La Cité antique, 1870/Livre II/Chapitre X

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Livre II. Chapitre X.

Chapitre X.

La gens à Rome et en Grèce

On trouve chez les jurisconsultes romains et les écrivains grecs les traces d’une antique institution qui paraît avoir été en grande vigueur dans le premier âge des sociétés grecque et italienne, mais qui, s’étant affaiblie peu à peu, n’a laissé que des vestiges à peine perceptibles dans la dernière partie de leur histoire. Nous voulons parler de ce que les latins appelaient gens et les grecs Υένος.

On a beaucoup discuté sur la nature et la constitution de la gens. Il ne sera peut-être pas inutile de dire d’abord ce qui fait la difficulté du problème.

La gens, comme nous le verrons plus loin, formait un corps dont la constitution était tout aristocratique ; c’est grâce à son organisation intérieure que les patriciens de Rome et les Eupatrides d’Athènes perpétuèrent longtemps leurs privilèges. Lors donc que le parti populaire prit le dessus, il ne manqua pas de combattre de toutes ses forces cette vieille institution. S’il avait pu l’anéantir complètement, il est probable qu’il ne nous serait pas resté d’elle le moindre souvenir. Mais elle était singulièrement vivace et enracinée dans les mœurs, on ne put pas la faire disparaître tout à fait. On se contenta donc de la modifier : on lui enleva ce qui faisait son caractère essentiel et on ne laissa subsister que ses formes extérieures, qui ne gênaient en rien le nouveau régime. Ainsi à Rome les plébéiens imaginèrent de former des gentes à l’imitation des patriciens ; à Athènes on essaya de bouleverser les Υένη, de les fondre entre eux et de les remplacer par les dèmes que l’on établit à leur ressemblance. Nous aurons à revenir sur ce point quand nous parlerons des révolutions. Qu’il nous suffise de faire remarquer ici que cette altération profonde que la démocratie a introduite dans le régime de la gens est de nature à dérouter ceux qui veulent en connaître la constitution primitive. En effet, presque tous les renseignements qui nous sont parvenus sur elle datent de l’époque où elle avait été ainsi transformée. Ils ne nous montrent d’elle que ce que les révolutions en avaient laissé subsister.

Supposons que, dans vingt siècles, toute connaissance du moyen âge ait péri, qu’il ne reste plus aucun document sur ce qui précède la révolution de 1789, et que pourtant un historien de ce temps-là veuille se faire une idée des institutions antérieures. Les seuls documents qu’il aurait dans les mains lui montreraient la noblesse du dix-neuvième siècle, c’est-à-dire quelque chose de fort différent de la féodalité. Mais il songerait qu’une grande révolution s’est accomplie, et il en conclurait à bon droit que cette institution, comme toutes les autres, a dû être transformée ; cette noblesse, que ses textes lui montreraient ne serait plus pour lui que l’ombre ou l’image affaiblie et altérée d’une autre noblesse incomparablement plus puissante. Puis s’il examinait avec attention les faibles débris de l’antique monument, quelques expressions demeurées dans la langue, quelques termes échappés à la loi, de vagues souvenirs ou de stériles regrets, il devinerait peut-être quelque chose du régime féodal et se ferait des institutions du moyen âge une idée qui ne serait pas trop éloignée de la vérité. La difficulté serait grande assurément ; elle n’est pas moindre pour celui qui aujourd’hui veut connaître la gens antique ; car il n’a d’autres renseignements sur elle que ceux qui datent d’un temps où elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Nous commencerons par analyser tout ce que les écrivains anciens nous disent de la gens, c’est-à-dire ce qui subsistait d’elle à l’époque où elle était déjà fort modifiée. Puis, à l’aide de ces restes, nous essayerons d’entrevoir le véritable régime de la gens antique.


1° Ce que les écrivains anciens nous font connaître de la gens

Si l’on ouvre l’histoire romaine au temps des guerres puniques, on rencontre trois personnages qui se nomment Claudius Pulcher, Claudius Nero, Claudius Centho. Tous les trois appartiennent à une même gens, la gens Claudia.

Démosthène, dans un de ses plaidoyers, produit sept témoins qui certifient qu’ils font partie du même Υένος, celui des Brytides. Ce qui est remarquable dans cet exemple, c’est que les sept personnes citées comme membres du même Υένος, se trouvaient inscrites dans six dèmes différents ; ce qui permet de croire que le Υένος ne correspondait pas exactement au dème n’était pas comme lui une simple division administrative.[1]

Voilà donc un premier fait avéré ; il y avait des gentes à Rome et à Athènes. On pourrait citer des exemples relatifs à beaucoup d’autres villes de la Grèce et de l’Italie et en conclure que, suivant toute vraisemblance, cette institution a été universelle chez ces anciens peuples.

