La Circulation du sang/Traité anatomique sur les mouvements du cœur et du sang chez les animaux/Chapitre VIII

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Traduction par Charles Richet.
Georges Masson (p. 107-110).

CHAPITRE HUITIÈME

DE LA QUANTITÉ DE SANG QUI PASSE PAR LE CŒUR, DES VEINES DANS LES ARTÈRES, ET DU MOUVEMENT CIRCULAIRE DU SANG.

Peut-être mes idées sur le passage du sang des veines dans les artères, sur le trajet qu’il parcourt et sur les mouvements du cœur, ont-elles été adoptées par certains auteurs qui admettent le témoignage de Galien et les raisons de Colombo et d’autres anatomistes ; mais maintenant ce qui me reste à dire (et ce sont des points très dignes de considération) sur la masse du sang qui passe dans les artères, et sur son origine, est si nouveau et si peu admis, que je crains non seulement la jalousie de quelques personnes, mais l’inimitié de tous : tant il est vrai que la routine et une doctrine adoptée, profondément enracinée dans notre esprit, sont pour nous comme une seconde nature, surtout quand le respect de la grande antiquité vient s’y joindre. Néanmoins, que le sort en soit jeté ! J’ai confiance dans la loyauté des savants et dans leur amour pour la vérité.

En considérant la grande quantité de sang que je trouvais dans les vivisections et les ouvertures d’artères, la symétrie et l’étendue des ventricules et des vaisseaux afférents et efférents, je me disais souvent que la nature, n’ayant rien fait en vain, ne pouvait avoir donné en vain à ces vaisseaux une telle étendue ; enfin, en réfléchissant à l’admirable mécanisme des valvules, des fibres et de toute la structure du cœur, à l’abondance du sang mis en mouvement, à la rapidité de ce mouvement, je me demandais si le suc des aliments ingérés pouvait suffire à renouveler incessamment le sang incessamment épuisé. Je compris que les veines seraient vidées et épuisées, et que, d’autre part, les artères se rompraient par cet afflux continuel de sang, si le sang ne retournait par quelque voie des artères dans les veines et ne revenait dans le ventricule droit du cœur.

Je me suis donc d’abord demandé si le sang avait un mouvement circulaire, ce dont j’ai plus tard reconnu la vérité ; j’ai reconnu que le sang sortant du cœur était lancé par la contraction du ventricule gauche du cœur dans les artères et dans toutes les parties du corps, comme par la contraction du ventricule droit, dans l’artère pulmonaire et dans les poumons. De même passant par les veines, il revient dans la veine cave et jusque dans l’oreillette droite, et passant par les veines pulmonaires, il revient dans l’oreillette gauche.

On peut donc appeler ce mouvement du sang, mouvement circulaire, comme Aristote avait appelé circulaire le mouvement de l’atmosphère et des pluies. En effet, la terre humide est desséchée par la chaleur du soleil ; les vapeurs, à mesure qu’elles s’élèvent, se condensent : alors elles tombent sous la forme de pluies et arrosent la terre, et de cette manière prennent naissance les saisons et les différents météores, grâce au mouvement circulaire du soleil qui tantôt s’éloigne et tantôt se rapproche.

C’est ainsi vraisemblablement que, grâce au mouvement du sang, toutes les parties de notre corps sont alimentées, réchauffées, vivifiées par l’afflux d’un sang plus chaud, d’un sang complet, chargé de vapeurs et de vitalité, d’un sang pour ainsi dire nutritif. Arrivé aux différentes parties du corps, le sang se refroidit, se coagule, devient inactif. Il retourne alors à son principe, c’est-à-dire au cœur, comme au dieu créateur et protecteur du corps, pour y reprendre toute sa perfection. Là il trouve une chaleur naturelle, puissante, qui est le trésor de la vie, qui est riche en esprits vitaux, riche, si je puis m’exprimer ainsi, en parfums, puis il est de nouveau envoyé dans tous les organes, et ce mouvement circulaire dépend des mouvements et des pulsations du cœur.

Ainsi le cœur est le principe de la vie et le soleil du microcosme, comme on pourrait en revanche appeler cœur du monde le soleil. C’est par lui que le sang se meut, se vivifie, résiste à la putréfaction et à la coagulation. En nourrissant, réchauffant et animant le sang, ce divin organe sert tout le corps : c’est le fondement de la vie et l’auteur de toutes choses. Mais nous en parlerons mieux en discutant sur la finalité du cœur.

Ainsi les veines sont des vaisseaux qui ramènent le sang, et il faut les diviser en deux ordres : la veine cave et l’aorte, non pas parce qu’elles se jettent chacune dans un côté du cœur différent (comme le dit Aristote), non pas, comme le croit le vulgaire, parce que leur structure est différente ; car chez beaucoup d’animaux, la structure de la veine ne diffère guère de celle de l’artère ; mais ce qui les distingue profondément, ce sont leurs fonctions et leurs usages. La veine et l’artère, appelées toutes deux veines par les anciens, avec raison, comme l’a remarqué Galien, sont des vaisseaux qui amènent tous deux le sang : l’artère du cœur dans les organes, la veine des organes dans le cœur. L’une part du cœur, l’autre y va. L’une contient un sang froid et épuisé, impropre à la nutrition, l’autre un sang chaud, complet et nutritif.