La Circulation du sang/Traité anatomique sur les mouvements du cœur et du sang chez les animaux/Chapitre XVI

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Traduction par Charles Richet.
Georges Masson (p. 153-159).

CHAPITRE SEIZIÈME

LA CIRCULATION DU SANG PROUVÉE PAR LES CONSÉQUENCES QU’ELLE ENTRAÎNE.

Il y a encore des problèmes qui sont comme la conséquence de la vérité de la circulation. Ils ne sont point inutiles pour y faire croire et leur démonstration est comme un argument a posteriori. Ainsi pour un grand nombre de sujets encore très obscurs, on peut trouver dans la circulation du sang leur cause et leur raison d’être.

Nous voyons que pour toute contagion, blessure empoisonnée, morsure d’un serpent ou d’un chien enragé, mal vénérien ou lésion quelconque analogue ; dès qu’une partie seulement a été atteinte, bientôt toute l’économie est infectée. Dans le mal vénérien, par exemple, nous voyons quelquefois que, sans lésions aux parties génitales, le mal débute par des douleurs dans les épaules, dans la tête ou par d’autres symptômes : quoique la morsure faite par un chien enragé ait été guérie, nous avons vu survenir la fièvre et les autres effrayants symptômes de la rage. Il est évident que le principe de la contagion qui a atteint une petite partie du corps est porté au cœur avec le sang qui y retourne, et de là peut infecter tout le corps. Dans la fièvre tierce, le principe morbide gagne d’abord le cœur, s’arrête ensuite autour du cœur et autour des poumons, et rend les malades essoufflés, haletants et faibles ; car le principe vital est frappé, et le sang s’amasse et s’épaissit dans les poumons, sans pouvoir les traverser. J’en parle par expérience, ayant pu disséquer des sujets morts dès le premier accès. Le pouls est fréquent et petit, quelquefois irrégulier. Mais plus tard la chaleur s’accroît, la matière diminue, les voies deviennent libres, et le sang passe facilement : alors tout le corps s’enflamme ; le pouls devient plus fort et plus violent ; la fièvre est à son paroxysme. Cette chaleur extraordinaire a pris naissance dans le cœur : de là elle se répand par les artères dans tout le corps, avec le principe morbide qui est ainsi éliminé et détruit par la nature.

C’est aussi pourquoi les médicaments appliqués à l’extérieur agissent comme si on les absorbait. La coloquinte et l’aloès relâchent le ventre ; les cantharides excitent la sécrétion des urines ; l’ail appliqué à la plante des pieds fait expectorer ; les cordiaux donnent de la vigueur ; et il y a une infinité d’autres faits de même nature. N’est-il pas raisonnable de dire que les veines absorbent par leurs orifices les substances qu’on applique sur la peau et les introduisent dans le sang, de même que, dans le mésentère, puisant le chyle dans les intestins, elles l’amènent au foie avec le sang ?

Dans le mésentère, le sang va aux intestins par les artères cœliaques et les grande et petite mésentériques. De là il retourne au hile du foie avec le chyle qui est attiré dans les veines par les ramifications innombrables de ces veines ; en sorte que le sang qui va de ces veines dans la veine cave a la même couleur et la même consistance que celui des autres veines, contrairement à l’opinion de beaucoup de savants : il ne faut pas regarder comme invraisemblables, dans les capillaires mésentériques, ces deux mouvements contraires du chyle en haut, du sang en bas. Peut-être ce fait est-il dû à la bienfaisante providence de la nature ? En effet, si le chyle qui n’est pas élaboré se mêlait en parties égales au sang qui est parfaitement constitué, on n’aurait pas la transformation intime et la sanguification du chyle, mais bien plutôt un mélange entre l’élément actif et l’élément passif, comme ce mélange qu’on obtient en ajoutant du vin à de l’eau ou de l’oxycrat. Mais, comme le chyle ne se mélange au sang qui s’écoule qu’en quantité très petite, la vivification du chyle peut ainsi s’opérer plus facilement, comme l’a dit Aristote : de même qu’en ajoutant une goutte d’eau à un tonneau de vin, ou réciproquement, on ne produit pas un mélange, mais on a en réalité de l’eau ou du vin, ainsi, en ouvrant les veines mésaraïques, on ne voit pas du chyme ou du chyle ou du sang confondus ou séparés ; mais par sa couleur et sa constitution, ce sang est sensiblement identique au sang des autres veines. Il s’y trouve cependant, sans qu’on puisse le distinguer, un peu de chyle qui n’est pas encore vivifié. C’est à cet effet que la nature a placé le foie sur son passage, afin que, dans les méandres de cet organe, le cours du chyle soit retardé et sa transformation soit complète. Ainsi il n’arrive pas au cœur trop tôt et sans être élaboré, ce qui entraverait le principe de la vie. Aussi chez l’embryon le foie n’a presque aucun usage. La veine ombilicale le traverse sans subir de changement, et il y a au hile du foie une ouverture ou une anastomose pour que chez le fœtus le sang qui revient des intestins ne passe pas par le foie, mais par ladite veine ombilicale, pour aller ensuite au cœur, avec le sang de la mère et du placenta : c’est pourquoi, sur un fœtus jeune, on ne peut pas encore voir le foie. Nous-mêmes, sur un fœtus humain, nous avons très bien vu tous les membres bien indiqués, et même les organes génitaux tout à fait distincts, tandis que les éléments du foie existaient à peine. Tant que les membres, comme le cœur lui-même au début de son existence, sont encore tout blancs et n’ont de coloration que dans leurs veines, on ne voit à la place du foie qu’un amas informe de sang qui est comme extravasé ; en sorte qu’on pourrait croire à une contusion ou à la rupture d’une veine.