Chaque gens avait un culte spécial. En Grèce on reconnaissait les membres d’une même gens à ce qu’ils accomplissaient des sacrifices en commun depuis une époque fort reculée.[2] » Plutarque mentionne le lieu des sacrifices de la gens des Lycomèdes, et Eschine parle de l’autel de la gens des Butades.[3]

À Rome aussi, chaque gens avait des actes religieux à accomplir ; le jour, le lieu, les rites étaient fixés par sa religion particulière.[4] Le Capitole est bloqué par les Gaulois ; un Fabius en sort et traverse les lignes ennemies, vêtu du costume religieux et portant à la main les objets sacrés ; il va offrir le sacrifice sur l’autel de sa gens qui est situé sur le Quirinal. Dans la seconde guerre punique, un autre Fabius, celui qu’on appelle le bouclier de Rome, tient tête à Annibal ; assurément la république a grand besoin qu’il n’abandonne pas son armée ; il la laisse pourtant entre les mains de l’imprudent Minucius : c’est que le jour anniversaire du sacrifice de sa gens est arrivé et qu’il faut qu’il coure à Rome pour accomplir l’acte sacré.[5]

Ce culte devait être perpétué de génération en génération ; et c’était un devoir de laisser des fils après soi pour le continuer. Un ennemi personnel de Cicéron, Claudius, a quitté sa gens pour entrer dans une famille plébéienne ; Cicéron lui dit : « Pourquoi exposes-tu la religion de la gens Claudia à s’éteindre par ta faute ? »

Les dieux de la gens, Dii gentiles, ne protégeaient qu’elle et ne voulaient être invoqués que par elle. Aucun étranger ne pouvait être admis aux cérémonies religieuses. On croyait que, si un étranger avait une part de la victime ou même s’il assistait seulement au sacrifice, les dieux de la gens en étaient offensés et tous les membres étaient sous le coupd’une impiété grave.

De même que chaque gens avait son culte et ses fêtes religieuses, elle avait aussi son tombeau commun. On lit dans un plaidoyer de Démosthènes : « Cet homme, ayant perdu ses enfants, les ensevelit dans le tombeau de ses pères, dans ce tombeau qui est commun à, tous ceux de sa gens. » La suite du plaidoyer montre qu’aucun étranger ne pouvait être enseveli dans ce tombeau. Dans un autre discours, le même orateur parle du tombeau où la gens des Busélides ensevelit ses membres et où elle accomplit chaque année un sacrifice funèbre ; « ce lieu de sépulture est un champ assez vaste qui est entouré d’une enceinte, suivant la coutume ancienne[6]. »

Il en était de même chez les Romains. Velléius parle du tombeau de la gens Quintilia, et Suétone nous apprend que la gens Claudia avait le sien sur la pente du mont Capitolin.

L’ancien droit de Rome considère les membres d’une gens comme aptes à hériter les uns des autres. Les Douze Tables prononcent que, à défaut de fils et d’agnats, le gentilis est héritier naturel. Dans cette législation, le gentilis est donc plus proche que le cognat, c’est-à-dire plus proche que le parent par les femmes.

Rien n’est plus étroitement lié que les membres d’une gens. Unis dans la célébration des mêmes cérémonies sacrées, ils s’aident mutuellement dans tous les besoins de la vie. La gens entière répond de la dette d’un de ses membres ; elle rachète le prisonnier, elle paye l’amende du condamné. Si l’un des siens devient magistrat, elle se cotise pour payer les dépenses qu’entraîne toute magistrature[7].

L’accusé se fait accompagner au tribunal par tous les membres de sa gens ; cela marque la solidarité que la loi établit entre l’homme et le corps dont il fait partie. C’est un acte contraire à la religion que de plaider contre un homme de sa gens ou même de porter témoignage contre lui. Un Claudius, personnage considérable, était l’ennemi personnel d’Appius Claudius le décemvir ; quand celui-ci fut cité en justice et menacé de mort, Claudius se présenta pour le défendre et implora le peuple en sa faveur, non toutefois sans avertir que, s’il faisait cette démarche, « ce n’était pas par affection, mais par devoir ».

Si un membre de la gens n’avait pas le droit d’en appeler un autre devant la justice de l’a cité, c’est qu’il y avait une justice dans la gens elle-même. Chacune avait, en effet, son chef, qui était à la fois son juge, son prêtre, et son commandant militaire[8]. On sait que lorsque la famille sabine des Claudius vint s’établir à Rome, les trois mille personnes qui la composaient, obéissaient à un chef unique. Plus tard, quand les Fabius se chargent seuls de la guerre contre les Véiens, nous voyons que cette gens a un chef qui parle en son nom devant le Sénat et qui le conduit à l’ennemi[9].

En Grèce aussi, chaque gens avait son chef ; les inscriptions en font foi, et elles nous montrent que ce chef portait assez généralement le titre d’archonte[10]. Enfin à Rome comme en Grèce, la gens avait ses assemblées ; elle portait des décrets, auxquels ses membres devaient obéir, et que la cité elle-même respectait[11].

Tel est l’ensemble d’usages et de lois que nous trouvons encore en vigueur aux époques où la gens était déjà affaiblie et presque dénaturée. Ce sont là les restes de cette antique institution.


2° Examens de quelques opinions qui ont été émises pour expliquer la gens romaine.

