La Conversion d’Isnard

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La conversion d’Isnard
Eugène Welvert

Revue des Deux Mondes tome 30, 1905


LA
LA CONVERSION D’ISNARD[1]


I

Avant d’entrer dans la vie politique, Maximin Isnard, celui qu’on a appelé, par paresse de langue, le girondin Isnard, n’avait point d’histoire. Il appartenait à cette grande foule anonyme du Tiers État, qui, surtout dans le Midi et plus particulièrement en Provence, s’agitait, se travaillait, et fit la Révolution. Né à Grasse, « la gueuse parfumée[2], » sur les dernières pentes d’une colline fouettée par le mistral, rôtie par le soleil, toute vibrante de cigales, tout odorante de mille effluves, à trois lieues et en face de la grande mer d’azur, on devine sans peine quelle influence ce sol dut avoir sur sa parole violente, enflammée, aux images grandioses et imprévues. Il est plus que probable qu’il fit ses études, et de bonnes études, au collège que les Oratoriens étaient venus fonder à Grasse, quand il avait huit ans. La Révolution, qui doit tant d’hommes à l’Oratoire, lui doit-elle Isnard ? On ne sait. Du moins, ses maîtres lui apprirent-ils à aimer les classiques de l’antiquité, Démosthènes, Plutarque et Cicéron ; on le voit, sinon à ses discours, du moins à quelques-uns de ses écrits[3]. Mais ce qu’ils ne lui apprirent certainement pas, ce qu’il apprit tout seul, aux heures dérobées, c’est à lire Jean-Jacques Rousseau, qui incendiait alors tant de jeunes imaginations : il embrasa la sienne d’un feu qui ne s’éteignit jamais.

Cependant le cercle domestique dans lequel il avait pris naissance, et celui dans lequel allait l’introduire son mariage, n’avaient rien de commun avec la littérature, si l’on en juge aux apparences ; et c’est ce qui déconcerte un peu, quand on essaye de démêler, dans le passé d’Isnard, les fils conducteurs de sa destinée. Issu d’un père qui devait à la fabrication et au commerce des savons une belle aisance, il n’avait pas encore tout à fait vingt et un ans, lorsqu’il épousa à Draguignan, le 24 novembre 1778, Françoise-Emmanuelle-Marguerite Clérion, fille d’un riche parfumeur en gros de cette ville : le même jour et dans la même église, son frère aîné conduisait à l’autel la sœur de Françoise-Emmanuelle. Suivant contrat passé la veille, la dot de la future se montait à 50 000 livres, tandis que le futur en apportait lui-même 85 000. Son beau-père l’associait aux affaires de son commerce pour cinq ans, sous la raison sociale Clérion et Isnard cadet, mais il se réservait la gestion de la caisse et la signature, vu la minorité de son gendre. A partir de ce jour et pendant plus de dix ans, une obscurité presque complète couvre l’existence d’Isnard[4]. Absorbé sans doute par l’importance de son négoce à Draguignan, par la direction d’une fabrique de savons qu’il avait fondée à Saint-Raphaël et d’une maison de banque qu’il y avait jointe, les seules dates qui jalonnent cette longue période sont celles des naissances de ses quatre premiers enfans. Mais dès que la voix puissante de Mirabeau fait rouler son tonnerre sur la Provence, elle rencontre dans l’âme du jeune industriel un écho d’une sensibilité, d’une ampleur, d’une sonorité inattendues. Impatient du joug, — c’est lui-même qui parle, — il frémit, il s’enflamme, il se redresse avec force ; il assemble et harangue le peuple, sonne le tocsin de la liberté, électrise et porte l’épouvante dans le cœur des privilégiés. Son langage, jugé séditieux, est dénoncé au parlement d’Aix ; il est décrété de prise de corps, et deux dragons vont pour l’arrêter. Mais il s’enfuit de toits en toits, au risque de se rompre le col, franchit la frontière toute voisine, et, du fond de l’asile où il se cache, se croyant exposé, lui et les siens, aux pires destins, il compose, à l’adresse de sa femme[5], une sorte de testament spirituel dans lequel son imagination, surexcitée par le danger, se donne libre carrière. Ne sourions pas trop à la lecture de ce morceau : Isnard, naturellement lyrique, pensait sincèrement ainsi, et rappelons-nous que la Nouvelle Héloïse, tout entière, est écrite dans ce style-là :


« O femme trop sensible ! Quelles doivent donc être les alarmes depuis que tu vois cette tête qui t’est chère, courbée sous la hache des bourreaux ? Habites-tu au milieu de nos enfans, ou bien n’ont-ils plus de mère ? Hélas ! je l’ignore, et c’est mon plus cruel tourment. Ah ! si jamais je revole dans tes bras, que d’amour ! que de félicité ! Par quels excès de tendresse je te ferai oublier les maux que te causa l’excès de mon patriotisme ! Comme j’apprécierai les charmes de la vie obscure et champêtre ! que d’expérience acquise à l’école de l’adversité !… Ma patrie, mon père, toi, nos enfans, mes foyers, des livres et des arbres, voilà mes vrais biens sur la terre. Si je venais à la quitter bientôt, sèche tes larmes en songeant que je meurs martyr de la liberté. Offre à notre Jean-Jacques mon dévouement à imiter ; qu’il hérite de ma haine implacable pour les tyrans, de mon idolâtrie pour la liberté ; qu’il soit digne de la République et, j’ose dire, de son père. Pénètre-le du dogme si consolant de l’immortalité de l’âme, qui le rendra, comme moi, invulnérable à tous les coups du sort. Inspire tes sentimens, tes vertus à l’intéressante Aimée, à Cécile, à Emilie ; apprends-leur à braver l’infortune, la misère. Il est un dernier vœu que je forme et que je te prie d’effectuer : c’est d’ensevelir quelques restes, ou du moins quelque représentation de mon être au pied d’un chêne ; et si jamais un temps arrive où tu puisses, sans risque, indiquer cet arbre à tes concitoyens, tu graveras alors sur son écorce :


CI-GIT ISNARD QUI SUT BRAVER
TOUS LES TYRANS DE SA PATRIE.
IL A PERDU LA VIE
PROSCRIT PAR UN SÉNAT QU’IL A VOULU SAUVER. »


Jusqu’ici, des idées religieuses d’Isnard, nous ne connaissons encore rien. Si son nom figure dans le procès-verbal de l’inauguration de la loge maçonnique Le Triomphe de l’Amitié, fondée à Draguignan en 1785, sa présence à cette cérémonie n’a peut-être[6] pas la signification qu’elle aurait eue en d’autres temps. Toutefois, de l’apostrophe à sa femme qu’on vient de lire, retenons le passage où il parle de l’immortalité de l’âme. Pour le moment, cette idée n’est encore sans doute qu’une doctrine philosophique. Mais de tous les chemins qui mènent ou ramènent à la foi, la philosophie n’est pas le moins fréquenté. Cette faible lueur qui commence à l’éclairer de loin, dans une première heure de détresse, va subir une forte et inquiétante éclipse ; mais elle devait grandir et, comme un phare, guider sa barque pour l’amener au port.


II

Nous retrouvons Isnard, deux ans après, à l’Assemblée législative, où ses compatriotes du Var l’avaient envoyé. Celui qui écrira l’histoire de sa vie publique aura des choses intéressantes à dire sur son rôle dans cette assemblée. Il aura à déterminer sa part d’influence sur la politique du groupe dont il prit tout de suite la tête, aux côtés de Brissot, de Vergniaud, de Gensonné, de Guadet, de Condorcet. Il rappellera ses harangues qui, dès le début, le classèrent au premier rang des orateurs, et il n’aura pas de peine à montrer par où se distingue, de celle de ses émules, son éloquence chaude, spontanée, audacieuse, qui soulevait l’auditoire et déchaînait tour à tour la colère et l’enthousiasme.

