La Circulation du sang/Traité anatomique sur les mouvements du cœur et du sang chez les animaux/Chapitre XII

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Traduction par Charles Richet.
Georges Masson (p. 133-135).

CHAPITRE DOUZIÈME

LA CONFIRMATION DE LA SECONDE HYPOTHÈSE DÉMONTRE LA CIRCULATION DU SANG.

Cette démonstration va nous prouver ce que je disais auparavant, c’est-à-dire que le sang passe sans interruption à travers le cœur. Nous voyons en effet que le sang passe des artères dans les veines, et des veines dans les artères. Nous voyons enfin que presque toute la masse du sang peut s’écouler par une des veines de la peau du bras, ouverte avec un scalpel, pourvu que la compression ait été bien faite. Nous voyons en outre qu’il sort avec tant de force et d’impétuosité que non seulement le sang qui était contenu dans le bras au-dessous de la ligature, mais le sang de tout le bras et de tout le corps, aussi bien celui des artères que celui des veines, s’écoule par la veine ouverte.

Aussi faut-il reconnaître que, s’il sort avec force, cela tient d’abord à ce qu’il est poussé avec force contre la ligature et que la cause première en est dans la pulsation et la puissance du cœur, car la force et l’impulsion du sang ne viennent que du cœur.

Ensuite il faut admettre que ce flot vient du cœur, et qu’il passe par le cœur au moyen des grandes veines qui l’y amènent, puisque le sang passe au-dessous de la ligature par les veines et non par les artères, et que les artères ne reçoivent le sang des veines qu’en un seul endroit, c’est-à-dire au ventricule gauche du cœur.

Et le bras ayant été comprimé au-dessus, la totalité du sang n’aurait pu s’écouler par une seule veine, avec tant de force, de vitesse et de facilité, s’il n’avait pas reçu l’impulsion du cœur, comme nous l’avons montré plus haut.

Maintenant calculons la quantité de sang qui passe dans les veines, et démontrons à l’aide de calculs le mouvement circulaire du sang. En effet, si, dans la saignée, quand le sang sort avec force et impétuosité, on le laissait pendant une demi-heure s’écouler avec cette rapidité, certainement la plus grande partie du sang s’écoulerait, il y aurait lipothymie et syncope, et non seulement les artères, mais aussi les grandes veines se videraient presque complètement de sang. Il est donc rationnel d’admettre qu’en une demi-heure il passe au moins une aussi grande quantité de sang par le cœur de la veine cave dans l’aorte. Comptez ce qui passe d’onces de sang dans un seul bras, au-dessous d’une ligature, pendant vingt ou trente pulsations, et vous pourrez vous faire une idée de ce qui doit passer par l’autre bras, par les deux veines, de chaque côté du cou, et dans toutes les autres veines du corps. Il se fait donc, dans tous ces vaisseaux qui fournissent continuellement aux poumons et aux ventricules du cœur une nouvelle quantité de sang (ce sang arrive nécessairement par les veines), une véritable circulation, puisque les aliments n’y pourraient suffire, et que la nutrition des tissus est loin d’en exiger autant.

Remarquons de plus qu’en faisant une saignée, on peut avoir la confirmation de cette vérité. En vain vous aurez bien fait la compression et ouvert la veine avec le scalpel ainsi qu’il convient ; en vain l’opération aura été parfaitement faite, si la crainte, ou toute autre cause, ou une émotion, ou la lipothymie arrivent au malade ; si, en un mot, le cœur bat avec moins de force, le sang ne sortira plus que goutte à goutte, surtout si la ligature a été un peu serrée. C’est que le cœur, donnant au sang une impulsion plus faible et plus languissante, n’est pas assez fort pour lui faire franchir la bande à ligature ; et le cœur affaibli et languissant ne peut faire passer en suffisante quantité le sang dans les poumons, des veines dans les artères. C’est de la même manière et pour la même cause que s’arrêtent les menstrues des femmes et toutes les hémorrhagies. Le contraire est tout aussi démonstratif. Quand le courage revient, quand la crainte disparaît, quand le malade reprend ses sens, la force pulsative du cœur s’accroît, et aussitôt les artères recommencent à battre. Même au-dessous de la ligature on sent le pouls au carpe, et par la veine ouverte le sang jaillit au loin d’un jet continu.