Il y a dans l’œuf comme deux vaisseaux ombilicaux : l’un vient de l’albumen et, traversant le foie sans y subir de changements, va droit au cœur ; l’autre va du jaune à la veine porte. Dans l’œuf c’est l’albumen qui constitue et nourrit le petit ; mais c’est le vitellus, lorsque l’animal est plus perfectionné et qu’il est sorti de l’œuf. En effet, beaucoup de jours après que le poulet est sorti de l’œuf, on peut encore retrouver le vitellus dans le ventre au milieu des intestins qui l’entourent ; en sorte que le vitellus joue le même rôle que le lait chez les autres animaux. Mais ces questions seront plus à leur place dans nos observations sur la formation du fœtus, et nous pourrons nous poser beaucoup de problèmes de ce genre. Pourquoi telle partie a-t-elle été créée et achevée d’abord ? Pourquoi telle autre ensuite ? Et, pour les membres, quelle partie a été la cause de l’autre ? Et pour le cœur que de questions ! Ainsi pourquoi (Aristote, De partibus anim., III) le cœur a-t-il reçu dès l’abord une consistance si grande ? Pourquoi paraît-il avoir la vie, le mouvement et le sentiment avant qu’une partie quelconque du corps soit achevée ? Et de même pourquoi le sang précède-t-il tous les organes ? Pourquoi porte-t-il le principe de la vie et de l’être ? Pourquoi a-t-il besoin d’être mis en mouvement et poussé en divers sens ? C’est pour ce mouvement du sang que le cœur a été fait.

De même pour le pouls, pourquoi y a-t-il un pouls qui indique la mort, et un autre qui indique la vie ? Pourquoi l’étude de leurs diverses formes nous indique-t-elle les causes et les présages des maladies ? et que signifient-elles ?

Il en est de même pour les crises, pour les purgations naturelles, pour la nutrition, pour la répartition des aliments et pour toute congestion.

Enfin, dans toutes les parties de la médecine, physiologie, pathologie, séméiotique, thérapeutique, que de problèmes peuvent être résolus à l’aide de cette vérité et de cette lumière ! que de doutes peuvent être aplanis ! que d’obscurités élucidées ! En repassant tout cela dans mon esprit, je trouve un vaste champ que je pourrais parcourir, et où je pourrais m’étendre au point que cette œuvre dépasserait bientôt, malgré moi, les dimensions de ce volume. Mais peut-être la science me manquerait-elle pour l’achever.

Je me contenterai ici (voyez le chapitre suivant), par une comparaison anatomique de leur constitution, d’assigner au cœur et aux artères leurs vraies fonctions et leurs vraies causes. De quelque côté que je me tourne, je trouve une grande quantité de faits qui sont éclairés par cette vérité et qui la rendent plus évidente. C’est pourquoi je voudrais avant tout la voir confirmée et agrandie par les arguments anatomiques.

Parmi nos observations, il en est une qu’il ne sera pas déplacé, je crois, de rapporter ici. Elle a trait aux fonctions de la rate. À la partie supérieure de la veine splénique qui va au pancréas, naissent les veines coronaire gastrique et gastroépiploïque, qui se distribuent à l’estomac, comme les veines mésaraïques à l’intestin, par une grande quantité de petites ramifications. De la partie inférieure de cette veine splénique part la veine hémorrhoïdale qui va jusqu’au colon et au rectum. Ainsi cette veine splénique reçoit, d’une part, le suc de l’estomac, suc imparfait, aqueux et léger, dont la chylification est incomplète, d’autre part, le sang épais et grossier qui vient des fèces. Ces éléments si différents se trouvent convenablement tempérés par un tel mélange, et la nature a ajouté à ces deux sucs, d’une élaboration si difficile, malgré leur nature si dissemblable, une grande quantité de sang très chaud et qui vient en abondance de la rate nourrie par une multitude d’artères. Elle les envoie au foie mieux préparés, et corrige et compense par cette disposition le défaut de ces deux extrêmes.