La Conspiration Magon - Récit des temps révolutionnaires/02

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La Conspiration Magon - Récit des temps révolutionnaires
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 2 (p. 624-655).
LA CONSPIRATION MAGON
RÉCIT DES TEMPS RÉVOLUTIONNAIRES

II[1]
LE MASSACRE DES INNOCENS


I

Tandis qu’à Paris, le terrorisme sévissait avec fureur, à Saint-Malo et à Saint-Servan, il ne désarmait pas plus que dans le reste de la France. L’arrivée du conventionnel Le Carpentier dans la cité malouine allait imprimer à la Terreur une impulsion plus active et envoyer au tribunal révolutionnaire de nombreuses victimes, choisies parmi tant d’innocens arbitrairement arrêtés.

Il convient de s’arrêter un moment autour de ce personnage et de l’étudier dans ses origines comme dans la marche ascendante qui, du très humble milieu où il était né, le porta sur les bancs de la Convention et l’y fit siéger parmi les plus violens de ses membres. Cette étude est nécessaire, non pas seulement parce que l’homme qui en est l’objet contribua aux malheurs de la famille Magon, mais aussi parce qu’en sa personne apparaît la mentalité de la plupart de ses pareils et qu’il représente au plus haut degré le type connu des grands terroristes.

Son berceau est une chaumière de cultivateurs dans la petite bourgade d’Helleville, voisine de Cherbourg, presque un hameau, puisqu’on y comptait à peine trois cents habitans. L’ambition de son père, qui rêvait de voir ses enfans sortir de la condition misérable dans laquelle il avait lui-même végété, l’envoya au collège de Valognes ; il y fut élevé par des prêtres dont cependant l’enseignement lui profita si peu que la perversité dont il fit preuve au cours de sa carrière ne cessa de se doubler chez lui de la plus grande ignorance. En fait d’instruction, il n’eut que celle dont il devait l’acquisition aux circonstances de sa vie et à la pratique des affaires. Deux ans avant la Révolution, nous le trouvons huissier à Valognes, fonction peu relevée, mais qui, dans cette petite ville, le classait parmi ceux dont l’influence s’exerçait assez aisément sur leurs concitoyens.

A l’approche des événemens qui allaient bouleverser la France, on le voit jouer le rôle d’agitateur. Il contribue à la création d’une société dite des « Amis de la Constitution, » se fait élire membre du conseil général de Valognes, capitaine de la Garde nationale et enfin l’un des trente-six administrateurs du département de la Manche. Dès cet instant, il se signale par sa violence et s’impose en quelque sorte aux électeurs lorsqu’ils sont appelés à élire les membres de la Convention nationale. Arrivé à Paris, il va siéger au sommet de la Montagne. Il y devient l’ami des conventionnels les plus farouches et des hommes qui ne tarderont pas à gouverner la République, de Robespierre et de Couthon notamment, dont les votes, dans toutes les circonstances, déterminent le sien. Politicien dans l’âme, ambitieux, prêt à tout pour réaliser ses ambitions, il ne perd aucune occasion de hurler avec les loups et de réclamer des châtimens exemplaires contre les aristocrates. Il est ainsi désigné pour se faire l’exécuteur des mesures les plus arbitraires.

Afin d’en poursuivre l’application, il est expédié, par les Comités de Sûreté générale et de Salut public, avec d’autres de ses collègues, dans les départemens de l’Ouest, parmi lesquels figure celui où il a reçu le jour. Deux fois redoutable, et par les fonctions qui lui sont dévolues, et par la cruauté avec laquelle il les exerce, il organise la terreur à toutes les étapes de sa tournée révolutionnaire, à Cherbourg, à Coutances, à Avranches, à Granville, à Valognes et enfin à Saint-Malo. Il entend que, partout où il se présente, les populations l’acclament et tremblent devant lui. A la porte des villes où on le voit apparaître dans son uniforme de représentant du peuple, la mine hautaine et dure sous son chapeau empanaché, sa femme assise à ses côtés avec des airs de souveraine, dans la voiture qui les conduit, il regarde avec complaisance les sans-culottes du cru dételer les chevaux et prendre leur place pour le traîner d’abord à l’Hôtel de Ville où toutes les autorités locales viennent le saluer, et ensuite dans la maison qui lui a été préparée comme résidence, ordinairement une maison de riche, dont on a eu la précaution d’incarcérer à l’avance le propriétaire.

Son premier soin est de se procurer la liste des citoyens emprisonnés et il l’allonge en y ajoutant les noms de tous les habitans qui lui sont signalés comme suspects. A Valognes, où il a longtemps vécu, sa conduite antérieure et les procédés auxquels il a recouru pour satisfaire ses ambitions lui ont créé de nombreuses inimitiés ; il ne manque pas d’en tirer vengeance et d’assouvir ses basses rancunes contre ceux de ses concitoyens qui ont eu le malheur de lui déplaire ; c’est par là surtout qu’il devient promptement odieux. Du reste, dans toutes les villes où l’appelle son mandat, il affecte une brutale insolence et se fait gloire d’être inaccessible à tout sentiment de pitié. Il s’acharne contre les nobles, contre les riches, contre les prêtres, à propos desquels il déclare « qu’il faut les réprimer non comme ministres de tel ou tel culte, mais comme mauvais citoyens. » A l’entendre, « le sacerdotisme est un colosse antique et tenace qu’il faut briser. » « Brisons-le donc ! » s’écrie-t-il. Il ajoute dédaigneusement que « les représentans du peuple n’ont rien à démêler avec les consciences. » Il chasse des hôpitaux militaires et civils les sœurs de charité qui refusent de prêter le serment civique. Sous son impulsion, les prisons se remplissent, les comités de surveillance sont épurés, les visites domiciliaires se multiplient, les tribunaux criminels fonctionnent avec plus d’activité, la guillotine est dressée et les populations sont consternées et terrorisées. Il écrit d’Avranches au Comité de Sûreté générale :

« J’annonce avec plaisir qu’au moyen de purgatifs révolutionnaires qui ont été et seront encore employés ici, l’aristocratie, le fédéralisme et la superstition, en un mot tous les élémens incompatibles avec la République seront replongés dans le néant. » « Les bayonnettes se sont hérissées de toutes parts ; partout un œil menaçant est ouvert ; malheur aux forfaits. » Il ne faudrait pas croire cependant que cette fermeté stoïque, dont il tirait orgueil, ne se relâchât jamais. Au mois de novembre 1793, il était à Granville quand on apprit qu’une armée vendéenne s’approchait pour s’en emparer. Il mit le plus grand zèle à organiser la défense à laquelle d’ailleurs les habitans se préparaient avec énergie. Mais, s’il faut en croire une tradition locale qui ne fut jamais démentie que dans des documens rédigés par lui-même et après coup, il aurait montré moins de résolution une fois la bataille engagée, et si les Vendéens furent mis en déroute, ç’aurait été non par son fait, mais grâce à la vaillance des défenseurs de la ville et au concours très actif que leur prêtèrent les habitans. D’après les témoignages résumés dans un récit récemment paru[2], c’est à peine si Le Carpentier se serait fait voir aux batteries, timidement, sans panache, ayant enlevé tous les insignes de son autorité, qui auraient pu le faire reconnaître. Les dénonciations dont il fut l’objet après le 9 thermidor, sont unanimes à flétrir sa conduite en cette circonstance et donnent à entendre qu’au moment du danger, il disparut. Il est dit par ailleurs qu’il fut ramené de force à son poste par des jeunes gens qu’avait indignés sa lâcheté.

Quoiqu’il en soit de cet incident, il n’est pas douteux qu’après la victoire, le représentant recouvra toute son arrogance et que le Comité de Sûreté générale, à qui personne n’avait osé le dénoncer, lui continua sa confiance, convaincu que c’était à lui qu’était due la défaite des Vendéens. À ces traits, on peut le juger tel qu’il était et comprendre que les habitans de Saint-Malo aient été terrifiés à la nouvelle de son arrivée.

Comme nous l’avons dit, il fit son entrée dans cette ville le 25 frimaire de l’An II (15 décembre 1793). Il y fut reçu comme un souverain par le personnel révolutionnaire. Le langage qu’il tint, en réponse aux souhaits de bienvenue, qui lui avaient été adressés, ne pouvait qu’augmenter l’effroi qu’inspirait sa réputation. Il ne la justifia que trop. Les représentans, ses collègues, qui l’avaient précédé dans cette ville, avaient institué une commission militaire pour juger les Vendéens pris les armes à la main. Avant que Le Carpentier n’arrivât, cette commission avait condamné à mort et fait exécuter six accusés. Il estima que c’était trop peu et comme les juges alléguaient qu’il était nécessaire, avant de condamner les gens, de s’assurer s’ils étaient coupables, il répliqua :

— A quoi bon toutes ces lenteurs ? Qu’avez-vous besoin d’en savoir si long ? Le nom, la profession, la culbute ; et voilà le procès terminé.