Sur cet objet, qui est livré depuis longtemps aux disputes des érudits, plusieurs systèmes ont été proposés. Les uns disent : La gens n’est pas autre chose qu’une similitude de nom[12]. D’autres : Le mot gens désigne une sorte de parenté factice. Suivant d’autres, la gens n’est que l’expression d’un rapport entre une famille qui exerce le patronage et d’autres familles qui sont clientes. Mais aucune de ces trois explications ne répond à toute la série de faits, de lois, d’usages, que nous venons d’énumérer.

Une autre opinion, plus sérieuse, est celle qui conclut ainsi : la gens est une association politique de plusieurs familles qui étaient à l’origine étrangères les unes aux autres ; à défaut de lien du sang, la cité a établi entre elles une union fictive et une sorte de parenté religieuse.

Mais une première objection se présente. Si la gens n’est qu’une association factice, comment expliquer que ses membres aient un droit à hériter les uns des autres ? Pourquoi le gentilis est-il préféré au cognat ? Nous avons vu plus haut les règles de l’hérédité, et nous avons dit quelle relation étroite et nécessaire la religion avait établie entre le droit d’hériter et la parenté masculine. Peut-on supposer que la loi ancienne se fût écartée de ce principe au point d’accorder la succession aux gentiles, si ceux-ci avaient été les uns pour les autres des étrangers ?

Le caractère le plus saillant et le mieux constaté de la gens, c’est qu’elle a en elle-même un culte, comme la famille a le sien. Or, si l’on cherche quel est le dieu que chacune adore, on remarque que c’est presque toujours un ancêtre divinisé, et que l’autel où elle porte le sacrifice est un tombeau. À Athènes, les Eumolpides vénèrent Eumolpos, auteur de leur race ; les Phytalides adorent le héros Phytalos, les Butades Butès, les Busélides Busélos, les Lakiades Lakios, les Amynandrides Cérops[13]. À Rome, les Claudius descendent d’un Clausus ; les Cæcilius honorent comme chef de leur race le héros Cæculus, les Calpurnius un Calpus, les Julius un Julus, les Clœlius un Clœlus[14].

Il est vrai qu’il nous est bien permis de croire que beaucoup de ces généalogies ont été imaginées après coup ; mais il faut bien avouer que cette supercherie n’aurait pas eu de motif, si ce n’avait été un usage constant chez les véritables gentes de reconnaître un ancêtre commun et de lui rendre un culte. Le mensonge cherche toujours à imiter la vérité.

D’ailleurs la supercherie n’était pas aussi aisée à commettre qu’il nous le semble. Ce culte n’était pas une vaine formalité de parade. Une des règles les plus rigoureuses de la religion était qu’on ne devait honorer comme ancêtres que ceux dont on descendait véritablement ; offrir ce culte à un étranger était une impiété grave. Si donc la gens adorait en commun un ancêtre, c’est qu’elle croyait sincèrement descendre de lui. Simuler un tombeau, établir des anniversaires et un culte annuel, c’eût été porter le mensonge dans ce qu’on avait de plus sacré, et se jouer de la religion. Une telle fiction fut possible au temps de César, quand la vieille religion des familles ne touchait plus personne. Mais si l’on se reporte au temps où ces croyances étaient puissantes, on ne peut pas imaginer que plusieurs familles, s’associant dans une même fourberie, se soient dit : Nous allons feindre d’avoir un même ancêtre ; nous lui érigerons un tombeau, nous lui offrirons des repas funèbres, et nos descendants l’adoreront dans toute la suite des temps. Une telle pensée ne devait pas se présenter aux esprits, ou elle était écartée comme une pensée coupable.

Dans les problèmes diffciles que l’histoire offre souvent, il est bon de demander aux termes de la langue tous les enseignements qu’ils peuvent donner. Une institution est quelquefois expliquée par le mot qui la désigne. Or, le mot gens est exactement le même que le mot genus, au point qu’on pouvait les prendre l’un pour l’autre et dire indifféremment gens Fabia et genus Fabium ; tous les deux correspondent au verbe gignere et au substantif genitor, absolument comme Ύένος correspond à Υεννάν et à Υονεύς. Tous ces mots portent en eux l’idée de filiation. Les Grecs désignaient aussi les membres d’un Ύένος par le mot δμοΎάλαχες, qui signifie nourris du même lait. Que l’on compare à tous ces mots ceux que nous avons l’habitude de traduire par famille, le latin familia, le grec σἶχος. Ni l’un ni l’autre ne contient en lui le sens de génération ou de parenté. La signification vraie de familia est propriété ; il désigne le champ, la maison, l’argent, les esclaves, et c’est pour cela que les Douze Tables disent, en parlant de l’héritier, familiam nancitor, qu’il prenne la succession. Quant à οἶκος, il est clair qu’il ne présente à l’esprit aucune autre idée que celle de propriété ou de domicile. Voilà cependant les mots que nous traduisons habituellement par famille. Or, est-il admissible que des termes dont le sens intrinsèque est celui de domicile ou de propriété, aient pu être employés souvent pour désigner une famille, et que d’autres mots dont le sens interne est filiation, naissance, paternité, n’aient jamais désigné qu’une association artificielle ? Assurément cela ne serait pas conforme à la logique si droite et si nette des langues anciennes. Il est indubitable que les Grecs et les Romains attachaient aux mots gens et Ύένος l’idée d’une origine commune. Cette idée a pu s’effacer quand la gens s’est altérée, mais le mot est resté pour en porter témoignage.