Le nom d’Isnard est inséparable de deux des principales questions qui furent livrées aux débats de l’Assemblée ; et il se trouve aussi que, pour l’histoire de ses idées, la seule qui nous intéresse ici, elles sont de première importance : celle des émigrés et celle des prêtres insermentés.


Lorsque Gensonné eut déposé son rapport sur les troubles de la Vendée et conclu à des mesures contre les prêtres auxquels il les attribuait, Isnard monta à la tribune. C’était la première fois. Qu’on se représente un homme corpulent, sanguin, à la voix forte, mordante et emportée[7]. Exalté par le danger que pouvait faire courir au pays un clergé en révolte, il réclama contre les prêtres réfractaires les peines les plus rigoureuses : « La religion, — s’écria-t-il au milieu d’une tempête d’applaudissemens et de murmures, — la religion doit être considérée dans ce moment comme un instrument avec lequel on peut faire infiniment plus de mal à la société qu’avec tout autre, et c’est pourquoi je soutiens que la loi doit être plus sévère contre tous ceux qui s’établissent les intermédiaires entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes, parce que, comme dit Montesquieu, le prêtre a de si grandes menaces devers lui et de si grandes promesses !… Il prend l’homme au berceau et le conduit à la tombe ; il n’est pas surprenant qu’il ait de si grands moyens de séduire le peuple, et c’est pour cela que vous devez le punir d’autant plus sévèrement lorsqu’il en abuse…

« Il faut chasser de France les prêtres perturbateurs ; si j’osais me servir d’une expression triviale, je dirais que ce sont des pestiférés qu’il faut renvoyer dans les lazarets de Rome et d’Italie… A ceux qui nous disent que rien n’est plus dangereux que de faire des martyrs, je réponds que ce danger n’existe que lorsqu’on persécute des hommes vertueux et fanatiques ; et il n’est question ici ni d’hommes vertueux, ni de fanatiques, mais d’hypocrites et de perturbateurs… Le prêtre n’a pas le caractère assez résolu pour prendre un parti ouvertement hostile ; il est, en général, aussi lâche que vindicatif ; il est nul au champ de bataille ; les foudres de Rome s’éteindront sur le bouclier de la Liberté. » Sans aller jusqu’à décréter l’exil des prêtres réfractaires, comme le demandait Isnard, l’Assemblée imposa le serment civique à tous les ecclésiastiques. Ceux qui s’y refuseraient seraient privés de leur traitement et déclarés suspects ; quant aux perturbateurs, on les jetterait en prison. Ainsi, dans son fanatisme anti-clérical, pour parler la langue d’aujourd’hui, Isnard dépassait la majorité d’une assemblée qui n’était cependant pas tendre envers le clergé.

L’antipathie qu’il ressentait à l’égard de la religion et de ses ministres n’eut alors d’égale que l’indignation provoquée en lui par les menées des émigrés. Ici encore, à l’avant-garde de son parti, et donnant la main à Brissot, il désapprouva le mélange de fermeté et de douceur qu’avait conseillé Condorcet en un discours cependant très applaudi, et il appela sur la tête des Français qui persistaient à demeurer à l’étranger, comme sur celle des princes qui leur donnaient asile, toutes les foudres de la nation irritée. On n’était encore qu’au mois de novembre 1791 : Brunswick n’avait pas lancé son manifeste, la patrie n’était pas en danger. Entraînée cependant par Isnard, l’Assemblée déclara en état de conspiration tout Français faisant partie des attroupe-mens formés hors du royaume, et prononça la peine de mort contre ceux qui n’auraient pas déposé les armes au 1er janvier 1792. Elle délégua, de plus, vers Louis XVI, comme le voulait encore Isnard, quelques-uns de ses membres pour lui demander d’inviter les princes allemands à dissiper les rassemblemens qu’ils toléraient sur la frontière. Et quand le président de cette députation dit au Roi : « Si des princes d’Allemagne continuent de favoriser des préparatifs dirigés contre des Français, les Français porteront chez eux, non le fer et la flamme, mais la liberté, » cette première menace officielle de la Révolution à l’Europe était l’écho des paroles mêmes d’Isnard.


III

Commencé sur les bancs de l’Assemblée législative, le grand duel de la Gironde et de la Montagne se poursuivit à la Convention, avec quel redoublement d’acharnement, ce n’est pas ici le lieu de le redire. Isnard y reparut, toujours au premier rang, toujours aussi intrépide. Lors du procès de Louis XVI, il se montra conséquent avec lui-même. Dans la précédente assemblée, dès le 3 août 1792, on l’avait entendu démontrer que la conduite du Roi n’était qu’un tissu de parjures et d’hypocrisies, et, le soir même, au club des Jacobins, son discours lui avait valu d’être salué comme « un vrai héros de la liberté. » Plus avancé que la majorité de son groupe qui, si elle travaillait avec ardeur à renverser la royauté, ne voulait pas, semble-t-il, la mort du Roi, Isnard vota la mort, sans appel ni sursis. Puis les partis, un instant distraits par le procès, reprirent leur querelle. Mais la Montagne avait trouvé à l’Hôtel de Ville et dans les faubourgs de redoutables auxiliaires. De jour en jour plus audacieuse et plus insolente, la Commune dictait maintenant ses lois au législateur. Isnard, comme la plupart des députés de province, aimait peu Paris, cet État dans l’État ; il avait le culte de la loi et de la représentation nationale. « La loi, — s’était-il écrié un jour à la tribune, — la loi, c’est mon Dieu, le seul que je connaisse ! » Et voilà que le sanctuaire de la loi était, à chaque instant, envahi et profané. Une sourde colère, — celle du prêtre dont on briserait l’autel, — grondait en lui : elle n’attendait, pour éclater, que l’occasion.

Le 25 mai 1793, une députation de la Commune se présenta à la barre pour sommer la Convention de remettre en liberté Hébert arrêté par son ordre. Isnard présidait. On connaît sa réponse : « Ecoutez ce que je vais dire. Si jamais, par une de ces insurrections qui, depuis le 10 mars, se renouvellent sans cesse, il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare, au nom de la France entière, Paris serait anéanti, et l’on chercherait bientôt sur les rives de la Seine la place où cette ville aurait existé. Souvenez-vous que le glaive de la loi, qui dégoutte encore du sang du tyran, est prêt à trancher la tête de quiconque voudrait rivaliser de pouvoir avec la Convention nationale. » L’émeute recula. Mais, rendue plus furieuse par cette menace même, elle revint aussitôt à l’attaque. En deux jours, le 31 mai et le 2 juin, la Gironde était anéantie.

