elle decore
Les graces qu’elle aura des cieux
Toujours une eau claire desrive
Et jaillit d’une source vive.
—-Pour cela, qu’elle ne mesprise
Les fers de ma captivité ;
Le soleil, bien qu’il ne reluise,
Empesché de l’obscurité,
Ne laisse pas neantmoins d’estre
Le soleil comme il est veu naistre.
—-Bref, je demande qu’elle passe
Toutes les filles de son temps
En gentillesse, en bonne grace,
Pour rendre mes esprits contens,
Et pour gaigner en mon service
Un nom qui jamais ne perisse.
—-Telle je veux une maistresse
Pour loüer ses jeunes beautez
Et pour en faire une déesse
Là-haut, parmy les deitez,
Qui, la voyant si bien choisie,
En auront de la jalousie.
—-Mais toutesfois, si quelque belle
Et d’autre air et d’autre couleur,
Me fait voir quelque chose en elle
Digne de penetrer un cœur,
À l’heure, je ne veux pas dire
Que peut-estre je ne l’admire.
—-Ainsi donc me plaist-il de vivre
Eslogné des soins de la cour ;
Ainsi me plaist-il de ressuivre
Encor’ la banière d’amour :
Car de chanter les grands du monde,
C’est battre l’air et frapper l’onde.

Sonnet de l’infortune des bons vers.

—-Si les carmes jadis (on nomme ainsi les vers)
Acquirent de l’honneur et du prix en leur style,
Un Homère, un Petrarque, un Ronsard, un Virgile,
En donnent assez preuve au rond de l’univers.

—-Les grands en firent cas, et les peuples divers,
Et leur gloire supresme eust cours de ville en ville.
Maintenant (quelle honte !) il n’est chose plus vile :
Ils marchent les pieds nuds, tristement descouverts !

—-Qui leur rendra leur grade aujourd’huy par la France ?
Des majestez depend telle heureuse influence.
Les voyant donc si nuds et si mal ajancez,

—-Il faut que, par devoir, en leur nom je m’escrie :
N’oubliez pas le tronc des carmes deschaussez,
Et vous aurez au ciel une immortelle vie.




1. Faire rentrer dans le bois. Regnard a employé ce verbe d’une façon très comique dans sa comédie du Bal (sc. 2).