Le système qui présente la gens comme une association factice, a donc contre lui, 1° la vieille législation qui donne aux gentiles un droit d’hérédité, 2° les croyances religieuses qui ne veulent de communauté de culte que là où il y a communauté de naissance ; 3° les termes de la langue qui attestent dans la gens une origine commune. Ce système a encore ce défaut qu’il fait croire que les sociétés humaines ont pu commencer par une convention et par un artifice, ce que la science historique ne peut pas admettre comme vrai.


3° La gens est la famille ayant encore son organisation primitive et son unité.

Tout nous présente la gens comme unie par un lien de naissance. Consultons encore le langage : les noms des gentes, en Grèce aussi bien qu’à Rome, ont tous la forme qui était usitée dans les deux langues pour les noms patronymiques. Claudius signifie fils de Clausus, et Butadès fils de Butès.

Ceux qui croient voir dans la gens une association artificielle, partent d’une donnée qui est fausse. Ils supposent qu’une gens comptait toujours plusieurs familles ayant des noms divers, et ils citent volontiers l’exemple de la gens Cornélia qui renfermait en effet des Scipions, des Lentulus, des Cossus, des Sylla. Mais il s’en faut bien qu’il en fût toujours ainsi. La gens Marcia paraît n’avoir jamais eu qu’une seule lignée ; on n’en voit qu’une aussi dans la gens Lucrétia, et dans la gens Quintilia pendant longtemps. Il serait assurément fort difficile de dire quelles sont les familles qui ont formé la gens Fabia ; car tous les Fabius connus dans l’histoire appartiennent manifestement à la même souche ; tous portent d’abord le même surnom de Vibulanus ; ils le changent tous ensuite pour celui d’Ambustus, qu’ils remplacent plus tard par celui de Maximus ou de Dorso.

On sait qu’il était d’usage à Rome que tout patricien portât trois noms. On s’appelait, par exemple, Publius Cornélius Scipio. Il n’est pas inutile de rechercher lequel de ces trois mots était considéré comme le nom véritable. Publius n’était qu’un nom mis en avant, prænomen ; Scipio était un nom ajouté, agnomen. Le vrai nom était Cornélius ; or, ce nom était en même temps celui de la gens entière. N’aurions-nous que ce seul renseignement sur la gens antique, il nous suffirait pour affirmer qu’il y a eu des Cornélius avant qu’il y eût des Scipions, et non pas, comme on le dit souvent, que la famille des Scipions s’est associée à d’autres pour former la gens Cornélia.

Nous voyons, en effet, par l’histoire que la gens Cornélia fut longtemps indivise et que tous ses membres portaient également le surnom de Maluginensis et celui de Cossus. C’est seulement au temps du dictateur Camille qu’une de ses branches adopte le surnom de Scipion ; un peu plus tard, une autre branche prend le surnom de Rufus, qu’elle remplace ensuite par celui de Sylla. Les Lentulus ne paraissent qu’à l’époque des guerres des Samnites, les Céthégus que dans la seconde guerre punique. Il en est de même de la gens Claudia. Les Claudius restent longtemps unis en une seule famille et portent tous le surnom de Sabinus ou de Regillensis, signe de leur origine. On les suit pendant sept générations sans distinguer de branches dans cette famille d’ailleurs fort nombreuse. C’est seulement à la huitième génération, c’est-à-dire au temps de la première guerre punique, que l’on voit trois branches se séparer et adopter trois surnoms qui leur deviennent héréditaires : ce sont les Claudius Pulcher qui se continuent pendant deux siècles, les Claudius Centho qui ne tardent guère à s’éteindre, et les Claudius Nero qui se perpétuent jusqu’au temps de l’empire.

Il ressort de tout cela que la gens n’était pas une association de familles, mais qu’elle était la famille elle-même. Elle pouvait indifféremment ne comprendre qu’une seule lignée ou produire des branches nombreuses ; ce n’était toujours qu’une famille.

Il est d’ailleurs facile de se rendre compte de la formation de la gens antique et de sa nature, si l’on se reporte aux vieilles croyances et aux vieilles institutions que nous avons observées plus haut. On reconnaîtra même que la gens est dérivée tout naturellement de la religion domestique et du droit privé des anciens âges. Que prescrit en effet cette religion primitive ? Que l’ancêtre, c’est-à-dire l’homme qui le premier a été enseveli dans le tombeau, soit honoré perpétuellement comme un dieu, et que ses descendants réunis chaque année près du lieu sacré où il repose, lui offrent le repas funèbre. Ce foyer toujours allumé, ce tombeau toujours honoré d’un culte, voilà le centre autour duquel toutes les générations viennent vivre et par lequel toutes les branches de la famille, quelque nombreuses qu’elles puissent être, restent groupées en un seul faisceau. Que dit encore le droit privé de ces vieux âges ? En observant ce qu’était l’autorité dans la famille ancienne, nous avons vu que les fils ne se séparaient pas du père ; en étudiant les règles de la transmission du patrimoine, nous avons constaté que, grâce au droit d’aînesse, les frères cadets ne se séparaient pas du frère aîné. Foyer, tombeau, patrimoine, tout cela à l’origine était indivisible. La famille l’était par conséquent. Le temps ne la démembrait pas. Cette famille indivisible, qui se développait à travers les âges, perpétuant de siècle en siècle son culte et son nom, c’était véritablement la gens antique. La gens était la famille, mais la famille ayant conservé l’unité que sa religion lui commandait, et ayant atteint tout le développement que l’ancien droit privé lui permettait d’atteindre[15].