Sentant que sa tête n’était plus solide sur ses épaules, Isnard, plus habile ou plus heureux que les proscrits du 2 juin, n’avait pas attendu de tomber au pouvoir de ses ennemis : suivant la proposition du Comité de Salut public, il s’était « suspendu » lui-même de ses fonctions, et, dès lors, prisonnier sur parole dans Paris, il put, au moins pendant quelque temps, se croire à l’abri des vengeances de la Commune. Mais la Commune ne le perdait pas de vue : elle attendait seulement son heure. Le 28 septembre, un des jurés du tribunal révolutionnaire, accompagné d’une force armée, l’arrêta en pleine rue. On le conduisait à la Conciergerie, lorsqu’il obtint qu’en passant devant le Comité de Sûreté générale, on l’y fît monter pour l’aviser de son arrestation. Le Comité, qui savait bien qu’Isnard n’était sous le coup d’aucun mandat, ne pouvait que le remettre en liberté. Ce fut un court répit : cinq jours plus tard, il était compris parmi les députés que la Convention, sur le rapport d’Amar, décrétait d’accusation. Il alla chercher et trouva un asile au fond du faubourg Saint-Antoine ; l’asile était précaire, car, quelques mois plus tard, quand il fut mis hors la loi, comme Girondin fugitif et l’un des chefs du fédéralisme, deux commissaires et douze hommes armés étant venus perquisitionner dans le lieu qu’il habitait, il s’en fallut de rien qu’il ne fût découvert. Etendu sur le dos, dans une fosse étroite qu’il s’était creusée en terre, il entendit pendant un quart d’heure les gendarmes marcher au-dessus de sa tête[8]. Cette alerte le décida à quitter Paris, au risque de se faire vingt fois reconnaître et arrêter en route. Il réussit cependant à se réfugier quelque part en province, en Dauphiné, croit-on, chez des amis qui n’osèrent ou ne purent lui donner, pour abri, qu’une grotte parmi des rochers. C’est là qu’il semble avoir vécu jusqu’à la fin de la Terreur. Très ému des dangers auxquels il venait d’échapper, s’attendant à chaque instant à être repris et traîné au supplice, comme la plupart de ses amis ; la conscience inquiète des persécutions auxquelles il avait eu si grande part ; et qui, maintenant, se retournaient contre lui ; troublé surtout du mal qu’il avait dit de la religion, une grande révolution s’opéra alors chez ce grand révolutionnaire : il se convertit.

« Le décret, — dit-il dans l’opuscule où il raconta plus tard sa proscription, — le décret qui me mit hors la loi, sembla me mettre aussi hors des peines de la vie et m’introduire dans une existence nouvelle et plus réelle. Si je n’eusse jamais été proscrit, emporté comme tant d’autres par une sorte de tourbillon, j’aurais continué d’exister sans me connaître ; je serais mort sans savoir que j’avais vécu ; mon malheur m’a fait faire une ; pause dans le voyage de la vie, durant laquelle je me suis regardé et reconnu ; j’ai vu d’où je venais, où j’allais, le chemin que j’avais fait et celui qu’il me restait à parcourir, les faux sentiers que j’avais suivis et ceux qu’il me convenait de prendre pour arriver au vrai but.

« Il m’est impossible d’exprimer quelles jouissances m’ont procurées ce silence, ce recueillement absolu, cette possession continuelle de ma pensée, cette étude suivie de mon être, ces fruits de sagesse et d’instruction que je sentais éclore en moi, cet abandon de la terre, ce lointain d’où j’apercevais et jugeais les criminelles folies des hommes, cette adoration sincère et croissante de la vertu, cette élévation intellectuelle vers les objets grands et sublimes, et surtout vers l’auteur de la nature, ce culte libre et pur que je lui adressais sans cesse.

« Je me promenais seul dans un jardin, environ trois heures chaque nuit. Le spectacle de la voûte étoilée, le seul qui s’offrît à ma vue, fixait presque continuellement mes réflexions. Ah ! qu’elles étaient salutaires et ravissantes !… Qu’il est sublime ce livre sans cesse ouvert sur nos têtes, tracé de la propre main de l’être incréé, et dont chaque lettre est un astre ! Qu’il est heureux celui qui sait y lire ce que j’y voyais en traits de feu, en hiéroglyphes solaires : existence de Dieu, immortalité de l’âme, nécessité de la vertu. Retenu quelquefois, couché sur du gazon ou assis sur une pierre, jusques à deux heures du matin dans mes admirations méditatives, et devenu par elles aussi persuadé que Socrate de l’immortalité de nos âmes, je m’écriais, en regagnant ma retraite : « S’ils m’égorgent aujourd’hui, demain tous ces soleils brilleront sous mes pieds[9]. »

Réintégré, non sans difficulté, à la Convention dans les mois qui suivirent la mort de Robespierre, Isnard se signala par le zèle avec lequel il alla réprimer l’insurrection marseillaise de germinal an III. Il passa ensuite au Conseil des Cinq-Cents et s’y fit peu remarquer ; le sort l’en ayant exclu en 1797, il disparut définitivement de la scène politique.


IV

Alors s’ouvre une nouvelle phase de l’existence d’Isnard. Il se retira dans une campagne des environs de Grasse, sur les bords de la Méditerranée, voyant peu de monde, mais ayant constamment sous les yeux la mer, le ciel et la nature. Il consacrait une partie de ses loisirs à sa femme[10] et à ses jeunes enfans dont il avait été si longtemps séparé et que si longtemps il avait désespéré de revoir ; il employait l’autre à poursuivre les méditations et les études de philosophie religieuse auxquelles il avait pris goût durant les longues heures de sa réclusion. Ce temps de recueillement aboutit, en 1802, c’est-à-dire au moment même où le culte se relevait en France, à la publication d’un discours sur l’immortalité de l’âme[11], premier crayon d’un ouvrage plus étendu qu’il projetait, qu’il écrivit peut-être, mais qui est resté inédit.

Ce travail se compose d’un texte assez court et de notes fort étendues qui en font surtout l’intérêt. C’est là en effet qu’il explique comment il fut conduit à s’occuper du problème de l’immortalité, et la manière dont il s’y prit pour le résoudre. Tout à l’heure, en l’an III, c’était le poète qui chantait ses premières émotions religieuses. Sept ans ont passé depuis lors. A la fleur fraîche éclose de son enthousiasme a succédé le fruit mûr de la réflexion. Maintenant le poète assoupi se réveille encore parfois ; mais le plus souvent, c’est le penseur, et le penseur chrétien, qui parle. La bouche d’Isnard n’était pas habituée à ce langage : il dut produire un singulier effet sur ceux qui l’avaient entendu autrefois. On en jugera par ces quelques extraits :


«… Mes opinions sur l’immortalité de l’âme et sur les autres points de métaphysique religieuse que j’ai désignés dans ce discours, ne tiennent nullement, comme on pourrait le croire, à la vivacité de mon imagination, à la sensibilité de mon âme ; elles sont le fruit de la plus profonde réflexion, et je puis dire que peu d’hommes se sont trouvés à même de réfléchir là-dessus aussi longtemps et aussi sérieusement que moi. Je dois cet avantage aux malheurs de la Révolution. Proscrit, condamné pour un acte de dévouement envers ma patrie, la Providence, sans me faire quitter Paris, me retint emprisonné dans une retraite isolée, où, n’apercevant en arrière que mon échafaud dressé, devant moi que le soleil, la nuit et la nature, n’ayant plus d’autre intérêt ici-bas que de réfléchir sur Dieu, sur mon âme, sur la religion, je me livrai tout entier à une méditation sur les objets métaphysiques et religieux, qui dura seize mois pendant quinze heures par jour, et certes on ne réfléchit jamais plus profondément qu’au pied de l’échafaud !

« Je retrouvai dans mon cœur ces germes religieux qu’une saine éducation y avait semés dans l’enfance, et qui, si longtemps étouffés par la prospérité, se ravivaient dans le malheur.

« Mais si mon âme était entraînée vers la religion, mon esprit répugnait à réfléchir sur ses dogmes et mystères, que je trouvais absurdes. Je ne pouvais les croire, parce que je n’avais pu les expliquer.

