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La Chevalerie en Espagne et le romancero

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La Chevalerie en Espagne et le romancero
Revue des Deux Mondes, période initialetome 19 (p. 494-519).

DE LA


CHEVALERIE EN ESPAGNE


ET


LE ROMANCERO.




I. Romancero Castellano, 6 collection de antiguos romances populares de los Españoles, recopilado por G : B. Depping ; nueva edicion con las notas de don Antonio Alcala-Galiano. Leipsique, 1844 ; F.-A. Brockhaus, 8 volumes in-8o.
II. Romancero général, ou Recueil des chants populaires de l’Espagne, traduction complète de M. Damas Hinard. Paris, 1844 ; Charpentier, 2 volumes in-12.




S’il est un pays au monde où l’enthousiasme chevaleresque semble une faculté naturelle et indigène, et où circule, comme l’air et le jour, un souffle incessant de galanterie et d’aventureux héroïsme, c’est assurément la patrie de Chimène et du Cid, de Gonsalve et des Abencerrages, des chansons moresques et du Romancero. Les royaumes d’Aragon et de Castille, de Valence et de Grenade, ont été comme un champ clos où l’on a vu, dans un tournoi de huit siècles, l’avant-garde de la chevalerie européenne croiser la lance contre la fleur de la chevalerie orientale. Aussi est-on généralement disposé à regarder l’Espagne comme douée, plus qu’aucune autre nation de l’Europe, de ce tour d’imagination poétique et romanesque qui prévalut au XIIIe siècle dans toutes les cours de l’Europe, et fit succéder à la rude et valeureuse chevalerie des premières croisades une seconde chevalerie, plus polie et plus brillante, mais trop gravement éprise des joutes galantes et des pas d’armes. Il n’est même point rare d’entendre imputer au génie espagnol la plus grande partie des travers qu’on reproche habituellement à cette seconde phase de la chevalerie, à savoir la susceptibilité excessive du point d’honneur, la manie du duel, les subtilités de la métaphysique amoureuse, tout ce code enfin de perfection conventionnelle et équivoque, qui tendait à créer, à l’usage d’une caste vaniteuse et raffinée, un nouvel évangile, un nouvel honneur, une nouvelle morale. On incline d’autant plus à considérer toutes les exagérations ultra-chevaleresques comme des maladies endémiques en Espagne, que c’est de Madrid qu’on a vu surgir, dès les premières années du XVIIe siècle, la première protestation applaudie de l’Europe entière contre l’extravagante postérité des Esplandians et des Amadis, et qu’il n’a fallu rien moins que la toute-puissante intervention du plus original et du plus charmant écrivain pour redresser les imaginations faussées et les ramener, par le rire et par de meilleurs préceptes, dans le grand chemin du véritable honneur et du sens commun[1].

Eh bien ! n’en déplaise à l’opinion générale, ces suppositions si souvent émises et, il faut l’avouer, si vraisemblables ne sont pas, à beaucoup près, confirmées sur tous les points par l’étude attentive des monumens qui nous restent de la chevalerie espagnole. Au contraire ; après un sérieux examen, je crois non-seulement pouvoir avancer qu’en aucune contrée de l’Europe la chevalerie active et militante n’a accompli, avec un plus rare et plus judicieux esprit de suite, une tâche plus patriotique et plus sainte, — la reprise pied à pied sur les Mores du territoire national ; — mais je suis encore disposé à soutenir (et ici je m’attends à rencontrer plus d’un contradicteur) que nulle part l’imagination et la poésie chevaleresques, ces deux sirènes si peu scrupuleuses et si peu raisonnables d’ordinaire, n’ont pris moins de libertés qu’en Espagne avec les lois de la morale et de la raison. Je dois, je le sens, et je vais, pour prévenir toute accusation de paradoxe, exposer sur-le-champ et en très peu de pages les motifs qui ont déterminé ma conviction. J’ai la confiance de pouvoir aisément prouver qu’aussi longtemps que le génie chevaleresque a su se garantir en Espagne de l’imitation étrangère, il est demeuré simple, naturel, plein de grandeur et de gravité. En un mot, si l’on veut se donner le spectacle d’une chevalerie forte, sérieuse et restée, même pendant sa phase la plus exaltée, fidèle aux règles du bon sens et de la sagesse, il faut, chose assurément assez peu prévue, s’adresser à la patrie de Michel Cervantes et de don Quichotte.


I.

Les deux monumens où se reflète avec le plus d’éclat et de vérité l’image de la chevalerie espagnole, sont, sans contredit, le Poème du Cid et le Romancero general. Ces deux ouvrages sont les archives les plus complètes de l’histoire et de la poésie du moyen-âge espagnol, et ils méritent, à ce double titre, d’être étudiés soigneusement et pour eux-mêmes.

Le Poème du Cid (comme on le nomme fort improprement) ouvre la collection des poésies castillanes antérieures au XVe siècle, publiée en 1779 par don Thomas Antonio Sanchez[2]. C’est un récit acéphale de 3,744 vers, composé de deux et peut-être même de trois parties. La première raconte la disgrace et l’exil du vieux Cid, ses victoires sur les Mores et sur un prince chrétien, Raymond, comte de Barcelone. La seconde, qui semble annoncée par ce vers,

Aquis’ conpieza la fiesta de mio Cid et de Bibar,
Ici commence la geste de mon Cid, Ruy de Bivar,
(V. 1093.)


chante la glorieuse conquête de Valence et le mariage des deux filles du Cid avec les comtes de Carrion. Elle finit ainsi :

Las coplas deste cantar aquis’ van acabando.
El Criador vos valla con todos los sos Sanctos.

Ici se terminent les couplets de cette chanson.
Que le Créateur vous soit en aide avec tous ses saints !
(V. 2286 et 2287.)


Dans la dernière partie se déroulent, avec un intérêt presque tragique, le procès du Cid contre ses gendres et les secondes noces de ses filles avec les infans de Navarre et d’Aragon, suivies de la mort du héros. Le dernier vers nous apprend que le manuscrit, malheureusement unique, qui nous a conservé ces précieuses reliques, a été copié l’an 1335 de l’ère espagnole, c’est-à-dire l’an 1307 de l’ère vulgaire[3] ; mais la rudesse de la langue et la forme indécise et presque arbitraire de la versification (le vers flotte entre l’assonnance et la rime, et le nombre des syllabes varie de dix à vingt) permettent de faire remonter la date de la rédaction à la seconde moitié du XIIe siècle. Ainsi, c’est la peinture des mœurs espagnoles vers l’an 1150 que les chansons du Cid exposent à nos yeux. Don Thomas Antonio Sanchez, qui a publié ces fragmens, a pensé que, dans leur état de perfection, ils formaient un poème en deux parties, dont le sujet était borné à la vieillesse du Cid. Il n’a point remarqué, ou il a refusé d’admettre la première coupure, aquis’ conpieza la gesta… D’autres critiques ont vu dans ces morceaux les deux derniers chants d’une grande épopée consacrée non-seulement à la vieillesse, mais à la vie entière du Cid. Il aurait été, je crois, plus exact et plus juste de dire que ces fragmens, qui d’ailleurs sont bien de la même époque et probablement de la même main, formaient autant de chansons de geste distinctes (cantares de gesta, selon l’expression des Partidas[4], signalée aussi par M. Damas Hinard dans la chronique d’Alphonse-le-Sage), et qu’elles se rattachaient, non pas à un même poème composé de deux ou de plusieurs chants, mais à un seul et même cycle, dont le Cid Campeador était le centre, et qui admettait, comme les cycles d’Artus et de Charlemagne, un nombre de parties ou de branches indéterminé. En effet, il me semble tout-à-fait contraire à l’esprit du moyen-âge de supposer que les gestes chantées, aux XIIe et XIIIe siècles, dans les grandes réunions publiques ou dans les manoirs seigneuriaux aient été partagées en chants, comme l’Enéide ou la Pharsale. Ces divisions artificielles, invention des grammairiens d’Alexandrie, ont été aussi étrangères aux anciens chanteurs du moyen-âge qu’elles l’avaient été dans l’antiquité aux Phémius, aux Démodocus et à tous les rapsodes de la Grèce et de l’Ionie.

Les poèmes du Cid étaient jusqu’à ce jour les seuls exemples de chansons de geste que nous eussent fait connaître les recherches de l’érudition espagnole ; mais, comme il est certain qu’il a existé dans la Péninsule un plus ou moins grand nombre de monumens analogues, l’Espagne doit conserver l’espérance d’en voir surgir quelques autres du fond de ses bibliothèques. On sait tout ce que nous avons retrouvé chez nous de richesses de ce genre depuis que nous avons poussé nos fouilles avec plus de vigueur et d’intelligence. Pourquoi n’en serait-il pas de même de l’Espagne plus attentive et plus expérimentée ? Déjà même un pas considérable vient d’être fait dans cette voie. M. Francisque Michel, qui travaille avec une si infatigable persévérance à débarrasser de ses linceuls la poésie du moyen-âge, vient de faire paraître à Vienne, comme appendice d’un récent ouvrage de M. Ferdinand Wolf[5], un fragment épique de onze cent vingt-six vers espagnols, tiré d’un manuscrit de la Bibliothèque royale de France[6], et où les actions du Cid tiennent une place considérable. Ce fragment, d’une rédaction sensiblement moins ancienne que celle des chants publiés par don Thomas Antonio Sanchez, contient sur la jeunesse du Cid et sur les causes jusque-là peu connues de la querelle de don Diègue et du comte de Gormas des détails intéressans et naïfs, empreints, de toute la rudesse et de toute la gravité des mœurs féodales[7].

