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La Chatte métamorphosée en femme (opéra-comique)

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LA CHATTE
MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME,


OPÉRA-COMIQUE EN UN ACTE,


PAROLES DE MM. SCRIBE ET MÉLESVILLE,


MUSIQUE DE M. J. OFFENBACH,


Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre des Bouffes-Parisiens, le 19 avril 1858.




DISTRIBUTION DE LA PIÈCE.
GUIDO, fils d’un négociant de Trieste M. Tayau
MARIANNE, sa gouvernante Mlle Macé
MINETTE, chatte de Guido Mlle Tautin
DIG-DIG, jongleur indien M. Désiré
La scène se passe à Biberach, en Souabe.

Le Théâtre représente la chambre de Guido. — Au fond, une alcôve, avec une petite croisée élevée, contre laquelle est un lit de repos, caché par deux rideaux. — À droite de l’acteur, une table, sur laquelle est un coffre de moyenne grandeur. — Au-dessus de la table, une cage accrochée à la muraille. — Deux portes latérales : à gauche, la porte d’entrée ; à droite, celle qui est censée conduire dans une autre chambre.


Scène I.

MARIANNE, seule, assise auprès de la table et tricotant ; elle tient sur ses genoux une chatte blanche endormie.

Notre maître ne revient pas !… Depuis ce matin, qu’il court toute la ville de Biberach, il n’aura rien trouvé, c’est sûr !… Pauvre Guido ! le plus beau jeune homme de toute la Souabe… Un jeune homme si bon, si aimable, qui avait tant d’amis, quand il avait de l’argent !… ils sont tous partis ; et de tous ceux qui dînaient à la maison, il n’est resté que notre chatte… cette pauvre Minette, qui dort là, sur mes genoux, et dont il faudra se séparer aussi ! La cuisinière du gouverneur m’en a déjà offert trois florins, que j’ai refusés !… trois florins !… la fourrure seule vaut cela… sans compter son caractère ! Et cependant je serai bien obligée d’en venir là… par intérêt pour elle ; car ici nous n’avons pas même de quoi la nourrir… Entends-tu, Minette, tu ne seras pas à plaindre… c’est moi ! parce que les chattes, c’est la passion des vieilles gouvernantes… et, depuis la mort de mon mari, je peux dire… foi d’honnête femme, que c’est le seul attachement que je me sois permis.

(Elle a été placer Minette endormie sur le lit de repos dont un des rideaux seulement est entr’ouvert, de manière que la chatte n’est plus vue des spectateurs.)

COUPLETS.
I.
Le ciel voulut, dans sa sagesse,
Que notre cœur en tout temps s’attachât.
Jeune, on est tendre, et quand vient la vieillesse,
Afin d’aimer, on aime encore son chat.
Des chats pourtant le naturel est traître ;
Ils trompent qui sait les chérir,
C’est pour cela qu’on les aime peut-être,
Des amants c’est un souvenir.
II.
Las ! pauvres femmes que nous sommes,
Toujours victim’s de nos attachements,
Nous écoutons les fleurettes des hommes
Qui dans un jour font mille autres serment.
Comm’ces messieurs, les chats par la fenêtre
Se sauv’nt pour ne plus revenir,
C’est pour cela qu’on les aime peut-être.
Des amants c’est un souvenir ;
Oui, pour cela, nous les aimons peut-être ;
Des amants c’est un souvenir.

(On entend en dehors.) Marianne ! Marianne !

Ah ! mon Dieu ! c’est notre maître !… ne lui parlons pas de l’idée de vendre Minette ; car il l’aime tant, qu’il se laisserait plutôt mourir de faim.

GUIDO, en dehors.

Marianne ! Marianne !

MARIANNE, va ouvrir.

Voilà… voilà…


Scène II.

MARIANNE, GUIDO.
GUIDO.

C’est heureux !… j’ai cru que vous aussi, Marianne, vous alliez me laisser à la porte.

MARIANNE.

C’est que j’avais peur de réveiller Minette.

GUIDO, d’un air sombre.

Pauvre petite !… elle dort ?… elle fait bien !… et moi aussi, je voudrais dormir… dormir toujours !… d’abord, qui dort dîne… c’est une économie ; et puis on a un autre plaisir plus vif encore s’il est possible…

MARIANNE.

Et lequel ?

GUIDO.

C’est de ne plus voir les hommes !… et dans mon état de misanthrope, Marianne, je ne peux plus les envisager.

MARIANNE.

Est-il possible !… Vous n’avez donc rien obtenu des débiteurs de votre père ?

GUIDO.

Ah ! bien oui… Si tu avais vu les mines allongées qu’ils m’ont faites !… L’un ne me reconnaissait pas !… L’autre avait fait de mauvaises affaires !… puis ils disparaissaient… impossible de les rejoindre… car, depuis qu’ils ont eu des malheurs, tous mes débiteurs ont voiture ! et moi, je suis à pied !

MARIANNE.

Mais pourquoi avoir refusé d’écrire à votre oncle, qui habitait cette ville et qui était si riche ?

GUIDO, vivement.

Mon oncle, Marianne… Je vous ai défendu de prononcer son nom devant moi !… C’est lui… c’est cet honnête négociant qui a ruiné mon père avec ses comptes… à parties doubles… D’ailleurs, il aurait eu de la peine à me répondre… puisqu’il est mort…

MARIANNE.

Il fallait s’adresser à son intendant, monsieur Schalgg.

GUIDO.

Cet astucieux personnage !… qui, quand j’étais petit… s’amusait toujours à mes dépens ?… M’a-t-il attrapé de fois, celui-là !… mais il ne m’y reprendra plus.

MARIANNE.

Mais au moins, votre jeune cousine, avec laquelle autrefois vous avez été élevé, et qui est, dit-on, si espiègle, si maligne, et pourtant si bonne ?… elle voulait réparer les torts de son père… elle vous avait fait proposer sa main… elle a tout tenté pour vous voir… vous avez toujours refusé.

GUIDO.

Et je refuserai toujours.

MARIANNE.

Et pourquoi, je vous le demande ?

GUIDO.

Pour deux raisons… la première, je te l’ai déjà dite, parce que je suis misanthrope ; et la seconde…

MARIANNE.

Eh bien ?

GUIDO.

Je ne te la dirai pas.

MARIANNE.

Alors, c’est comme si vous n’en aviez qu’une.

GUIDO.

Ma seconde raison… et c’est la plus forte… c’est que j’ai une passion dans le cœur.

MARIANNE.

Et pour qui, grand Dieu ? Pour quelque jeune demoiselle ?…

GUIDO, d’un air sombre.

Non.

MARIANNE.

Pour quelque veuve ?

GUIDO.

Non.

MARIANNE.

Ô ciel ! c’est pour quelque femme mariée ?…

GUIDO, avec effort.

Non… mais tu ne le sauras jamais, ni toi ni personne au monde !… Moi qui te parle, je ne suis pas même sûr de le savoir.

MARIANNE.

C’est donc quelque chose de bien terrible ?

GUIDO.

Si terrible… que, vois-tu, Marianne, je serais amoureux de toi, si c’était possible, je mets tout au pis, que ça ne serait rien auprès !…

MARIANNE.

Qu’est-ce que ça signifie ?

GUIDO.