Cette vérité admise, tout ce que les écrivains anciens nous disent de la gens, devient clair. Cette étroite solidarité solidarité que nous remarquions tout à l’heure entre ses membres n’a plus rien de surprenant ; ils sont parents par la naissance. Le culte qu’ils pratiquent en commun n’est pas une fiction ; il leur vient de leurs ancêtres. Comme ils sont une même famille, ils ont une sépulture commune. Pour la même raison, la loi des Douze Tables les déclare aptes à hériter les uns des autres. Pour la même raison encore, ils portent un même nom. Comme ils avaient tous, à l’origine, un même patrimoine indivis, ce fut un usage et même une nécessité que la gens entière répondit de la dette d’un de ses membres, et qu’elle payât la rançon du prisonnier ou l’amende du condamné. Toutes ces règles s’étaient établies d’elles mêmes lorsque la gens avait encore son unité ; quand elle se démembra, elles ne purent pas disparaître complètement. De l’unité antique et sainte de cette famille il resta des marques persistantes dans le sacrifice annuel qui en rassemblait les membres épars, dans le nom qui leur restait commun, dans la législation qui leur reconnaissait des droits d’hérédité, dans les mœurs qui leur enjoignaient de s’entr'aider[16].


4° La famille (gens) a été d’abord la seule forme de société.

Ce que nous avons vu de la famille, sa religion domestique, les dieux qu’elle s’était faits, les lois qu’elle s’était données, le droit d’aînesse sur lequel elle s’était fondée, son unité, son développement d’âge en âge jusqu’à former la gens, sa justice, son sacerdoce, son gouvernement intérieur, tout cela porte forcément notre pensée vers une époque primitive où la famille était indépendante de tout pouvoir supérieur, et où la cité n’existait pas encore.

Que l’on regarde cette religion domestique, ces dieux qui n’appartenaient qu’à une famille et n’exerçaient leur providence que dans l’enceinte d’une maison, ce culte qui était secret, cette religion qui ne voulait pas être propagée, cette antique morale qui prescrivait l’isolement des familles : il est manifeste que des croyances de cette nature n’ont pu prendre naissance dans les esprits des hommes qu’à une époque où les grandes sociétés n’étaient pas encore formées. Si le sentiment religieux s’est contenté d’une conception si étroite du divin, c’est que l’association humaine était alors étroite en proportion. Le temps où l’homme, ne croyait qu’aux dieux domestiques, est aussi le temps où il n’existait que des familles. Il est bien vrai que ces croyances ont pu subsister ensuite, et même fort longtemps, lorsque les cités et les nations étaient formées. L’homme ne s’affranchit pas aisément des opinions qui ont une fois pris l’empire sur lui. Ces croyances ont donc pu durer, quoiqu’elles fussent alors en contradiction avec l’état social. Qu’y a-t-il, en effet, de plus contradictoire que de vivre en société civile et d’avoir dans chaque famille des dieux particuliers ? Mais il est clair que cette contradiction n’avait pas existé toujours et qu’à l’époque où ces croyances s’étaient établies dans les esprits et étaient devenues assez puissantes pour former une religion, elles répondaient exactement à l’état social des hommes. Or, le seul état social qui puisse être d’accord avec elles est celui où la famille vit indépendante et isolée.

C’est dans cet état que toute la race aryenne paraît avoir vécu longtemps. Les hymnes des Védas en font foi pour la branche qui a donné naissance aux Hindous ; les vieilles croyances et le vieux droit privé l’attestent pour ceux qui sont devenus les Grecs et les Romains.

Si l’on compare les institutions politiques des Aryas de l’Orient avec celles des Aryas de l’Occident, on ne trouve presque aucune analogie. Si l’on compare, au contraire, les institutions domestiques de ces divers peuples, on s’aperçoit que la famille était constituée d’après les mêmes principes dans la Grèce et dans l’Inde ; ces principes étaient d’ailleurs, comme nous l’avons constaté plus haut, d’une nature si singulière, qu’il n’est pas à supposer que cette ressemblance fût l’effet du hasard ; enfin, non seulement ces institutions offrent une évidente analogie, mais encore les mots qui les désignent sont souvent les mêmes dans les différentes langues que cette race a parlées depuis le Gange jusqu’au Tibre. On peut tirer de là une double conclusion : l’une est que la naissance des institutions domestiques dans cette race est antérieure à l’époque où ses différentes branches se sont séparées ; l’autre est qu’au contraire la naissance des institutions politiques est postérieure à cette séparation. Les premières ont été fixées dès le temps où la race vivait encore dans son antique berceau de l’Asie centrale ; les secondes se sont formées peu à peu dans les diverses contrées où ses migrations l’ont conduite.