Rudesse et gravité, tels sont, en effet, les caractères de la plus ancienne chevalerie comme de la plus ancienne poésie espagnole. Aussi le Poème du Cid (pour parler comme tout le monde), malgré ce qu’il nous offre d’inculte et de barbare dans le mètre et dans la langue, réunit-il tous les grands et nobles traits de l’épopée primitive, la simplicité dans les récits, la fierté dans la touche, le naturel et la grandeur dans les sentimens, toutes qualités vraiment épiques et, si je l’ose dire, homériques ; qualités que nous avons déjà eu l’occasion d’admirer dans une œuvre française de la même date, dans la Chanson de Roland[8]. La geste espagnole n’offre ni moins de naïveté ni moins de grandeur que sa sœur de France. Nous n’en voulons d’autre preuve que la scène que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs, en nous aidant de la belle traduction de M. Villemain[9]. On verra comment le vieux poète a su représenter la triste chevauchée du Cid exilé à travers la ville de Burgos. C’est par cette scène austère que s’ouvre le poème, dans l’état de mutilation où il nous est parvenu :

« Pleurant de ses yeux, malgré sa force d’ame, il tournait la tête et regardait sa demeure. Il vit les portes ouvertes et les huis sans cadenas, les perches de la fauconnerie vides, sans toiles, sans faucons et sans autours apprivoisés. Mon Cid soupira, car il avait de très grands soucis ; mon Cid parla bien, et dit avec calme : « Merci à toi, seigneur père ! mes ennemis méchans ont fait tout cela ! » Alors il se hâta de partir et lâcha les rênes. À la sortie de Bivar, ils eurent la corneille à droite et, à l’entrée de Burgos, ils l’eurent à gauche[10]. Mon Cid remua les épaules et redressa la tête : « Des étrennes ! Alvar Fanez ! car nous voilà jetés hors de notre pays. » Et mon Cid Ruy Diaz entra dans Burgos. Il avait avec lui soixante pennons. Les hommes et les femmes de Burgos sortirent pour le voir et se mirent à leurs fenêtres, pleurant de leurs yeux, tant ils avaient de douleur, et ils disaient de leur bouche pour toute parole : « Dieu ! quel bon vassal, s’il avait eu un bon seigneur ! » Mais personne n’osait l’inviter, tant le roi Alphonse avait montré de colère, car, avant la nuit, son ordre écrit et scellé était venu à Burgos, avec un grand message, annonçant que personne ne donnât logement à mon Cid, et que tout homme qui le ferait sût, à n’en pas douter, qu’il perdrait ses biens et les yeux de la tête, et de plus le corps et l’ame. Le peuple chrétien avait un grand tourment, et il se cachait de mon Cid, parce qu’il n’osait lui parler. Le Campeador alla droit à son logement ordinaire. Il trouva la porte bien verrouillée par la terreur du roi Alphonse, qui le voulait ainsi, de sorte que, si on ne la brisait par force, nul ne pouvait l’ouvrir. Les gens de mon Cid appelaient à haute voix ; ceux de la maison ne voulaient pas répondre une parole. Mon Cid s’approcha, tira son pied de l’étrier et frappa un coup. La porte ne s’ouvrit pas, car elle était bien fermée. Une petite fille de neuf ans se tenait l’œil au guet : — « Campeador, une autre fois vous avez ceint l’épée dans un bon moment. Aujourd’hui, le roi a défendu de vous recevoir. A la nuit, son ordre est venu avec un grand message et fortement scellé. Nous n’oserions vous ouvrir ni vous recueillir pour rien. Sinon, nous perdrions notre avoir et nos maisons, et, de plus, les yeux de la tête[11]. Cid, vous ne gagneriez aucune chose à notre mal ; mais que le Créateur vous soit en aide avec toutes ses saintes vertus ! » La petite fille dit cela, et tourna vers la maison. Mon Cid alors vit bien qu’il n’avait pas la bonne grace du roi. S’étant retiré de la porte, il traversa Burgos[12]… »

Était-il possible de mieux peindre la terreur de cette ville muette et courbée sous la menace royale ? Une petite fille de neuf ans, à moitié cachée, ose seule adresser à demi-voix quelques paroles au Campeador. Et quelle fierté vraiment chevaleresque dans cette résignation si dégagée du vieux vassal : « Mon Cid vit bien alors qu’il n’avait pas la faveur du roi ! » Comme on sent bien que mon Cid est parfaitement en mesure de s’en passer ! C’est, en quelques vers, un tableau frappant et presque complet de la société au moyen-âge.

Une remarque encore et très importante. Le Poème du Cid et la Chanson de Roland, deux ouvrages d’un même âge poétique, n’ont, quoique remplis de fables populaires, admis ni l’un ni l’autre l’emploi du merveilleux proprement dit. Aucun agent surnaturel, aucun géant, aucun enchanteur, aucune enfin de ces fictions séduisantes et souvent peu morales qui ne tardèrent pas à envahir les romans chevaleresques, surtout ceux de la Table-Ronde, ne trouble, par leur intervention fantastique, la sérénité de ces deux compositions sévères, qui, comme la statuaire antique, ne reposent que sur l’idéal de la force et, de la beauté humaines.

Mais ce naturel exquis, cette gravité, cette simplicité, attributs de la poésie et de la chevalerie espagnoles, comme de la nôtre au XIIe siècle, les retrouvons-nous au même degré dans les romances, miroir fidèle et multiple des mœurs chevaleresques de l’Espagne aux XIIIe, XIVe et XVe siècles ?


II.

Avant d’interroger l’esprit du Romancero general et de tirer aucune induction de cette étude, il convient de nous rendre compte de la nature et de la valeur historique de ce monument. Les romances espagnoles sont-elles contemporaines ou voisines des événemens qu’elles retracent, des exploits du Cid, par exemple ? D’habiles critiques le soutiennent, et d’assez nombreux archaïsmes de langue et de mœurs, qui tous ne sont pas volontaires et calculés, permettent de le croire, au moins pour quelques-unes ; ou bien ne pouvons-nous, en bonne critique, assigner à la plupart de ces pièces une date antérieure au XVe ou XVIe siècle, dont elles parlent la langue ? C’est là un très délicat problème. Pour le résoudre, voyons d’abord comment les romances nous ont été transmises ; puis peut-être nous sera-t-il plus facile de découvrir quand et comment elles ont été composées.

Une première, une profonde différence nous frappe tout d’abord entre la manière dont les romances d’une part, les poèmes du Cid et les cancioneros d’une autre part, sont arrivés jusqu’à nous.

Les poèmes ou chansons de geste et les cancioneros (ceux-ci contiennent, comme on sait, les poésies des chanteurs ou troubadours les plus renommés) ont, les uns à cause de leur mérite et de leur étendue, les autres à cause de leur seul mérite, été écrits avec soin, souvent avec luxe, presque sous les yeux de leurs auteurs. L’imprimerie n’a eu, un peu plus tôt, un peu plus tard, qu’à les tirer des blanches couches de vélin où ils reposent et qui font encore aujourd’hui l’ornement des plus riches bibliothèques de l’Europe. Nous ne connaissons, au contraire, aucun ancien romancero manuscrit. La plupart des romances sont arrivées aux éditeurs du XVIe siècle par la seule tradition orale.

Il résulte de cette première remarque que les chansons du Cid et les pièces contenues dans les cancioneros ont une tout autre origine que les romances, et qu’il faut bien se garder d’appliquer aux unes et aux autres les mêmes règles de critique. Les premières sont des pièces réfléchies, travaillées, produits d’un art plus ou moins imparfait, mais enfin des œuvres d’art ; les secondes sont des compositions naïves, improvisées, de forme mobile et flottante, en un mot des chants populaires. Il suit encore de là qu’on ne peut légitimement rien induire contre l’ancienneté des romances de la jeunesse relative de leur langage, car le peuple, dont la faveur a conservé ces petites pièces, et qui veut toujours comprendre, ou à peu près, ce qu’il chante ou ce qu’il entend chanter, n’a pu les perpétuer qu’en les modifiant, tandis que le Poème du Cid, auquel on les compare, fixé dès la fin du XIIIe siècle par l’écriture, est demeuré immuable dans l’originalité barbare de sa langue et de sa versification.

Il y a donc eu en Espagne, au moyen-âge, deux sortes de poètes et de poésies. À côté des troubadours, chanteurs-artistes, qui composaient pour les occasions solennelles de longues chansons de geste, appelées aussi romances, parce qu’elles étaient en langue vulgaire (le mot espagnol romances est masculin et répondait à notre mot roman, dans le sens où nous disons le Roman de Roncevaux), d’autres chanteurs de moins de mémoire et de moins d’haleine composaient, pour de plus modestes réunions, de courts récits épiques, diminutifs des chansons de geste et des romans. Ces petites pièces, aimées des grands et du peuple (car il ne faut pas croire qu’elles ne s’adressassent qu’au peuple)[13], reçurent de la vanité de leurs auteurs ou de la courtoisie de leur auditoire l’honorable dénomination de romances, qu’elles méritaient d’ailleurs comme poésies en langue vulgaire, et qu’elles ont fini par garder en Espagne à peu près exclusivement.

On a proposé, je ne l’ignore pas, un grand nombre d’autres systèmes moins simples que celui-ci sur l’origine des romances et sur ce qu’on a appelé leur formation. Deux opinions me paraissent seules mériter une discussion rapide. Par une singularité piquante, ces deux opinions sont diamétralement opposées, sans que de la fausseté de l’une on puisse inférer la vérité de l’autre.