Résolu à appliquer ce principe, il réorganisa la commission sous le nom de « Comité Sans-Culottique » et lui donna le pouvoir de juger révolutionnairement. Les membres, craignant de lui déplaire, entrèrent dans ses vues et, pour utiliser leur bon vouloir, il traduisit devant eux, non seulement les rebelles pris les armes à la main, mais encore des prêtres, des religieux, des femmes même, comme complices de belligérans. Il y eut alors de véritables boucheries. Les estimations les plus modérées fixent à cinquante-quatre le nombre des exécutions qui eurent lieu à Saint-Malo. On conduisait les condamnés au bord de la mer et on les fusillait. Le 23 janvier 1794, plusieurs femmes périrent ainsi, dont une seule avait plus de trente ans. Les historiens du temps affirment que, parmi ces débris de l’armée vendéenne, victimes de châtimens inexorables, il y avait des malades, voire des mourans qu’on fusilla dans leurs couvertures. Après le 9 thermidor, quand ces faits abominables furent dénoncés à la Convention, ces couvertures existaient encore : elles étaient teintes de sang et percées de balles. Il n’est pas étonnant, on le reconnaîtra, que le proconsulat de Le Carpentier ait laissé à Saint-Malo et à Saint-Servan, comme partout où son pouvoir s’était exercé, les plus sinistres souvenirs. On verra plus loin comment, après avoir, par tant de barbares procédés, terrorisé et ensanglanté ces deux villes, il mit le comble à sa cruauté en expédiant au Tribunal révolutionnaire à Paris le trop-plein des prisons. « Voilà encore du gibier que je vous envoie, » écrivait-il au Comité de Sûreté générale au cours de ses atroces opérations.

Il importe au surplus de faire remarquer qu’elles étaient l’objet, de la part du Comité, d’encouragé mens et d’éloges, propres à surexciter l’imagination de Le Carpentier, et à le rendre plus cruel. « Nous ne pouvons que t’engager à te continuer toi-même, » lui écrivait-on à Granville. Le langage des lettres qu’il recevait à Saint-Malo était plus pressant encore. « L’état de Saint-Malo est inquiétant aujourd’hui plus que jamais. Le Comité est instruit que cette ville est le centre d’une nouvelle conspiration. Méfie-toi des hommes qui t’environnent. Les trahisons veillent ; aie les yeux ouverts ; frappe les traîtres ; un instant de sommeil perdrait la patrie. »

Cette lettre, qui porte la date du II nivôse (31 décembre), semble avoir été écrite uniquement pour réchauffer le zèle du conventionnel. Les faits qu’elle lui signalait n’existaient pas. A supposer qu’à une époque antérieure, la ville de Saint-Malo eût été le théâtre d’un complot, elle ne renfermait plus de conspirateurs. Les royalistes qui auraient pu conspirer étaient presque tous en prison, et dans la population terrorisée, personne ne songeait à les imiter. Tout tremblait devant le proconsul. Ceux-là mêmes qui le considéraient comme un monstre vomi par les enfers n’auraient pas osé faire mine de s’en indigner. La peur paralysait toutes les audaces et tous les courages. Lorsqu’il passait dans les rues, les gens qui le rencontraient le saluaient respectueusement, convaincus que toute marque de désapprobation aurait pour eux des conséquences funestes. L’avant-veille du jour où le Comité de Sûreté générale lui avait écrit la lettre qu’on vient de lire, lui-même l’informait qu’à Saint-Malo, on avait appris avec joie la prise de Toulon et qu’on se préparait à fêter cet événement : « Nous chanterons joyeusement l’hymne de la Liberté. Nous danserons la Carmagnole et mainte farandole, et ça ira. » Les recommandations du Comité n’eurent pas moins pour effet de l’embraser d’une fureur plus active et plus malfaisante. A Saint-Malo comme à Saint-Servan, il redoubla de violence et multiplia les arrestations. Lorsqu’il eut fait incarcérer environ cinq cents suspects, il dressa et fit afficher des listes portant leurs noms en invitant les patriotes à dénoncer les faits qui seraient à leur connaissance, et susceptibles d’aggraver les charges qui pesaient sur ces infortunés. En même temps, il les accablait d’avanies et de vexations. Il se flattait de l’espoir de les pousser à la révolte, ce qui lui aurait permis d’en finir d’un seul coup avec ses victimes, « en mettant le feu à la prison. » N’avait-il pas dit : « — Ils périront tous ! »

Après avoir terrorisé Saint-Malo, il en partit au commencement de 1794, pour aller « se continuer » dans les autres villes soumises à son autorité. Mais il promettait de revenir bientôt. Il revint en effet au bout de quelques semaines, et la malheureuse cité malouine se ressentit plus encore de la cruauté de ses persécutions, de la rigueur de ses ordres et de l’âpreté avec laquelle il s’efforçait de s’emparer de la fortune d’autrui.

Il y était en prairial alors que s’aggravaient à Paris les agitations qui avaient précédé et suivi l’exécution des Dantonistes. Dans sa correspondance, il exprimait à ses collègues des Comités le regret de ne pouvoir partager leurs périls.

« Le cri de la vengeance nationale, ajoutait-il, vient de nous apprendre les derniers attentats dirigés contre la Représentation nationale : le crime est donc aussi opiniâtre que la vertu est constante ! Hé bien ! que l’humanité soit vengée : que la vertu terrasse sans pitié le crime qui l’attaque sans mesure. Serrons de plus en plus la visse (sic) du gouvernement révolutionnaire, et que les forfaits soient étouffés tous ensemble ! Les ennemis de la République ont perdu le droit de fouler le sol de la liberté, et les pères de la patrie ne pourront faire un pas sans s’exposer à leurs poignards, tant qu’ils seront exposés à leur rencontre. Mais que dis-je ! citoyens collègues, le génie du peuple veille sur ses représentans pour écarter les périls loin de leurs têtes, et les représentans du peuple n’ont besoin que de leur conscience pour fermer leurs cœurs à la crainte. »

On se rappelle que, quelques semaines avant, le 27 germinal, la Convention avait décrété que les prévenus de conspiration seraient traduits de tous les points de la République au Tribunal révolutionnaire de Paris. A peine en possession de ce décret, Le Carpentier se prépara à l’exécuter. Dès la mi-prairial, il expédiait à Fouquier-Tinville un premier convoi de prévenus, au nombre de vingt-neuf : dix-sept hommes et douze femmes. Parmi ces malheureux figuraient Magon de la Villehuchet père, Mme Magon de Coëtizac, son fils âgé de trente-cinq ans, son neveu Marie Gardin et la marquise de Saint-Pern-Ligouyer qui allait être septuagénaire. Le Carpentier avait eu la cruauté de l’arracher aux bras de son mari, à qui des soins qu’elle seule savait lui donner étaient nécessaires. Il le réservait pour une autre expédition.

Sa décision était d’autant plus inique que le maire et les officiers municipaux de la commune de Guitté, sur laquelle est situé le château de Couëllan, résidence du marquis et de la marquise de Saint-Pern, s’étaient émus en apprenant l’arrestation des châtelains et avaient fait parvenir à Le Carpentier un écrit revêtu de leurs signatures, attestant que ces vieillards, s’étaient toujours comportés en bons et fidèles citoyens.

« Ils n’ont jamais fait de peine à personne, ils ont toujours été charitables envers les pauvres et obligeant tout le monde ; ils n’ont point émigré ; ils n’ont quitté notre commune que, pour aller s’établir à Saint-Malo le 22 décembre 1792. »

À cette attestation dont les signataires déclaraient avoir été, pendant plus de cinquante ans, les témoins de l’existence du marquis et de la marquise, Le Carpentier répondit que la marquise « était de caractère furieux, violent et despote, ennemie de la Révolution, et qu’elle ne songeait qu’à renverser la Constitution. » Elle était même accusée, sans preuves d’ailleurs, d’avoir jadis tué, d’un coup de pistolet, un de ses métayers.

Lorsque, au moment de se mettre en route, ces infortunés captifs manifestèrent l’intention d’emporter des vêtemens et divers objets qui leur étaient nécessaires pour une longue route, on les obligea à se réduire à rien.

— Vous n’avez pas besoin d’un si gros bagage, leur objectait-on ; vous trouverez à Paris tout ce qu’il vous faut.

Ce qu’ils allaient y trouver, c’était la mort.

Ils partirent à trois heures du matin. Le voyage fut pénible ; ils étaient en charrette, escortés de gardes nationaux et de gendarmes qui les traitaient sans ménagemens, les vieux aussi bien que les jeunes. Le chef de l’escorte, au moment de partir, avait reçu quinze cents francs pour subvenir aux frais du voyage. Ils n’en furent pas moins livrés aux plus dures privations. Aux yeux de leurs gardiens, ils étaient du bétail destiné à l’abattoir. A Villers-Bocage, l’un d’eux, un ex-juge nommé Thurin, parvint à s’évader. La surveillance sur les autres devint plus rigoureuse. Le 29 prairial, ils arrivaient dans la capitale. Fouquier-Tinville, à qui ils étaient adressés, avait donné des ordres en vue de leur réception, et afin qu’on en terminât rapidement avec eux. Conduits à la Conciergerie, ils y passèrent deux jours, et le 2 messidor (20 juin), ils comparaissaient devant le Tribunal.

L’acte d’accusation ne relève à leur charge que des délits d’opinion, tels que celui-ci, allégué contre Magon de Coëtizac fils : « Caractère insinuant et perfide, furieux contre Marat qu’il appelait un monstre, cause de la mort du meilleur des rois. » Sur ces vingt-sept accusés, un seul fut acquitté. C’était un cuisinier signalé pour son caractère dur et brutal. Les vingt-six autres furent condamnés sans débat et exécutés le même jour.

À quelque temps de là, un nouveau convoi partait de Saint-Malo, annoncé par Le Carpentier au Comité de Sûreté générale en ces termes, que nous avons déjà cités : « Voilà encore du gibier que je vous envoie. » Mais, plus heureux que leurs compagnons d’infortune, ces tristes voyageurs apprirent en route les événemens du 9 thermidor et la chute de Robespierre.

