La Comédie de la Mort (1838)/La bonne Journée

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La Comédie de la MortDesessart éditeur (p. 357-358).


LA BONNE JOURNÉE.


Ce jour, je l’ai passé ployé sur mon pupitre,
Sans jeter une fois l’œil à travers la vitre.
Par Apollo ! cent vers ; je devrais être las,
On le serait à moins ; mais je ne le suis pas ;

Je ne sais quelle joie intime et souveraine
Me fait le regard vif et la face sereine,
Comme après la rosée une petite fleur ;
Mon front se lève en haut avec moins de pâleur ;
Un sourire d’orgueil sur mes lèvres rayonne,
Et mon souffle pressé plus fortement résonne.
J’ai rempli mon devoir comme un brave ouvrier.
Rien ne m’a pu distraire ; en vain mon lévrier,
Entre mes deux genoux posant sa longue tête,
Semblait me dire : — En chasse ! en vain d’un air de fête
Le ciel tout bleu dardait, par le coin du carreau,
Un filet de soleil jusque sur mon bureau ;
Près de ma pipe, en vain, ma joyeuse bouteille
M’étalait son gros ventre et souriait vermeille ;
En vain ma bien-aimée, avec son beau sein nu,
Se penchait en riant de son rire ingénu ;
Sur mon fauteuil gothique, et dans ma chevelure
Répandait les parfums de son haleine pure.
Sourd comme saint Antoine à la tentation,
J’ai poursuivi mon œuvre avec religion ;
L’œuvre de mon amour qui mort me fera vivre,
Et ma journée ajoute un feuillet à mon livre.