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La Chimère (Gautier)

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Œuvres de Théophile Gautier — PoésiesLemerreVolume 1 (p. 241).
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La Chimère
1837



Une jeune chimère, aux lèvres de ma coupe,
Dans l’orgie, a donné le baiser le plus doux ;
Elle avait les yeux verts, et jusque sur sa croupe
Ondoyait en torrent l’or de ses cheveux roux.

Des ailes d’épervier tremblaient à son épaule ;
La voyant s’envoler, je sautai sur ses reins ;
Et, faisant jusqu’à moi ployer son cou de saule,
J’enfonçai comme un peigne une main dans ses crins.

Elle se démenait, hurlante et furieuse,
Mais en vain. Je broyais ses flancs dans mes genoux ;
Alors elle me dit d’une voix gracieuse,
Plus claire que l’argent : « Maître, où donc allons-nous ?

— « Par-delà le soleil et par-delà l’espace,
Où Dieu n’arriverait qu’après l’éternité ;
Mais avant d’être au but ton aile sera lasse :
Car je veux voir mon rêve en sa réalité. »