La Cloche de minuit/8

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Traduction par anonyme.
H. Nicolle (1p. 155-165).



CHAPITRE VIII.


La patience et la douleur sont aux prises. Qui l’emportera ?
Shakespeare


Toute la journée, la chaleur avoit été étouffante. Vers le soir, le tems devint plus couvert, et les nuages parurent prêts à se fondre en un déluge de pluie. Lauretta observoit leur marche lente avec un triste plaisir. Le sombre vêtement de la nature plaisoit à sa douleur. Elle contempla cette scène imposante, jusqu’à ce que, absorbée par la multitude de ses sensations, elle perdit tout-à-fait le sentiment de sa présente situation. Ses méditations furent interrompues par Bartha, qui lui apporta un vase rempli de lait, quelques fruits et un morceau de pain grossier. Elle la pria de manger, en la prévenant que Kroonser et Ralberg, se proposoient de se remettre en route dans une demi-heure.

Lauretta, par complaisance pour cette bonne femme, plutôt que pour satisfaire son appétit, mangea un fruit, et but un peu de lait, tandis que Bartha employoit toute son éloquence à lui persuader, que puisque Ugo avoit assuré qu’elle n’avoit rien à craindre, elle devoit être tranquille. Mais ce raisonnement, quoiqu’elle ne voulût pas perdre son tems à le réfuter, ne lui parut pas concluant, et ne lui donna pas une bien grande assurance.

La voix de Kroonzer se fit entendre. Il ordonnoit à Lauretta de descendre. La malheureuse savoit trop bien que sa foible résistance eût été inutile. Une prompte complaisance pouvoit au contraire lui concilier ses gardiens. En conséquence elle obéit à l’instant. Ralberg l’attendoit au bas de l’escalier. Il la prit dans ses bras, et la plaçant sur un cheval devant son camarade, il monta lui-même sur un autre, que le paysan tint jusqu’à ce qu’il fut dessus.

Des ténèbres épaisses couvroient l’horizon. Le silence effrayant de la forêt n’étoit troublé que par le bruit sourd des vents précurseurs de l’orage.

Bientôt de pâles éclairs sillonnèrent l’atmosphère. D’épouvantables coups de tonnerre se succédèrent avec rapidité. Après avoir voyagé pendant deux heures, au milieu de cet effrayant combat des élémens et d’une obscurité profonde, l’orage, qui heureusement n’avoit pas été accompagné de pluie, commença à se calmer. La foible lumière de la lune vint éclairer leurs pas.

Lauretta s’apperçut alors qu’ils étoient au fond d’une vallée profonde.

« Oh ! Dieu, s’écria-t-elle, est-ce ici que je dois trouver mon tombeau ? »

Depuis la fin de l’orage, Ralberg et son camarade étoient entrés en conversation ; mais elle n’avoit pu, sur ce qu’ils avoient dit, conjecturer sa future destination.

Une tour qui s’élevoit au dessus des arbres, dont elle étoit environnée, frappa soudain sa vue. Lorsqu’elle fut un peu plus avancée, elle vit que cette tour faisoit partie d’un vaste édifice vers lequel ses conducteurs s’avançoient.

Ses yeux restèrent fixés de ce côté. À mesure qu’elle approcha de la tour, ses alarmes devinrent plus vives. Ses conducteurs ne disoient pas un mot. Elle s’attendit à entendre bientôt prononcer sa sentence.

La lumière de la lune, qui éclairoit le bâtiment, lui fit appercevoir qu’une des ailes étoit entièrement en ruines ; et tout l’édifice en très-mauvais état.

Descendue de cheval, elle ne put se soutenir. Ses genoux trembloient. Elle tomba, presqu’entièrement insensible à ce qui se passoit autour d’elle, dans les bras de Kroonzer.

Ralberg ayant attaché les çhevaux à une colonne à moitié brisée, poussa la porte avec force. Elle s’ouvrit en faisant un bruit sourd. Kroonzer entra alors dans la cour, en portant Lauretta dans ses bras. Il la plaça sur un siège formé par une niche pratiquée dans le mur. Il appella son camarade, lui dit d’allumer promptement un flambeau, et le gronda d’avoir attendu si long-tems à le faire . Ses paroles retentirent dans cet immense édifice. Ces sons lugubres ajoutèrent encore au trouble de Lauretta.

Ralberg ne répondit rien. Il se mit sur-le-champ à battre son briquet. Lauretta attendoit avec impatience la lumière qui devoit la tirer de l’horrible obscurité qui la faisoit trembler. Elle fixa les yeux sur l’endroit où le bruit de l’acier et de la pierre lui indiquèrent la présence de Ralberg. Soudain ils furent frappés de la réverbération d’une lumière qui paroit du côté opposé de la cour. Lauretta se retourna, et apperçut un homme qui portoit une lampe. Il avoit le dos tourné du côté de Lauretta. Il entra dans une porte qu’il referma après lui.