D’habiles critiques français et étrangers, parmi lesquels je regrette de rencontrer M. Damas Hinard, le fidèle et l’élégant traducteur du Romancero, supposent, je ne sais d’après quelle donnée, « que les premiers monumens de la poésie traditionnelle ont été en Espagne des compositions considérables, des poèmes gigantesques, dont les fragmens qui nous restent du Poème du Cid donnent assez bien l’idée. Plus tard, quand le fonds des traditions poétiques se fut augmenté et que la mémoire devint insuffisante à retenir ces œuvres immenses[14], on les brisa, on les morcela, on en sépara les divers épisodes qui devinrent autant de petits poèmes complets que l’on chanta isolés, en un mot des romances[15]. » M. Villemain lui-même, notre grand critique, a jeté dans une de ses éloquentes et fécondes improvisations cette hardie conjecture, en l’accompagnant toutefois d’une très judicieuse formule de doute : « Peut-être, a-t-il dit, les romances ne sont-elles en grande partie que des fragmens altérés de quelque grand poème perdu[16]. » Pour moi, je l’avoue, je ne pense pas que la poésie épique ait débuté en Espagne, plus qu’en aucune autre contrée du monde (je n’excepte pas même l’Orient), par d’immenses compositions. Je ne puis admettre que l’homme, à l’exemple du créateur des mondes, ait commencé la série de ses travaux intellectuels par des créations colossales. Je me défie de cette application trop ingénieuse de la géologie transcendante à l’histoire littéraire. Nos plus anciens monumens poétiques, nos premières gestes françaises, ne sont-ils pas de proportions médiocres ? N’ont-ils pas été en s’agrandissant ? La Chanson de Roland, immense comme élan national et comme cri de guerre, n’est point d’une étendue gigantesque. Rien, d’ailleurs, ne répugne davantage à la nature de la romance que cette idée de morcellement et de rupture violente. La condition de ces compositions délicates est précisément de former chacune un petit ensemble complet, un tout en quelque sorte organique, ayant son exposition, son action claire et précise, son dénoûment. L’unité, la rapidité, la spontanéité vitale et lyrique, telles sont les lois de la romance. C’est une étincelle de poésie, un éclair indivisible. Citons-en une prise au hasard, ce sera plus court que de disserter. On ne démontre ni la vie, ni la lumière.


COMMENT DON GARCIE DÉFENDIT LE CHATEAU D’URAÑA[17].

« Don Garcie va ainsi marchant sur la plate-forme du château. Il porte d’une main des flèches dorées et de l’autre un arc. Maudissant la Fortune, il lui adresse de grandes plaintes

« Le roi m’a nourri depuis mon enfance ; Dieu m’a donné un corps robuste. Il m’a donné des armes et un cheval, deux choses qui font qu’un homme vaut davantage. Il m’a donné doña Maria pour femme et pour égale ; il m’a donné cent damoiselles pour l’accompagner ; il m’a donné le château d’Uraña pour y demeurer avec elle ; il me l’a pourvu de vin ; il me l’a pourvu de pain ; il me l’a pourvu d’eau douce, car le château n’en avait pas.

« Les Mores me l’ont assiégé le matin de la Saint-Jean. Sept années se sont écoulées. Ils ne veulent pas lever le siège.

« Je vois les miens mourir sans que j’aie rien à leur donner. Je les ai placés sur les créneaux, armés comme de coutume, afin de faire penser aux Mores qu’ils pourraient combattre.

« Dans le château d’Uraña il n’y a plus rien qu’un pain. Si je le donne à mes fils, que deviendra ma femme ? Si je le mange, moi, misérable, les miens se plaindront. »

Il fit du pain quatre morceaux et les jeta dans le camp. Un de ces morceaux alla tomber aux pieds du roi.

« Allah écrase mes Mores ! Allah les écrase ! On nous pourvoit le camp avec les restes du château ! »

« Il fit sonner les clairons et lever aussitôt le siège[18]. »


N’est-ce point là un petit poème complet, simple, héroïque, une chose qui vit par soi-même ? Pourquoi donc vouloir briser et supprimer un des moules que l’art a créés ? Pourquoi d’une forme poétique gracieuse et vivante vouloir faire une chose inerte et sans nom, un accident, un débris ?

L’autre hypothèse sur la formation des romances est, comme je l’ai dit, la proposition diamétralement inverse de la précédente. Les critiques qui la soutiennent partent d’un point que je tiens, quant à moi, pour très vraisemblable, à savoir que, malgré les rajeunissemens successifs du langage, plusieurs groupes de romances, l’histoire si barbare des Infans de Lara par exemple, et même quelques parties plus douces du Romancero del Cid, sont ou peuvent être antérieurs aux fragmens publiés par don Thomas Antonio Sanchez ; mais ils vont beaucoup plus loin. A les en croire, le Poème du Cid n’est qu’un assemblage d’anciennes romances agglomérées et cousues ensemble. Ainsi, il nous faut passer des hyperboles de la synthèse aux exagérations de l’analyse. Tout à l’heure on prétendait que le génie humain a commencé par élever en se jouant des constructions colossales ; à présent on soutient qu’il a pu à peine remuer des grains de sable. On regarde comme improbable qu’il se soit trouvé, au milieu du XIIe siècle, un poète doué d’assez de force pour composer quelques milliers de vers, sans en ramasser çà et là les matériaux. Cette supposition d’un poème formé, à la façon des mosaïques, d’une multitude de pièces de rapport, est une des moins heureuses applications du système anti-homérique de Wolf, et, au besoin, elle pourrait en être la critique. L’expérience en effet la réfute. N’a-t-on pas rapproché, avec un soin laborieux, plusieurs séries de romances relatives aux mêmes faits ? Ne possède-t-on pas plusieurs romanceros particuliers, celui du roi don Rodrigue, celui du Cid, d’autres encore ? Eh bien ! je le demande, ces agrégations, plus ou moins habilement disposées, nous offrent-elles le moins du monde l’unité, les proportions, la belle ordonnance, les perspectives graduées, les puissans contrastes qui nous charment à la lecture d’un vrai poème ? Non, assurément. Dans le romancero le mieux ordonné tout se suit, rien ne s’appelle. Lope de Vega a ingénieusement défini les romances historiques, dont il s’est si bien et si souvent inspiré, « une Iliade qui n’a pas eu d’Homère[19]. » Si un Homère s’était rencontré, il aurait dû refondre tout ce précieux métal dans le souverain creuset de son génie. Au reste, pour être juste envers Wolf et son école, il faut se rappeler que, dans sa pensée, les grandes rapsodies constitutives de l’Iliade et de l’Odyssée (la Dolonie, la Patroclée, la Nécyomanthie, etc.) ont bien plus de ressemblance avec les longues chansons de geste qu’avec de courtes romances. Le système historique n’est pas responsable des applications forcées qu’on en a faites. — En résumé, les romances espagnoles ne nous paraissent ni les débris d’un poème brisé ou perdu, ni les matériaux d’une grande épopée née ou à naître. Il nous semble bien plus dans la nature des choses d’admettre, comme nous l’avons exposé plus haut, la coexistence de deux familles de poètes ou plutôt de deux sortes de poésies qui, bien que destinées toutes deux à être chantées, tendaient, l’une à se perpétuer intacte par l’écriture, l’autre, bourdonnante et ailée, à courir librement de clocher en clocher, de l’Èbre au Guadalquivir, toujours jeune et renouvelée.


III.

Après quelques publications partielles essayées à la fin du XVe siècle et continuées pendant tout le cours du XVIe sous les titres de Primavera y Flor, de Cancionero de romances, de Tesoro escondido, de Silva, de Floresta, etc., parut en 1602 à Medina del Campo, et, deux ans plus tard, à Madrid, le Romancero general, qui fut augmenté à Valladolid, en 1609, d’une seconde partie. On n’attend pas que j’entre ici dans les détails que pourraient fournir ces anciens et curieux recueils, parmi lesquels se glissèrent au XVIe siècle quelques romanceros factices, entre autres celui de Lorenzo de Sepulveda. On trouvera un judicieux travail sur cette matière dans le récent ouvrage du savant viennois M. Ferdinand Wolf. Je dirai seulement que le Romancero general étant devenu très rare, et n’offrant qu’une disposition fort confuse (ce recueil est divisé en treize livres que rien ne distingue l’un de l’autre), une réimpression disposée sur un meilleur plan était vivement désirée. M. Depping, dont on connaît l’érudition patiente et variée, a donné satisfaction à ce vœu dès 1817. Il a le premier introduit un ordre satisfaisant dans ce chaos, en divisant sa collection des meilleures anciennes romances espagnoles[20] en quatre parties, à savoir : 1° les romances historiques, qui sont de beaucoup les plus nombreuses et dont notre Corneille, aussi éminent critique que grand poète, a dit excellemment dans la préface du Cid : « Ces sortes de petits poèmes sont comme des originaux décousus de leurs anciennes histoires. » Elles commencent, en effet, au siège de Numance, et continuent ensuite, sans interruption, depuis le roi don Rodrigue et la Cava, jusqu’à la reprise de Grenade sur les Mores par les deux rois Ferdinand et Isabelle ; 2° les romances chevaleresques, c’est-à-dire tirées des traditions de la chevalerie fabuleuse, principalement de celles du cycle de Charlemagne, qui seules ont été populaires en Espagne ; 3° les romances moresques, traduites ou composées à l’imitation des chansons arabes ; 4° enfin, les romances sur des sujets divers, la plupart de guerre ou d’amour, mais dont le lieu, la date ou les acteurs ne nous sont pas bien connus. Récemment M. Depping a fait paraître à Leipsig une réimpression de son excellent travail, fort augmenté et amélioré. Dans l’intervalle, les divisions qu’il avait introduites dans son romancero servirent, en grande partie, de modèle aux éditions subséquentes, notamment à celles qui furent publiées à Madrid par don Agustin Duran[21], à Paris par don Eugenio Ochoa[22]. M. Damas Hinard a suivi le même plan, tout en conservant une grande liberté dans le choix et le classement des pièces. Il nous promet de publier le texte de son romancero ; nous souhaitons vivement qu’il accomplisse cette promesse.