Brisons là… Marianne, de deux choses l’une : ou tu me comprends, et alors nous nous entendons ; ou bien, tu ne me comprends pas, et alors nous sommes d’accord, parce que je ne me comprends pas moi-même.

MARIANNE.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! Vous qui êtes un si bon jeune homme, faut-il vous voir perdre ainsi l’esprit !

GUIDO, froidement.

Je n’ai rien perdu, Marianne… mais laisse-moi seul… laisse-moi nourrir mes rêveries et ma mélancolie.

(Il s’assied à gauche.)

MARIANNE.

Oui, monsieur…, nourrissez-vous.

(Elle va prendra un panier dans le fond.)

GUIDO.

À propos de ça, qu’est-ce que tu as pour déjeuner ?

MARIANNE, revenant à la gauche de Guido.

Hélas ! je n’ai rien.

GUIDO.

Pour nous deux.

MARIANNE.

Oui, monsieur.

GUIDO.

Ça suffit, je n’en demande pas davantage… (Avec sentiment.) Tâche seulement que la meilleure part soit pour Minette.

MARIANNE.

Comment ! monsieur…

GUIDO.

Moi, j’ai des idées de philosophie qui me soutiennent… mais elle… pauvre petite !… Occupe-toi de sa pâtée… c’est l’essentiel.

MARIANNE.

Oui, monsieur… (À part.) Oh ! je n’y tiens plus… je vais retrouver la cuisinière du gouverneur, et vendre cette pauvre chatte.

(Elle sort par la porte à gauche de l’acteur.)


Scène III.

GUIDO, seul.

Elle est sortie !… elle me laisse enfin… et maintenant que je suis seul… dirai-je la cause de mes tourments ? (S’avançant au bord du théâtre comme pour parler, et s’arrêtant.) Non… je ne la dirai pas, et l’objet même de cette passion folle, désordonnée, absurde… l’ignorera toujours !… (S’approchant du lit de repos qui est au fond.) Elle est là… qu’elle est gracieuse et gentille ! Sa petite tête posée sur sa petite patte !… Pauvre petite Minon !… petit l’amour !… (Douloureusement.) Elle ne me répond pas… est-ce qu’elle est morte ? Minette, oh ! dieux !… Minette… non… non… (Passant la main sur sa tête et sur sa bouche.) Elle a fait comme ça… puis comme ça !… On vient. (Fermant les deux rideaux.) Dieux !… Si l’on m’avait vu… il n’en faudrait pas davantage pour compromettre… (Apercevant Dig-Dig.) Un étranger ! quelle drôle de figure, et quel diable de costume !


Scène IV.

GUIDO, DIG-DIG, en Indien.
DIG-DIG, saluant à l’orientale.

N’est-ce point au jeune Guido que j’ai l’honneur de parler ?

GUIDO.

À lui-même !… je suis ce jeune Guido.

DIG-DIG, à part.

Il m’a l’air aussi naïf qu’autrefois, et je crois que je pourrai…

GUIDO.

Mais on n’entre pas ainsi chez les gens, quand on ne les connaît pas.

DIG-DIG, d’un ton mielleux.

La connaissance sera bientôt faite, ô mon fils… et vous ne vous repentirez point de ma visite !… Mon costume vous indique assez que je ne suis point Européen… Je suis Indien… Votre père a fait autrefois des affaires avec des négociants de la Compagnie des Indes, mes compatriotes, et…

GUIDO, à part.

Je vois ce que c’est… quelques lettres de change arriérées… (Haut.) Monsieur, j’ai renoncé au commerce des hommes, et surtout aux hommes de commerce, et si c’est de l’argent à donner…

DIG-DIG, lui présentant une bourse.

Au contraire… c’est une centaine de florins à recevoir… d’un Indien comme moi… débiteur de votre père !

GUIDO.

Qu’est-ce que vous me faites l’honneur de me dire ?…

DIG-DIG.

Cela vous déride, ô mon fils !… Le monde entier en est là.

(Faisant sonner la bourse.)
COUPLETS.
I.
Tin, tin, tin, tin,
Joyeux tocsin !
Que veut l’Indien.
Ou l’Italien,
Le Péruvien,
Le Parisien,
L’épicurien,
Le bohémien,
Et le chrétien
Et le païen ?…

(Faisant sonnet la bourse.)

Tin, tin, tin, tin,
Contre les maux de la vie
La fièvre ou la calomnie,
La bonne philosophie
Et le meilleur médecin…
C’est…

(Faisant sonner la bourse.)

Tin, tin, tin, tin,
Que ce doux tocsin
Résonne un matin,
Tin, tin, tin, tin,
Il chasse soudain
Misère et chagrin !

(Toutes les fois que Dig-Dig fait sonner la bourse, Guido avance la main pour la prendre. Dig-Dig la retire aussitôt, ce jeu continue pendant le second couplet.)

II.
DIG-DIG.
Tin, tin, tin, tin,
Joyeux tocsin,
Jeune tendron
À l’œil fripon
Vous fait faux bond
Pour un doublon ?
Au sol fécond
De l’Orégon
Que cherchait donc
Christophe Colomb ?

(Faisant sonner la bourse.)

Tin, tin, tin, tin,
Au diable la gloriole
L’amour et la faribole !
La véritable boussole
Qui gouverne le destin,
C’est…

(Faisant sonner la bourse.)

Tin, tin, tin, tin,
Que ce doux tocsin
Résonne un matin,
Tin, tin, tin, lin,
Il chasse soudain
Misère et chagrin.

(Il lui donne la bourse.)

Voilà.

GUIDO.

Ma foi, c’est bien de l’argent qui m’arrive de l’autre monde, — mettons cela dans ma caisse. (Il met la bourse que lui a donnée Dig-Dig dans le coffre qui est sur la table.) Ce n’est pas la place qui manque !… Ah ! monsieur est Indien !… Et comment vous trouvez-vous en Allemagne ?… en Souabe ?…

DIG-DIG.

Mon fils, l’homme est un voyageur… Tel que vous me voyez, je suis né dans le royaume de Kachmyr… Mon père, qui était un bonze de troisième classe, m’avait placé dans le temple de Candahar auprès du grand Gouron de Kachmyr.

GUIDO, avec respect.

Auprès du grand Gouron !… Il a vu le Gouron… Vous avez vu le Gouron… (Il baise la manche de Dig-Dig.)

DIG-DIG.

Très souvent ; mais l’amour des voyages m’a pris… J’ai vu la France… J’ai vu Paris.

GUIDO.

Beau pays ! pour un savant tel que vous !…

DIG-DIG.

Pays superbe ! ou je serais mort de faim, si je ne m’étais rappelé les tours d’adresse que l’on possède dans notre patrie… et sous le nom de Dig-Dig, jongleur indien… car dans ce pays tous les jongleurs réussissent… j’ai eu l’honneur de faire courir tout Paris… Enfin, je suis venu me fixer dans cette ville, où je jouis d’une certaine considération… J’y enseigne la danse, l’astronomie et l’escamotage… ce qui ne m’empêche pas de me livrer à mon étude favorite, le grand œuvre de Brahma… la transmutation des âmes.

GUIDO, vivement.

La transmutation des âmes !

DIG-DIG.

C’est un des dogmes de notre croyance ; car vous savez sans doute ce que c’est que la métempsychose.

