La Circulation du sang/Traité anatomique sur les mouvements du cœur et du sang chez les animaux/Chapitre XV

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Traduction par Charles Richet.
Georges Masson (p. 147-151).

CHAPITRE QUINZIÈME

LA CIRCULATION DU SANG CONFIRMÉE PAR LES VRAISEMBLANCES.

Il ne sera pas hors de propos d’ajouter que, pour justifier certaines opinions vulgaires, il est convenable et même nécessaire d’admettre la circulation du sang. D’abord (Aristote, De respiratione ; De partibus animalium, liv. II et III et ailleurs) la mort est une corruption qui vient du défaut de chaleur : tout ce qui est animé possède la chaleur, et tout ce qui est mort en est dépourvu. Il faut donc qu’il y ait un point qui soit l’origine de cette chaleur, qui soit comme le foyer tutélaire où la chaleur naturelle et les éléments du feu sont contenus et conservés, que de ce foyer la chaleur et la vie se répandent dans toutes les parties du corps, que ce foyer reçoive les aliments, et que de lui dépendent la digestion, la nutrition et toute l’existence animale.

Ce foyer, c’est le cœur, qui est le principe de la vie, ainsi que nous l’avons dit, et personne n’en doutera.

Le sang doit donc se mouvoir de manière à retourner au cœur ; car, lorsqu’il est aux extrémités du corps, bien loin de la source dont il dérive, il se coagule dès qu’il est immobile (Aristote, De partibus anim., II). C’est le mouvement qui chez tous les animaux engendre et conserve la chaleur et l’esprit vital, qui disparaissent par le repos. C’est pourquoi le sang épaissi et congelé par le refroidissement des extrémités du corps et de l’air ambiant, et privé d’esprits, comme sur un cadavre, doit nécessairement retourner à la source d’où il dérive pour y reprendre la chaleur et l’esprit vital, et y retrouver la vie.

Nous voyons que quelquefois les extrémités des membres sont glacées par le froid extérieur, que le nez, les mains et les joues deviennent livides, comme sur le cadavre. Mais le sang (comme celui des cadavres qui tombe selon les lois de la pesanteur) s’arrête, et les membres, livides, engourdis et difficiles à mouvoir, semblent presque avoir perdu la vie. Certes ils ne pourraient recouvrer si tôt leur chaleur, leur coloration et leur vitalité, s’ils n’étaient réchauffés par un afflux de sang qui apporte la chaleur du foyer central. Comment en effet attireraient-ils le sang, puisque la chaleur et la vie ont presque disparu, puisque les vaisseaux sont resserrés et remplis de sang congelé ? Comment recevraient-ils l’arrivée du sang nutritif, s’ils ne pouvaient renvoyer celui qu’ils contenaient déjà, si en un mot le cœur n’existait pas, ou un principe analogue, où réside la vie et la chaleur (comme le veut Aristote, De respiratione, II), d’où les artères peuvent ramener dans les parties refroidies un sang nouveau, chaud et animé par les esprits ? Le sang refroidi et épuisé est repoussé en avant et toutes les particules du nouveau sang rétablissent la chaleur languissante et l’esprit vital presque éteint.

Il résulte de là que, lorsque le cœur n’est pas atteint, toutes les parties du corps peuvent être rendues à la vie ou recouvrer la santé. Mais, quand le cœur est refroidi ou atteint par une lésion grave, l’animal doit nécessairement souffrir et se corrompre, son principe étant souffrant et corrompu. Rien en effet (Aristote, De partibus animal., III) ne peut remplacer le cœur et les fonctions qui en dépendent. C’est peut-être pour cette raison que le chagrin, l’amour, l’envie, les soucis, peuvent produire la consomption, le dépérissement, la cacochymie et les différents maux qui amènent les maladies et font périr les hommes. Car tous les sentiments de l’âme, douleur, joie, espérance, inquiétude, qui agitent l’esprit des hommes, retentissent au cœur et changent sa constitution naturelle, ses contractions et ses autres fonctions. Il ne faut pas trouver étonnant que ce qui, dans le foyer central, altère l’alimentation et affaiblit les forces, engendre rapidement, dans les membres et dans le corps, différentes maladies incurables, puisque alors tout le corps souffre de cette altération de nutrition et de ce défaut de chaleur naturelle du foyer central.

De plus, comme tous les animaux vivent des aliments qu’ils élaborent dans leur intérieur, il faut que cette élaboration et cette distribution soient intactes, ainsi que l’organe central où elles s’opèrent, pour que les aliments digérés se répandent dans tout le corps. Or cette élaboration se fait dans le cœur. Seul de tous les organes, il contient le sang, non seulement dans l’artère et la veine coronaires pour sa nutrition propre ; mais dans ses cavités, ventricules et oreillettes, qui sont des réservoirs pour le sang de tout le corps. Tous les autres organes, au contraire, n’ont de vaisseaux que pour eux-mêmes. Ainsi par sa situation et sa disposition le cœur seul, en se contractant, distribue le sang dans toutes les parties, selon le volume des artères, qui est proportionnel aux parties qu’elles nourrissent, comme une source bienfaisante, il verse dans toutes les parties du corps la quantité de sang qu’elles exigent.

En outre, pour cette dispersion et ce mouvement du sang, il faut une impulsion violente et un moteur tel que le cœur. Alors, comme le sang tend à revenir à son point de départ, ainsi que la partie au tout, ainsi que la goutte d’eau répandue sur une table à la masse totale, il revient facilement au centre ; et ce mouvement est favorisé et rendu plus rapide par les plus légères causes, le froid, la crainte, l’épouvante et les émotions semblables : continuant sa route, il passe des veines capillaires dans les ramuscules veineux, et de là dans des veines plus grandes ; son cours étant rendu plus facile par les mouvements et la compression qu’exercent les muscles. Il se meut donc alors de la circonférence au centre plus facilement qu’en sens contraire. Mais, pour qu’il quitte le foyer central (et les valvules ne lui opposent aucun obstacle), pour qu’il aille dans les parties froides et resserrées, et qu’il se meuve contre ses affinités naturelles, le sang a besoin d’une impulsion violente. Or cette impulsion ne peut être donnée que par le cœur, comme nous l’avons dit.