Certes, il est impossible d’avoir, pour étudier le génie d’un peuple, un guide plus sûr que ces divers recueils de chants nationaux, aussi anciens que la langue elle-même, continués, augmentés, rajeunis chaque jour ; source de poésie constamment jaillissante, écho de toutes les confidences, de tous les préjugés, de toutes les admirations d’un peuple plein d’ouverture de cour et d’expansion. Le vrai caractère de la nation espagnole, la gravité, la sincérité, la bravoure, le respect de la parole donnée, éclatent dans chacune de ces pièces composées par elle ou pour elle, surtout dans les plus anciennes ; mais ces dons naturels n’ont-ils pas été quelque peu faussés et altérés, depuis le XIIIe siècle, par l’affectation que la chevalerie romanesque introduisit alors chez presque toutes les nations de l’Europe ? La bravoure castillane a-t-elle dégénéré, comme celle de France et d’Angleterre, en jactance peu sérieuse, en provocations sans motifs, en combats envers et contre tous ? L’amour espagnol naturellement vrai, profond, impétueux, qui n’admet ni fiction ni partage, s’est-il changé en rêveries platoniques, en galanterie froide et frivole, ou en sigisbéisme discret ? Interrogeons les romances. Nous connaissons assez à présent leur nature et leur origine pour avoir confiance en leur réponse. Rien de ce qui n’est pas entré profondément dans les romances n’a eu de véritables racines dans les mœurs de l’Espagne.


IV.

On rencontre sans doute un très grand nombre d’appels et de combats singuliers dans les romances. Ces sortes de combats étaient, au moyen-âge, une conséquence de la manière de faire la guerre et résultaient de la nature des armes. Alors une bataille rangée n’était guère qu’une réunion de combats particuliers. Mais, si les défis et les duels sont fréquens dans le Romancero, presque tous ont une cause grave, pressante, légitime, que la raison de l’époque avoue et justifie, témoin le fameux duel de Rodrigue :


« … Vous avez porté la main sur mon père, avec fureur, devant le roi. Songez que vous l’avez outragé et que je suis son fils.

« Vous avez fait une mauvaise action, comte ; je vous défie comme traître, et voyez si, lorsque je vous attends, vous me causez quelque peur. Diègue Laynez m’a bien purifié dans son creuset. Je prouverai sur vous, sur votre cœur lâche et faux, la pureté de ma noblesse. La hardiesse que vous donne votre habileté dans les combats ne vous servira de rien, car j’ai pour me battre mon épée et mon cheval. »


Ajoutons que, dans les duels qui se rapportent aux Xe et XIe siècles, on remarque plus de férocité que de courtoisie chevaleresque. Lisez les détails qui suivent la provocation de Rodrigue :


« Ainsi parla au comte Loçano le brave Cid Campeador, qui depuis mérita ce titre par ses hauts faits. Il donna la mort au comte et se vengea, puis il lui coupa la tête, et, avec-elle, s’agenouilla, content, devant son père[23]. »

Cette tête tranchée et déposée sanglante aux pieds de don Diègue est le sujet d’une autre romance assez longue où aucune circonstance n’est oubliée :

« Diègue Laynez pleurant se tenait assis devant sa table, inondé de larmes amères et pensant à son affront. Et le vieillard agité, l’esprit toujours inquiet, faisait déjà lever de ses craintes honorables toutes sortes de chimères, lorsque vint Rodrigue avec la tête du comte coupée, qu’il tenait par la chevelure, ruisselante de sang.

« Il tire son père par le bras, le fait revenir de sa rêverie, et, avec la joie qu’il apporte, lui parle de cette façon : « Vous voyez ici la mauvaise herbe, pour que vous en mangiez de la bonne. Ouvrez les yeux, mon père, et levez le visage, car votre honneur, qui était mort, est revenu à la vie et est désormais assuré : sa tache est lavée, malgré l’orgueil de l’ennemi. À présent, il y a des mains qui ne sont plus des mains, et cette langue à présent n’est plus une langue. Je vous ai vengé, seigneur, car la vengeance est sûre quand le bon droit vient en aide à celui qui s’en fait une arme. »

« Le vieillard s’imagine qu’il rêve ; mais il n’en est pas ainsi : il ne rêve pas. Seulement l’abondance de ses larmes lui fait voir mille images. A la fin pourtant il leva ses yeux, qu’offusquaient de nobles ténèbres, et reconnut son ennemi, quoique sous la livrée de la mort…

« … O infâme comte Loçano ! le ciel me venge de toi, et mon bon droit a donné contre toi des forces à Rodrigue. — Sieds-toi à table, mon fils, à la place où je suis, au haut bout, car celui qui m’apporte une telle tête doit être le chef de ma maison[24]. »


Mais il convient d’examiner des romances de rédaction plus récente et où l’on sente un accent de civilisation plus avancée. Eh bien ! dans celles-là même, les motifs de tous les défis sont graves, plausibles, et ordinairement même inspirés par un intérêt public et national. Tels furent les duels fameux qui eurent lieu sous les murs de Zamora.

Don Sanche, roi de Castille, ayant, malgré les avis du Cid, résolu de reprendre sur sa sœur doña Urraque la forte place de Zamora, qu’elle possédait comme héritage, fut tué en trahison par un transfuge. Cet attentat.souleva d’indignation toute la Castille. « Don Rodrigue de Bivar, dit une romance qui ne paraît pas très ancienne, fut le plus affligé. » Voici comment il parla devant le corps du roi trépassé :

« Roi don Sanche, mon seigneur ! malheureux fut le jour où, contre ma volonté, tu mis le siége devant Zamora ! Celui qui te le conseilla ne craignit ni Dieu ni les hommes, puisqu’il te fit fausser les lois de la chevalerie. »

« Et, ayant achevé sur ce point, il dit d’une voix plus forte : « Que l’on nomme un chevalier avant la fin du jour pour défier Zamora touchant une si grande trahison !… Vous n’ignorez pas que je ne puis m’armer contre cette ville, car je l’ai ainsi juré ; mais je vous donnerai un chevalier qui combattra pour la Castille… »

Ce chevalier se présenta de lui-même : don Diègue Ordoñez, qui se tenait aux pieds du roi, se lève enflammé de colère ; il s’est armé en toute hâte, et, dès qu’il est près des remparts, l’œil étincelant et en feu, il parle de cette manière :

« Perfides et traîtres, voilà ce que vous êtes tous, habitans de Zamora, pour avoir accueilli dans votre ville le méchant Vellido, ce traitre qui a tué le roi don Sanche, mon bon seigneur et mon roi, que je regrette si vivement. Que ceux qui accueillent des traîtres soient appelés traîtres ! Je vous défie tous comme tels, ainsi que vos aïeux et vos enfans à naître ; je les mets tous sur la même ligne, et le pain et l’eau dont vous vous nourrissez, et ce, je vous le prouverai, comme il est vrai que je suis armé, et je me battrai contre ceux qui ne voudront pas le reconnaître, ou bien contre cinq, l’un après l’autre, selon l’usage d’Espagne. Qu’il vienne combattre, celui qui donna le conseil, cause du défi que je vous porte… »

Cette ancienne formule de défi a été quelque peu raillée par Cervantes : « Aucun individu, fait-il dire à don Quichotte, ne peut offenser une commune entière, à moins de la défier en masse comme coupable de trahison… Nous avons de cela un exemple en don Diègue Ordoñez de Lara, qui défia tout le peuple de Zamora… A la vérité, le seigneur don Diègue s’oublia quelque peu et passa d’assez loin les limites du défi, car à quoi bon défier les morts, les eaux, le pain, les enfans à naître et les autres minuties qu’on rapporte dans cette histoire ? Il est vrai que quand la colère déborde la langue n’a plus de rive qui la retienne[25]. » Mais continuons.

« Arias Gonzale, le brave vieillard qui commande dans Zamora, ayant entendu ce qu’avait dit Ordoñez, lui parla ainsi : « Je n’aurais point dû naître, s’il en est comme tu prétends ; mais j’accepte le défi proposé par toi, et je te ferai connaître que ce que tu avances n’est pas. » Puis il parla de cette manière à ceux de Zamora :

« Hommes très estimés, vous tous petits et grands, s’il y a quelqu’un de vous qui se soit trouvé dans cette affaire, qu’il le dise incontinent. J’aime mieux m’en aller de cette terre exilé en Afrique que d’être vaincu dans le champ comme méchant et perfide. »

« Tous disent à la fois sans qu’aucun se taise : « Que le mauvais feu nous consume, comte, si nous avons participé à cette mort ! Il n’y a dans Zamora personne qui eût conseillé pareille chose. Le traître Vellido Dolfos a fait ce mal par lui seul. Vous pouvez aller en toute assurance. Allez avec Dieu, Arias Gonzale[26] ! »