GUIDO.

Parbleu !… si je le sais.

DIG-DIG.

Quand notre existence finit… selon nos bonnes ou mauvaises actions… nous devenons ours, moutons, bécasses, et cætera, et cætera !… Système consolant, culte admirable… qui nous fait, dans chaque animal, aimer notre semblable ! Je vous parle ainsi, parce que je pense bien qu’un garçon d’esprit tel que vous doit croire à la métempsychose.

GUIDO.
Si j’y crois !… certainement !… D’abord, comme dit le docteur Faust, que je citerai toujours, si ça n’est qu’impossible, ça se peut.
DIG-DIG.

Comment ! si ça se peut ?… Moi qui vous-parle, je me rappelle parfaitement avoir été girafe.

GUIDO.

Vous avez été girafe ?

DIG-DIG.

Pendant vingt ans, en Égypte !… puis chameau…

GUIDO.

Vraiment !… Eh bien, il vous en reste encore quelque chose.

DIG-DIG.

Je ne dis pas !… Mais vous, rien qu’en vous voyant, je pourrais vous dire… Vous avez dû être mouton.

GUIDO, froidement.

C’est possible !…

DIG-DIG.

Un beau mouton.

GUIDO.

Je le croirais assez… D’abord je l’aime beaucoup… ce qui est peut-être un reste d’égoïsme !… Ensuite, la facilité que j’ai toujours eue à me laisser manger la laine sur le… Ah ! mon Dieu ! quand j’y pense… puisque vous êtes si savant, j’ai une demande à vous faire… une demande d’où dépend le bonheur de ma vie.

DIG-DIG.

Parlez, mon fils.

GUIDO.

Vous saurez que j’ai ici une chatte charmante… un angora magnifique !…

DIG-DIG.

Je la connais.

GUIDO, avec une nuance de jalousie.

Comment ? vous la connaissez !

DIG-DIG.

Je l’ai souvent admirée, quand Marianne, votre vieille gouvernante, la portait sur son bras. J’ai même fait causer cette brave femme plusieurs fois, et j’en sais sur vous plus que vous ne croyez.

GUIDO.

Eh bien, dites-moi, qu’est-ce que vous pensez de Minette ? qu’est-ce que ça doit être ?

DIG-DIG.

C’est bien aisé à voir ! à l’esprit qui brille dans ses yeux… à la grâce qui anime tous ses mouvements, je vous dirai, mon cher, que cette enveloppe cache la jeune fille la plus jolie et la plus malicieuse.

GUIDO, avec transport.

Dieu ! que me dites-vous là ? tout s’explique maintenant… et l’instinct de l’amour n’est point une chimère ! Apprenez que mon cœur avait deviné sa métamorphose, et que cette jeune fille aimable… si gracieuse… je l’aime… je l’adore…

DIG-DIG.

Il serait possible !

GUIDO.

Et c’en est fait du jeune Guido, si vous ne m’enseignez pas quelque moyen, quelque secret… il doit y en avoir… ô vénérable Indien !

DIG-DIG, avec mystère.

Chut ! je ne dis pas non… Vous sentez bien qu’on n’a pas été, pendant dix ans, près du Gouron sans avoir escamoté quelques-uns de ses secrets… et j’ai là un amulette dont la vertu est infaillible pour opérer la transmigration des âmes à volonté. (Il montre une bague.)

GUIDO.

En vérité !

DIG-DIG.

Il suffit de la frotter en prononçant trois fois le nom de Brahma.

GUIDO.

Ah ! mon ami ! mon cher ami ! si vous vouliez me la céder… tout ce que j’ai… mon sang, ma vie…

DIG-DIG.

Je ne vous cache pas que c’est fort cher… ce sont des articles qui manquent dans le commerce… et à moins de 200 florins.

GUIDO, allant au coffre.

Tenez, tenez, en voilà déjà cent… ils ne seront pas restés longtemps en caisse… et pour le reste, je vous ferai mon billet.

DIG-DIG.

Dieu ! quelle tête ! et quelle imagination !… si c’est ainsi que vous faites toutes vos affaires, ô mon fils ! Tenez… prenez…

GUIDO, prenant la bague.

Elle est à moi !… quel bonheur !

(Il court au lit où repose Minette.)

DIG-DIG, l’arrêtant.

Prenez garde, prenez garde, vous ne savez pas ce que vous désirez, et avant la fin du jour, vous vous repentirez peut-être d’avoir fait usage de ce talisman ! songez-y bien, ô jeune imprudent !

RÉCITATIF.
Avant que ta voix anime
Cet être qui te charma,
Rappelle-toi la maxime
Que nous prescrivit Brahma.
Cette maxime profonde,
Livre trois, premier verset :
« Ne dérangez pas le monde,
» Laissez chacun comme il est. » (Bis.)

(Dig-Dig salue gravement et sort en disant :)

Ne vous dérangez donc pas, je vous en prie.

Scène V.

GUIDO, seul en répétant.
Ne dérangez pas le monde,
Mais du contraire on le remet
Comme il était !

(Tenant l’amulette et faisant un pas vers le lit.)

Ô Minette ! chère Minette !
Moment d’espoir et de bonheur !

(S’arrêtent avec trouble.)

Hé ! mais une crainte secrète…
On dirait que j’ai peur !

(S’excitant.)

Non ! non !
INVOCATION.
Ô Dieu puissant du Gange !
Toi par qui tout se change,
Celle que j’aime est là,
À mes jeux, montre-la,
Brahma ! Brahma ! Brahma !

(En prononçant ces mots, il frotte la bague, et tout à coup les rideaux du lit s’ouvrent sur un roulement de timbales.)


Scène VI.

GUIDO, MINETTE, en jeune fille vêtue de blanc, couchée sur le lit et endormie.
GUIDO, très ému, parlant.

Une femme ! ô prodige !

(Elle s’éveille, se regarde avec étonnement et descend du lit.)

DUO.
GUIDO, n’osant s’approcher.
Ô la plus charmante des chattes !…
Elle est bien mieux comme cela.
MINETTE, faisant quelques pas avec crainte.
Hier, je marchais à quatre pattes,
Et sur mes deux pieds me voilà.
GUIDO.
Je n’ose lui parler.
MINETTE, étendant ses bras dont elle semble chercher la fourrure.
Je n’ose lui parler. Plus rien !

(Les regardant.)

Et cependant… c’est mieux ! c’est bien !
GUIDO.
Pst, pst !… Minette.
MINETTE, se retournant.
Pst, pst !… Minette. Qui m’appelle ?
C’est mon maître ! Guido !…
GUIDO, enchanté.
C’est mon maître ! Guido !… Mon nom…
Elle se le rappelle.

(Minette lui tend sa main.)

Ah ! que c’est doux ! ah ! que c’est bon !
MINETTE.
Dieux ! quelle existence nouvelle !

(Touchant sa tête.)

Mille sentiments nouveaux ! là !…

(Touchant son cœur.)