« Ceux qui, en matière religieuse, ont tant fait une fois que de soumettre à l’examen rigide de leur faible raison ce que tant de gens mieux avisés croient sans même y réfléchir, ne peuvent plus trouver vrai que ce qui leur est assez démontré pour les frapper d’une entière conviction. Ils veulent absolument qu’on leur prouve tout, et je me trouvais dans ce cas. Il faut alors que ces sceptiques en fait de religion restent égarés dans le dédale de la métaphysique ; ou bien qu’à force de méditation et de philosophie, ils parviennent à soulever presque tous les voiles du sanctuaire, et à parcourir le cercle entier des connaissances religieuses, pour revenir enfin, les yeux ouverts et un flambeau à la main, dans le même endroit où l’humble foi les aurait laissés paisiblement, son bandeau sur les yeux.

« J’ai heureusement parcouru le cercle ; mais encore plus heureux celui qui n’a pas besoin de faire le tour du monde pour retourner au point d’où il était parti !

« Avec un cœur plein de zèle et un esprit égaré, mais résolu de ne prendre du repos qu’après avoir distingué la vérité, j’entrepris ce long pèlerinage de la pensée. Celui qui m’en inspira la résolution m’entretint dans la persévérance.

« Je m’aperçus d’abord qu’en matière religieuse, la solution de la vérité dépend moins de l’effort de notre esprit, que de la disposition de notre cœur ; que sur ces questions qui tiennent autant au sentiment qu’à l’intelligence, l’aveugle raison s’égare et tombe, si elle veut marcher seule d’un pas présomptueux ; qu’il faut que la vertu lui prête le ferme appui de son bras, et que la charité seule peut délier le bandeau que le vice et l’erreur retiennent sur nos yeux. Je reconnus que dans la nuit obscure de la métaphysique religieuse, la vérité ne se montre que par éclairs qu’il faut saisir, et comme une flamme que l’humble prière allume et que l’orgueil éteint. C’est pourquoi tant de personnes sont si peu propres à cultiver cette science, tandis qu’elles sont si habiles dans toutes les autres.

« Je commençai donc par prier, et, plus en rapport avec Dieu, je devins meilleur, plus calme, plus au-dessus de l’infortune, plus apte à discerner la vérité.

« Séquestré des hommes, et sans distraction, je pus me concentrer tout à fait en moi-même, et je découvris que cette concentration est le plus puissant moyen d’atteindre directement le vrai. Les anciens ont ingénieusement placé la vérité dans le fond d’un puits : mais ils auraient dû ajouter que ce puits se trouve creusé lui-même au fond de notre âme. C’est là que notre pensée découvre des régions spirituelles, éthérées, inconnues, où elle peut déployer à son gré toute l’activité de ses ailes. Là se trouve cet abîme des idées, dont il est impossible d’assigner la profondeur, et autour duquel tourne un escalier où notre esprit peut s’engager, descendre, et descendre encore à perpétuité, sans jamais en atteindre la fin.

« Je me concentrai donc chaque jour davantage, et j’en vins au point de vivre uniquement, quant à l’esprit, dans moi-même. Des milliers d’espions étaient à ma recherché ; le glaive fatal était suspendu sur ma tête, et je n’y songeais pas ! Le torrent de la Révolution roulait en flots de sang à la lueur des incendies, au bruit de la guerre ; j’étais placé dans le lieu même où bouillonnait sa source[12], et je ne l’entendais pas ! Ce philosophe de l’antiquité qui traçait des cercles à l’instant même où l’ennemi saccageait la ville, où des soldats enfonçaient sa porte pour l’égorger, était moins absorbé dans son problème que je ne l’étais dans la solution des vérités divines.

« Ma pensée conservant toute sa force, et débarrassée de tout ce fatras de systèmes entassés, depuis des siècles, dans des milliers de volumes écritures de la main des hommes, cherchait à approfondir les pages mystérieuses de ce grand livre de la nature, où son auteur écrivit en langue universelle, en caractères ineffaçables, et pour tous les hommes, la première des révélations.

« C’est à la suite de ces longues méditations, -filles du malheur, du recueillement, de la prière, que j’établis dans mon esprit les bases de mon opinion en matière religieuse, dont l’immortalité de l’âme est une des principales.

«… Ce qui donne, à mes yeux, le plus grand poids à ce système[13] et me rassure, c’est qu’il est parfaitement en harmonie avec les révélations du christianisme, ses dogmes et ses mystères, dont, par lui, on peut découvrir en grande partie l’immense profondeur. Ces mystères et ces dogmes ne paraissent ridicules à tant de personnes que parce qu’on n’en connaît pas le sens spirituel et interne ; et que ceux qui ont voulu les expliquer, les ont souvent rendus encore plus invraisemblables, parce que, n’ayant pas aperçu le vrai sens spirituel, ils les ont interprétés d’après la lettre, oubliant que Paul leur avait dit : La lettre tue et l’esprit vivifie. Le système adopté donne en partie la clef du sens interne, spirituel, et alors ces mystères, loin de répugner à la raison, l’étonnent et lui paraissent vraiment d’une profondeur admirable. »

Pour ceux qui sont curieux de métaphysique, je dirai que le système d’Isnard reposait sur ce qu’il appelait la science des correspondances. C’est en quelque sorte la théorie des archétypes de Platon. Selon lui, la nature, la matière, tous les corps, ne sont que l’émanation, le signe ou le symbole de tout un monde supra-sensible, où chaque chose visible a pour correspondant la même chose, mais invisible et spiritualisée. Ainsi le soleil, globe de feu qui nous donne de la chaleur et de la lumière, correspond, dans le monde qu’imagine Isnard, à un autre soleil spirituel et divin, d’où émane l’amour et l’intelligence. Dans l’homme, il distingue : 1° « la chair grossière et visible, qui est comme le mur le plus extérieur de l’édifice ; » 2° « le corps humain qui se forme des substances les plus spiritueuses du corps charnel actuel, et si spiritueuses que l’œil matériel ne saurait les apercevoir ; » 3° ce qu’on appelle âme « dans la rigueur du terme, » c’est-à-dire un composé d’amour et d’intelligence, produit par la chaleur et la clarté du soleil divin. Ce qui ressuscitera au dernier jour, ce n’est pas le corps animal, mais le corps spirituel « qui, comme dit l’apôtre, est semé dans lui. » Tout ingénieux et séduisant qu’il pût paraître à certains esprits, ce système, dont Isnard poussait loin les déductions, n’était pas, dans toutes ses parties, aussi orthodoxe qu’il le croyait. On le lui fit sans doute remarquer, car il supprima ses notes dans la seconde édition de son Immortalité, qui parut trois ans après.