Après avoir délibéré sur la question de savoir s’il ne convenait pas, vu cet événement, de les ramener à Saint-Malo, leurs gardiens décidèrent de continuer leur route vers Paris, où les prisonniers arrivèrent pour apprendre qu’ils étaient sauvés. C’est probablement dans ce convoi que se trouvait le marquis de Saint-Pern-Ligouyer. Il ignorait encore que sa femme avait péri quelques jours avant. Il ne le sut qu’à son arrivée. Il était déjà malade, et son état, aggravé par cette nouvelle comme par les fatigues du voyage, le fit retenir en prison, puis dans une maison de santé où, comme nous l’avons dit, il mourut l’année suivante.

Au lendemain du jour où ces victimes de la fureur homicide du conventionnel étaient parties pour Paris, il procédait à de nouvelles arrestations. En l’apprenant au Comité de Sûreté générale, il disait : « Il nous en reste encore. Ce sera pour remplacer ceux qu’il plaira au Comité d’appeler auprès de lui. » À la même date, sur son ordre, vingt-huit suspects partaient d’Avranches pour Paris, qui furent sauvés eux aussi par la chute des terroristes.


II

Peu de jours après l’arrestation de la marquise de Saint-Pern et de ses enfans, effectuée à la date du 17 floréal (6 mai), arriva au Comité de Salut public une dénonciation contre elle, contre son père et contre son gendre. Cette pièce accusatrice, emplie de perfidie, de faussetés et agrémentée d’une orthographe hautement fantaisiste, qu’il convient de respecter, portait la signature du citoyen Haupton, se disant caporal, fourrier de la compagnie ci-devant révolutionnaire de la section de Bon-Conseil. Elle débutait ainsi :

« Je suis sans pitié pour les ennemis de ma patrie ; par eux le sang de mes frères a coullé et coullent encore, tout crie vengence et tout ceux qui ont joué la rolle de contre-révolutionnaire sont digne de jouer à la main chaude. »

Le dénonciateur accusait ensuite le marquis de Cornulier d’avoir passé à l’étranger chargé d’une mission par son beau-père le banquier et d’avoir pris diverses mesures pour que son voyage fût ignoré. Par conséquent, le banquier était son complice, la citoyenne de Saint-Pern également.

« Cette exécrable femme à conspiré contre la souveraineté du peuple ; je l’ai entendu cette scélérate souhaiter la mort de Marat et c’est elle qui est la cause de tout le mal que son père et son gendre ont pu faire… Je croyais voir dans ces individus une bande d’imbecille, jetter dans un grand fleuve chacun une poignée de sable dans l’intention d’en arrêter le court, je disais ils n’arrêterons pas le torrent et lorsqu’ils verrons qu’ils ne peuvent troubler lau, ils aurons honte de leur follie et renoncerons à leur projet. Mais j’étais loing de penser que d’autre individu doublement célérat se couvrait d’un masque patriotique pour seconder ce être malfaisant. Lorgueil et la vanité des uns n’aurait pu faire aucun mal sans la perfidie des autres.

« Maintenant que je suis convaincu de leur intention meurtrière, je les dénoncent au Comité de salut publique lequel trouvera dans sa sagesse les moyens de leur faire subir la peine due à leurs fort faits. »

Tout porte à croire que cette dénonciation avait été inspirée par un ou plusieurs des domestiques qui servaient chez Magon de la Balue. Ce qui permet de le supposer, c’est que le citoyen Haupton, en même temps qu’il accuse les maîtres, défend les gens, lesquels, à l’entendre, « sont de vray patriotte si on en exepte une vieille femme de charge radotteuse et fanatique ; j’en comte au moins 10 qui nont jamais celon moy variez dans leurs opinions révolutionnaires. »

Adressé par erreur au Comité de Salut public, le document fut transmis par lui au Comité de Sûreté générale. Ils étaient accoutumés l’un et l’autre à en recevoir de pareils et ils n’ignoraient pas sur quelles bases souvent fragiles se fondaient les dires que renfermaient ces délations. Ils ne considéraient pas toutefois que ce fût une raison pour n’en pas tenir compte. Elles étaient renvoyées aux secrétaires des Comités, et ceux-ci y relevaient soigneusement tout ce qui pouvait constituer une charge contre les suspects qui s’y trouvaient désignés. Dans la circonstance, la lettre du citoyen Haupton n’ajouta rien aux griefs imputés aux divers membres de la famille Magon. Mais il semble bien qu’elle eut pour effet d’activer les poursuites dirigées contre eux. Après l’avoir reçue, le Comité de Sûreté générale se décida à faire lever les scellés qui avaient été mis sur les bureaux du banquier de la Place des Piques.

L’exécution de cette mesure, décrétée le 3 prairial, fut confiée à deux de ses agens les plus actifs, les citoyens Léonor Toutin, et Jean-Louis Bailleux. Le 7 du même mois, ils accomplirent la mission dont ils étaient chargés. Deux membres du Comité de surveillance révolutionnaire de la section de la Montagne, les assistaient. Etaient également convoqués les trois principaux employés de Magon de la Balue : son caissier Servatius, et les citoyens Marchai et Jean-Jacques Maag, que le procès-verbal de l’opération désigne comme des hommes investis de sa confiance, et qu’on peut soupçonner de l’avoir trompée en fournissant des indications et des renseignemens propres à diriger les recherches et à les faire aboutir. Il est d’ailleurs probable qu’ils cédèrent à la peur plus encore qu’à la haine et qu’ils furent terrorisés par les questions qu’on leur posait.

Dans le procès-verbal de la perquisition, on trouve la preuve de l’imprudence qu’avait commise le banquier en conservant la plupart des lettres qu’il avait reçues des pays étrangers depuis le commencement de la Révolution. Après avoir énuméré les meubles qui garnissent les appartemens, les pièces d’argenterie, les bijoux, boîtes d’or, reliquaires, croix d’évêque, une foule d’objets de prix qui attestent le luxe et la richesse de la maison, des tableaux qui ne sont autre chose que des portraits de membres de la famille royale et de divers gentilshommes « cordons bleu, cordons rouge, comtes et comtesses, » ce document relate les découvertes compromettantes faites dans la correspondance et dans les livres de comptes. De l’examen des registres, il résulte qu’à plusieurs reprises et à des dates diverses, de 1790 à 1792, des envois d’argent ont été faits à des émigrés à Londres, à Francfort, en Suisse, en Italie et en Espagne : au baron de Montmorency, au marquis de Balleroy, au duc d’Havre, à la duchesse de Brancas, à la comtesse de Matignon et autres, des sommes qu’on ne spécifie pas ; à l’émigré Barentin environ 18 600 livres, au duc de Laval 450 000 livres, au marquis de la Vaupallière 130 000 livres, au prince de Condé 550 000 livres, au baron de Breteuil 500 000 livres. La liste est longue et il n’est pas un des articles qu’on y voit figurer qui ne soit une charge accablante dont on se servira bientôt contre l’accusé.

Sa correspondance n’est pas moins significative, en tant qu’elle révèle ses opinions contre-révolutionnaires. Son copie de lettres contient « de fréquentes traces d’incivisme. » A la date du 12 novembre 1790, il a écrit à un banquier d’Amsterdam : « Je ne doute pas que vous n’ayez lu l’ouvrage de M. de Calonne dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre[3]. Les extravagantes opérations de nos législateurs y sont bien pulvérisées. Quelle vérité et quelle logique !… On m’a envoyé de Londres un autre ouvrage dont la lecture me fait grand plaisir : c’est celui de M. Burke sur notre Révolution. »

L’année suivante, le 14 novembre, Magon de la Balue écrit encore à M. de Thelusson, à Londres :

« Le Roi a refusé sa sanction au décret contre les émigrans ; c’est le premier usage qu’il a fait de sa prétendue liberté. Grand tumulte à cette occasion dans l’Assemblée, et encore plus au club des jacobinettes où se sont fait les motions les plus violentes, les plus indécentes et les plus insolentes. »

Dans une autre lettre expédiée à Cadix, on lit :

« On parle toujours beaucoup de guerre ; il est certain que les grandes puissances sont en mouvement ; mais c’est peut-être pour leur propre sûreté, en conséquence des décrets très impolitiques de l’assemblée, qui continue à se conduire de la manière la plus extravagante. Il semble que les Jacobins veulent tout bouleverser. »

Cinq jours après l’exécution de Louis XVI, Magon de la Balue, écrivant à un correspondant de Bayonne, apprécie en ces termes ce tragique événement :

« Tout se ressent du forfait qui a été commis ici, ce qui fera à jamais la honte de la nation. »

De ces extraits de la correspondance de Magon de la Balue, qu’on pourrait multiplier, il résulte qu’ainsi que nous l’avons dit, cet infortuné avait conservé des armes meurtrières pour lui-même. Mais, quelque prix qu’attachât le Comité de Sûreté générale à les découvrir, il attachait plus de prix encore à saisir indépendamment de tous les objets de valeur trouvés dans l’appartement du banquier et dans celui de ses enfans et petits-enfans, les sommes considérables qu’on le soupçonnait d’avoir cachées dans sa maison. Néanmoins, le 13 prairial, alors que, depuis près d’une semaine, on fouillait l’immeuble de haut en bas, le procès-verbal constate « qu’on n’a presque rien trouvé de la fortune du dit Magon de la Balue qui doit être considérable. »

À cette date, pour des causes qui nous échappent, la perquisition est suspendue. Elle n’est reprise que le 14 messidor. Dans l’intervalle, on a interrogé de nouveau les employés ; soit par la menace, soit par la persuasion, soit encore par suite des sentimens malveillans dont au moins deux d’entre eux semblent animés, on leur arrache des aveux, qui font découvrir ce qui était caché. Il en est un qui va jusqu’à prétendre que Magon de la Balue a emporté dans la maison d’arrêt 674 000 livres. En tout cas, d’un état dressé après le 9 thermidor par un liquidateur judiciaire, il ressort que les agens du Comité de Sûreté générale ont saisi dans la maison 340 637 livres, tant en assignats qu’en or et en argent, mais qu’ils n’ont versé au Trésor que 292 444 livres, ce qui autorise à les accuser d’avoir volé, retenu ou perdu pendant le transport 48 193 livres. Nous ne citons que pour mémoire 439 marcs d’argenterie versés à la Monnaie. On voit parce qui précède que l’hôtel de Magon de la Balue, comme les demeures de ses parens de Saint-Malo, avait été mis littéralement au pillage.

