La Confession de Claude/Chapitre II

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Charpentier et Fasquelle (p. 15-20).

II

Vous vous irritez de mon peu de courage, vous m’accusez d’envier le velours & le bronze, de ne pas accepter la sainte pauvreté du poëte. Hélas ! j’aime les grands rideaux, les candélabres, les marbres que le ciseau a puissamment caressés. J’aime tout ce qui brille, tout ce qui a beauté, grâce & richesse. Il me faut les demeures princières. Ou plutôt encore, les champs avec leurs tapis de mousse, frais & parfumés, leurs draperies de feuilles, leurs larges horizons de lumière. Je préfère le luxe de Dieu au luxe des hommes.

Pardonnez, frères, la soie est si douce, la dentelle si légère ; le soleil rit si gaiement dans l’or & dans le cristal !

Laissez-moi rêver, ne craignez pas pour ma fierté. Je veux écouter vos fortes & belles paroles, embellir ma mansarde de gaieté, l’éclairer de grandes pensées. Si je me sens trop seul, je me créerai une compagne qui, fidèle à ma voix, viendra me baiser au front, après la tâche accomplie. Si les dalles sont froides, si le pain manque, j’oublierai l’hiver & la faim en me sentant le cœur chaud. À vingt ans, il est aisé d’être artisan de sa joie.

L’autre nuit, la voix des vents était mélancolique, ma lampe se mourait, mon feu s’était éteint ; l’insomnie avait troublé ma raison, de pâles fantômes erraient dans mon ombre. J’ai eu peur, frères, je me suis senti faible, je vous ai dit mes larmes. Le premier rayon a chassé le cauchemar de ma veille. Aujourd’hui l’obstacle n’est plus en moi. J’accepte la lutte.

Je veux vivre au désert, n’écoutant que mon cœur, ne voyant que mon rêve. Je veux oublier les hommes, m’interroger & me répondre. Pareil à la jeune épouse dont le sein a frémi du tressaillement des mères, le poète, quand il croit sentir tressaillir la pensée en lui, doit avoir une heure d’extase & de recueillement. Il court s’enfermer avec son cher fardeau, n’ose croire à son bonheur, interroge son flanc, espère & doute encore. Puis, lorsqu’une douleur plus vive lui dit bien que Dieu l’a fécondé, alors pendant de longs mois il fuit la foule, tout à l’amour de l’être que le ciel lui confie.

Qu’on le laisse se cacher & jouir en avare des angoisses de l’enfantement ; demain, dans son orgueil, il viendra demander des caresses pour le fruit de ses entrailles.

Je suis pauvre, je dois vivre seul. Ma fierté souffrirait de banales consolations, ma main ne veut presser que les mains ses égales. J’ignore le monde, mais je sens que la misère est si froide qu’elle doit glacer les cœurs autour d’elle, & qu’étant sœur du vice, elle est timide & honteuse, lorsqu’elle est noble. J’ai le front haut, j’entends ne point le baisser.

Pauvreté, solitude, soyez donc mes hôtesses. Soyez mes anges gardiens, mes muses, mes compagnes à la voix rude & encourageante. Faites-moi fort, donnez-moi la science de la vie, dites-moi combien coûte le pain de chaque jour. Que vos mâles caresses, si âpres qu’elles semblent des blessures, m’endurcissent dans le bien & le juste. J’allumerai ma lampe, pendant ces nuits d’hiver, & je vous sentirai toutes deux à mes côtés, glacées & silencieuses, vous courbant sur ma table, me dictant l’austère vérité. Lorsque, las d’ombre & de silence, je poserai la plume & que je vous maudirai, votre sourire mélancolique me fera peut-être douter de mes rêves. Alors votre paix sereine & triste vous rendra si belles que je vous prendrai pour amantes. Nos amours seront sévères & profondes comme vous ; les amoureux de seize ans envieront l’âcre volupté de nos baisers féconds.

Et cependant, frères, il me serait doux de me sentir la pourpre aux épaules, non pour m’en draper devant la foule, mais pour vivre plus largement sous le riche & superbe tissu. Il me serait doux d’être roi d’Asie, de rêver nuit & jour sur un lit de roses, dans une de ces féeriques demeures, harems de fleurs & de sultanes. Les bains de marbre aux fontaines parfumées, les galeries de chèvrefeuilles soutenus sur des treillages d’argent, les immenses salles aux plafonds semés d’étoiles, n’est-ce pas là le palais que les anges devraient bâtir pour chaque homme de vingt ans ? La jeunesse veut à son festin tout ce qui chante, tout ce qui rayonne. Lors du premier baiser, il faut que l’amante soit toute de dentelle & de bijoux, que la couche, portée par quatre fées d’or & de marbre, ait un ciel de pierreries & des toiles de satin.

Frères, frères, ne me grondez pas, je vais être sage. Je vais aimer mon grenier & ne plus songer à mes palais. Oh ! que la vie y serait jeune & passionnée !