Ces derniers mots ne font-ils pas bien vivement sentir quelle était en Espagne la grave moralité du duel chevaleresque ? Bien rarement un félon s’exposait-il à cette épreuve. Cependant le vieil Arias Gonzale se rend à la porte qui conduit au champ, accompagné de ses quatre fils. Il voudrait être le premier à combattre, car il a été appelé traître ; mais l’infante doña Urraque et tous les assistans s’y opposent. Il envoie dans la lice son plus jeune fils, Pèdre Arias, qui, à cette intention, a été armé chevalier la veille[27]. En peu d’instans, Diègue Ordoñez lui a fendu le crâne, et, se tournant vers les murs de Zamora : « Où es-tu, Arias Gonzale ? Envoie ton second fils, car c’en est fait du premier. » Le vieillard envoya son second fils nommé Diègue Arias, et don Diègue Ordoñez fit de ce jeune homme comme il avait fait de l’autre. Fernand Arias, le troisième fils du vieillard, se présente et est aussi blessé à la tête ; mais il avait d’un premier coup blessé don Diègue, et d’un second coup atteint son cheval, qui l’emporta hors des barrières. En vain Ordoñez voulut-il rentrer en lice, les juges ne le permirent pas, et ainsi finit ce combat, sans qu’il fût vérifié qui étaient les vainqueurs, de ceux de la ville ou de ceux du camp. Cependant une dernière scène, d’une rédaction plus récente, termine ce drame. Le vieil Arias Gonzale, placé, peu de temps après, en présence de celui qui l’a privé de ses deux fils, se laisse emporter à des outrages pleins de bravades et de jactance, que lui-même, de sens plus rassis, condamne comme l’effet d’une passion qu’il aurait été mieux et plus digne de réprimer :


« … Lâche que vous êtes, s’écrie le vieillard ; brave avec les enfans, mais, en face des hommes qui ont de la barbe au menton, peureux comme un lièvre devant un lévrier !…

« Si j’étais entré dans le champ, vous ne vivriez pas joyeux, et je ne porterais pas pour mes fils ce triste vêtement de deuil. Loin de là ; celui de Bivar le porterait pour vous comme je le porte, et ce serait le moindre des exploits dont mon bras dût être fier.

« Car enfin, Ordoñez, je sais que vous êtes plus arrogant que brave, et vous savez bien, vous, que moi toujours je fais plus que je ne dis. Et vous savez aussi que par crainte le roi don Sanche empêcha les trois comtes que j’avais provoqués de venir se mesurer avec moi.

« Vous connaissez mes vaillantises, lorsque moi, Zamoran, je dis : « Enfoncez le fer et tirez du sang, et donnez de l’éperon à ce cheval ! » lorsqu’après en avoir tué deux, je me mis, pour un qui m’échappa, à m’arracher la barbe, comme si j’eusse été vaincu, et aussi comment les comtes qui avaient osé m’attendre furent précipités de cheval à la première rencontre de ma lance. À cause de quoi les dames descendirent des estrades et me pressèrent à l’envi dans leurs bras, ce qui eût engagé mille jeunes garçons à donner leurs tendres et fraîches années, jaloux qu’ils étaient du vieillard à cheveux blancs !… Ces glorieux exploits, je les rappelle pour mon honneur et pour ta honte ; car tes beaux faits, à toi, c’est d’avoir tué un jeune homme et un enfant ! »

« Le courtois don Diègue Ordoñez, se modérant en homme bien appris, lui répondit à haute voix, mais d’un ton respectueux et soumis. Et d’un air gracieux, le coude appuyé sur son épée, le bras relevé sur sa poitrine et le menton sur la main, il lui dit :

« Ces prouesses et ces exploits merveilleux, le ciel et ta bonne fortune les ont accordés à ton bras, je le reconnais, et mon témoignage suffit ; je possède mon sang-froid, tandis que toi tu ne peux pas être bon témoin de mes actes, emporté que tu es par la passion. Et, quoique je pusse rapporter des traits de vaillance et de courage qui, sans te faire injure, valent presque les tiens, je dirai seulement, pour relever mon honneur rabaissé par toi, que j’ai tué deux fils à celui qui a été assez hardi pour venir au quartier royal de son ennemi. Ainsi, calme-toi, Arias Gonzale ! Arias Gonzale, calme-toi ! »

«  Le vieillard, dont le cœur avait exhalé sa colère, reconnut alors qu’il avait fait une action fort téméraire, et, obligé par là et par le mérite d’Ordoñez, il lui parla avec amitié et lui demanda une main amie. Don Diègue Ordoñez de Lara lui donna la main joyeusement, et après tous deux s’embrassèrent. Tous, à commencer par le Cid castillan, applaudirent à cette réconciliation, et là-dessus Arias Gonzale rentra dans Zamora[28]. »


Cette romance ne paraît pas antérieure à la fin du XVe siècle. La générosité outrée qu’on y remarque et la réconciliation si prompte du vieil Arias Gonzale avec le meurtrier de ses deux fils sont moins dans la vindicative nature espagnole que dans le goût un peu affecté des romances moresques. Nous l’avons citée cependant, parce qu’elle prouve que la jactance et la forfanterie avaient si peu pénétré, même à cette époque, dans les mœurs populaires de l’Espagne, que ces défauts étaient blâmés et condamnés par ceux mêmes que l’emportement de la passion y avait fait tomber.


V.

En ce qui concerne le rôle que la femme est appelée à tenir dans le monde, les idées du Romancero sont le contre-pied de celles qu’a fait prévaloir ailleurs la poésie chevaleresque, surtout celle des romans du cycle de la Table-Ronde. Les belles et infidèles Genièvre, les Iseult, les Sébile, ne sont pas des types espagnols. La jalousie castillane n’a pas permis aux poètes populaires de la Péninsule d’idéaliser l’infidélité conjugale. Dans cette contrée demi-orientale et chrétienne, la femme est un objet de désir, de respect et de sérieuse tendresse ; elle n’est pas un objet d’adoration et de culte. Elle est l’égale de l’homme ; elle n’est pas reconnue et proclamée supérieure et maîtresse. Nous avons vu, dans la romance de don Garcie, ce gentilhomme remercier Dieu et le roi de lui avoir donné doña Maria pour femme et pour égale. Telle est la mesure de la galanterie espagnole. Ce que tout cavalier veut en Espagne de la femme qu’il aime, ce que toute femme veut de son amant, c’est sa possession entière, absolue, légitime. En un mot, l’idéal de l’amour, tel qu’il apparaît dans le Romancero, c’est l’amour dans le mariage. Pour toute fille de gentilhomme, il n’y avait pas d’intermédiaire en Espagne entre le mariage et le couvent.

Voici une petite romance qui a dû être, j’imagine, chantée bien souvent, le soir, dans les humbles manoirs de la noblesse castillane, ordinairement si pauvre.


LE BON CONTE ET SA FILLE.

« Le bon comte se promenait tout rempli de chagrin, tenant en ses mains le noir chapelet sur lequel il avait coutume de prier. Il murmurait de tristes paroles, des paroles qui auraient fait pleurer.

« — Nous voilà devenue grande, ma fille, et en âge d’être mariée. Mon plus amer chagrin, c’est de n’avoir rien à vous donner. »

«  - Ne dites pas cela, mon père, ne dites pas cela ! Vous ne devez pas vous affliger, car celui qui a une bonne fille se doit appeler riche, et celui qui en a une mauvaise n’a qu’à l’enterrer vive, puisqu’elle déshonore sa famille au lieu de l’honorer. Quant à moi, si je ne me marie pas, je puis entrer en religion[29]. »

On a composé, au commencement du XVIIe siècle, le Romancero du Cid[30] ; je voudrais que l’on composât aujourd’hui le Romancero de Chimène. Il ne faudrait qu’extraire des quatre livres qui forment le premier recueil les frais et gracieux passages où Chimène agit et parle, et ceux où Rodrigue exprime la sérieuse tendresse qu’il a gardée pour elle jusqu’à la mort ; car, quoi qu’en ait dit Sandoval[31] et répété M. de Sismondi[32], l’opinion choquante qui veut donner deux femmes du nom de Chimène au Cid ne repose, comme toute sa vie domestique, sur aucune preuve authentique, et les romances, qui en sont les documens les plus certains, ne parlent point de secondes noces. Au reste, la Chimène espagnole, la Chimène du Romancero, franche, décidée, enjouée quelquefois, ne ressemble que fort peu à la Chimène créée par le génie de Corneille. Dans les romances, elle ne s’éprend d’amour pour le jeune Rodrigue qu’après le duel où succomba son père[33]. On sait de quels injustes reproches notre grand poète fut assailli pour avoir permis que sa Chimène, après un long combat, finit par donner, ou plutôt par promettre sa main à Rodrigue. Corneille s’abrita derrière cette tradition constatée par Mariana : « Chimène demanda au roi qu’il fît punir le Cid par les lois, ou qu’il le lui donnât pour époux, » et il n’eut pas de peine à prouver qu’il avait fort adouci dans sa tragicomédie l’âpreté de la tradition espagnole. S’il avait eu sous les yeux un romancero plus complet, il n’aurait certes pas manqué d’opposer la pièce que l’on va lire aux délicatesses outrées de Scudéri.

« C’était un jour des rois, un jour indiqué où les dames et les demoiselles demandent au roi leur étrenne ; si ce n’est Chimène Gomez, fille du comte Loçano, qui, posée devant le roi, lui a parlé de cette manière :

« O roi, je vis dans le chagrin ; dans le chagrin vit ma mère. Chaque jour qui luit, je vois celui qui tua mon père, à cheval et tenant en main un épervier ou parfois un faucon qu’il emporte pour chasser, et pour me faire plus de peine il le lance dans mon colombier. Avec le sang de mes colombes il a ensanglanté mes jupes… Un roi qui ne fait pas justice ne devrait point régner et chevaucher à cheval, ni chausser des éperons d’or, ni manger pain sur nappe, ni se divertir avec la reine, ni entendre la messe en lieu consacré, parce qu’il ne le mérite pas ! »

« Le roi, quand il eut entendu cela, commença à parler ainsi : « Oh ! que le Dieu du ciel me soit en aide ! Que Dieu me veuille conseiller ! Si j’emprisonne ou tue le Cid, mes cortès se révolteront, et, si je ne fais pas justice, mon ame le paiera.