On peut donc entrevoir une longue période pendant laquelle les hommes n’ont connu aucune autre forme de société que la famille. C’est alors que s’est produite la religion domestique, qui n’aurait pas pu naître dans une société autrement constituée et qui a dû même être longtemps un obstacle au développement social. Alors aussi s’est établi l’ancien droit privé, qui plus tard s’est trouvé en désaccord avec les intérêts d’une société un peu étendue, mais qui était en parfaite harmonie avec l’état de société dans lequel il est né.

Plaçons-nous donc par la pensée au milieu de ces antiques générations dont le souvenir n’a pas pu périr tout à fait et qui ont légué leurs croyances et leurs lois aux générations suivantes. Chaque famille a sa religion, ses dieux, son sacerdoce. L’isolement religieux est sa loi ; son culte est secret. Dans la mort même ou dans l’existence qui la suit, les familles ne se mêlent pas ; chacune continue à vivre à part dans son tombeau, d’où l’étranger est exclu. Chaque famille a aussi sa propriété, c’est-à-dire sa part de terre qui lui est attachée inséparablement par sa religion ; ses dieux Termes gardent l’enceinte, et ses mânes veillent sur elle. L’isolement de la propriété est tellement obligatoire que deux domaines ne peuvent pas confiner l’un à l’autre et doivent laisser entre eux une bande de terre qui soit neutre et qui reste inviolable. Enfin chaque famille a son chef, comme une nation aurait son, roi. Elle a ses lois, qui sans doute ne sont pas écrites, mais que la croyance religieuse grave dans le cœur de chaque homme. Elle a sa justice intérieure au-dessus de laquelle il n’en est aucune autre à laquelle on puisse appeler. Tout ce dont l’homme a rigoureusement besoin pour sa vie matérielle ou pour sa vie morale, la famille le possède en soi. Il ne lui faut rien du dehors ; elle est un état organisé, une société qui se suffit.

Mais cette famille des anciens âges n’est pas réduite aux proportions de la famille moderne. Dans les grandes sociétés la famille se démembre et s’amoindrit ; mais en l’absence de toute autre société, elle s’étend, elle se développe, elle se ramifie sans se diviser. Plusieurs branches cadettes restent groupées autour d’une branche aînée, près du foyer unique et du tombeau commun.

Un autre élément encore entra dans la composition de cette famille antique. Le besoin réciproque que le pauvre a du riche et que le riche a du pauvre, fit des serviteurs. Mais dans cette sorte de régime patriarcal, serviteurs ou esclaves c’est tout un. On conçoit, en effet, que le principe d’un service libre, volontaire, pouvant cesser au gré du serviteur, ne peut guère s’accorder avec un état social où la famille vit isolée. D’ailleurs la religion domestique ne permet pas d’admettre dans la famille un étranger. Il faut donc que par quelque moyen le serviteur devienne un membre et une partie intégrante de cette famille. C’est à quoi l’on arrive par une sorte d’initiation du nouveau venu au culte domestique.

Un curieux usage, qui subsista longtemps dans les maisons athéniennes, nous montre comment l’esclave entrait dans la famille. On le faisait approcher du foyer, on le mettait en présence de la divinité domestique ; on lui versait sur la tête de l’eau lustrale et il partageait avec la famille quelques gâteaux et quelques fruits[17]. Cette cérémonie avait de l’analogie avec celle du mariage et celle de l’adoption. Elle signifiait sans doute que le nouvel arrivant, étranger la veille, serait désormais un membre de la famille et en aurait la religion. Aussi l’esclave assistait-il aux prières et partageait-il les fêtes[18]. Le foyer le protégeait ; la religion des dieux Lares lui appartenait aussi bien qu’à son maître[19]. C’est pour cela que l’esclave devait être enseveli dans le lieu de la sépulture de la famille.

Mais par cela même que le serviteur acquérait le culte et le droit de prier, il perdait sa liberté. La religion était une chaîne qui le retenait. Il était attaché à la famille pour toute sa vie et même pour le temps qui suivait la mort.

Son maître pouvait le faire sortir de la basse servitude et le traiter en homme libre. Mais le serviteur ne quittait pas pour cela la famille. Comme il y était lié par le culte, il ne pouvait pas sans impiété se séparer d’elle. Sous le nom d’affranchi ou sous celui de client, il continuait à reconnaître l’autorité du chef ou patron et ne cessait pas d’avoir des obligations envers lui. Il ne se mariait qu’avec l’autorisation du maître, et les enfants qui naissaient de lui, continuaient à obéir.