L’état délabré de cet édifice, n’avoit pas permis de douter à Lauretta, qu’il ne fût inhabité. En conséquence elle conclut que l’homme qu’elle venoit de voir étoit Kroonzer, quoiqu’elle ne pût s’imaginer comment il s’étoit procuré de la lumière. Elle se retourna alors du côté de Ralberg. Quelle fut sa surprise en voyant ses deux compagnons de voyage venir à elle avec leur lampe allumée ! Elle poussa un cri involontaire. Elle vit en même tems la même porte se rouvrir. Elle apperçut le bras et la figure d’un homme, dont il lui fut impossible de distinguer les traits. Théodore se présenta tout de suite à son imagination effrayée. Ce souvenir glaça tous ses sens. Elle tomba par terre sans connoissance.

Revenue à elle, elle se trouva couchée sur un lit sans rideaux. La foible lumière d’une lampe, lui montra Ralberg assis auprès de son lit. Elle jeta tout de suite des regards inquiets autour de la chambre, dont l’immense grandeur, mal éclairée par la lampe, ne lui permit pas de s’assurer si celui qu’elle redoutoit par dessus tout s’y trouvoit en ce moment. Se levant alors avec peine sur son lit, elle saisit la main de Ralberg, et le conjura de la sauver, de la protéger contre Théodore. Ralberg, avec l’accent le plus doux que sa voix rauque lui permit de prendre, l’engagea à se tranquilliser et à bannir toute crainte. Elle fixa de nouveau sur lui ses yeux mouillés de pleurs, et lui serrant la main encore plus étroitement, elle s’écria :

« Ayez pitié de mes malheurs ; le ciel vous en récompensera. »

Le bruit des pas d’un homme, tourna son attention d’un autre côté, Kroonzer entra. Il apportoit du vin, des fruits et du pain. Après avoir ramassé la lampe par terre, il la plaça sur une table auprès du lit. Il invita alors Lauretta à se lever et à prendre quelque nourriture. Elle ne répondit que par ses pleurs. Il répéta sort invitation. Elle s’efforça de parler ; mais les sanglots l’empêchèrent d’articuler un seul mot. Elle se précipita de son lit, se jeta à ses pieds, et embrassa ses genoux. Il la repoussa, et ordonna à Ralberg de le suivre. Ils quittèrent ensemble la chambre de Lauretta qui les entendit refermer la porte, et mettre les verroux.

Lorsque la violente agitation de ses esprits fut un peu calmée, elle prit la lampe, et fit le tour de sa chambre, afin de s’assurer que personne n’y était caché. Cette chambre étoit d’une forme ronde, le plafond élevé et voûté ; les murs étoient de pierre, la fenêtre petite, et élevée de terre de plusieurs pieds. Tout la porta à conjecturer qu’elle étoit dans la tour qui avoit attiré son attention pendant qu’elle voyageoit dans la forêt.

Elle reposa la lampe sur la table, et tirant de son sein un petit crucifix d’ivoire, qu’elle plaça sur la même table, elle se mit à genoux. Après avoir exprimé sa reconnoissance pour toutes les douleurs de celui en mémoire de qui elle portoit le gage sacré du salut des hommes, elle le conjura de lui inspirer son courage, afin qu’elle ne succombât pas sous les maux dont elle étoit menacée, de lui accorder sa divine protection, contre les coupables desseins de celui qu’elle craignoit plus que la mort. Elle termina sa prière par la solemnelle déclaration de sa confiance dans les bontés de de Dieu, et de sa résignation sans bornes à ses volontés.

Elle se releva, et en déplaçant le crucifix sur son sein, elle sentit ce calme heureux, effet inévitable de la confiance dans la divine miséricorde. Toutefois elle ne crut pas devoir chercher le repos dans le sommeil. Elle s’assit sur la chaise la plus voisine de son lit. Elle prêta une oreille attentive. Mais n’entendant plus le moindre bruit, ses terreurs diminuèrent un peu, et elle se livra à ses réflexions sur les événemens extraordinaires de cette nuit.

Bientôt la figure de l’homme qu’elle n’avoit fait qu’entrevoir, se représenta à son imagination, et de plus en plus persuadée que c’étoit Théodore, ses craintes redevinrent plus fortes qu’elles ne l’avoient jamais été. — Elle se leva, se promena doucement dans sa chambre, s’arrêtant par intervalles, et fixant les yeux sur le plancher, accablée du passé, effrayée de l’avenir.

Le corps fatigué, l’âme abattue, elle se remit sur sa chaise. Bientôt ses yeux s’obscurcirent, des gouttes de sueurs tombèrent de son front. Elle étendit une main tremblante, et saisit le flacon de vin. Elle le porta avec peine jusqu’à ses lèvres. Enfin elle parvint à en avaler quelques gouttes. Elle cessa de trembler, le sang recommença à circuler dans ses veines, elle sentit la vie se ranimer. Une douce chaleur succéda eu froid mortel qui glaçoit son cœur. Un assoupissement, dont elle s’efforça en vain de triompher, s’empara d’elle par dégré. Bientôt elle tomba dans un profond sommeil.