« — Tiens tes cortès en repos, ô roi ! que personne ne les soulève ! Celui qui tua mon père, donne-le-moi pour égal ; car celui qui m’a fait tant de mal me fera, je crois, quelque bien. »

« Alors parla le roi. Écoutez bien comme il parla :

« Je l’ai toujours entendu dire, — et je le vois aujourd’hui, — que l’esprit féminin est bien extraordinaire. Jusqu’ici elle a demandé justice, et maintenant elle veut se marier avec lui ! Je le ferai de fort bon gré et de très bonne volonté. Je veux envoyer une lettre à Rodrigue, je veux le mander[34]. »

A présent que nous connaissons l’humeur vive, décidée, pétulante, de la jeune Chimène Cornez, il nous faut voir ce que devint la jeune femme. Il y aurait bien du malheur si la compagnie de Rodrigue lui avait fait perdre quelque chose de son franc parler, de son esprit, de sa vivacité piquante et passionnée. Le Cid Campeador est constamment en guerre ; il ne cesse de batailler contre les Mores au profit du roi don Ferdinand. Les romances vont nous apprendre comment la jeune mariée supportait ces pénibles absences ; c’est au roi, cause de tout le mal, qu’elle adresse surtout ses plaintes.

LETTRE DE CHEIMENE AU ROI FERNAND

« Dans le manoir de Burgos, attendant son Rodrigue, Chimène est si enceinte, qu’elle attend son très prochain accouchement.

« Plus affligée encore, le matin d’un dimanche, baignée de tristes larmes, elle prit la plume en main, et, après avoir écrit à son mari mille plaintes capables d’attendrir des entrailles de marbre, elle prit de nouveau la plume, et de nouveau se remit à pleurer. Elle écrivit de cette manière au roi don Ferdinand :

« A vous, mon seigneur roi, le bon, le fortuné, le grand, le conquérant, le reconnaissant, le sage ; votre servante Chimène, fille du comte Loçano, à laquelle vous avez donné un mari comme pour vous moquer d’elle, vous salue, des murs de Burgos, où elle vit dans la tristesse. — Que Dieu mène à heureuse fin vos bons projets !

« Pardonnez-moi, mon seigneur ; je n’ai point le cœur faux, et, quand ce cœur est mal disposé pour vous, il ne peut le cacher. Je suis en ce moment peu contente, et je vous écris forcée par le chagrin. Je ne puis que vous regarder comme mon ennemi, après tant de griefs que j’ai contre vous.

« Quelle loi de Dieu vous enseigne que vous pouvez, pendant tout le temps si long que vous faites la guerre, démarier deux époux ?

« Quelle bonne raison approuve que vous montriez à un jeune garçon bien appris, bien caressant, bien timide, à être un lion féroce, et que, de nuit et de jour, vous le teniez enchaîné, sans le lâcher pour moi, sinon une fois l’année ?

« Et encore, cette fois-là, il vient tellement souillé de sang jusqu’aux pieds de son cheval qu’il fait peur à voir, et à peine est-il couché près de moi qu’il s’endort entre mes bras. Dans ses songes il frémit et s’agite, se croyant toujours au milieu des combats.

« Et l’aube paraît à peine que les éclaireurs et les guides le pressent de se mettre en campagne.

« Que si vous faites cela pour l’honorer, Rodrigue a bien assez d’honneur, puisqu’il n’a pas encore de barbe et qu’il a cinq rois pour vassaux.

« Enfin, seigneur, je suis enceinte et entrée dans mon neuvième mois ; les larmes que je verse sans cesse peuvent m’être nuisibles, car, comme je n’ai pas d’autre bien et que vous me l’enlevez, je le pleure vivant comme s’il était mort.

« Ne permettez pas que vienne à mal le gage du meilleur gentilhomme qui suive l’étendard aux croix rouges et qui ait baisé la main d’un roi.

« Répondez-moi sans délai par une lettre de votre main, encore qu’il faille donner une bonne étrenne à votre messager. Surtout jetez cet écrit au feu ; qu’il ne coure pas dans le palais, car les mauvaises langues ne m’en tiendraient pas bon compte. Cessez de me faire le tort dont j’implore la fin. Songez que c’est offenser le ciel que d’agir si mal[35]. »

Voici comment le roi don Ferdinand répondit à doña Chimène. Soyez sûr qu’il ne demeura pas en reste envers elle d’esprit, de grace et d’enjouement.

« A la dixième heure du jour, demandant du papier à son secrétaire, le roi répond de sa propre main à la lettre de Chimène. Après avoir fait la croix avec quatre points et un paraphe, il écrivit les paroles suivantes en style de courtisan :

« A vous, Chimène la noble, la femme d’un mari envié, la modeste, la spirituelle, attendant un prochain accouchement, le roi, qui ne trouva jamais en vous mauvais vouloir, vous envoie ses saluts, en foi de ce qu’il vous aime tendrement.

« Vous me dites que je suis un mauvais roi, que je démarie les mariés, et que, pour mes intérêts, j’ai peu de souci de vos chagrins. Vous me dites dans vos dépêches que vous vous plaignez de moi parce que je ne vous lâche point votre mari, sinon une fois dans l’année, et encore, lorsque je vous l’envoie, qu’au lieu de vous caresser il s’endort dans vos bras, tant il est fatigué.

« Si vous eussiez appris, madame, que je vous enlevasse votre mari pour mon plaisir, vous auriez raison de vous plaindre ; mais, puisque je vous l’enlève seulement pour qu’il combatte nos voisins les Mores, je ne suis pas envers vous si coupable.

« Que si Rodrigue fût resté pendu à votre trousseau de clés, mes possessions ne se seraient pas augmentées d’un si riche patrimoine. Si je l’eusse laissé se promener avec les autres infançons, votre médaille d’or de saint Michel aurait pu tomber en de mauvaises mains ; et, si je ne lui avais pas confié le soin de mes armées, vous ne seriez qu’une simple dame, et lui qu’un simple gentilhomme.

« Si votre mari, madame, ne vous avait pas mise enceinte, je croirais ce que vous m’avez conté de son dormir ; mais, puisqu’il a rendu votre jupe trop courte, il faut qu’il n’ait pas dormi autant que vous le dites, car il attend de vous un héritier de son majorat.

« Et si un mari vous manque à vos premières couches, il n’importe ; vous y aurez un roi qui vous fera cent mille régals.

« Ne lui écrivez point de venir, parce que, bien qu’il fût à vos côtés, en entendant le tambour, il serait capable de vous quitter.

« Vous dites que votre Rodrigue a des rois pour vassaux. Plût à Dieu que, comme il en a cinq, il en eût cinq fois quatre ! car, les tenant en son pouvoir, mes châteaux et les vôtres n’auraient pas tant d’ennemis.

« Vous me dites de jeter au feu la lettre que vous m’avez écrite. Si elle contenait des hérésies, elle mériterait une telle récompense ; mais, comme elle ne contient que des raisons dignes des sept sages, elle vaut mieux pour mes archives que pour le feu ingrat.

« Et, afin que vous gardiez la mienne et ne la mettiez pas en morceaux, j’assure un beau présent à l’enfant dont vous accoucherez. Si c’est un fils, je promets de lui donner une épée et un cheval et deux mille maravédis pour l’aider dans ses dépenses ; si c’est une fille, je promets de placer pour sa dot quarante mares d’argent à partir du jour où elle sera née.

« Sur ce, madame, je finis, sans cesser de supplier la sainte Vierge qu’elle vous soit en aide dans les périls de l’accouchement[36].

Peut-être ne sera-t-on pas fâché de savoir de quelle façon courtoise et galante don Ferdinand tient sa royale promesse.

« A Saint-Isidore de Léon se rendait pour sa messe de relevailles la noble Chimène Gomez, femme du Cid Campeador. Pour sortir, elle habilla ses écuyers de drap de Courtrai, car l’habit du serviteur fait voir quel est le maître.

« La belle dame revêtit un casaquin de fine écarlate avec des franges en velours piquées de deux en deux, et une basquine de même étoffe avec une garniture, présent que lui avait fait le roi le jour de son mariage. Elle mit une belle ceinture à glands d’argent, présent que le comte avait fait à la comtesse sa mère.

« A son cou pendaient deux médailles posées très élégamment, représentant saint Lazare et saint Pierre, deux saints de sa dévotion.

« Ses cheveux, qui sont plus brillans que l’or, retombent sur ses épaules, ne formant tous qu’une seule tresse. Elle porte une mante de drap de Courtrai, parce que les dames de qualité, à mesure qu’elles couvrent mieux leur visage, découvrent mieux leur renommée.

« Chimène était si belle que le soleil resta suspendu au milieu de sa course pour la mieux considérer.

« Et voilà qu’au milieu de l’église elle rencontra le roi Ferdinand, qui, pour la conduire, la prit par la main.

« Noble Chimène, dit le roi, puisque le Cid Campeador, votre fortuné mari et mon meilleur vassal, a manqué aujourd’hui l’église pour se trouver dans les combats, à défaut de son bras, je serai votre écuyer, et à la belle infante que le ciel vous a donnée j’envoie mille maravédis et ma plus belle parure de plumes. »

« Chimène ne remercia pas le roi d’une faveur si haute, car la timidité s’empara d’elle et lui ôta la voix. Elle prit les mains du roi pour les baiser. Lui les retira, l’accompagna à l’église et la ramena à sa maison[37]. »

Cependant le temps court, les années volent ; Chimène n’est plus la jeune femme amoureuse et folâtre que nous avons vue à sa première couche : elle a deux filles, héritières de sa jeunesse. Dans plusieurs romances, nous la retrouvons grave, pensive et sereine aux côtés du Cid, mais toujours amie de la guitare et du chant. Quand le bon Cid veut donner l’idée la plus complète de sa soumission au roi, il la compare à celle que Chimène a pour lui.