Puis là…
Qui donc m’expliquera
Ce miracle qui me confond.
Oh ! comme il bat ! Guido ! qui suis-je donc ?…
GUIDO.
Ce que le ciel a formé de plus beau !…
Un diamant, une perle, un joyau,
Une fleur qui charme notre âme ;
Une femme enfin !… une femme !…
MINETTE.
Une femme, moi ! quel bonheur !
GUIDO.
Oui, je lis dans ton cœur,
Allons-nous être heureux !…
Vivre ensemble ! toujours… tous deux !
Tout ce que tu voudras,
Tu l’obtiendras.
Demande ce qui peut te plaire.
Que veux-tu d’abord ?
MINETTE.
Que veux-tu d’abord ? Un miroir !…
GUIDO.
Un miroir !…

(Souriant.)

C’est une femme, la chose est claire.
MINETTE.
Je veux me voir.
GUIDO.
Dans un instant.

(À lui-même.)

Serrons bien mon cher talisman.

(Il met l’amulette dans le coffre et va prendre un petit miroir de toilette.)

MINETTE.
Eh bien donc ?
GUIDO.
Eh bien donc ? Le voilà.
MINETTE.
Ah !
GUIDO.
Ah !
Ensemble.

(Pendant cet ensemble Minette regarde devant et derrière le miroir en jouant comme les chats.)

MINETTE.
Est-ce bien moi
Que j’aperçois ?
Ce n’est pas moi,
Si fait, c’est moi.
Oui, je le voi,
Oh ! c’est bien moi,
Œil caressant,
Teint rose et blanc,
Lèvre en corail
Et dent d’émail.
Oh ! c’est bien moi
Que j’aperçoi,
Jamais
Je n’avais
Vu mes traits,
Et pourtant je les reconnais.
GUIDO.
Est-ce bien toi
Que j’aperçoi ?
Redis-le-moi,
Oh ! c’est bien toi.
Regarde-moi ;
Oui, c’est bien toi,
Œil caressant,
Teint rose et blanc,
Lèvre en corail
Et dent d’émail.
Oh ! c’est bien toi
Que j’aperçoi,
Jamais
Je n’avais
Vu ses traits,
Et pourtant je les reconnais.
GUIDO, suivant tous ses mouvements.
Ô femmes ! la coquetterie
Chez vous commence avec la vie !
MINETTE, jouant avec le miroir.
Oh ! que c’est gentil un miroir,
Et qu’on est heureux de se voir !
GUIDO, lui reprenant le miroir.
C’est assez l’occuper de toi,
Allons, allons, regarde-moi.
MINETTE.
Toi ?…
GUIDO.
Toi ?… Moi !
MINETTE, de même.
Toi ?… Moi ! Oui, non !
GUIDO, tendrement.
Regarde-moi.
MINETTE, reprenant le miroir et se regardant.
Regarde-moi. Non, non.
Ensemble.
MINETTE, même jeu.
Est-ce bien moi
Que j’aperçois ? etc.
GUIDO.
Est-ce bien toi
Que j’aperçois ? etc.
MINETTE, se tournant vers lui

Je suis jolie, n’est-ce pas ?

GUIDO, se croisant les bras.

Elle me demande cela, à moi !… charmante !

MINETTE.

C’est ce qui me semblait ! mais au premier coup d’œil on craint de se tromper.

GUIDO, la regardant.

Il faut convenir que j’ai joliment réussi… Tous ces charmes-là c’est mon ouvrage.

MINETTE, posant le miroir sur la table.

Ah ! tant mieux ! je t’en remercie… Mais je vous demanderai, monsieur, pourquoi vous ne m’avez pas faite plus grande ?

GUIDO.

Là ! ce que c’est que l’ambition ! tout à l’heure elle n’était pas plus haute que ça. (Mettant la main contre terre.) Déjà des idées de grandeur !

MINETTE.

Non… seulement comme cela (Se levant sur la pointe des pieds.) Rien qu’un peu, je t’en prie ! Qu’est-ce que cela te coûte ?

GUIDO.

Je ne peux plus ; ce ne sont pas de ces ouvrages qu’on retouche à volonté !

MINETTE.

Ah bien !… tu n’es pas complaisant.

GUIDO.

Et toi… si tu n’es pas contente, tu es bien difficile !

MINETTE, lui tendant la main en souriant.

Ah ! oui, pardon, je suis une ingrate !

GUIDO.

D’ailleurs, de quoi te plains-tu ? N’es-tu pas ce que tu étais autrefois ?

MINETTE.

Non, jamais je n’ai été femme… c’est la première fois !

GUIDO.

Bah !

MINETTE.

Mais, en revanche, j’ai été bien d’autres choses ! (Guido fait un mouvement.) Oui, monsieur. Est-ce que vous ne vous souvenez pas de ce que vous avez été, vous ?

GUIDO.

Mais dame !… je croyais avoir toujours été ce que je suis : un jeune homme aimable.

MINETTE.

Oh ! moi, je ne dirais pas au juste… mais je me rappelle confusément… il y a bien longtemps, bien longtemps… oui, j’ai été d’abord une petite fleur des champs… une petite marguerite.

GUIDO.
Tiens ! une petite Marguerite… c’était gentil, ça !
MINETTE.

Pas trop : toujours exposée au soleil… le moyen de rester fraîche et jolie ! Aussi, chaque jour, j’adressais ma prière à Brahma.

AIR.
Brahma, Brahma, Brahma,
Change-moi, Brahma !
Mon bon Brahma,
Par toi j’espère
Ce bonheur-là,
Puisque ta voix, déjà, déjà,
À ma prière
Me transforma.
Sois satisfaite !
Répond Brahma.
Et, crac ! voilà
Qu’en alouette
Il me changea.
Soudain, quittant le sol,
Dans l’air je prends mon vol,
Imitant les bémols
Des rossignols.
Mais un jour, au miroir,
Le désir de me voir
Me fit prendre aux filets ;
Et je disais :
Ah ! change-moi, Brahma,
Mon bon Brahma !
Oui, je réclame ce bonheur-là.
Soudain, voilà
Qu’en jeune chatte
Il me changea.
De moi l’on raffolait,
Chacun me cajolait :
Toujours du pain mollet
Et du bon lait !
Mais les chats, ont, dit-on,
Le naturel félon.
Pour eux j’en rougissais,
Et je disais :
Change-moi, Brahma,
Mon bon Brahma !
Par toi, j’espère
Ce bonheur-là,
Puisque ta voix, déjà, déjà,
À ma prière
Me transforma.
Soudain, voilà
Qu’en une femme il me changea !
Mais, cette fois, restons-en là.
Brahma, Brahma,
Ne changeons plus, restons-en là !
GUIDO.

On vient… c’est sans doute ma vieille gouvernante… qu’elle ne puisse pas soupçonner ton ancienne condition !

MINETTE.

Sois tranquille : je suis discrète.

GUIDO.

Et elle est discrète encore ! Quand je me la serais faite moi-même… Chut ! la voici !


Scène VII.

Les Mêmes, MARIANNE, portant un panier.
MARIANNE, à part.

C’est fini ; le marché est conclu : je l’ai vendue pour trois florins ; mais je n’aurai jamais le courage de… (Haut.) Que vois-je… une femme en ces lieux !

(À l’entrée de Marianne, Minette se place à la droite de Guido, et cherche à se cacher aux yeux de la gouvernante.)

GUIDO.

Te voilà bien étonnée, ma pauvre Marianne ! C’est… c’est… la fille d’un ancien ami de mon père… qui arrive à l’instant même… d’Angleterre.

(Pendant ce temps, Marianne a déposé sur la table ce qu’elle portait.)