C’est sans doute vers ce temps que se produisit un incident dont Berryer père fait mention dans ses Souvenirs. Il n’en précise pas la date. Mais, comme il dit que, huit jours plus tard, les Magon étaient exécutés, et qu’ils le furent le 1er thermidor il est visible qu’il a voulu placer aux premiers jours de juillet la démarche qu’il raconte. Sur ce point, il a été trompé par sa mémoire, comme il l’a été en disant que la démarche fut faite dans la maison de santé du docteur Lemoine, rue des Amandiers. Les deux prévenus en effet n’ont pas habité cette maison, et c’est celle du citoyen La Chapelle qu’il a voulu désigner. Mais comme, d’autre part, ils furent transférés le 10 floréal (5 mai) dans la prison du Luxembourg, on peut affirmer que le curieux incident que nous révèle Berryer s’est produit antérieurement à cette date, c’est-à-dire la veille même de l’arrestation de la marquise de Saint-Pern et de ses enfans. Du reste, à quelque époque et en quelque lieu qu’il se soit passé, il n’en est pas moins significatif quant aux basses intrigues dont fut l’objet Magon de la Balue. Le voici, tel que le raconte Berryer.

En sa qualité de conseil des prisonniers, il reçoit un jour la visite d’un inconnu qui, sans lui révéler son nom, lui propose de les faire sortir de leur prison et de les conduire à la frontière. A l’appui de sa proposition, il montre à l’avocat trois passeports en blanc, signés par Robespierre, Couthon, Carnot et Barère. Comme prix du service qu’il se dit en état de rendre, il demande trois cent mille francs. La somme est sans doute considérable. Mais Magon de la Balue est en état de la payer puisque, affirme l’inconnu, il en porte sur lui quinze cent mille en assignats cousus dans sa robe de chambre. Berryer répond qu’il ne peut accepter ces offres ni les repousser sans avoir conféré avec son client, ce qu’il fera sur-le-champ s’il est autorisé à communiquer avec lui. Il lui est aussitôt répliqué que l’autorisation lui sera donnée et que lorsqu’il se présentera pourvoir Magon de la Balue dans la maison de santé où celui-ci est détenu, les portes lui seront ouvertes. Elles s’ouvrent en effet, « comme par miracle, » dit-il.

Magon de la Balue s’émeut en l’écoutant et en apprenant qu’on n’ignore plus qu’il a caché dans ses vêtemens une somme considérable. Puisqu’on le sait, c’est qu’il a été trahi et probablement par un de ses employés : il l’avait été déjà par son cuisinier, sur la dénonciation duquel l’argenterie de l’hôtel a été découverte et envoyée à la Monnaie. Sur le fond de la proposition, il ne veut se prononcer qu’après avoir consulté son frère qui occupe une chambre voisine de la sienne. Magon de la Blinaye est appelé, et les deux prévenus tiennent conseil avec leur avocat. Malgré les efforts de celui-ci, lequel s’efforce de les décider à ne pas repousser la chance de salut qui leur est offerte, ils refusent de se prêter à ce qu’on attend d’eux. Ils ne croient pas qu’on puisse les condamner, puisqu’ils sont innocens et en état de le démontrer. D’ailleurs, l’offre qui leur est faite ne présente aucune garantie, et peut-être cache-t-elle un piège. Les efforts de Berryer restent vains, et lorsque l’inconnu se présente de nouveau chez lui pour avoir une réponse, il ne peut que lui transmettre le refus de ses cliens.

Qui était cet inconnu ? Il ne nous le dit pas et il semble bien qu’il l’a ignoré. Quant à nous, à la lumière des documens que nous possédons sur le citoyen Héron, secrétaire du Comité de Sûreté générale, nous sommes disposé à le soupçonner d’avoir été le principal instigateur de la démarche dont il n’est parlé que dans les Souvenirs de Berryer. Nous ne savons rien de plus sur les circonstances de la longue détention des frères Magon.

Nous sommes un peu mieux renseigné sur celle de leur cousin Magon de la Lande. Il était à Paris, lui aussi, depuis le mois de janvier. Incarcéré d’abord à Sainte-Pélagie, il avait été transféré ensuite à la Force. Partie de Saint-Malo derrière lui, sa femme se prodiguait pour obtenir sa mise en liberté. A peine arrivée, elle s’empressait d’adresser au Comité de Sûreté générale un mémoire dans lequel elle répondait point par point aux griefs allégués contre son mari.

« S’il est une position touchante dans la société, écrivait-elle, c’est celle d’un véritable patriote qui, calomnié sans pouvoir se faire entendre, appelle sur sa justification les regards de ses concitoyens. Tel est, législateurs, le sort auquel le citoyen Lalande Magon fils est réduit. Mais les représentans du peuple sont justes et sensibles ; ils vont écouter les malheureux ; ils vont écouter une mère qui a quitté six enfans chéris pour suivre son époux devenu malheureux. Elle se hâte de présenter au Comité les détails et les témoignages authentiques de la vie irréprochable de son mari ; elle ne veut rien ajouter : les pièces justificatives sont son meilleur appui. »

La vaillante femme abordait ensuite l’examen des inculpations dont Magon de la Lande était l’objet, inculpations calomnieuses, misérables et sans fondement. A des allégations vagues et confuses, elle opposait des certificats qui les démentaient et des faits précis appuyés de preuves. Son mari ayant été accusé d’avoir réalisé une « immense fortune » en pillant le « trésor national, » elle s’attachait à prouver qu’il la devait à ses entreprises commerciales et que, « n’ayant jamais occupé de place qui donne la manutention des deniers publics, » il n’avait pu s’enrichir au détriment du Trésor. Pour démontrer sa probité, sa loyauté, son civisme, son horreur pour l’intrigue, elle invoquait le témoignage de ses concitoyens. En un mot, elle démontrait victorieusement l’entière innocence du prévenu. Devant des juges intègres, cette démonstration eût suffi pour le justifier. Mais il ne pouvait être question de justification pour lui, alors que sa mort était décidée, comme celle de ses parens.

Tandis que Mme Magon de la Lande attendait une réponse qu’elle ne devait jamais recevoir, elle s’efforçait d’apporter quelque soulagement à la douloureuse situation de son mari. Elle était parvenue à séduire les geôliers de la Force ou tout au moins l’un d’eux, et chaque jour, souvent même plusieurs fois par jour, elle écrivait au prisonnier et recevait ses réponses. Nous en possédons plusieurs. Elles permettent de se figurer ce qu’était alors la vie des prisons.

En voici quelques extraits pris au hasard : « J’ai reçu, ma chère amie, les dix-huit abricots et les mouchoirs ; je t’enverrai demain mon linge ; je suis bien aise que tu aies des nouvelles de nos enfans. Je t’embrasse. » — « Il ne faut envoyer aucuns vivres, pas même des œufs, à ce que l’on dit ; c’était cependant une ressource ; il faut se soumettre à la loi. » — « Nous sommes douze dans la même chambre, ma chère amie ; nous avons onze portes pour entrer dans la cour et une seule fenêtre avec des barreaux. Dans une chambre, on nous a offert du pâté et du vin que nous avons accepté, et ce soir nous avons pris une bavaroise. » — « Je te prie de m’envoyer un lit de sangle complet et des draps de lit ; j’en ai d’affreux. »

Tous ces billets se ressemblent : dans presque tous, le prisonnier demande des objets de première nécessité qui lui font défaut dans sa prison. L’un d’eux nous laisse supposer qu’il souhaitait d’être transféré dans une maison de santé et qu’il avait compté, pour réaliser son désir, sur l’influence de son neveu Hérault de Séchelles, qui présidait alors la Convention. Mais il ne dut pas y compter longtemps, car il écrivait ensuite : « Je ne pense pas que Pt (président) réussisse pour la maison. D’après cela, on peut juger de sa bonne volonté et de son crédit qui, je crois, sont dans la même balance. »

Les documens qui nous servent de guide ne nous apprennent rien de plus sur l’existence de Magon de la Lande durant sa captivité à la Force et nous ne le retrouvons que le 30 messidor à la Conciergerie, où il fut conduit quelques heures avant sa comparution devant le Tribunal révolutionnaire. Il devait y rencontrer tous les siens, et parmi eux Magon de la Balue qu’on venait d’y conduire de la prison du Luxembourg, où il était détenu depuis le 16 floréal, c’est-à-dire depuis environ deux mois ; À cette date, il avait dû quitter la maison de santé du citoyen La Chapelle, et sa détention était devenue plus rigoureuse, ainsi que le prouve cette lettre que, quelques jours après son transfert, il écrivait à sa fille, la marquise de Saint-Pern, qu’il croyait en liberté.