Un grand tableau, peint probablement sous le Consulat et conservé encore aujourd’hui dans sa famille, représente l’ancien conventionnel assis à une table sur laquelle s’étalent plusieurs livres et cahiers ; on y distingue, ouvert à la première page, son discours sur l’Immortalité. Sa femme, son fils et ses filles, réunis autour de lui, l’écoutent, car il lit, ou plutôt on voit, au geste de sa main droite, qu’il déclame, par un reste d’habitude, en s’aidant seulement d’un livre qu’il tient de l’autre main. Dans une niche, au fond de la salle, une grande statue en pied de Minerve, déesse de la Sagesse, flanquée d’une sphère céleste et d’un globe du monde, semble présider cette assemblée et lui donner sa signification. Et cependant, soit que la nostalgie de la vie publique, si fréquente, dit-on, chez les hommes qui en connurent les succès, l’eût atteint dans sa paisible et studieuse retraite, soit que l’idée lui fût venue ou lui eût été suggérée qu’il pouvait se rendre plus utile dans les cadres de l’administration nouvelle que par ses travaux philosophiques, Isnard eut, à la même époque, quelque velléité de se mettre sur les rangs pour un emploi, et il reste des traces écrites des démarches qu’il fit à cette fin[14]. Mais tandis qu’il ambitionnait une préfecture, il n’obtint que la modeste place de receveur des contributions de l’arrondissement de Grasse[15]. L’âme orageuse de l’ex-Girondin aurait-elle pu se plier aux besognes que Napoléon demandait à ses préfets ? C’est une question. Elle s’accommoda bien, sans doute, de celles d’un receveur. Mais d’abord, ce n’étaient pas les mêmes, tant s’en faut ; et ensuite rappelons-nous qu’Isnard avait débuté dans la vie par être commerçant, industriel et banquier.


V

Il est à présumer qu’on n’aurait plus entendu parler de lui, sans les événemens de 1815. Mais lorsque Napoléon, quittant l’île d’Elbe, vint débarquer juste en face de Grasse et fit de cette ville sa première étape, il n’était pas nécessaire d’avoir une tête aussi exaltée que l’ancien conventionnel pour s’imaginer que de nouvelles agitations allaient bouleverser la Provence. Nonobstant ses sentimens actuels, peu connus dans la masse du public, son passé révolutionnaire n’y était pas oublié et lui donnait tout à craindre dans un moment de réaction[16]. Aussi s’empressa-t-il de quitter Grasse et de se réfugier à Paris : là, du moins, personne ne pensait plus à lui depuis longtemps : il pourrait y attendre que l’effervescence produite par le retour de l’Empereur se fût calmée.

Carnot, son ancien collègue, et alors ministre de l’Intérieur, Carnot cherchait, on le sait, des auxiliaires parmi les survivans les moins compromis de la Révolution. Comme Isnard, il avait été lui-même trouvé trop modéré, et, au 18 fructidor, il avait subi, de ce fait, la proscription : c’était, entre eux, un lien de plus. Isnard ne s’en est pas vanté, mais il dut certainement aller le voir, ne fût-ce que par politesse et pour faire comme tout le monde : tous les anciens conventionnels passèrent alors par l’antichambre du ministre de l’Intérieur. On ne comprendrait pas, autrement, que Carnot eût de lui-même songé à cet ancien collègue qu’on savait depuis longtemps retiré dans le Midi et dont rien ne pouvait faire deviner la présence à Paris. Isnard assure qu’il chercha à l’enrôler sous la bannière impériale, en lui offrant un poste dépendant de son ministère ; mais que, n’ayant pu vaincre ses hésitations, il se borna à lui envoyer, en considération de ses anciennes luttes contre l’anarchie, le ruban de la Légion d’honneur. S’il en est ainsi, il faut admirer la prudence d’Isnard : ce n’est point par là qu’il brillait autrefois.

Quoi qu’il en soit, bien lui en prit de s’être alors abstenu de toute participation aux affaires politiques, car, au retour de Louis XVIII, lorsque la loi d’amnistie, après de longs et vifs débats, fut enfin promulguée le 12 janvier 1816, il eut la satisfaction de constater que l’article 7, qui bannissait à perpétuité du royaume les régicides coupables d’avoir voté l’Acte additionnel ou accepté quelque fonction ou emploi pendant les Cent-Jours, ne s’appliquait point à lui. Cependant les mots fonctions, emplois étaient vagues et équivoques, et, à la façon dont il vit bientôt l’administration les interpréter, sa confiance dans la protection de la loi fut ébranlée. Puisqu’on étendait l’article 7 aux votans qui avaient pris part à de simples opérations électorales, c’est-à-dire qui n’avaient, en somme, qu’exercé un droit et non une fonction, qu’est-ce qui empêchait d’y joindre ceux qui avaient été gratifiés d’une distinction honorifique ? Isnard n’avait accepté aucun emploi ; il n’avait pas signé l’Acte additionnel ; il n’avait assisté à aucun collège électoral ; mais il avait reçu et accepté la croix de la Légion d’honneur. Allait-on le bannir pour cela ? Aux professions de foi, aux démarches qu’on le voit faire alors, aux explications dont il accable le préfet de police, on peut juger qu’il en eut grand’peur. De tous les papiers qu’il adressa alors à ce magistrat pour se ménager sa bienveillance, le plus curieux, sans contredit, est un long mémoire daté du 1er mars 1816, signé de sa main et où il raconte, en raccourci, toute sa vie. Que ce vétéran des persécutions politiques se souciât peu de reprendre, à son âge, le bâton du proscrit, on le présume aisément. Qu’en vue d’éviter l’exil, il entreprît l’apologie de sa conduite, rien de plus naturel, de plus indiqué, de plus usité. Pour le but que se proposait Isnard, ce document est donc, en quelque sorte, de style, il n’a qu’un intérêt ordinaire ; mais pour qui étudie son cas psychologique, il est inappréciable. Après avoir poussé l’exaltation révolutionnaire jusqu’aux extrêmes limites, une violente secousse avait rejeté Isnard dans le sens opposé. Cette crise passée, on pourrait croire qu’il se calma ? On se tromperait. Les cordes de sa lyre se sont usées et affaiblies ; peut-être, la peur aidant, ne sonnent-elles plus toutes très juste ; mais l’instrument vibre toujours, et c’est toujours le même air, le dernier, qui en sort. Dans le concert révolutionnaire, cet air-là est un véritable phénomène, très rare, peut-être unique, car la conversion de Bancal des Issarts, qui se rapproche le plus de celle d’Isnard, n’est pas tout à fait la même : Bancal n’avait pas voté la mort du Roi et par conséquent n’avait pas à se la reprocher[17]. D’autres votans se repentirent et demandèrent grâce, à l’heure du règlement des comptes. Mais en vit-on un seul s’en aller, comme on assure qu’Isnard le fit, et plusieurs fois, au jour anniversaire de la mort de Louis XVI, en plein midi, sur la place de la Concorde, se prosterner, à la vue de tous les passans, mouiller de ses larmes la terre qu’avait rougie le sang du roi martyr, faire amenda honorable de ce qu’il appelait son crime, et implorer à haute voix le pardon de Dieu et des hommes ? En vit-on un seul proclamer, comme nous allons l’entendre, sa faute, ses remords et son expiation ? Cette confession d’Isnard ne s’analyse ni ne se résume, elle y perdrait trop. Il faut en reproduire le texte même :


« Le sieur Isnard, entraîné dans sa jeunesse par le délire révolutionnaire, vota la mort de Louis XVI. Ce saint monarque lui a pardonné en montant au ciel, et Dieu sans doute a ratifié ce pardon, puisqu’il s’est servi de l’égarement même du sieur Isnard pour le ramener sincèrement à la religion.

«… Parmi les hommes qui ont eu le malheur de condamner Louis XVI, il en fut qui, n’étant qu’entraînés par la fatalité et reconnaissant bientôt toute la noirceur de ceux qui les avaient aveuglés, osèrent les combattre et sacrifier leur vie pour s’opposer à leur fureur. Sur ce petit nombre dont la plupart ont péri victimes de leurs efforts, le sieur Isnard fut l’un des plus marquans. Il combattit les anarchistes avec tant de courage, et surtout durant sa présidence dans la quinzaine qui précéda l’insurrection du 31 mai, que, le 2 juin, 30 000 insurgés, réunis au Carrousel, demandèrent nominativement la tête de celui (c’était lui-même) qui avait osé répondre à leur chef que, s’ils attentaient à la représentation nationale, le voyageur chercherait un jour sur quelle rive de la Seine Paris avait existé.