« Je suis le Cid Campeador, qui me tiens près de Consuegra, aussi soumis au roi don Alphonse que doña Chimène m’est soumise à moi-même. »

Et il ajoute un peu après :

« Quand je suis seul, je pleure ma compagne Chimène, qui, comme la colombe, reste abandonnée et triste dans un pays étranger, car, bien que ce soit son pays, elle y est entourée d’ennemis ; et, puisque ce sont ceux de son mari, qui douterait que ce soient les siens[38] ? »

Dans une occasion solennelle, le Cid, recevant des présens du soudan de Perse, montre à l’envoyé du monarque sa maison, ses filles et sa Chimène avec un orgueil qui rappelle celui de la mère des Gracches[39]. Dans la pièce que l’on va lire, et où le Campeador, déjà armé en guerre, mêle de sages conseils à ses adieux, il est aisé de voir à travers la gravité des paroles quel trésor inépuisable de tendresse et de respect Rodrigue conserve pour Chimène.


ADIEUX ET CONSEILS DU CID A CHIMÈNE.

« Déjà couvert de son casque, le Cid s’entretenait avec sa Chimène, un peu ayant d’aller aux combats de Valence.

« Vous savez bien, madame, dit-il, combien notre tendresse et l’affection que nous avons l]’un pour l’autre admettent peu l’absence ; mais le droit disparaît là où l’obligation intervient, car, pour tout homme de sang noble, c’est une obligation de servir le roi.

« Conduisez-vous en mon absence comme une femme prudente que vous êtes, et qu’on ne voie rien de changé en vous, puisque vous sortez de si bon lieu.

« Employez les heures rapides à prendre soin de votre bien, et ne demeurez pas un seul moment oisive, car être oisive ou être morte, c’est même chose.

« Gardez vos plus riches vêtemens pour quand je serai de retour, car une femme sans son mari doit aller avec une grande simplicité.

« Veillez bien sur vos filles, et qu’elles soient toujours célées ; mais qu’elles ne s’aperçoivent pas que vous ayez aucune crainte, car ce serait faire qu’elles comprendraient le mal. Qu’elles ne s’éloignent pas un instant de dessous vos yeux, car des filles sans leur mère sont fort près de la perdre.

« Soyez grave avec vos serviteurs, affable avec les dames, circonspecte avec les étrangers, sévère avec vos compatriotes.

« Ne montrez point mes lettres, même à votre plus proche parente, et l’homme le plus sage ne saura pas comment j’accueille les vôtres ; et si vous ne vous sentez pas assez forte pour dissimuler votre joie, ce qui est le propre des femmes, montrez-les à vos filles…

« … Je vous laisse pour chaque jour vingt-deux maravédis. Traitez-vous selon ce que vous êtes, et ne regardez pas à la dépense. Si l’argent venait à vous manquer… ne mettez pas en gage vos joyaux. Empruntez sur ma parole ; vous trouverez bien là-dessus qui remédie à vos besoins, puisque je travaille sans cesse à remédier à ceux des autres.

« Sur ce, madame, adieu, car j’entends d’ici le bruit des armes. »

« Et après un étroit embrassement, il sauta légèrement sur Babiéca[40]. »

Nous nous croyons parfaitement en droit de conclure, de ce qu’on vient de lire, qu’il n’y a rien dans le génie espagnol, rien dans les poèmes du Cid, rien dans le Romancero, qui rappelle les côtés romanesques, fantastiques et peu moraux de la poésie chevaleresque de France et d’Angleterre aux XIIIe et XIVe siècles.

Mais s’il en est ainsi, dira-t-on, si les ouvrages qui reflètent incontestablement le mieux le vrai caractère national, si les romances et les chansons de geste contiennent en Espagne aussi peu d’élémens romanesques ; si, au contraire, les traits distinctifs de la chevalerie espagnole sont le bon sens, la franchise, l’élan sans tergiversation ni équivoque des passions bonnes ou mauvaises, la sincérité des sentimens, toujours logiques et conséquens avec eux-mêmes, allant droit au fait dans les paroles et droit au but dans les actions ; si le merveilleux et le surnaturel tiennent si peu de place dans les premières créations de leur esprit, et qu’esclaves de la vérité dans la vie réelle, ils aient gardé constamment le respect de la vraisemblance dans leurs fictions ; s’il en est ainsi, dira-t-on, où donc Michel Cervantes a-t-il pris l’idée et le modèle de son chef-d’œuvre ? A quel être de raison sa poétique satire s’adresse-t-elle ? Dans quelle province inconnue des Espagnes a-t-il entendu pousser des soupirs pour des amours imaginaires ? Où a-t-il vu donner dans les grands chemins de grands coups d’épée en l’air et sans motif ? Où a-t-il rencontré la rêverie vague et creuse dans ce pays si sain, où il n’existe que si peu de cerveaux fêlés ou vicies, dans ce pays des formes et des couleurs précises, où l’on ne connaît guère que la beauté visible et palpable, et où les rêves de l’extase religieuse elle-même ont dû revêtir des formes sensibles ? Cervantes s’est-il donc livré à un jeu d’esprit sans but, à une critique sans objet, à une peinture purement d’imagination ? Non, non ; je suis bien loin de vouloir tirer de ce qui précède une conclusion aussi absolue. L’extravagante bibliothèque de don Quichotte, livrée aux flammes par le curé, la nièce et la gouvernante du bon hidalgo, après sentence dûment prononcée, forme à l’immortelle satire une base très solide et très réelle. Je n’essaierai pas de le nier : il existe un corps de délit. Des monceaux de fadaises chevaleresques, imprimées au commencement du XVIe siècle, témoignent d’un singulier désordre dans les esprits ; mais il faut distinguer : la chevalerie que Cervantes a si joyeusement bafouée, ce n’est pas la grave chevalerie de son pays, dont il était lui-même un des derniers et des plus honorables représentans ; ce qu’il flagelle à outrance, ce n’est pas le génie espagnol ; au contraire, c’est au profit de ce dernier qu’il censure l’importation dans sa patrie d’une littérature étrangère, pleine de folie et de licence, qui usurpait l’admiration publique et tendait à altérer les mœurs nationales. En effet, les fictions gracieuses et peu édifiantes du cycle d’Artus et de la Table-Ronde, Lancelot du Lac, Tristan de Léonois, toute cette chevalerie romanesque et voluptueuse de notre France au XIIIe siècle, n’avaient eu, à l’origine, que peu ou point d’écho en Espagne. Le fondement de toute cette littérature féerique et licencieuse, la raillerie du mariage, était, comme nous l’avons dit, profondément antipathique à la jalousie castillane. On peut voir, en parcourant la section des romances dites chevaleresques, que le cycle de Charlemagne et des douze pairs, lié par les exploits de Bernard de Carpio, le fabuleux rival de notre Roland, aux traditions espagnoles, a joui seul, de l’autre côté des Pyrénées, d’une popularité véritable. Ce n’est qu’au milieu du XIVe siècle qu’une imitation, ou plutôt une inspiration fort adoucie et très adroite des romans français, l’Amadis de Gaule, obtint un succès de vogue dans toute la Péninsule. « Voilà, dit le curé dans l’inventaire de la bibliothèque de don Quichotte, le premier roman de chevalerie qu’on ait imprimé en Espagne. C’est de celui-là, à ce que j’ai ouï dire, que tous les autres tirent leur origine. En qualité de fondateur d’une secte si dangereuse, il doit être condamné au feu. » - « Mais, reprit maître Nicolas, le barbier, j’ai aussi entendu dire qu’Amadis de Gaule est le meilleur de tous les livres composés dans ce genre-là[41], et ainsi, à titre de modèle, il mérite qu’on lui pardonne. »

Il faut cependant se garder de croire que ce roman, tout rempli de galanterie et de merveilleux, soit beaucoup plus raisonnable et plus chaste que Tristan de Léonois et Lancelot du Lac. Toutes les filles et nièces de roi s’y montrent de la complexion la plus amoureuse, et toutes ont auprès d’elles, pour servir et protéger leurs faiblesses, les plus complaisantes et les plus adroites confidentes, entre autres l’aimable Dariolette. La passion des jeunes cavaliers est si soumise, si religieuse en quelque sorte, le plus ordinairement si constante, qu’elle a toute l’apparence d’une vertu, et pourtant ces purs amans ne se refusent aucune satisfaction effective. Seulement (ce qui était le point capital de l’autre côté des Pyrénées) ces intrigues ne portent aucune atteinte an sacrement ; s’il y a beaucoup d’Arianes parmi ces jeunes et fragiles princesses, il n’y a du moins ni crédule Amphitryon, ni triste roi de Cornouailles. La postérité d’Amadis a été innombrable : Esplandian, Amadis de Grèce, Félix-Marte d’Hyrcanie, l’invincible don Bélianis de Gréce et une foule d’autres offrirent bientôt tous les abus et toutes les extravagantes exagérations du genre. Les imitateurs espagnols, comme leurs confrères de tous les pays, ont poussé jusqu’au ridicule les défauts de leurs modèles. De cette multitude de méchans livres que protégeait la mode et qui corrompait le bon sens public, Cervantes n’amnistie sans restriction, après l’Amadis de Gaule, que le seul Palmerin d’Angleterre, œuvre portugaise et royale, digne, suivant le licencié Pero Perez, d’être conservée soigneusement, comme une chose unique, dans une cassette aussi précieuse que celle qu’Alexandre trouva parmi les dépouilles de Darius, et qu’il destina à enfermer les œuvres d’Homère. Le bon curé exempte encore de l’auto-da-fé le fameux Tiran le Blanc, qu’il loue en ces termes un peu équivoques : « Trésor d’allégresse et mine d’agréables passe-temps, ce livre, pour le style, est le meilleur du monde. On y voit les chevaliers manger, dormir, mourir dans leurs lits, et, avant de trépasser, faire leur testament, avec une foule d’autres choses qui manquent à tous les livres du même genre. » Cet éloge badin nous fait penser que Tiran le Blanc était un premier essai de réaction et de critique indirecte contre les invraisemblances des romans de chevalerie ; ce qui n’empêche pas le très peu conséquent licencié de déclarer que l’auteur de ce livre a mérité les galères à perpétuité, apparemment à cause des amours d’un bel écuyer nommé Hippolyte avec une impératrice de Constantinople fort proche parente de la belle et infidèle reine de Cornouailles.

