La Confession de Claude/À mes amis P. Cézanne et J.-B. Baille

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Charpentier et Fasquelle (p. 1-5).


À MES AMIS


P. CÉZANNE ET J.-B. BAILLE.


Vous avez connu, mes amis, le misérable enfant dont je publie aujourd’hui les lettres. Cet enfant n’est plus. Il a voulu grandir dans la mort & l’oubli de sa jeunesse.

J’ai hésité longtemps avant de donner au public les pages qui suivent. Je doutais du droit que je pouvais avoir de montrer un corps & un cœur dans leur nudité ; je m’interrogeais, me demandant s’il m’était permis de divulguer le secret d’une confession. Puis, lorsque je relisais ces lettres haletantes & fiévreuses, vides de faits, se liant à peine les unes aux autres, je me décourageais, je me disais que les lecteurs accueilleraient sans doute fort mal une pareille publication, toute diffuse, toute folle & emportée. La douleur n’a qu’un cri ; l’œuvre est une plainte sans cesse répétée. J’hésitais comme homme & comme écrivain.

Un jour, j’ai songé enfin que notre âge a besoin de leçons & que j’avais peut-être entre les mains la guérison de quelques cœurs endoloris. On veut que nous moralisions, nous les poètes & les romanciers. Je ne sais point monter en chaire, mais je possédais l’œuvre de sang & de larmes d’une pauvre âme, je pouvais à mon tour instruire & consoler. Les aveux de Claude avaient le suprême enseignement des sanglots, la morale haute & pure de la chute & de la rédemption.

Et j’ai vu alors que ces lettres étaient telles qu’elles devaient être. J’ignore encore aujourd’hui comment le public les acceptera, mais j’ai foi dans leur franchise, même dans leur emportement. Elles sont humaines.

Je me suis donc décidé, mes amis, à éditer ce livre. Je m’y suis décidé au nom de la vérité & du bien de tous. Puis, en dehors de la foule, je songeais à vous, il me plaisait de vous conter de nouveau la terrible histoire qui vous a déjà fait pleurer.

Cette histoire est nue & vraie jusqu’à la crudité. Les délicats se révolteront. Je n’ai pas pensé devoir retrancher une ligne, certain que ces pages sont l’expression complète d’un cœur dans lequel il y a plus de lumière que d’ombre. Elles ont été écrites par un enfant nerveux & aimant qui s’est donné entier, avec les frissons de sa chair & les élans de son âme. Elles sont la manifestation maladive d’un tempérament particulier qui a l’âpre besoin du réel & les espérances menteuses & douces du rêve. Tout le livre est là, dans la lutte entre le songe & la réalité. Si les amours honteuses de Claude le font juger sévèrement, qu’on lui pardonne au dénoûment, lorsqu’il se relève plus jeune & plus fort, voyant jusqu’à Dieu.

Il y a du prêtre dans cet enfant. Il s’agenouillera peut-être un jour. Il cherche avec un désespoir immense une vérité qui le soutienne. Aujourd’hui, il nous conte sa jeunesse désolée, il nous montre ses plaies, il crie ce qu’il a souffert, afin d’éviter à ses frères de pareilles souffrances. Les temps sont mauvais pour les cœurs qui ressemblent au sien.

Je puis d’un mot caractériser son œuvre, lui accorder le plus grand éloge que je désire comme artiste, & répondre en même temps à toutes les objections qui seront faites :

Claude a vécu tout haut.

Émile ZOLA.
15 octobre 1865.