La Cithare (Gille)/Salamine

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La Cithare, Texte établi par Georges Barral Voir et modifier les données sur WikidataLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 115-118).

SALAMINE



 
Arrête, Voyageur, c’est ici Salamine.
Regarde et souviens-toi : cette île qui domine
La mer d’azur et d’or aux flots retentissants,
Ces sommets ombragés de sapins bruissants,
Ce bois sacré, ce temple et ce calme rivage
Ont vu, pour épargner aux femmes l’esclavage,
Pour sauver la patrie et pour garder les dieux,
Lutter jusqu’à la mort des héros furieux.
Tu les connais. Ces champs, mieux qu’une vaine stèle,
Disent leur renommée et leur gloire immortelle.


Nous n’avons point gravé dans le marbre ou l’airain
Leurs hauts faits ; chaque flot de la mer, chaque grain
De ce sable fameux proclament leur vaillance.
Pallas les protégeait et dirigeait leur lance.
Iacchos les aidait de sa puissante voix,
Et la blanche Artémis qui passe au fond des bois,
Cachée au milieu d’eux, lançait ses traits rapides.
Étant pauvres et fiers, ils furent intrépides ;
La peur, ils ne l’ont point connue ; et c’est pourquoi
Quelques Grecs indomptés ont vaincu le Grand Roi.

Ô toi, joyau d’Hellas, charmante Salamine,
Que le soleil levant chaque jour illumine
Comme un trophée immense au fond du ciel doré,
Ton nom sera toujours pour nous aussi sacré
Que celui d’Éleusis ou celui de Kolone ;
Et, comprimant leur cœur sous le sang qui bouillonne,
Nos enfants te prendront à témoin, et soudain,
Pleins d’orgueil, se dressant en étendant la main
Vers la rive où jadis chantèrent nos fanfares,
Crieront : Là-bas, les Grecs ont chassé les Barbares.

Sois également chère à notre souvenir,
Qu’un lien fraternel puisse toujours t’unir
À ta sœur, Psytallie, îlot aux belles anses,
Que Pan remplit de chants et couronne de danses,

Car tu redis aussi l’honneur de nos guerriers.
Quand, au matin, le vent passant dans tes lauriers
Fera le bruit joyeux des armes remuées,
Il semblera qu’alors, déchirant les nuées,
Vers l’azur radieux, superbe et colossal,
S’élève de nouveau notre hymne triomphal
Dans le bruissement sublime de l’aurore ;
Et tous, le cœur gonflé, nous frémirons encore
Comme au jour où, vengeant un outrage odieux,
Les Hellènes luttaient sous la garde des dieux.

Ô Terres de vertus, que nul ne vous oublie !
Mais vous, ô Salamine, aimable Psytallie,
Souvenez-vous aussi de ceux à qui le sort
Accorda pour jamais la gloire dans la mort.
Ils gisent dans ces champs. Pour eux, fais-toi plus tendre,
Ô flot mouvant, afin qu’ils puissent réentendre,
À l’heure où l’aube pâle argente l’horizon,
Les cantiques du dieu sur le blanc Cithéron.
La voix de la Patrie est douce : quand les cygnes
Rempliront de leurs chants l’Attique aux belles vignes,
L’orme au feuillage épais et le glauque olivier
Suspendront leur murmure épars ; sur le gravier
La source retiendra sa plainte familière,
Et, plus timidement, dans le myrte ou le lierre,
Les rossignols amis près d’eux gazouilleront.
Qui ne les envierait ? Pour venger notre affront.

Sans faiblir, ils se sont battus avec furie,
Et, vainqueurs, maintenant au sein de la patrie
Ils reposent en paix. Quel destin fut plus beau ?
La Grèce tout entière est leur noble tombeau,
Et sur ces bords sacrés où vola la Victoire,
L’Océan se souvient et murmure leur gloire.