« Par suite de cet événement, le sieur Isnard fut proscrit, condamné à mort, mis hors la loi ; c’est dans cet état qu’il a passé quinze mois, errant de refuge en refuge, d’autant plus malheureux qu’il était rigoureusement interdit à tout Français, sous peine de proscription, de lui donner assistance ou asile.

« C’est durant cette réclusion qu’il a contracté une goutte invétérée et perdu une partie de sa fortune livrée aux confiscations. Mais aussi, c’est là que, se livrant en entier aux méditations religieuses, il fut touché de Dieu et ramené à des sentimens de piété qu’il professa dès lors dans l’écrit qu’il publia sur sa proscription, et qui n’ont cessé, depuis, de devenir le régulateur de sa conduite.

« Rentré dans la Convention, il fut envoyé dans les Bouches-du-Rhône ; il arriva au moment même où l’insurrection de Prairial faisait son explosion en Provence, aux mêmes jour et heure qu’à Paris. Une troupe innombrable d’insurgés de Toulon, après avoir pillé l’arsenal et violenté le représentant qui était dans la place et se brûla la cervelle[18], marchaient sur Marseille pour s’y joindre à leurs pareils et bouleverser cette ville par le meurtre et le pillage. Malgré les efforts des autorités et des représentons qui se trouvaient sur les lieux, la terreur devint telle qu’elle paralysa tout à fait la résistance, jusqu’à l’apparition du sieur Isnard, qui, averti en route par un courrier, précipita sa marche dans la nuit, et qui, par les mouvemens de son âme, enflamma tout à coup celles de ses auditeurs, et les fît passer subitement de la crainte au courage. Il rappelle qu’il électrisa surtout les esprits par ces paroles que légitimaient les circonstances et le pressant danger : « Vous n’avez pas d’armes ! Eh bien, fouillez la terre ; armez-vous des ossemens de vos frères victimes de la Terreur, et marchons contre leurs bourreaux ! » Des bataillons armés furent enfantés à l’instant ; il marcha avec eux et son collègue Cadroy contre les insurgés, et ces contrées furent sauvées de nouveau des fureurs anarchiques.

« Ce sont là des faits à la connaissance de tous les habitans d’Aix, de Marseille, de Toulon, et le sieur Isnard en appelle à leur attestation et à celle de M. Siméon père[19].

«… Le parti jacobin, qui avait son foyer dans le Directoire, reprit successivement le dessus dans Paris, ce qui amena la révolution du 18 fructidor. Le sieur Isnard était heureusement déjà sorti à cette époque du Conseil des Cinq-Cents par la voie du sort, ce qui le préserva d’une déportation dont furent frappés plusieurs membres des deux Conseils ; mais la persécution le poursuivit dans son département. Il fut obligé de quitter la ville de Draguignan qu’il habitait, pour se retirer dans une campagne isolée sur le bord de la mer, où il a longtemps vécu en butte à des vexations de tout genre, dans des appréhensions continuelles et trop souvent même avec des craintes pour sa vie.

« La révolution du 18 brumaire, en détruisant le règne de l’anarchie, mit fin à ses inquiétudes. À cette époque, comme ceux qui triomphaient étaient dans sa ligne, et que tous les rouages du gouvernement furent renouvelés, il ne tenait qu’à lui, en se rendant à Paris, d’être compris dans l’organisation des grands corps qui furent constitués, ou dans le nombre des principaux fonctionnaires nommés. Mais bien résolu dès lors de ne plus figurer sur la scène révolutionnaire, et d’autant plus exempt de toute ambition qu’il s’était passionné-pour l’étude et la pratique des choses religieuses, il ne voulut en aucune manière, ni alors, ni après, ni dans aucun temps, rentrer dans la carrière politique. M. le conseiller d’État Jourdan[20], auquel il eut l’occasion de confier, dans ce temps-là, sa façon de penser, peut en rendre témoignage.

« A l’époque du renouvellement du culte en France, le sieur Isnard, qui n’avait plus d’autre désir que de se rendre utile par la manifestation des sentimens religieux auxquels ses malheurs l’avaient ramené, publia un ouvrage sur l’immortalité de l’âme, dont les notes se rattachent jusqu’à un certain point à sa vie politique…

« Le sieur Isnard demande, comme une grâce, que, s’il était quelqu’un qui, ne le considérant que sous le rapport de ses anciens erremens, le jugeât digne d’être lapidé, il voulût bien, avant de lui jeter la première pierre, lire cet écrit où son âme s’est montrée à nu. Comme les notes théosophiques qui accompagnaient cet ouvrage, pouvaient être sujettes à controverse sous le rapport théologique, le sieur Isnard, par une délicatesse puisée dans le sentiment religieux, les supprima dans sa seconde édition. Elle parut, augmentée d’un dithyrambe sur le même sujet, et Sa Sainteté le Pape, alors en France, daigna agréer l’hommage de cette édition nouvelle, après qu’elle eut été mise sous les yeux de Son Éminence Mgr le cardinal de Bayane[21].

« Depuis le retour du Roi, le sieur Isnard a continué d’habiter Paris, parce que le séjour en est plus paisible que celui des contrées méridionales. Ses fréquentations et ses occupations ont été analogues aux sentimens religieux qui font le charme de sa vie. Admis, à raison de ses principes connus, dans une réunion de personnes distinguées qui a duré plusieurs mois et dont les exercices de piété faits en commun formaient le lien, il était d’autant plus assidu aux prières qui s’y faisaient chaque jour, qu’elles se terminaient presque toujours par les vœux les plus ardens pour la conservation du Roi, de la famille royale et le soulagement de la France. Il pourrait à cet égard invoquer le témoignage de personnes de la plus haute distinction auxquelles la prière l’a souvent réuni.

« Lorsque S. M. l’empereur Alexandre, à l’occasion d’une revue militaire, célébra une fête religieuse au camp des Vertus[22], le sieur Isnard, frappé de ce grand hommage rendu à Dieu, en traça une description qui parut plaire à S. M. l’Empereur. Une personne, qui crut que la publication de ce petit écrit ne pourrait être que très utile, demanda au sieur Isnard la permission de le faire imprimer. A quoi celui-ci consentit d’autant plus volontiers que son écrit se terminait par l’expression de ses vœux bien sincères pour S. M. Louis XVIII.

« Le sieur Isnard, tout à fait étranger depuis longtemps à toutes affaires politiques, ne s’occupe que de ce qui peut servir à l’intérêt de la religion dont il pratique les devoirs et dont sa plume voudrait concourir à faire triompher les préceptes. Il travaille dans ce moment même à la correction d’un ouvrage sur un objet religieux d’un genre épique en douze livres.