MARIANNE, la regardant.

D’Angleterre !

GUIDO.

Oui, une jeune lady !… comme elle était sans asile, je lui en ai offert un… elle logera avec nous.

MARIANNE.

Avec nous ! (Posant son panier.) Ah bien ! par exemple, voici du nouveau !

MINETTE, à part.

C’est le déjeuner qu’elle rapporte… c’est de la crème : ah ! tant mieux !

(Elle passe sa langue sur ses lèvres.)

MARIANNE.

Comment ! not’maître… vous qui aviez renoncé aux femmes !

GUIDO.

Ah ! celle-ci ! quelle différence ! c’est d’une toute autre espèce… C’est la candeur ! l’innocence même !

MARIANNE, avec ironie.

Et elle arrive d’Angleterre ? (Elle porte le coffre dans la chambre à droite, et commence à mettre sur la table tout ce qu’il faut pour déjeuner.) Je vois ce que c’est… Monsieur est las de mes services… C’est une jeune gouvernante qu’il lui faut… Mais en la voyant de cet âge-là, Dieu sait ce qu’on en dira… On ne vous épargnera pas les propos, ni les coups de patte.

GUIDO, regardant Minette.

Pour ce qui est de ça, nous ne les craignons pas… et nous sommes là pour y répondre, n’est-ce pas, chère amie !

MARIANNE, allant à lui.

Chère amie ! qu’est-ce que j’entends là ? serait-ce par hasard… la passion… que vous ne vouliez pas m’avouer ce matin ?

GUIDO.

Juste, c’est elle ! (À part.) Elle ne croit pas si bien deviner. (Haut.) Oui, ma chère Marianne, c’est là cette femme charmante, dont le bon ton, la grâce et les manières distinguées… Ah !… qu’est-ce qu’elle fait donc là ?

(Il se retourne et aperçoit Minette, qui s’est approchée tout doucement de la table, trempant ses doigts dans la crème, et les portante sa bouche comme les chats.)

MINETTE, à part.

Dieux ! que c’est bon de la crème !

MARIANNE, la voyant et se récriant.

Oh ! voyez donc, monsieur !

GUIDO, bas à Minette.

Quelle distraction ! Minette !

MARIANNE, avec ironie.

C’est probablement un usage d’Angleterre.

GUIDO, avec humeur,

Oui, oui… dans ce pays-là… on ne mange pas comme… (Voulant détourner la conversation et regardant la table.) Mais quel déjeuner, Marianne ! toi qui n’avais pas d’argent… comment as-tu fait ?

MARIANNE, avec humeur.

Comment j’ai fait ! il l’a bien fallu… J’ai vendu notre chatte pour trois florins.

GUIDO.

Par exemple ! sans me consulter.

MARIANNE.

Ah ! bien oui. (Regardant Minette.) Vous avez maintenant bien d’autres choses à penser !… Je l’ai vendue à la femme du gouverneur… une femme très sensible… qui aime beaucoup les chats.

MINETTE, à part.

Me vendre ! c’est drôle !

MARIANNE.

C’est pour amuser son fils… un jeune homme de dix-huit ans, de la plus belle espérance.

MINETTE, à part.

Et à un jeune homme encore !

GUIDO, avec colère d’abord.

Comment !… (Se calmant.) Eh bien, à la bonne heure, puisque le fils du gouverneur l’a achetée… qu’il vienne la prendre (À part.) s’il peut la reconnaître !

MARIANNE, à elle-même.

Moi qui croyais que ça allait le désoler… quelle insensibilité !

GUIDO, à Minette.

Allons, chère amie, déjeunons.

(Il lui fait signe de s’asseoir vis-à vis de lui. Il lui verse de la crème, et lui montre comment il faut tremper son pain, ce que Minette imite gauchement et maladroitement.)

TRIO.
Ensemble.
GUIDO et MINETTE.
Repas charmant, plaisir extrême,
Se trouver là tous deux ! tous deux !
Pouvoir se dire ici : je t’aime !
Avec les yeux !
MARIANNE, les regardant et mangeant son morceau de pain.
Pauvre Minette ! ô peine extrême !
Il faut nous séparer tous deux,
Et pour toi l’ingrat n’a pas même
De larme aux jeux.
MINETTE, qui a versé son lait dans son assiette et le buvant.
C’est bon ! merci.
MARIANNE.
Dans son assiette !
Quoi, Milady !
GUIDO, bas, lui faisant signe.
Hé mais… Minette,
Non ! pas ainsi.

(Il lui montre.)

MINETTE, l’imitant.
C’est bien… merci.
MARIANNE, se moquant,
C’est fort joli !
Quelles manières
Singulières !
GUIDO, à part.
Quel embarras !
MINETTE, faisant la moue de loin à Marianne.
Hum ! vieille prude !
GUIDO, à part.
Elle n’a pas
Encore l’habitude
De dîner à table.

(Bas à Marianne.)

De dîner à table. Attends donc !

(Haut.)

Point de bon repas sans chanson.

(À Minette.)

Sauriez-vous quelque polonaise ?
MINETTE.
Non !
GUIDO.
Une gigue anglaise ?
MINETTE.
Mon Dieu non !

(Cherchant.)

Je me souviens
D’un petit air indien.
GUIDO, vivement.
Nous l’écoutons… très bien !
CHANSON.
MINETTE.
I.
Dans une pagode indienne,
Bayadère aux longs cheveux,
Aux cils noirs comme l’ébène,
À l’œil tendre et langoureux,
Doucement chantait ainsi :
« Ô bel ami !
» Ô mon chéri !
» Quand la nuit couvre nos bois,
» Viens à ma voix
» Comme autrefois,
» Miaou ! miaou !
» N’entends-tu pas ce chant hindou ?
» Miaou ! miaou !
» Reviens à moi, bel Acajou ! »
ENSEMBLE.
MARIANNE.
Miaou ! miaou !
Quel est donc ce chant hindou ?
GUIDO.
Miaou ! miaou !
C’est la langue de Vischnou !

(Aux mots de miaou, Marianne regarde de tous côtés, comme si elle entendait un chat et paraît fort étonnée, Guido fait des signes désespérés à Minette, puis se remet à sourire à Marianne, comme pour lui donner le change.)