« Mes forces diminuent, ma très chère fille ; privé de tout secours et de toute consolation dans cette prison où je suis au secret depuis le 16 de ce mois, le terme de ma trop longue existence peut être prochain. Pendant que j’ai encore ma tête, je vous écris pour vous faire mes adieux et pour vous renouveler, peut-être pour la dernière fois, l’assurance de ma vive reconnaissance de vos tendres soins et de cette véritable amitié dont vous m’avez donné tant de preuves dans tous les temps heureux et malheureux. J’emporte la douleur profonde de laisser après moi bien des malheureux et vous surtout, ma bien-aimée, qui méritez un autre sort. Que je vous plains et vos chers enfans ! Je suis occupé de vous le jour et la nuit, à la réserve du temps que j’emploie à demander au Dieu tout-puissant le pardon de mes péchés et à implorer sa miséricorde.

« J’ai été traité par l’administrateur Pommier (Dupaumier) avec toute la rigueur et la dureté possibles, beaucoup de cruauté, et même avec indécence, car arrivé dans ma chambre où j’étais au lit à minuit, je fus mis nu de la tête aux pieds et tâté partout par lui-même. J’ai été dépouillé de tout ce que j’avais ; on m’a seulement laissé quatre-vingt-dix livres, dont il ne me restait plus que quatre-vingts livres en arrivant à cette prison, après avoir été obligé de payer dix livres pour la voiture qui m’y a conduit.

« C’est le bien de mes créanciers (qui, comme vous le savez, sont un grand nombre) qu’on m’a enlevé ; c’est à eux qu’il appartient de le réclamer.

« Les quatre premiers jours de mon séjour ici, j’ai eu du traiteur de la maison un très mauvais dîner de trois livres ; enfin le cinquième, on m’a envoyé de chez moi du vin et un petit pâté. Depuis ce temps-là, on m’apporte une soupe et quelque autre chose en quantité suffisante pour prolonger ma malheureuse vie.

«… Sûrement vous ne m’oublierez pas, ma chère fille, dans vos ferventes prières ; je me recommande aussi à celles de votre chère fille, de votre vertueuse sœur, de son digne mari, de mon respectable et malheureux frère, de notre fidèle ami de la rue de Richelieu. J’espère aussi que mon fils, sa femme et ma belle-fille se souviendront de leur malheureux père.

« Adieu, ma chère bien-aimée, le Dieu que nous adorons vous donnera des forces pour supporter vos souffrances et vos malheurs ; j’implore sa miséricorde !

« On trouvera cette lettre dans mon petit portefeuille, que j’ai pu conserver et que je chéris parce qu’il vient de vous ; j’espère qu’elle vous sera rendue. »

Cette lettre est datée du mois de messidor, et par conséquent précédait de peu de jours le sanglant dénouement de la tragédie que nous racontons.


III

Le 1er thermidor de l’an II de la République une et indivisible (19 juillet 1794), dix-sept accusés, formant une fournée, comme on disait alors, comparurent devant le Tribunal révolutionnaire. Parmi eux figuraient sept membres de la famille Magon : Magon de la Balue, Magon de la Blinaye, Magon de la Lande, la marquise de Saint-Pern-Magon, son fils Marie-Bertrand, son gendre et sa fille, marquis et marquise de Cornulier. A signaler encore Jean Coureur et Christophe Gardie, anciens employés des Magon, victimes de leur dévouement, Adrien Legris, qui avait exercé jusque-là, les fonctions de commis greffier au Tribunal révolutionnaire et dont les papiers trouvés chez Magon de la Balue avaient déterminé l’arrestation en prouvant qu’il était l’intendant d’un émigré de marque, le duc d’Havre. Il semble d’ailleurs que cette découverte qui devait le perdre fut faite au dernier moment, car on ne l’arrêta que quelques instans avant l’ouverture du procès, à cinq heures du matin, chez lui, étant encore au lit. A sept heures, il était à la Conciergerie ; à neuf heures, il recevait son acte d’accusation ; à dix heures, il comparaissait devant le tribunal, et dans l’après-midi du même jour, il était guillotiné. »

Parmi ces victimes vouées à l’échafaud, une famille noble, la famille Conen de Saint-Luc était représentée par trois de ses membres : le mari, ancien conseiller au Parlement de Bretagne, âgé de soixante-quinze ans, sa femme, cinquante-trois ans, leur fille, trente-trois ans, religieuse dans l’Ordre des Dames de la Retraite, qu’elle avait édifié par ses vertus. Ayant refusé de prêter serment à la Constitution civile du Clergé, Mlle de Saint-Luc était venue, en juillet 1791, rejoindre ses parens au château du Bot, dans le Finistère. C’est là que, le 10 octobre 1793, elle avait été arrêtée avec eux. Comme, pour justifier cette triple arrestation, il fallait accuser les prévenus d’avoir conspiré, on en fit des complices du prétendu complot dans lequel étaient impliqués les Magon. Ils figurent dans l’acte d’accusation comme père, mère et sœur de Saint-Luc fils, émigré. Il y est dit que « des pièces nombreuses prouvent que cette famille n’a cessé d’être l’ennemie de la Révolution, qu’elle conspirait avec tous les scélérats et surtout avec les évêques de Quimper et d’autres contre-révolutionnaires. » À la charge de Mlle de Saint-Luc, on invoque l’envoi fait par elle d’une image du cœur de Jésus à des combattans vendéens, afin qu’elle les protège dans les combats. Avec elle, étaient impliquées Mlles Laroque, deux sœurs dont la cadette n’avait pas trente ans et dont les frères avaient pris part à l’insurrection vendéenne. Leur crime consistait à avoir reçu d’eux plusieurs lettres et à y avoir répondu.

L’acte d’accusation est plus accablant encore pour Magon de la Balue. On l’accuse d’être « le plus cruel ennemi du peuple français, d’avoir déclaré la guerre à la Révolution, fourni aux scélérats coalisés contre la patrie les armes les plus redoutables pour suivre leurs projets parricides. Il est l’homme qui a fourni le plus de sommes en numéraire à tous les conspirateurs qui ont fui le sol de la patrie pour y rentrer les armes à la main. » On signale ses correspondances avec les émigrés. Si l’on n’en cite pas les textes, « c’est pour ne pas retarder sans nécessité la justice que le peuple attend de ses magistrats contre un conspirateur qui est un des principaux auteurs de ses maux. »

Les mêmes griefs sont allégués contre Magon de la Blinaye, qui a correspondu avec les émigrés d’outre-Rhin et de Jersey, et leur a fait passer de l’argent, et contre Magon de la Lande, « qui, en refusant d’obéir à la loi de suppression de tout vestige de la féodalité, a conservé précieusement dans un sac de toile cacheté les parchemins de la tyrannie féodale pour les faire reparaître au moment où Cobourg et York auraient eu subjugué les Français. » Jean Coureur, Christophe Gardie et Adrien Legris sont considérés comme leurs complices. Pour ce dernier, on spécifie qu’il est allé à Mons afin de se concerter avec le duc et la duchesse d’Havre sur l’exécution de leur complot. On lui reproche de leur avoir prodigué, dans sa correspondance, « les dénominations féodales et contre-révolutionnaires de duc et duchesse, » en se faisant gloire d’être leur intendant. Mais, ce qu’on incrimine surtout, c’est le masque de patriotisme dont il s’est couvert, et l’audace qu’il a eue de prétendre à la confiance du Tribunal en y exerçant des fonctions. Le terrible châtiment qui l’attend servira de leçon à ceux qui oseraient l’imiter.

Christophe Gardie, agent de Magon de la Blinaye, n’est pas davantage épargné. On rappelle qu’au cours de la perquisition opérée chez son patron, il a voulu détruire des pièces à conviction dont les débris conservés prouvent qu’il correspondait avec des conspirateurs réfugiés en Angleterre.

Tels sont les faits sur lesquels se fonde Fouquier-Tinville pour établir que les accusés « sont les auteurs de la conspiration dite de Bretagne, de la guerre de Vendée et du fédéralisme, » et qu’ils ont assuré « des succès éphémères aux perfidies et aux trahisons des lâches tyrans coalisés contre le peuple français. » Dans le même acte d’accusation, se lisent les noms du marquis et de la marquise de Saint-Pern-Magon, de leur fille Mme de Cornulier et du mari de celle-ci. A propos du marquis de Saint-Pern-Magon, il y a lieu de rappeler qu’il était au même moment incarcéré à Saint-Malo, mais qu’on l’ignorait, et que c’est son fils, alors âgé de dix-sept ans, qui comparaissait à sa place, sans que l’acte d’accusation mentionnât cette circonstance qui allait rendre le jugement final plus odieux encore. La teneur de cet acte prouve bien en effet que c’est le père, et non le fils, qui était incriminé. « Saint-Pern et sa femme, y est-il dit, étaient aussi les chefs du pian de contre-révolution que toute cette famille suivait avec tant de perfidie et de scélératesse » Le marquis est en outre accusé d’avoir été à Paris, à Saint-Malo et à Rennes « l’agent et le complice des assassinats de Capet envers le peuple dans la journée du dix août. » Pour anéantir les traces de ses complots, il a, de concert avec sa femme, détruit ses correspondances. « Mais ils ne peuvent échapper à la conviction qui s’établit contre eux de toutes les manières. Cornulier et sa femme était aussi complice de la conspiration Magon et l’un des assassins du peuple dans la journée du Dix-Août. » La rédaction défectueuse de cette dernière phrase prouve avec évidence que la marquise de Cornulier a été impliquée après coup dans la même accusation que son mari.