« On peut juger, d’après ce fidèle exposé de la vérité, que le sieur Isnard, loin d’être un citoyen qui puisse paraître suspect au gouvernement, doit être considéré comme un sujet dont la fidélité repose sur les plus solides garanties, et qui même, quelque faibles que soient ses talens comme écrivain, peut devenir utile par ses travaux présens et futurs entièrement consacrés à la propagation des principes religieux dont la France éprouve un si grand besoin[23]. »


Si l’on voulait chicaner Isnard, ce n’est pas la matière qui manquerait dans ce long plaidoyer. Lui qui l’a écrit tout entier pour que le gouvernement ne le chassât pas, il ne se souvient plus qu’un jour, sous le Directoire, s’étant rencontré avec un voyageur anglais, il l’assura « que si les Français se mettaient dans la tête de rappeler Louis XVIII, il sortirait par quelque coin du royaume, en même temps que le Roi entrerait par l’autre[24]. » Et lorsqu’il déclare que, une fois rendu à la vie privée, il ne voulut plus jamais reparaître sur la scène politique, il oublie ses démarches de l’an X pour être nommé préfet. Et s’il invoque, en témoignage de sa foi royaliste, et ses actes et ses écrits, le préfet de police, à qui il s’adresse, aurait pu lui en opposer d’autres, et notamment une brochure qu’il publia en 1804 pour célébrer l’Empire naissant. On l’y voyait décerner à Napoléon le titre imprévu d’ « ange de la paix, » et soutenir « que le retour à la famille des Bourbons nous couvrait de honte[25]. » Et, sans remonter si haut, le titre de baron qui lui avait été conféré en 1813, comme membre assidu du collège électoral du Var, n’était-il pas l’attestation officielle de son dévouement à la cause impériale ? En matière politique, Isnard pratiquait donc, comme la plupart de ses contemporains du reste, le plus large opportunisme.

Mais en matière religieuse, il n’existe rien, depuis le jour où il se convertit, qui puisse inspirer quelque doute sur l’unité, la solidité et la persistance de ses convictions. D’incrédule qu’il était dans la première partie de sa vie publique, ainsi que tous les Girondins, ses amis[26], il redevint croyant, et il le demeura sans défaillance. Il exagère, il étale sa religion au-delà des convenances et, s’il l’avait su, au-delà de la nécessité ; cela saute aux yeux. Mais n’oublions pas qu’Isnard était Méridional, c’est-à-dire exubérant par nature, qu’il redoutait une nouvelle proscription, et enfin qu’il avait beaucoup plus d’imagination que de tact, de mesure et de goût.

Il ne fut pas exilé. Mais n’allez pas croire que ce fut à cause de son repentir, de sa ferveur royaliste et religieuse ; vous feriez erreur : la police n’a pas de tels attendrissemens. Le préfet transmit les pièces au ministre, lui annonçant qu’il continuerait à tenir en surveillance l’ancien conventionnel jusqu’à ce que sa décision lui fût parvenue. De son côté, Isnard demanda une audience à M. Decazes et se présenta au ministère porteur d’une longue note reproduisant avec plus de détails encore les explications déjà données par lui au préfet. Le cabinet du ministre ayant reconnu qu’il n’avait ni accepté de fonctions, ni signé l’Acte additionnel, restait à trancher la question relative à la Légion d’honneur. Il est certain que cette décoration avait flatté Isnard : « Depuis longtemps, — dit-il en un de ses mémoires justificatifs, — il s’en était rendu digne par ses combats contre l’anarchie… Tout cela pouvait bien valoir, après vingt ans d’oubli, quelques pouces de ruban. » Mais Waterloo était survenu assez tôt pour qu’il n’eût pas eu le temps de prêter le serment requis des nouveaux légionnaires, et cette circonstance le sauva. Le 7 mars 1816, le conseil des ministres décida que l’article 7 de la loi d’amnistie lui était inapplicable, et le préfet de police reçut l’ordre de lui délivrer le passeport qu’il réclamait pour retourner à Grasse.

Isnard partit quelques jours après. On ne sait si le temps favorisa son voyage. Mais on peut être sûr qu’il trouva les chemins bons, la nature riante, les hôtelleries confortables. La Providence l’avait toujours traité en enfant gâté. Si loin qu’il remontât dans son passé, il ne rencontrait que des marques de sa protection. Avant même d’entrer dans la vie publique, lorsqu’il voyageait en Provence pour ses affaires commerciales, il avait été, un jour, assailli par des voleurs et dangereusement blessé ; cependant il avait pu leur échapper, grâce à la vitesse de son cheval. En 1789, lorsqu’il s’était mis en tête de soulever ses concitoyens, il avait commis un crime de lèse-majesté, et le Parlement allait sans doute le lui faire payer cher : l’abolition des parlemens l’avait sauvé. En 1793, il avait été arrêté, illégalement, il est vrai ; mais comme beaucoup d’autres, comme Mme Roland, pour ne citer qu’elle ; et Mme Roland et les autres étaient montés à l’échafaud. Il n’était pas le seul alors qui eût pu fuir : mais combien avaient été repris et immolés ! Plus tard, sous le Directoire, la loi du sort l’avait exclu du Conseil des Cinq-Cents, à la veille du coup d’Etat de Fructidor, et lui avait ainsi épargné les misères et les souffrances de la déportation à Sinnamari. Plus tard encore, sous le Consulat, le démon de la politique avait paru, un instant, le ressaisir : mais il n’avait pas réussi à faire de lui sa victime. Et maintenant, à quoi tenait-il qu’au lieu de rouler allègrement vers son pays natal, il ne s’acheminât sur les routes étrangères, avec la perspective d’achever ses jours dans la tristesse, peut-être dans la gêne, loin de ses enfans et des horizons familiers, comme le plus grand nombre des conventionnels, ses anciens collègues ?

« Craignant par motif de religion de se trouver en route, pendant la semaine sainte, » il avait pressé la délivrance de son passeport et il l’avait obtenu le 21 mars. Comme Pâques tomba le 14 avril en 1816, on peut croire qu’il fut de retour à Grasse assez tôt pour chanter l’Alléluia et qu’il le chanta d’un cœur reconnaissant. Il passa ses dernières années dans sa ville natale, entre sa femme, qui devait lui survivre douze ans, deux de ses filles, qui ne se marièrent point, vouées à des œuvres de piété et de charité, et son fils, qui lui avait succédé dans la place de receveur particulier et qui, comme administrateur des hôpitaux et du collège, fondateur de la caisse d’épargne, conseiller d’arrondissement, conseiller municipal, conseiller général, membre de diverses sociétés publiques et privées d’assistance, a laissé à Grasse les plus honorables souvenirs. Il venait d’avoir soixante-sept ans, lorsque l’apoplexie l’emporta le 12 mars 1823. Ainsi mourut, dans la paix retrouvée du foyer domestique et de ses premières croyances, un homme que les orages d’une vie extraordinairement tourmentée semblaient avoir marqué pour une fin moins sereine : suprême et dernière faveur de la Providence, la plus précieuse à ses yeux, sans nul doute, de toutes celles qu’il en avait reçues.


EUGENE WELVERT.