MINETTE, continuant.
II.
« Je le vois, ton âme oublie
» Tes serments et mon bonheur,
» Les accents de ton amie
» N’arrivent plus à ton cœur !
» Une autre te plaît donc mieux !
» Soyez heureux
» Loin de mes yeux.
» Mais si tu te repentais,
» Je te plaindrais
» Et te dirais :
» Miaou ! miaou !
» N’entends-tu pas ce chant hindou ?
» Miaou ! miaou !
» Reviens à moi, bel Acajou ! »
Reprise de l’ensemble.
GUIDO, applaudissant et regardant Marianne.
Elle chante très gentiment !
MARIANNE, ironiquement.
Oui.
GUIDO, à Minette.
C’est charmant !
MARIANNE, à Minette.
Oh !… oui… charmant.
GUIDO, voyant Minette lécher son assiette.
Que fait-elle ? oh ! là là !
MARIANNE, la montrant à Guido.
Mais voyez donc !
GUIDO, désolé.
Mais voyez donc ! Nous y voilà.
MARIANNE.
Encore !
MINETTE, avec impatience.
Encore ! Ah !
GUIDO, avec colère.
Encore ! Ah ! Ah !
TOUS TROIS.
Encore ! Ah ! Ah ! Ah !
Encore ! Ah ! Ah !
Ensemble, très vif.
MARIANNE.
C’est épouvantable,
C’est abominable,
Ça me fait souffrir
Comme un vrai martyr.
Une jeune fille,
Qui toujours sautille,
Frétille,
Sautille,
Frétille,
Sautille,
Je n’y puis tenir,
J’aime mieux partir.
MINETTE.
C’est insupportable,
C’est abominable ;
Oui, c’est trop souffrir
Comme un vrai martyr.
Une vieille fille,
Qui toujours babille,
Babille,
Babille,
Babille,
Babille,
Je n’y puis tenir,
Vous pouvez sortir.
GUIDO.
C’est insupportable,
Je me donne au diable,
Ah ! c’est trop souffrir
Comme un vrai martyr.
Chacune babille,
Tout mon sang pétille,
Pétille,
Pétille,
Pétille,
Pétille,
Je n’y puis tenir,
C’est peur en mourir.
MARIANNE, avec colère et ironie.
Oui… je craindrais d’être indiscrète,
Je sors…

(Cherchant des yeux.)

Je sors… Mais où donc est Minette ?
MINETTE, se levant étourdiment.
Je sors… Mais où donc est Minette ? Me voici !
MARIANNE, se retournant.
Hein ?
GUIDO, bas et retenant Minette.
Hein ? Chut !
MARIANNE.
Plaît-il ?
GUIDO, lui montrant le fond.
Plaît-il ? Je dis que je la vois d’ici.
MARIANNE.
Où donc ? dans mon panier ?

(Elle prend son panier à ouvrage qui renferme des pelotes de laine et de coton.)

GUIDO, à part.
Oui, cherche à moins d’être sorcier !

(Une pelote de laine s’est échappée du panier, Minette se lève, court après, et joue avec toutes les autres en les dévidant comme les chats.)

MARIANNE, criant et la poursuivant.
Eh bien ! eh bien ! mademoiselle !
MINETTE, se fâchant.
Laissez-moi !…
GUIDO, à Minette.
Laissez-moi !… Finis donc !
MARIANNE.
Quelle horreur !
GUIDO, à Marianne.
Quelle horreur ! Finis donc !
MINETTE, frappant du pied.
On ne peut pas s’amuser avec elle !
MARIANNE, ramassant ses pelotons.
Mes laines ! mon coton !

(Minette s’approche de la cage et veut jouer avec les oiseaux.)

MINETTE, secouant la cage.
Oh ! ces petits !
Qu’ils sont gentils !

(Elle renverse la cage, qui tombe à terre.)

MARIANNE, y courant.
Miséricorde… et mon serin !
GUIDO.
Autre querelle !…
MINETTE, frappant du pied.
On ne peut pas s’amuser avec elle !
MARIANNE, la menaçant.
Maudit lutin !
MINETTE, de même.
Esprit taquin !
GUIDO, furieux.
Ah ! j’en perds la tête, à la fin !
Reprise de l’ensemble.
MARIANNE.
C’est épouvantable !
C’est abominable ! etc.
MINETTE.
C’est insupportable !
C’est abominable ! etc.
GUIDO.
C’est insupportable !
Je me donne au diable ! etc.

(Marianne sort en colère et entre dans sa chambre, à droite.)


Scène VIII.

GUIDO, MINETTE.
GUIDO, à part.

Allons ! nous voilà déjà en révolution ! Joli début !

(Il s’assied à droite du public.)

MINETTE, d’un air de triomphe.

Elle s’éloigne ; tant mieux !… jusqu’à son retour nous serons tranquilles, au moins ! (À Guido.) Eh bien ! tu parais fâché.

GUIDO.

Venez ici, Minette, venez ici, mam’zelle ! (Minette s’approche.) Qu’est-ce que vous avez fait là ? Pourquoi avez-vous touché à ses serins de Canarie ? Elle aime ses serins, cette femme.

MINETTE.

Aussi, elle est trop difficile à vivre. (D’un ton caressant.) Et je suis bien sûre que vous ne voudrez pas me refuser la première grâce que je vous demande ? (Elle lui prend la main et la caresse.)

GUIDO, à part.

C’est ça… patte de velours !

MINETTE.

Guido, mon ami, mon bon ami, dites-lui de s’en aller !

GUIDO.

S’en aller !… cette bonne Marianne, qui vous a élevée !

MINETTE.

Je l’aimerai toujours… mais loin d’ici.

(Elle passe plusieurs fois la main par-dessus son oreille.)

GUIDO, à part.

Allons !… nous allons avoir de l’orage ! (D’un air piqué.) Minette, Vous n’avez pas réfléchi à ce que vous demandez !

MINETTE, le câlinant avec sa main.

Mon ami !

GUIDO, avec dignité.

Minette, vous me faites de la peine !

MINETTE.

Vous me refusez… allez, je ne vous aime plus !

(Elle lui donne un coup de griffe sur la main.)

GUIDO.

Dieu ! que c’est traître ! (À part.) Ah çà ! elle a conservé de singulières manières ! Il faudra là-dessus que je lui fasse la morale… ou du moins que je lui fasse les ongles. (Haut.) Ma chère, vous m’avez fait mal.

MINETTE, s’éloignant.

Laissez-moi, monsieur, ne me parlez plus, puisque vous reconnaissez si mal la tendresse que l’on a pour vous.

GUIDO, secouant la tête.
Ah !… votre tendresse !…
MINETTE.

Comment ! monsieur, vous en doutez ? C’est affreux ! Car enfin, lorsque je pense aux caresses que je vous prodiguais autrefois, j’en rougis. C’était d’instinct ; mais cet instinct, je le sens bien, a aussi subi sa métamorphose… et maintenant c’est de l’amour.

GUIDO, à part.

Dieu ! si je me croyais… après un pareil aveu… (Se reprenant froidement.) Permettez, Minette, je veux croire que vous m’aimez, j’ai besoin de le croire ! Mais ce n’est pas tout ; je pouvais passer à ma chatte bien des choses que je ne passerai pas à ma femme, et, si, avec cette figure charmante, vous aviez conservé les goûts et les penchants de votre ancien état… j’ai déjà remarqué tout à l’heure un certain décousu dans vos manières…

MINETTE, pleurant.

Il n’est pas encore content !… Eh bien, je te promets de veiller sur moi… de vaincre le naturel qui te déplaît.

GUIDO, à ses genoux.

Et moi… je te promets, en revanche, de n’aimer que toi, de n’avoir désormais d’autre volonté que la tienne… et…

MINETTE, l’oreille au guet.

Chut !

GUIDO.

Hein ?

MINETTE.

N’entends-tu pas du bruit ?

GUIDO, continuant.

Qu’est-ce que ça fait ? Songe donc, quel bonheur d’être sans cesse occupés l’un de l’autre !…

MINETTE, écoutant.

C’en est une !…

GUIDO, de même.

Et, quand je te peindrai mon amour, mon émotion, quel plaisir de t’entendre me dire…

MINETTE, s’avançant doucement.

Tais-toi !… tais-toi…

GUIDO.