Au reste, qu’on ne s’étonne pas de voir la réaction contre les écarts de la littérature romanesque venir précisément d’un pays où ce genre d’exagération n’avait aucunes racines profondes et naturelles. L’idée fondamentale de don Quichotte n’est pas, comme on l’a tant répété, le contraste de la générosité héroïque et idéale avec la réalité prosaïque et vulgaire. Non ; la lutte n’est pas là. Elle est entre l’enthousiasme faux et chimérique des héros de roman et l’héroïsme sensé et pratique des héros de l’histoire ; elle est entre l’amour vaporeux et romanesque et l’amour sincère, naturel et véritable. L’épopée comique de Cervantes était un retour et un rappel à la vérité et au goût national. De là vinrent les applaudissemens unanimes qui l’accueillirent. On ne l’a pas assez remarqué : le succès fut universel, surtout parce que cette charmante et satirique production ne blessait aucun des sentimens, aucun même des préjugés de la nation. L’Espagne ne vit et ne dut voir dans don Quichotte que la critique d’un travers étranger, tandis que l’Europe, où cette création originale ne fut pas moins bien accueillie et qu’elle corrigea, put (ce qui est toujours commode) n’y voir qu’une peinture un peu chargée des ridicules d’un peuple voisin. Pour la France, c’était cependant sa propre littérature qui était en cause, mais sa littérature déjà oubliée d’elle-même et rendue méconnaissable par de maladroites imitations. Certes, le digne licencié Pedro Perez, qui a épargné Amadis de Gaule et Palmerin d’Angleterre, n’aurait consenti à brûler ni Tristan, ni Perceval, ni Lancelot, surtout dans la gracieuse et poétique rédaction de Chrétien de Troyes. Pour moi, je ne souhaite pas à celles de ces productions dont les textes originaux sort encore inédits de reposer éternellement dans la précieuse cassette d’Alexandre. Je forme un vœu tout opposé : en ce temps où l’on imprime tant et tant de choses inutiles ou médiocres, je voudrais voir ces antiques monumens de notre langue et de notre génie national recevoir une vie splendide et nouvelle de la main élégante et soigneuse des Didot et des Crapelet. À ce vœu, j’en suis sûr, Michel Cervantes lui-même, si sensible aux graces du langage, aurait souscrit de bien grand cœur.


CHARLES MAGNIN.

  1. On peut voir, dans le XXXIIe chapitre de la première partie de don Quichotte, avec quelle éloquence Cervantes oppose aux extravagantes histoires des romans de chevalerie les exploits réels du Grand Capitaine et l’héroïsme véritable du brave Diègue Garcie de Pérédès.
  2. Coleccion de poesias Castellanas anteriores al siglo XT, ilustrada con notas. Madrid, 1779. 4 vol. in-8o.
  3. On lit dans le manuscrit : En era de mill e CC…XLV, mais tout indique que la lettre effacée devait être un C. Le fac-simile du manuscrit publié par MM. Cortina et Hugalde, dans leur traduction espagnole de l’ouvrage de Boutterwek, est loin d’indiquer, comme ils le pensent, une écriture du XIIe siècle.
  4. Voyez Partida 2e, tit. XXI, lei 20. On a dû remarquer que le poète appelle lui-même son œuvre tantôt gesta (v. 1003), et tantôt cantar (v. 2286).
  5. Uber die Romanzen-poesie der Spanier. Vienne, 1_47, in-8o.
  6. Ce morceau se trouve à la suite du précieux manuscrit intitulé Cronica del Cid, no 9988, in-folio.
  7. Cette querelle eut pour origine des démêlés survenus entre les bergers des deux comtes, à l’occasion du pacage de leurs vastes troupeaux.
  8. Voy. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 juin 1846.
  9. Tableau de la Littérature au moyen-âge, tome II, p. 85-87.
  10. Les Espagnols ont long-temps gardé la croyance aux augures. Il existe des traces assez fréquentes de cette superstition païenne dans les romances.
  11. N’est-il pas curieux de retrouver dans cette ancienne chanson de geste les répétitions si fréquentes dans les poèmes homériques ?
  12. Coleccion de poesias Castellanas anteriores al sigio XV, t. I, page 231.
  13. Dans plusieurs romances, le poète suppose les vilains capables de se souiller de crimes que les gentilshommes ont refusé de commettre. On peut voir, entre autres, la romance où don Pèdre-le-Cruel ordonne l’assassinat de la reine Blanche (M. Depping, Romancero Castellano, t. Ier, p. 313, et M. Damas Hinard, Romancero t. Ier, p. 195.) — Les romances les plus populaires étaient celles qui racontaient la chute ou les malheurs des personnages les plus élevés. Un écrivain du XVIIe siècle, peintre ingénieux et fidèle des mœurs espagnoles, Luis Velez de Guevara, a mis en scène dans son Diable boiteux un aveugle qui, monté sur une borne, chante à la foule attentive les romances du vieux connétable don Alvar de Luna, favori de don Juan II, qui mourut décapité sur un échafaud.
  14. Il n’en était pas au moyen-âge comme aux temps homériques : l’écriture existait, et l’on écrivait non-seulement les compositions de quelque étendue, mais encore beaucoup de petites pièces de cers qui ont formé, comme en sait, les cancioneros.
  15. Voy. M. Damas Hinard, Romancero, t. I, discours préliminaire, pages V et VI.
  16. Tableau de la Littérature au moyen-âge, t. II, p. 84.
  17. Le fait que raconte cette romance est probablement historique ; mais la date en est incertaine.
  18. M. Depping, Romancero Castellano, t. I, p. 276 ; M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 243.
  19. Cette expression, attribuée à Lope de Vega par M. Raynouard (Journal des savans, décembre 1822), est réclamée par M. Creusé de Lesser dans la dernière édition de sa traduction en vers des romances du Cid.
  20. Sammlung der besten Spanischen, historischen, ritter und Maurischen Romanzen. Altenburg und Leipsig ; Brockhaus, 1817, in-12.
  21. Cinq volumes in-8o, 1823-1832.
  22. Tesoro de les romanceros, etc. 1 vol. grand in-8o de la collection Baudry.
  23. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 13 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. 1, p. 119.
  24. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 14 et 15 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. II, p. 121.
  25. Voyez don Quichotte, part. II, chap. 27, p. 240 et 241 de la récente et fidèle traduction de M. Damas Hinard. — Lope de Vega a parodié agréablement ce même défi dans les vers qu’il composa pour la joute poétique de Saint-Isidore, sous le nom emprunté du licencié Tome de Burguillos.
  26. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 84-35 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. I, p. 169.
  27. Une romance spéciale raconte tous les détails de cette cérémonie touchante. Voyez M. Damas Hinard, Romancero, p. 88 ; M. Depping, Romancero Castellano, p. 176.
  28. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 93-96 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. I, p. 172.
  29. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 270 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. II, p. 448.
  30. Historia del muy valeroso caballero el Cid Ruy Dias de Vivar en romances en lenguage antiguo recopilados, por Juan de Escobar. Alcala, 1612 ; in-12.
  31. Sandoval, Historia de los reyes de Costilla y de Leon ; folio 21, verso.
  32. Littérature du midi de l’Europe, t. III, p. 119.
  33. Il existe à peine dans le Romancero del Cid quelques traces des amours de Rodrigue et de Chimène avant leur mariage. On lit, il est vrai, dans la célèbre traduction allemande de Herder, une romance qui rappelle un peu la scène du balcon de Roméo et Juliette ; mais Herder a composé évidemment son Romancero sur la traduction française, ou plutôt sur l’imitation très libre de la Bibliothèque des Romans (juillet 1783, 2e volume), et le dialogue entre Rodrigue et Chimène ne s’est trouvé jusqu’ici dans aucun recueil original.
  34. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 20 et 21 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. I, p. 123-124. Cette romance est très ancienne et ne se trouve pas dans le Romancero del Cid ; elle nous a été conservée par le Cansionero de romances, recueil déjà rare du temps de Corneille.
  35. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 41 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. I, p. 141.
  36. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 143, Romancero Castellano, t. I, p. 142.
  37. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 45 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. I, p. 145.
  38. M. Damas Hinard, ibid., t. II, p. 121 ; M. Depping, ibid., t. I, p. 193-194.
  39. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 207.
  40. Duran, Romancero de romances, etc., t. II, p. 119 ; M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 126.
  41. Cet éloge ne peut s’appliquer qu’aux trois premiers livres.