Le terrible réquisitoire que nous venons de résumer avait été rédigé par l’accusateur public Fouquier-Tinville. On peut voir qu’il ne contient aucune preuve de l’existence d’un complot commun à tous les accusés, ni de la participation de la majorité d’entre eux aux faits qu’on reprochait à Magon de la Balue. Il leur fut distribué dans la soirée du 30 messidor, à la Conciergerie où, en vue du procès, ils avaient été tous amenés des diverses prisons où, jusque-là, ils étaient détenus.

Cette réunion donna lieu à des scènes émouvantes, surtout pour les membres de la famille Magon séparés depuis si longtemps. Magon de la Balue, venu de la prison du Luxembourg avec son frère Magon de la Blinaye, eut ainsi la joie de revoir sa famille et d’embrasser avant de mourir sa fille et ses petits-enfans. Sa vieillesse et ses infirmités avaient excité la compassion d’un de ses compagnons d’infortune, un sieur Thomas, marchand de toiles à Soissons, prévenu d’avoir fait évader un prisonnier à Saint-Malo, où il n’était jamais allé. Ce brave homme fut le témoin delà joie du vieillard auquel il avait prêté l’appui de son bras. C’est à lui qu’on doit de savoir que Magon de la Balue avait conservé tout son courage et qu’en ces heures affreuses, il s’efforçait de consoler ses enfans.

— Nous périrons, leur disait-il ; mais, du moins, nous mourrons innocens.

Il est plus aisé de se figurer le spectacle que présentait en ce moment le préau de la prison que de le décrire. Partageant le désespoir des siens, le petit Bertrand de Saint-Pern protestait contre son arrestation. Il ne voulait pas croire qu’on le condamnât à périr et, n’espérant pas que sa sœur serait sauvée, il lui promettait en pleurant de veiller sur ses enfans qui allaient être orphelins. Le jeune marquis de Cornulier était livré à la plus violente douleur, non pour lui, mais pour sa jeune femme. Pour tous ces malheureux, la nuit se passa dans les transes. Le matin venu, ils furent de nouveau réunis, afin d’aller au Tribunal. Le sieur Thomas, dont nous venons de parler, n’y fut pas conduit, étant parvenu à prouver qu’il était l’objet d’une erreur et qu’on le confondait avec un autre. On le ramena au Luxembourg, et comme il se plaignait de cette méprise au directeur de la prison, celui-ci lui déclara qu’il le ferait guillotiner quand même, prédiction qui, fort heureusement pour lui, ne devait pas se réaliser, ce qui ne l’empêcha pas d’ailleurs, au lendemain du procès, d’être porté sur la liste des condamnés, qui se vendait dans les rues de Paris. Un peu plus tard, au procès intenté contre les bourreaux après la chute de Robespierre, il rendra témoignage de toutes les abominations qui se sont déroulées sous ses yeux en ces circonstances tragiques.

Cependant, l’heure était venue, pour les accusés, de monter sur les bancs. Mais, comme ils allaient être entraînés à l’audience, les époux Cornulier refusèrent de s’y rendre, en alléguant qu’ils n’avaient pas reçu leur acte d’accusation ; on avait oublié de le leur remettre. On le leur apporta ; il y était dit « qu’ils avaient assassiné le peuple le 10 août. »

Les scènes qui suivent dépassent en horreur tout ce qui peut être imaginé. On a vu que Bertrand de Saint-Pern n’était pas compris dans l’acte d’accusation où il n’était question que de son père et de sa mère. Il n’en fut pas moins emmené avec les autres. Assis sur les gradins, à côté d’un gendarme dont sa jeunesse avait excité la pitié et qui s’efforçait de le rassurer, il lui avait pris la main qu’il serrait fiévreusement. Il demanda au citoyen Dumas, qui présidait l’audience, à lire son extrait de baptême qui prouvait qu’il n’avait que dix-sept ans, et un certificat duquel il résultait que, le 10 août, il n’était pas à Paris. Dumas lui coupa la parole en disant qu’il n’avait pas besoin de ses attestations. Comme le pauvre petit insistait, le président, se tournant vers le jury, s’écria :

— Citoyens jurés, vous voyez bien qu’en ce moment, il conspire, car il a plus de dix-sept ans.

Le gendarme, qui se nommait Huel, a raconté plus tard cet épisode accablant pour les juges et pour les jurés qui siégeaient ce jour-là.

« Je vis par le propos du président, dépose-t-il, et par un geste expressif d’un juré en cheveux ronds, que ce malheureux jeune homme était perdu. Je retirai ma main. Il médit :

« — Je suis innocent ; je ne crains rien. Mais ta main n’est pas ferme.

« Dumas le fit changer de place. »

Les autres accusés ne furent pas mieux traités. La marquise de Cornulier, échappée seule à cette boucherie, véritable massacre d’innocens, déclarera plus tard que le Tribunal a refusé la parole à son mari et à son frère. Tous auraient pu en dire autant. Lorsqu’ils ouvraient la bouche pour se défendre, on leur imposait brutalement silence. En ces conditions, les débats ne pouvaient durer longtemps ; ils furent brefs et rapides, ou, pour mieux dire, il n’y en eut pas. Ils n’en furent pas moins déclarés clos. Après que Fouquier-Tinville eut prononcé son réquisitoire, les jurés se retirèrent pour délibérer. Les accusés furent ramenés dans la salle où, tout à l’heure, ils étaient réunis, et où ils devaient attendre leur sentence. Là, au milieu des larmes et des angoisses avant-courrières de la mort, — car, à l’exception du jeune Bertrand de Saint-Pern, qui espérait encore qu’on l’épargnerait, tous se savaient condamnés, — les effusions douloureuses recommencèrent.

Dans ce groupe de désespérés, Mme Conen de Saint-Luc se faisait remarquer par son énergie et par son empressement à prodiguer des consolations à tous ceux qui allaient périr avec elle. Un récit de caractère hagiographique, rédigé longtemps après l’événement, et inspiré surtout par le désir de la glorifier, nous la montre s’attachant à relever le courage du marquis de Cornulier, qu’il représente comme abattu et consterné au point d’avoir perdu toute présence d’esprit. Mais les détails qui s’y trouvent tiennent de la légende plus que de la vérité, et ce qui le prouve, c’est que l’auteur fait intervenir un prêtre auquel le marquis se serait confessé, alors qu’il est certain qu’aucun prêtre n’était présent. Ce qui est plus vrai, c’est que le jeune mari avait conservé assez de sang-froid, d’abord pour conseiller à sa femme de se déclarer enceinte, ce qui obligeait à surseoir pour elle à l’exécution du jugement, et aussi pour lui offrir, enveloppée dans un chiffon de papier, une boucle de ses cheveux. Ce chiffon n’était autre que la liste des jurés qui siégeaient à cette audience, et devait plus tard constituer contre eux une charge écrasante.

En ce qui concerne la déclaration de grossesse de la jeune femme, on pourrait douter de sa sincérité, si l’examen médical auquel la condamnée fut soumise, ne prouvait qu’elle était exacte. Une tradition de famille veut que l’état de Mme de Cornulier n’ait été révélé qu’alors qu’elle était déjà montée dans la fatale charrette « hors de laquelle elle avait été alors jetée à coups de pied. » Mais est-il vraisemblable que son mari eût attendu le dernier moment pour utiliser le moyen auquel il avait recouru pour la sauver ? Il est vrai toutefois que, résolue à mourir avec lui, c’est pour leurs enfans qu’elle se résigna à vivre.

Les documens sont muets aussi sur l’attitude des autres accusés. Etant donné ce que nous savons d’eux, on doit supposer que leur résignation et leur courage égalèrent leur infortune. Bientôt rappelés sur les bancs, ils y entendirent prononcer leur arrêt de mort. Bertrand de Saint-Pern y était compris ; on l’avait arrêté à la place de son père, et c’est pour des faits imputés à son père qu’on le condamnait, sans spécifier ni ses prénoms, ni son âge, qui ne furent inscrits qu’après coup dans le jugement. Dans ce jugement était compris le sieur Thomas qui, nous l’avons dit, avait été ramené à la prison du Luxembourg avant l’ouverture de l’audience.

Le même jour, à quatre heures, tous les condamnés étaient conduits à la guillotine, à l’exception de Mme de Cornulier dont l’exécution était ajournée et qu’à quelques jours de là, la chute de Robespierre devait sauver définitivement. Ainsi, se réalisait pour elle la prédiction d’une tireuse de cartes avec qui elle s’était trouvée en prison en même temps que d’autres prévenus. Sollicitée de leur dire la bonne aventure, la nécromancienne s’était écriée :

— Toutes les personnes ici présentes périront bientôt, à l’exception d’un homme et d’une femme.

Un prisonnier s’était alors approché de Mme de Cornulier, et lui avait exprimé l’espoir que c’est elle qui sans doute serait sauvée, parce qu’elle était la plus jeune et la plus intéressante en sa qualité de mère de famille.

L’exécution des condamnés du 1er thermidor portait à douze le nombre des personnes de la famille Magon qui périrent sur l’échafaud, dans l’espace de quelques semaines.