Il se formait ainsi dans le sein de la grande famille un certain nombre de petites familles clientes et subordonnées. Les Romains attribuaient l’établissement de la clientèle à Romulus, comme si une institution de cette nature pouvait être l’œuvre d’un homme. La clientèle est plus vieille que Romulus. Elle a d’ailleurs existé partout, en Grèce aussi bien que dans toute l’Italie. Ce ne sont pas les cités qui l’ont établie et réglée ; elles l’ont, au contraire, comme nous le verrons plus loin, peu à peu amoindrie et détruite. La clientèle est une institution du droit domestique, et elle a existé dans les familles avant qu’il y eût des cités.

Il ne faut pas juger de la clientèle des temps antiques d’après les clients que nous voyons au temps d’Horace. Il est clair que le client fut longtemps un serviteur attaché au patron. Mais il y avait alors quelque chose qui faisait sa dignité : c’est qu’il avait part au culte et qu’il était associé à la religion de la famille. Il avait le même foyer, les mêmes fêtes, les mêmes sacra que son patron. À Rome, en signe de cette communauté religieuse, il prenait le nom de la famille. Il en était considéré comme un membre par l’adoption. De là un lien étroit et une réciprocité de devoirs entre le patron et le client. Écoutez la vieille loi romaine : « Si le patron a fait tort à son client, qu’il soit maudit, sacer esto, qu’il meure. » Le patron doit protéger le client par tous les moyens et toutes les forces dont-il dispose, par sa prière comme prêtre, par sa lance comme guerrier, par sa loi comme juge. Plus tard, quand la justice de la cité appellera le client, le patron devra le défendre ; il devra même lui révéler les formules mystérieuses de la loi qui lui feront gagner sa cause. On pourra témoigner en justice contre un cognat, on ne le pourra pas contre un client ; et l’on continuera à considérer les devoirs envers les clients comme fort au-dessus des devoirs envers les cognats[20]. Pourquoi ? C’est qu’un cognat, lié seulement par les femmes, n’est pas un parent et n’a pas part à la religion de la famille. Le client, au contraire, a la communauté du culte ; il a, tout inférieur qu’il est, la véritable parenté, qui consiste, suivant l’expression de Platon, à adorer les mêmes dieux domestiques.

La clientèle est un lien sacré que la religion a formé et que rien ne peut rompre. Une fois client d’une famille, on ne peut plus se détacher d’elle. La clientèle est même héréditaire.

On voit par tout cela que la famille des temps les plus anciens, avec sa branche aînée et ses branches cadettes, ses serviteurs et ses clients, pouvait former un groupe d’hommes fort nombreux. Une famille, grâce à sa religion qui en maintenait l’unité, grâce à son droit privé qui la rendait indivisible, grâce aux lois de la clientèle qui retenaient ses serviteurs, arrivait à former à la longue une société fort étendue qui avait son chef héréditaire. C’est d’un nombre indéfini de sociétés de cette nature que la race aryenne paraît avoir été composée pendant une longue suite de siècles. Ces milliers de petits groupes vivaient isolés, ayant peu de rapports entre eux, n’ayant nul besoin les uns des autres, n’étant unis par aucun lien ni religieux ni politique, ayant chacun son domaine, chacun son gouvernement intérieur, chacun ses dieux.