Eh bien, où vas-tu donc ?

MINETTE.

Bien sûr, c’en est une ! Entends-tu ?

GUIDO.

Comment ! c’en est une ? (Minette s’avance à pas comptés vers l’armoire à gauche, puis s’élance tout à coup comme un chat.) Qu’est-ce que c’est ? Minette, voulez-vous bien finir ?

MINETTE.

Là, c’est toi qui lui as fait peur !… elle s’enfuit… C’est insupportable !… c’est si gentil !

GUIDO.

Il n’y a pas moyen, avec elle ; d’être en tête à tête… On se croit seuls, et il y a là… du monde dans les armoires. (Haut.) Minette ! Minette ! ici tout de suite !

MINETTE, se révoltant et se sauvant de côté.

Je ne veux pas !

GUIDO.

Qu’entends-je ?… Je ne veux pas ! Hier, Minette… vous étiez soumise, obéissante… vous n’aviez pas de volonté…

MINETTE.

Oui… mais aujourd’hui je suis femme.

GUIDO.

Eh bien ! c’est là que je vous prends… si vous êtes femme, raison de plus pour ne plus avoir de pareilles distractions !… On ne court pas ainsi après… les gens !… ça n’est pas convenable !… Avec des manières comme celles-là, Minette, je ne pourrai jamais vous présenter dans la société… et quand je sortirai, je serai obligé de vous laisser ici en pénitence.

MINETTE.

Eh bien ! par exemple ! le beau plaisir d’être femme, pour être en esclavage !… J’aurais donc perdu au change ! car autrefois j’étais libre, j’étais ma maîtresse… je pouvais sortir et rentrer sans permission, et j’entends bien qu’il en soit toujours ainsi.

GUIDO

Et que deviendrait ma dignité de maître ?

MINETTE.

Elle deviendra ce qu’elle pourra… je défendrai mes droits, et, pour commencer, je vous déclare, monsieur, que je veux sortir à l’instant même.

GUIDO, vivement.

Et moi, je ne le veux pas… qu’est-ce que c’est donc que ces idées de rébellion !

(Il la fait passer à droite.)

DUETTO.
MINETTE.
Je sortirai.
GUIDO.
Je sortirai. Non, non, non, non.
Vous resterez.
MINETTE.
Vous resterez. Non, non, non, non !
GUIDO.
Je tiendrai bon.
MINETTE.
Je tiendrai bon. Non, non, non.
GUIDO.
C’est moi qui suis le maître.

(Il va fermer la porte.)

La porte est close.
MINETTE.
La porte est close. Bon !
Nous avons la fenêtre
Et j’y suis d’un seul bond.
(Elle s’élance du lit à la fenêtre.)
GUIDO, effrayé et voulant la suivre.
Ô ciel ! perdez-vous la raison !
MINETTE.
Je m’en vas ;
Si tu fais un seul pas,
Je sortirai…
GUIDO, suppliant,
Je sortirai… Non, non, non, non.
Vous resterez.
MINETTE.
Vous resterez. Non, non, non, non.
GUIDO.
Ah ! revenez.
MINETTE.
Ah ! revenez. Non, non, non, non.
GUIDO.
Ah ! revenez.
MINETTE.
Ah ! revenez. Non, non, non, non.
Ah !… le grand air m’enivre : Miaou !
Miaou ! miaou !
Entends ce chant hindou !
Miaou ! miaou !
GUIDO.
Encor son maudit chant hindou !
MINETTE.
Entends ce chant, bel Acajou !
MINETTE, disparaissant.
Miaou ! miaou !
GUIDO, la rappelant.
Minette ! Minette !
MINETTE, dans l’éloignement.
Minette ! Minette ! Miaou !
GUIDO, parlant.

Ah ! par la petite terrasse !… Voyons vite !

(Il sort par la porte de gauche.)


Scène IX.

MINETTE, passant au même instant sa tête par la fenêtre du fond et descendant sur le théâtre.

Oui, cours après moi, si tu peux !… pourvu qu’il ne se fasse pas de mal… Oh ! je suis sûre qu’il n’ira pas loin !… Ah ! mon Dieu !… c’est mon ennemie ; c’est la vieille gouvernante !…


Scène X.

MINETTE, MARIANNE, sortant de la chambre de droite.
MARIANNE, d’un air revêche.

Monsieur n’est pas ici ?

MINETTE, regardant le toit.

Non… il est allé prendre l’air.

MARIANNE, ôtant le couvert, à l’aide de son panier à provision.

J’en suis fâchée !… je venais lui demander mon compte ; parce qu’il faut qu’une de nous sorte d’ici.

MINETTE, froidement.

C’est déjà convenu. Je reste.

MARIANNE.

Est-il possible ?

MINETTE.

Et vous aussi, la vieille… j’y ai consenti.

MARIANNE, posant son panier à gauche.

La vieille !… la vieille !… m’entendre traiter ainsi !… Je vais chercher mes effets, et je ne resterai pas une seconde de plus dans cette maison, où je ne regretterai rien… car j’ai retrouvé ma pauvre Minette… ma seule consolation…

MINETTE, vivement.

Vous l’avez retrouvée !…

MARIANNE.

Oui, mademoiselle… là-haut dans une armoire, et je ne sais pas qui s’était permis de l’enfermer, d’attenter à sa liberté !…

MINETTE.

Il s’agit bien de cela… Où est-elle ?

MARIANNE, montrant la chambre à droite.

Elle est là, en sûreté.

MINETTE.

Je ne veux pas qu’elle paraisse.

MARIANNE.

Vous ne voulez pas !… Apprenez que je suis là pour la défendre.

MINETTE.

Du tout… pour m’obéir… et je n’ai qu’un mot à prononcer…

MARIANNE.

Moi… abandonner ma chère Minette… la laisser dans des mains… (Minette s’est approchée d’elle et lui a parlé bas.) Hein ? quoi ! Ciel ! il se pourrait !… (Avec respect.) Quoi ! c’est vous !… c’est vous !…

MINETTE, regardant toujours si Guido revient.

Silence donc !… (À mi-voix.) Eh ! oui, vraiment… la solitude, le chagrin, l’exaltation germanique ont tourné la tête à ce pauvre Guido. Il n’aime que sa chère Minette… Il fallait bien le corriger… et ce ne sera pas long, je l’espère… surtout si tu veux me seconder.

MARIANNE.

Si je le veux… Parlez, commandez… que faut-il faire ?

MINETTE.

Cacher bien vite Minette… la faire disparaître… car s’il la voyait, tout serait perdu. Nous serions deux !

MARIANNE, prête à sortir par la droite.
Je vais l’emporter de la maison…
MINETTE.

Pas dans ce moment… J’entends Guido qui revient.

MARIANNE,

Soyez tranquille… je sais où la cacher… et tout à l’heure je pourrai l’emporter devant lui sans qu’il s’en aperçoive !… (Lui baisant la main.) Ah ! mademoiselle !

(Elle sort par la porte à droite ; en même temps Guido entre par la porte à gauche, et Minette se tient derrière un des rideaux, au fond du théâtre.)


Scène XI.

MINETTE, GUIDO.
GUIDO, se croyant seul.

Au diable les voyages ! J’ai voulu mettre le pied sur le toit ; mais les chemins sont si mauvais !… je me suis trouvé au confluent de deux gouttières. Mais cette pauvre Minette !… où est-elle maintenant ?