IV

Les événemens qui suivirent la journée du 9 thermidor ont été tant de fois racontés et avec un tel luxe de détails qu’il n’y a pas lieu d’en recommencer le récit. L’Histoire retentit encore des cris de vengeance qui s’élevèrent de tous côtés après la chute du triumvirat dont la France avait subi si longtemps le sanglant despotisme, et des acclamations qui saluèrent son renversement. De ces péripéties, nous n’avons à retenir ici que ce qui a trait aux victimes dont nous venons de raconter les malheurs. Parmi celles qui échappèrent à la mort, la marquise de Cornulier apparaît comme la plus digne de pitié. La grossesse à laquelle elle devait la vie ne vint pas à terme, et ce fut sans doute pour elle un sujet de douleur. Mais elle eut du moins la consolation, au milieu des drames affreux qui assombrissaient à jamais son existence, de voir finir sa captivité, de revoir ses enfans et de pouvoir prier en liberté pour les morts qu’elle pleurait. Nous ne savons si elle souhaitait qu’ils fussent vengés. Mais, si le doute à cet égard existe pour elle, il n’existe pas pour l’immense majorité des Français. La poussée de l’opinion était trop violente pour qu’il fût au pouvoir des nouveaux maîtres de la France d’y résister, encore que plusieurs d’entre eux eussent été les complices de tant de forfaits qui exigeaient une réparation. Ils s’empressèrent d’y céder. L’exécution de Dumas et de Coffinhal qui avaient présidé le Tribunal révolutionnaire, le procès des juges et des jurés de ce tribunal, de l’accusateur public Fouquier-Tinville, et leur condamnation, qu’avait précédée celle de Carrier, donnèrent au pays les satisfactions auxquelles il avait droit.

Pour Fouquier-Tinville et ses co-accusés, au nombre de vingt-sept, les débats s’ouvrirent le 8 germinal de l’an III (28 mars 1795), devant le Tribunal révolutionnaire reconstitué et firent revivre pendant quatre jours les atroces péripéties de l’année précédente dans un nombre considérable de dépositions émouvantes. Un des griefs imputés aux accusés était la condamnation, à la date du 1er thermidor, du jeune Bertrand de Saint-Pern, bien qu’il ne fût pas compris dans l’acte d’accusation. La marquise de Cornulier comparut de nouveau devant le tribunal, mais, cette fois, en qualité de témoin.

— Le 1er thermidor, déposa-t-elle, j’ai passé ici en jugement avec mon grand-père, ma mère, mon frère, mon mari et plusieurs autres accusés. Mon frère, âgé de dix-sept ans, contre lequel il n’y avait aucun acte d’accusation, a été condamné à mort pour mon père, âgé de cinquante-cinq ans, qui, depuis le 9 thermidor, a recouvré la liberté. Mon mari et moi n’avons pas reçu d’acte d’accusation ; mon mari ne voulut pas monter sans l’avoir reçu. On nous en apporta un dans lequel il était dit que nous avions assassiné le peuple le 10 août. Elle venait de faire cette déclaration lorsque le substitut Dardenne, qui siégeait au banc du ministère public, prit la parole pour confirmer son témoignage en ce qui touchait Bertrand de Saint-Pern.

— Les juges et les jurés, dit-il, devaient s’apercevoir que le fils, âgé de dix-sept ans, n’avait pas pour femme sa mère, âgée de quarante-huit ans. Ils n’en ont pas moins condamné le fils pour le père.

Au milieu des frémissemens d’indignation de l’auditoire, Mme de Cornulier reprit :

— Mon père n’était pas à Paris le 10 août ; il fut prouvé qu’il était incarcéré à Saint-Malo. Mon frère n’y était pas non plus ; il montra un certificat de résidence depuis le 1er juillet 1792, de la commune de Meslay, où il demeurait ; il produisit également son extrait de baptême et, lorsqu’il fut arrêté, il n’y avait que trois jours qu’il était à Paris.

Cette déposition, qu’allaient confirmer celles de divers témoins et notamment du gendarme Huel qu’on a vu à l’audience du 1er thermidor, assis à côté de Bertrand de Saint-Pern et commis à sa garde, était accablante pour Fouquier-Tinville et pour les jurés qui avaient condamné. Trois de ceux-ci, Renaudin, Châtelet et Prieur objectèrent qu’ils ne siégeaient pas ce jour-là. Mais la jeune femme, dans la suite de sa déposition, leur opposa un énergique démenti :

— Je déclare que le tribunal qui nous a condamnés à mort refusa la parole à mon mari et à mon frère. Lorsque nous étions dans la chambre des accusés à attendre notre jugement, mon frère, qui ne croyait pas mourir, me promettait de prendre soin de mes enfans. J’ajoute que c’est Chrétien qui m’a arrêtée, le 28 germinal ; j’étais grosse de sept mois ; il ne voulut pas me permettre de rester chez moi sous la garde d’un gendarme. Je déclare que Renaudin, Châtelet et Prieur siégèrent lors de notre jugement ; je me suis rappelé ces noms parce que mon mari, allant au supplice, me remit ses cheveux dans le paquet qui contenait la liste des jurés qui nous fut signifiée. J’offre de représenter cette liste ; elle est chez moi. Une des personnes présentes alla chercher la liste et, un instant après, la lecture qu’en fit le substitut Dardenne démontra que les dénégations des accusés étaient mensongères. On entendit ensuite un citoyen Ducrest, le citoyen Thomas et enfin le gendarme Huel, et ce triple témoignage acheva de prouver que la marquise de Cornulier n’avait dit que la vérité.

A dater de ce moment, après avoir entendu la sentence de mort prononcée contre les meurtriers de ses parens, elle disparaît de la scène et rentre dans la vie privée, pour ne plus s’occuper que des trois enfans qui lui restent et de la reconstitution de leur patrimoine dont le Comité de Sûreté générale s’était emparé. Elle devait vivre longtemps encore et voir s’établir son fils et ses deux filles au début de la Restauration. Quant à ceux de ses alliés qui étaient encore emprisonnés à la date du 9 thermidor, ils avaient été peu après successivement délivrés. Son père, détenu à Saint-Malo, était sorti de prison le 15 janvier, quoiqu’on l’accusât « d’avoir conservé la hauteur des ci-devant classes nobiliaires » et que, pour ce motif, on déclarât qu’il y avait lieu de le surveiller.

Les condamnations prononcées contre Fouquier-Tinville et ses complices n’avaient pas frappé tous les individus dont la cruauté s’était exercée contre la famille Magon. Elles avaient puni de mort plusieurs des juges et jurés, Fouquier-Tinville et Dupaumier, ce directeur de la prison de Bicêtre et du Luxembourg si cruel aux détenus tombés entre ses mains. Mais, Chrétien, qui avait procédé à l’arrestation de la marquise de Saint-Pern et de ses enfans, et s’était durement refusé à laisser Mme de Cornulier en liberté, bénéficia d’un acquittement.

D’autre part, le citoyen Héron, quoique dénoncé à la Convention, arrêté, traduit au Tribunal d’Eure-et-Loir, allait se dérober au châtiment qu’il avait mérité. Berryer se trompe lorsqu’il dit dans ses Souvenirs que ce triste personnage fut exécuté huit jours après le 9 thermidor, puisqu’on le voit, à une date ultérieure, compris dans l’amnistie décrétée par la Convention en faveur des auteurs de délits ou de crimes, qui avaient survécu à tant de tragiques événemens. Au reste, il ne devait pas jouir longtemps de cette impunité. Le 27 pluviôse de l’an IV (16 février 1796), il mourait obscurément à Versailles, où il s’était retiré.

Le conventionnel Le Carpentier, qu’on a vu jouer aussi un rôle dans le drame dont nous achevons le récit, devait survivre longtemps à ses complices. Nous l’avons laissé à Saint-Malo en proie à une véritable rage d’arrestation et continuant à traquer les suspects, sans se douter qu’à une date prochaine, les événemens allaient le précipiter du piédestal sur lequel il s’était hissé. Il s’en doutait si peu qu’il s’apprêtait à envoyer au Tribunal révolutionnaire de nouvelles fournées, et que, le 5 thermidor, rendant compte au Comité de Salut public de sa mission, il se vantait d’avoir expédié à Paris, de Cherbourg, de Valognes, de Carentan, de Coutances et d’Avranches 131 prisonniers. Nous ignorons pour quelle cause ne figurent pas dans cette nomenclature ceux qu’il avait envoyés de Saint-Malo au Tribunal révolutionnaire.

C’est dans ces circonstances que, le 13 de ce même mois de thermidor, il recevait la nouvelle de ce qui s’était passé dans la capitale, le 9. Il semble, à en juger par son attitude, qu’il n’ait pas prévu d’abord que l’événement allait mettre un terme à la Terreur et le déposséder, lui comme tous ses pareils, de la puissance dont il avait fait un si criminel usage. A peine averti, il convoque les autorités civiles et militaires et leur fait connaître la révolution qui vient de s’accomplir. Le soir du même jour, il en fait part à la Société populaire qui est à Saint-Malo la succursale du club des Jacobins. Le lendemain, il se rend pour le même objet au camp de Paramé et enfin, montant dans une barque, il va apprendre la nouvelle aux équipages des vaisseaux mouillés en rade.

Partout, il brode sur le même thème : « Robespierre, Saint-Just, Couthon, ont conspiré contre la liberté, et la mort n’a été rien auprès de l’énormité de leur crime. » Oubliant que, la veille encore, il considérait les triumvirs comme ses amis, comme ses protecteurs, comme les plus puissans champions de la République, et qu’il leur prodiguait jusqu’à la plus basse servilité les flatteries et les louanges, il les accable de son indignation et de toutes les invectives que lui suggère son prétendu patriotisme. Ses proclamations, ses lettres aux Comités de Salut public et de Sûreté générale s’inspirent de ces sentimens qu’on peut croire plus joués que réels, et qui trahissent, en même temps que ses craintes, le désir de gagner les bonnes grâces des nouveaux maîtres de la France. Il apostrophe les tyrans qui ne sont plus et dont, la veille, il se faisait gloire d’être le courtisan.