  1. Démosthène, in Neœr., 71. Voy. Plutarque, Thémist., 1. Eschine, De falsa legat., 147. Boeckh, Corp. inscr., 385. Ross, Demi Attici, 24. La gens chez les Grecs est souvent appelée Πάτρα : Pindare, passim.
  2. Hésychius, Υεννήταίi. Pollux, III, 52 ; Harpocration, όρΥεώνες.
  3. Plutarque, Thémist., I. Eschine, De falsa legat., 147.
  4. Cicéron, De arusp. resp., 15. Denys d’Halicarnasse, XI, 14. Festus, Propudi.
  5. Tite-Live, V, 46 ; XXII. 18. Valère Maxime, I, 1, 11. Polybe, III, 94. Pline, XXXIV, 18. Macrobe, III, 5.
  6. Démosthènes, in Macart., 79 ; in Eubul., 28.
  7. Tite-Live, V, 32. Denys d’Halicarnasse, XIII, 5. Appien, Annib., 28.
  8. Denys d’Halicamasse, II, 7.
  9. Denys d’Halicarnasse, IX, 5.
  10. Bœckh, Corp. inscr., 397, 399. Ross, Demi Attici, 24.
  11. Tite-Live, VI, 20. Suétone, Tibère, 1. Ross, Demi Attici, 24.
  12. Deux passages de Cicéron, Tuscul., I, 16, et Topiques, 6, ont singulièrement embrouillé la question. Ciceron parait avoir ignoré, comme presque tous ses contemporains, ce que c’était que la gens antique.
  13. Démosthènes, in Macart., 79. Pausanias, I, 37. Inscription des Amynandrides, citée par Ross, p. 24.
  14. Festus, Vis Cæculus, Calpurnii, Clœlia.
  15. Nous n’avons pas à revenir sur ce que nous avons dit plus haut (liv. II, ch. v) de l’agnation. On a pu voir que l’agnation et la gentilité découlaient des même principes et étaient une parenté de même nature. Le passage de la loi des Douze Tables qui assigne l’héritage aux gentiles à défaut d’agnati a embarassé le jurisconsulte et a fait penser qu’il pouvait y avoir une différence essentielle entre ces deux sortes de parenté. Mais cette différence essentielle ne se voit par aucun texte. On était agnatus comme on était gentilis, par la descendance masculine et par le lien religieux. Il n’y avait entre les deux qu’une différence de degré, qui se marqua surtout à partir de l’époque où les branches d’une même gens se divisèrent. L’agnatus fut membre de la branche, le gentilis de la gens. Il s’établit alors la même distinction entre les termes de gentilis et d’agnatus qu’entre les mots gens et familia. Familiam dicinus omnium agnatorum, dit Ulpien au Digeste liv. I, tit. 16, § 195. Quand on était agnat à l’égard d’un homme, on était à plus forte raison son gentilis ; mais on pouvait être gentilis sans être agnat. La loi des Douzes Tables donnait l’héritage, à défaut d’agnats, à ceux qui n’étaient que gentiles à l’égard du défunt, c’est-à-dire qui étaient de sa gens sans être de sa branche ou de sa familia.
  16. L’usage des noms patronymiques date de cette haute antiquité et se rattache visiblement à cette vieille religion. L’Unité de naissance et de culte se marqua par l’unité de nom. Chaque gens se transmit de génération en génération le nom de l’ancêtre et le perpétua avec le même soin qu’elle perpétuait son culte. Ce que les Romains appelaient proprement nomen, était ce nom de l’ancêtre que tous les descendants et tous les membres de la gens devaient porter. Un jour vint où chaque branche, en se rendant indépendante à certains égards, marqua son individualité en adoptant un surnom (cognomen). Comme d’ailleurs chaque personne dut être distinguée par une dénomination particulière, chacun eut son agnomen, comme Caius ou Quintus. Mais le vrai nom était celui de la gens ; c’était celui-la que l’on portait officiellement ; c’était celui-là qui était sacré ; c’était celui-la qui, remontant au premier ancêtre connu, devait durer aussi longtemps que la famille et que ses dieux. Il en était de même en Grèce ; Romains et Hellènes se ressemblent encore en ce point. Chaque Grec, du moins s’il appartenait à une famille ancienne et régulièrement constituée, avait trois noms comme le patricien de Rome. L’un de ces noms lui était particulier ; un autre était celui de son père, et comme ces deux noms alternaient ordinairement entre eux, l’ensemble des deux équivalait au cognomen héréditaire qui désignait à Rome une branche de la gens. Enfin le troisième nom était celui de la gens tout entière. Exemples : Μιλτιάδης Κιμῷνος Λακιάδης, et a la génération suivante Κιμῷν Μιλτιάδου Λακιάδης. Les Lakiades formaient un γένος comme les Cornelii une gens. Il en était ainsi des Butades, des Phytalides, des Brytides, des Amynandrides, etc. On peut remarquer que Pindare ne fait jamais l’éloge de ses héros sans rappeler le nom de leur γένος. Ce nom, chez les Grecs, était ordinairement terminé en ιδης ou αδης et avait ainsi une forme d’adjectif, de même que le nom de la gens, chez les Romains, était invariablement terminé en ius. Ce n’en était pas moins le vrai nom ; dans le langage journalier on pouvait désigner l’homme par son surnom individuel ; mais dans le langage officiel de la politique ou de la religion, il fallait donner à l’homme sa dénomination complète et surtout ne pas oublier le nom du γένος. (il est vrai que plus tard la démocratie substitue le nom du deme à celui du γένος.) — Il est digne de remarque que l’histoire des noms a suivi une tout autre marche chez les anciens que dans les sociétés chrétiennes. Au moyen âge, jusqu’au douzième siècle, le vrai nom était le nom de baptême ou nom individuel, et les noms patronymiques ne sont venus qu’assez tard comme noms de terre ou comme surnoms. Ce fut exactement le contraire chez les anciens. Or cette différence se rattache, si l’on y prend garde, à la différence des deux religions. Pour la vieille religion domestique, la famille était le vrai corps, le véritable être vivant, dont l’individu n’était qu’un membre inséparable ; aussi le nom patronymique fut-il le premier en date et le premier en importance. La nouvelle religion, au contraire, reconnaissait a l’individu une vie propre, une liberté complète, une indépendance toute personnelle, et ne répugnait nullement a l’isoler de la famille ; aussi le nom de baptême fut-il le premier et longtemps le seul nom.
  17. Démosthènes, in Stephanum, I, 74. Aristophane, Plutus, 768. Ces deux écrivains indiquent clairement une cérémonie, mais ne la décrivent pas. Le scholiaste d’Aristophane ajoute quelques détails.
  18. Ferias in famulis habento. Cicéron, De legib., II, 8 ; II, 12.
  19. Quum dominis tum famulis religio Larum. Cicéron, De legib., II, 11. Comp. Eschyle, Agamemnon, 1035-1038. L’esclave pouvait même accomplir l’acte religieux au nom de son maître. Caton, De re rust, 83.
  20. Caton, dans Aulu-Gelle, V, 3 ; XXI, 1.