MINETTE, venant doucement, et passant sa tête sous le bras de Guido.

Me voici.

GUIDO.

Ah !… Une jolie conduite, mademoiselle ! Fi ! que c’est vilain ! et qui vous ramène près de moi ?

MINETTE.

J’ai voulu te faire mes adieux, avant de te quitter pour toujours.

GUIDO.

Me quitter ! encore !

MINETTE.

Pour ton bonheur ; car je sens bien que je te rendrais malheureux : nos caractères sont si différents.

GUIDO.

Il est sûr qu’il n’y a pas encore compatibilité d’humeurs… mais ça viendra.

MINETTE.

Jamais !… On ne change pas le naturel… Songez donc, monsieur, que j’ai été chatte, que je suis femme, et que ces deux natures-là, combinées, ensemble… c’est terrible ! D’ailleurs, maintenant que j’ai un nouveau maître…

GUIDO.

Comment ! un nouveau maître ?

MINETTE.

Oui, le fils du gouverneur, ce jeune homme à qui Marianne m’a vendue pour trois florins… Il sort d’ici ; je lui ai tout conté.

GUIDO.

Ô ciel ! quelle indiscrétion !

MINETTE

Et il dit qu’il va me réclamer.

GUIDO, vivement.

Peu m’importe ! je plaiderai, s’il le faut, et je gagnerai ! Car enfin, c’est une chatte qu’il a achetée, et lui donner, à la place, une jolie femme, ce serait le tromper.

MINETTE, souriant.

Oh ! je crois qu’il l’aimera tout autant comme cela ! (Voulant sortir.) Je vais le lui demander.

GUIDO, l’arrêtant,

Ah ! c’en est trop ! petit monstre d’ingratitude ! Allez ! votre espèce ne vaut pas mieux que l’espèce humaine.

MINETTE, avec joie.

Comment ? Je ne te semble donc plus jolie à présent.

GUIDO.

Au contraire !… et c’est ce dont j’enrage !… Mais en voyant ces jolis traits… je penserai toujours qu’il y a de la chatte là-dessous… et je vois bien qu’à moins d’un miracle, je serai malheureux toute ma vie… Mais toi aussi… C’est en vain que tu espères rejoindre ce jeune homme… tu resteras ici… malgré toi !

MINETTE, regardant la fenêtre.

Vous savez bien que quand je le veux…

GUIDO.

Oui… mais cette fois, j’y mettrai bon ordre. (Allant lui prendre la main. — Apercevant Marianne qui paraît avec le coffre sous le bras.) Marianne ! Marianne !


Scène XII.

Les Mêmes, MARIANNE.
MARIANNE.

Eh ! bien… Eh ! bien… qu’est-ce donc ?

GUIDO, tenant toujours la main de Minette.

Fermez cette fenêtre. (Montrant celle du fond.) Et dépêchons… quand je l’ordonne.

MARIANNE, posant son coffre sur la table.

Ne vous fâchez pas… on y va !

MINETTE.

Et moi, Marianne, je vous le défends. (Marianne s’arrête sur-le-champ.)

FINALE.
GUIDO, étonné.
Ô ciel ! Elle reste en chemin !
Qu’avez-vous ? Parlez, Marianne…
MINETTE, étendant sa main vers elle.
Je le défends ! jusqu’à demain ;
Au silence, je la condamne.

(Marianne, qui ouvrait la bouche, reste immobile sans prononcer un mot.)

GUIDO.
Dieu ! la voilà muette ! Encore un changement
Plus étonnant
Que les autres !

(Avec colère.)

Que les autres ! Ah ! je le vois,
Je ne suis plus maître chez moi.

Scène XIII.

Les Mêmes, DIG-DIG.

(Il est entré et a échangé du fond quelques signes avec Minette ; il reprend sa gravité dès que Guido l’aperçoit.)

GUIDO, se retournant.
Ah ! sage Indien,
Grand magicien,
Accours
À mon secours !

(Montrant Minette.)

Je l’abandonne…
Je te la donne !
Qu’elle s’en aille, et pour toujours !
MINETTE, étendant la main vers Dig-Dig.
Indien, de par Brahma,
Je t’ordonne de rester là !…
Comme une idole,
Sans prononcer une parole !

(Dig-Dig, qui s’avançait, reste sur-le-champ immobile dans une position grotesque, et ouvre plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler.)

GUIDO, confondu.
Le voilà devenu magot !
MINETTE, le menaçant.
Toi-même, si tu dis un mot,
Je te ferai prendre soudain
Ma figure de ce matin !
GUIDO, hors de lui.
En matou ! moi ! quelle infamie !

(Frappé d’une idée.)

Oh ! mon talisman que j’oublie !

(Courant au coffre qui est sur la table.)

Brahma !
Mon petit Brahma !
Punis l’ingrate !
Oui, qu’elle redevienne chatte !
Et, par le pouvoir que j’ai là !…

(Il ouvre le coffre : une chatte blanche en sort aussitôt, s’élance à terre, et disparaît par la fenêtre.)

DIG-DIG et MARIANNE, criant.
Au chat ! au chat ! Minette !
Ensemble.
GUIDO, pétrifié.
Juste ciel ! qu’ai-je vu ?
Je reste confondu,
Il faut que l’amulette
Ait perdu sa vertu !
LES TROIS AUTRES.
Il est tout éperdu,
Le voilà confondu,
Il croit que l’amulette
À perdu sa vertu.
GUIDO, montrant le coffre à Minette.
Quoi : madame… vous étiez là.
Et je vous vois encor ! que veut dire cela ?
MINETTE, souriant.
Devinez, devinez.
GUIDO, vivement.
Comment veut-on que je devine !
MARIANNE, montrant Minette.
Mais c’est votre cousine.
GUIDO, avec joie,
Comment, comment !…
Ma petite cousine ?
DIG-DIG, saluant.
Et c’est moi, le vieil intendant,
Qui vous attrapa si souvent.

(Guido le menace du doigt en souriant.)

MINETTE, tendrement,
Grâce au ciel, j’ai rempli le désir de mon père !
Je ne crains plus de rivale à vos yeux…
Oui, Guido, nous serons heureux…
Car j’aurai le cœur, pour vous plaire,
De cette Minette si chère,
Sans en avoir le caractère…

(Levant la main comme pour griffer.)

Ni les…
GUIDO, gaiement.
Ni les… Eh bien ?
MINETTE, en souriant.
Oh ! ne crains rien.
Tu peux la prendre sans danger,
J’ai promis de ne plus changer.

(Elle lui tend la main qu’il baise avec transport.)

TOUS.
Je puis la prendre sans danger
Il peut
Car elle ne veut plus changer.
MINETTE, au public.
Je suis femme, j’étais chatte…
Je m’en souviendrai toujours ;
Qu’on me choye et qu’on me flatte,
Je fais patte de velours !…
Mais ce naturel charmant
Devient méchant
Au moindre vent…
Pour m’en guérir, chaque soir,
Venez me voir
Et me revoir,
Miaou ! miaou !
À ces appels tendres et doux,
Miaou ! miaou !
Montrez-vous indulgents et doux,
Miaou ! miaou !
TOUS.
Miaou ! miaou ! etc.