La Cloche de minuit/2

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Traduction par anonyme.
H. Nicolle (1p. 29-54).



CHAPITRE II.

Ne peux-tu donc guérir une âme malade, déraciner le chagrin de la mémoire, effacer du cerveau les caractères sanglans qui y sont imprimés, et par quelque heureux antidote puisé dans les eaux du Léthé, purger le cœur de cette humeur impure, dont le poids lui est si insupportable !
Shakespeare.


La nuit se passa pour lui, comme le jour s’étoit passé, en lamentations inutiles et en vaines conjectures. Le matin, il s’endormit un instant.

À son réveil, il songea aux moyens de gagner sa vie honorablement. L’armée lui parut être l’asyle qu’il cherchoit.

L’Empire étoit alors en guerre avec la Pologne. Il résolut de se présenter, comme volontaire, dans un des nouveaux régimens qu’on levoit tous les jours. En conséquence, après avoir payé l’hôte de cette pauvre auberge, il monta à cheval, et prit la route de Berlin.

La veille, il avoit suivi une direction opposée à la grande route de cette ville. Il fut obligé de prendre un chemin de traverse pour la rejoindre.

Son voyage ne fut pas long. Le soir du second jour, il fit son entrée dans la ville de Berlin. Il se logea dans une petite auberge. Le lendemain matin, il pria son hôte de lui trouver un acheteur pour son cheval. Déterminé à entrer au service, il n’ignoroit pas que sa paie ne lui donneroit pas les moyens de le nourrir.

Il se promena dans la ville ; il admira la beauté des édifices publics, s’informa du nom de leurs fondateurs et des architectes. Pendant deux jours, il trouva une utile et agréable diversion à ses lugubres pensées ; mais le charme cessa avec la nouveauté. La réflexion ramena les inquiétudes et les chagrins : quelquefois, il formoit la résolution de retourner au château de Cohenburg.

« Mon oncle, se disoit-il, est innocent : ma mère me l’a elle-même déclaré. — Pourquoi donc le craindrai-je ? — Cependant, elle m’a conjuré de ne plus le voir. — Quel peut être le motif de cette étrange conduite ? — Pourquoi me le cacher ? — Seroient-ils tous les deux les meurtriers de mon père ? — Ma mère auroit-elle donné sa main sanglante au comte Frédéric, et ne m’a-t-elle ordonné de quitter le château que pour éloigner un témoin importun, dont elle n’eût pas osé soutenir les regards ? »

Cette idée fut sur le point de troubler sa raison. — « Non, reprit-il, ma mère n’est pas si criminelle. S’il en eût été ainsi, l’aurois-je trouvée aux genoux du comte ? — Cela ne peut avoir été concerté pour me tromper ; car mon arrivée ne pouvoit être prévue. — Quelle est donc la cause de cette mystérieuse conduite, de son apparition, plus extraordinaire encore, le matin du jour où elle m’ordonna de quitter le château ? — Que peuvent signifier les taches sanglantes dont sa main étoit souillée ? — Je m’y perds. — Quelque malheur secret pèse sur son cœur. — Il n’est pas, apparemment, en mon pouvoir d’alléger ce fardeau ; car alors elle eût imploré mon assistance. — Mais du moins je n’aggraverai pas ses maux , en désobéissant à ses ordres. »

Alphonse offrit en ce moment au ciel de ferventes prières, souvent interrompues par ses sanglots, pour le conjurer de rendre à sa mère la paix et le bonheur.

Il étoit depuis trois jours à Berlin, lorsque son hôte lui amena un homme qui lui proposa d’acheter son cheval à un prix assez avantageux. Alphonse hésita avant de conclure le marché. Il n’avoit plus un seul ami sur la terre. Cet abandon lui avoit rendu plus cher son chenal, et il éprouvoit une extrême répugnance à se séparer de cet unique témoin de son bonheur passé.

« S’il m’étoit possible de le garder ! disoit-il en lui-même ; mais le peu d’argent que je possède, sera bientôt dépensé, et alors… — Il est à vous ! s’écria-t-il ; prenez-le ; mais traitez-le doucement. »

Il s’élança dans la maison, et ne voulut plus revoir son cheval. L’objet essentiel étoit alors fort loin de sa pensée. Il ne songea pas à l’argent, jusqu’au moment où l’hôte le tira de sa rêverie, en jetant les florins sur la table.

Cette affaire terminée, sa première démarche fut de s’engager dans l’armée, en qualité de volontaire. Il reçut le prix de son engagement, et endossa l’habit militaire. Il vit avec plaisir que ce nouveau costume le rendoit presque méconnoissable. Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/42 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/43 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/44 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/45 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/46 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/47 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/48 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/49 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/50 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/51 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/52 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/53 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/54 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/55 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/56 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/57 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/58 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/59 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/60 Page:Lathom - La Cloche de minuit v1.djvu/61 être son père, ses soupçons se fixèrent sur son oncle. Il chercha ensuite, dans ce qu’il venoit d’entendre, l’explication du meurtre de son père, et de la conduite de sa mère. — Son esprit absorbé dans ces réflexions, recommença à se perdre en vaines conjectures. »