« Quel étoit donc votre délire, audacieux conspirateurs, qui, osant vous croire essentiellement dépositaires de cette confiance trop longtemps accordée à la fausse apparence de vos vertus, vous n’avez pas craint de la tourner contre le peuple même, en voulant substituer un nouveau despotisme à la liberté ? Quoi, aviez-vous donc espéré que vos têtes coupables seroient inaccessibles à la hache de la loi ! Malheureux ! ne saviez-vous pas que le peuple entier avoit juré la mort aux tyrans de toutes les espèces, et que prétendre rétablir le trône, ou atteler la république au char du Triumvirat, c’étoit la même chose que prétendre anéantir 25 millions d’hommes qui ne vivent que pour la liberté ? Allez, perfides, allez rejoindre les ombres criminelles de vos précurseurs dans le chemin de la tyrannie. Vous n’êtes plus ; mais, vos noms chargés de l’exécration d’un peuple qui vous avoit cru ses défenseurs, et dont vous étiez les plus atroces ennemis, iront de siècle en siècle effrayer le crime jusques à la postérité. »

Sincères ou non, ces accens ne devaient pas être entendus de ceux à qui il les adressait, ni le mettre à l’abri des vengeances qu’il avait encourues. Le 6 août, il recevait du Comité de Salut public l’ordre de rentrer immédiatement à la Convention. Il dut sans doute s’inquiéter d’être ainsi rappelé. Mais il dissimula ses inquiétudes : ses réponses ne témoignent que de sa joie « de reprendre sa place dans le temple de la Liberté. » En même temps, il annonçait l’envoi au Comité d’une somme de 700 000 livres, saisie par lui chez des suspects, fugitifs ou arrêtés. Le 10 août, il célébrait l’anniversaire de la chute du tyran Capet et laissait entendre à ses confidens qu’à l’arrivée à Paris des députés absens, la Montagne triompherait de nouveau, écraserait la Plaine et tirerait la Convention du modérantisme où elle était plongée.

Dans les premiers jours de septembre, il était à Paris et reprenait son siège dans l’Assemblée. Durant les mois qui suivent, il n’est question de lui que dans les dénonciations qui arrivent de toutes parts à la Convention et qu’il semble dédaigner parce qu’il croit encore que ses collègues n’en tiendront pas compte. Mais, le 23 avril 1795, trois délégués de Saint-Malo, et parmi eux, un membre de la famille Magon, Magon de la Gervaisais, se présentent à la barre de la Convention et sont bientôt suivis de ceux de Coutances. Ils confirment les accusations précédemment envoyées. Ils dénoncent « le nouveau Cromwell, l’émule de Carrier et de Lebon, le proconsul féroce, ses forfaits, ses vols, ses indélicatesses et son luxe insolent. » Autant de plaintes, autant de réquisitoires écrasans. Quant à lui, ses protestations ne lui attirent que railleries. Il rédige alors un mémoire pour sa défense et il peut se croire sauvé lorsque, à l’issue de la tragique séance du 1er prairial, sa mise en arrestation est demandée par un représentant resté inconnu, et qui dit de lui qu’il a été le bourreau de la Manche.

A dater de ce moment, commencent pour le terroriste d’hier de cruelles aventures. Arrêté le même jour, emprisonné d’abord au Fort du Taureau à Morlaix, remis en liberté au moment où expiraient les pouvoirs de la Convention, il regagne Valognes, sa ville natale, et il y vit misérablement pendant la durée du Directoire, du Consulat et de l’Empire, objet du mépris des uns et de l’indifférence des autres. Une affaire louche le fait rayer, en 1809, du tableau des avocats de cette ville, sur lequel il s’était fait inscrire. Le premier retour des Bourbons le trouve dans un état voisin de la pauvreté. Il ne se préoccupe d’ailleurs que de se faire oublier.

Pendant les Cent-Jours, il relève la tête ; il signe l’Acte additionnel, ce qui lui vaut, quand les Bourbons reviennent, d’être proscrit : il part alors pour l’Angleterre. Mais, en débarquant à Portsmouth, il apprend que l’accès du territoire britannique lui est interdit. Il retourne alors dans son pays natal. Il y reste caché, malgré les recherches de la police, jusqu’au 6 décembre 1819. À cette date, il se laisse prendre à Helleville et, traduit en cour d’assises, il est condamné à la déportation, peine bientôt commuée en celle de la détention perpétuelle. Il est alors emprisonné au Mont Saint-Michel, où il meurt neuf ans plus tard, le 27 janvier 1828, ayant manifesté depuis longtemps, disent ses biographes, son repentir et son retour à la religion. Avec lui disparaissait le dernier des persécuteurs de la famille Magon.

Ce n’est pas seulement dans l’existence de douze de ses membres que la famille Magon avait été frappée. Elle l’avait été aussi dans leur fortune. Il fallut bien des jours pour qu’ils en recouvrassent les débris. Les héritiers de Magon de la Balue se trouvaient particulièrement atteints. Des biens de leur aïeul, estimés de son vivant à neuf millions, des sommes qui lui étaient dues, notamment par la liquidation Le Normand, il n’y avait guère que la créance sur le Comte d’Artois qui leur offrit une ressource réalisable. Cette créance était double : d’une part, les avances faites au prince sur ses revenus avant son émigration, et s’élevant à 2 750 660 francs, intérêts compris ; d’autre part, les 600 000 francs qui lui avaient été envoyés à Coblentz en 1792. Pour les avances antérieures à 1789, les héritiers du banquier obtinrent promptement une première satisfaction. Grâce à des influences qui s’exercèrent en leur faveur, ils parvinrent à se faire inscrire sur la liste des créanciers du prince auquel, lors de la saisie de ses biens, l’État s’était substitué pour les désintéresser. Leur créance fut liquidée en une inscription de rente de 137 844 francs représentant, « au denier vingt, » le capital qui leur était dû. Mais, par suite de la conversion des rentes en tiers consolidé, décrétée peu après, leur revenu se trouva réduit à 45 000 francs. La nécessité où ils se trouvèrent ensuite, pour faire face à des besoins urgens, de vendre partie de leurs titres, alors que les cours étaient très bas, le réduisit encore. Du capital initial, il ne leur resta bientôt plus que 426 000 francs.

L’opération était d’autant plus désastreuse qu’elle avait libéré le débiteur, sinon en fait, du moins en droit. De ce chef, le créancier n’avait rien à exiger de lui et ne pouvait attendre de dédommagement que de sa bonne foi et de sa loyauté. Mais il eût été vain d’y recourir, alors que la seconde portion de sa dette, — les 600 000 francs touchés à Coblentz par ses agens, — n’était pas encore remboursée et ne pouvait l’être tant que son exil n’aurait pas pris fin. C’est ce remboursement que réclamèrent d’abord les héritiers et qu’ils s’attachèrent à obtenir lorsque, après la rentrée des Bourbons, ils jugèrent opportun de faire valoir leurs droits.

Le Comte d’Artois reçut la marquise de Cornulier et se reconnut sans hésiter le débiteur de la somme réclamée. Mais, encore hors d’état de s’acquitter, il l’invita, ainsi que les co-héritiers au nom desquels elle lui parlait, à prendre patience, ce à quoi ils consentirent. Ils s’assuraient ainsi sa protection. Elle leur valut divers menus avantages, de maigres pensions aux moins fortunés d’entre eux, des bourses de collège pour les enfans et la nomination du fils de la marquise de Cornulier comme officier dans les chevau-légers de la garde du Roi, faveurs accordées alors à beaucoup d’émigrés et qui ne coûtaient rien à ceux qui les accordaient.

Les années s’écoulèrent sans amener de changement dans la situation du Comte d’Artois, et pendant lesquelles les héritiers gardèrent le silence. Ils ne le rompirent que lorsque le prince, succédant à son frère, devint roi de France. On voit alors leurs réclamations se renouveler, se succéder des placets et des mémoires où sont rappelés les origines de la créance, les témoignages de dévouement prodigués par les Magon à la famille royale, les preuves qu’ils en avaient données et qui avaient coûté la vie à douze d’entre eux. Mais, on voit aussi le Roi faire la sourde oreille, tergiverser, se dérober, et le duc de Doudeauville, ministre de sa maison, alléguer, tout en reconnaissant la dette, « les difficultés dont il n’est pas le maître » qui en retardent le paiement. On dirait que Charles X a oublié les engagemens du Comte d’Artois. Finalement, on renvoya les réclamans au ministre des Finances qui ne leur répondit même pas. Quoique l’inefficacité de leurs réclamations eût été dénoncée à la tribune de la Chambre des députés, toutes leurs demandes restèrent sans résultat.

Lorsque la Révolution de 1830 renversa le trône de Charles X, ils n’étaient pas encore remboursés ; ils ne le furent qu’en 1832, à la suite d’un procès qui leur donna gain de cause en partie seulement. Le jugement rendu le 9 mars de cette année, considérant que le prêt de 1792 avait été fait non en francs, mais en livres, réduisait à 592,592 francs la somme qu’ils réclamaient. Quant aux intérêts, il les faisait courir du jour où l’action judiciaire avait été intentée, c’est-à-dire du 18 mai 1831. Il passait l’éponge sur ceux des quarante années précédentes. Ce jugement, oublié aujourd’hui, constitue l’épilogue de la conspiration Magon. Pour l’honneur de la mémoire de Charles X, on voudrait un autre dénouement à ces tragiques péripéties.


ERNEST DAUDET.

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1911.
  2. Le Conventionnel Jean-Baptiste Le Carpentier, par A. de Brachet. Granville, Deschamp, éditeur, 1910.
  3. Les passages soulignés ici le sont dans le procès-verbal et l’ont été sans doute par Héron, chargé de le transmettre à Fouquier-Tinville.