  1. Archives nationales. — Archives de la préfecture de police, Affaire des ex-conventionnels. — Proscription d’Isnard, Paris, chez l’auteur, l’an III de la République, in-8o, 98 pages. — Je dois, en outre, de précieuses informations sur Isnard à MM. Mireur, archiviste du Var, et Moris, archiviste des Alpes-Maritimes.
  2. Le mot est de Godeau, et je sais bien qu’il l’appliquait à toute la Provence. Mais Godeau fut évêque de Grasse précisément, et, entre toutes les villes de Provence, celle-ci passait, même encore au temps de la jeunesse d’Isnard, pour une des moins propres et à la fois des plus embaumées.
  3. Je fais surtout allusion à sa philippique Isnard à Fréron qu’il publia en l’an IV, au retour de sa mission à Marseille : c’est un évident pastiche. Mais lorsqu’un des derniers historiens de la Révolution, rappelant l’action de la parole d’Isnard sur la foule, la traite de « rhétorique, » s’il entend par là l’art de s’échauffer à froid, de répandre une chaleur factice et empruntée sur ce que l’on dit, je conteste la justesse de ce reproche. Isnard est essentiellement un orateur : et j’accorde, si l’on veut, que jamais l’art oratoire ne comporta plus de déclamation ; mais c’est un orateur de premier jet, un des plus grands, le plus grand peut-être des improvisateurs de son temps. Si donc il y a de la chaleur dans ses discours, elle jaillit toujours, sans calcul, ni recherche, ni intermédiaire, du contact direct de son âme avec les événemens.
  4. Dans un roman de Ponson du Terrail que le journal Le Matin exhuma et publia en feuilleton en 1903, il est question d’une mystérieuse agression dont Isnard aurait été victime à sa bastide des environs de Draguignan, dans la nuit du 27 janvier 1787. C’est une « histoire de brigands » qui n’était connue de personne dans le pays (je le tiens de bonne source) et qui n’a laissé d’ailleurs aucune trace dans les documens.
  5. Le surlendemain de son évasion, sa femme, qui était enceinte et qui, comme toute sa famille, vivait dans la plus grande inquiétude, vit passer un jeune homme à peu près de sa taille que la gendarmerie conduisait enchaîné. Elle accoucha, avant terme, quelques heures après.
  6. Je dis « peut-être, » parce que je ne suis pas absolument d’accord avec ceux qui prétendent qu’il n’y eut rien d’hostile au catholicisme dans le grand mouvement maçonnique que l’on remarque aux approches de la Révolution ; et lorsqu’on allègue les nombreux adeptes que les loges recrutèrent alors dans tous les rangs du clergé, et les messes qu’elles faisaient dire pour célébrer leurs fêtes annuelles ou pour honorer la mémoire des frères décèdes, je ne trouve pas ces raisons bien convaincantes. Dans une cérémonie publique, dans une fête corporative surtout, une messe n’a jamais été qu’un numéro du programme, qu’un accessoire traditionnel et de pur protocole. Quant au clergé, on semble oublier que celui du XVIIIe siècle n’est pas celui d’aujourd’hui ; qu’il était rempli d’incrédules, à tout le moins d’indifférens ; et puisque la franc-maçonnerie était devenue surtout une affaire de mode, pourquoi n’aurait-elle pas eu ses snobs parmi les jeunes-clercs aussi bien qu’ailleurs ?
  7. C’était un des plus gros mangeurs de son temps. On prétend qu’il expédia, un jour, à lui seul, une dinde entière. Une autre fois, il aurait absorbé toute la provision de glaces d’un grand limonadier.
  8. Rappellerai-je que Rabaud-Saint-Étienne, qui était dans le même cas et qui, comme lui, avait trouvé une retraite dans un faubourg de Paris, chez des compatriotes, fut moins heureux ? Découvert, il fut envoyé à l’échafaud, sur simple constatation d’identité. L’homme et la femme qui l’avaient recueilli subirent le même sort.
  9. Entre quelques-unes des pages de la Proscription d’Isnard et les premières œuvres de Lamartine, il y a des ressemblances frappantes. Serait-il téméraire de croire que le poète les avait lues, dans son enfance, sur les genoux de sa mère ? Au lendemain de la Terreur et des persécutions religieuses, ces pages devaient se passer de mains en mains dans les familles chrétiennes. On les citait naguère encore dans les ouvrages d’apologétique.
  10. Pendant la proscription d’Isnard et tandis que son nom était inscrit sur la liste des émigrés, sa femme avait demandé le divorce, qui fut prononcé à Grasse le 12 germinal an II. Mais ce divorce, comme beaucoup d’autres alors, n’avait pour but que de dégager du séquestre mis sur les biens de son mari, ce que la loi lui permettait d’en retirer. Les époux se réunirent après la tourmente, et la dernière de leurs filles naquit à Grasse le 4 janvier 1799.
  11. De l’Immortalité de l’âme, par Maximin. Isnard. Paris, Ch. Pougens, an X-1802, in-8o, 96 pages.
  12. Dans Paris et au faubourg Saint-Antoine. (Note d’Isnard.)
  13. C’est-à-dire la métaphysique d’Isnard, dont, sa théorie de l’immortalité de l’âme n’est qu’un chapitre.
  14. On conserve aux Archives nationales une correspondance à ce sujet, commencée le 28 pluviôse an X, entre Isnard et Chaptal, alors ministre de l’Intérieur. Isnard aurait voulu être préfet de l’Isère. Mais la place était prise. Il demanda à être inscrit pour toute autre préfecture qui viendrait à vaquer, et les choses en restèrent là.
  15. Décret du 3 ventôse an XIII.
  16. Si l’on s’en rapporte à une tradition locale, qui n’est peut-être qu’une légende, un jour qu’Isnard se rendait à l’église pour entendre la messe, il rencontra un ancien ami et, l’ayant abordé par le vers
    Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel,
    il aurait reçu tout aussitôt cette réponse :
    Puisse-t-il pardonner tes forfaits criminels !
  17. Député du Puy-de-Dôme à la Convention, puis aux Cinq-Cents, Bancal, dans le procès de Louis XVI, avait voté le bannissement. C’était un disciple enthousiaste de J. -J. Rousseau, qui avait rêvé de réunir tous les peuples dans une vaste association fraternelle et philosophique. Livré aux Autrichiens par Dumouriez, une dure captivité le ramena à la religion catholique qu’il se mit dès lors à étudier et à pratiquer avec le même zèle que les autres doctrines pour lesquelles il s’était passionné jusque-là. Il y a peut-être une différence plus essentielle que leurs votes entre Bancal et Isnard, une différence de tempérament. Non moins ardent peut-être, Bancal était plus sentimental. Nous savons de quelle flamme il brûla pour l’Anglaise Helena Williams, et quelle place il occupe dans le cortège des adorateurs de Mme Roland. Il n’y a point, du moins à ma connaissance, d’histoire de ce genre dans la vie d’Isnard, et, chose digne de remarque, malgré ses attaches avec le parti de la Gironde, il ne semble pas avoir appartenu à la société de Mme Roland. Son nom ne figure même pas dans le copieux recueil des lettres de cette dernière, dû à la diligence de M. Perroud : et s’il est cité deux fois dans ses mémoires, que le même éditeur vient de republier, c’est en note, par M. Perroud, mais non par Mme Roland.
  18. A la suite du soulèvement de Toulon (25 floréal an III), Ignace Brunel, député de l’Hérault en mission dans le Var, se tua d’un coup de pistolet pour n’avoir pas réussi à empêcher l’émeute.
  19. Il s’agit du futur comte Siméon, un des principaux rédacteurs du Code civil. Il était originaire d’Aix et venait alors d’être nommé par les représentans en mission procureur syndic des Bouches-du-Rhône.
  20. André-Joseph-Jourdan, né à Aubagne en 1757, mort à Marseille en 1831, membre du Conseil des Cinq-Cents, préfet et baron de l’Empire, conseiller d’État et directeur des affaires ecclésiastiques sous la Restauration.
  21. L’abbé de Bayane, d’une des plus anciennes familles du Dauphiné, après être resté longtemps à Rome comme auditeur de rote, avait été fait cardinal en 1802. Il fut sénateur sous l’Empire et pair de France sous la Restauration.
  22. Cette revue eut lieu, le 11 septembre 1815, dans la plaine de Vertus en Champagne. La plus grande partie des troupes russes qui étaient en France défila devant l’empereur Alexandre et ses invités, le roi de Prusse, l’empereur d’Autriche, le duc de Wellington, le Comte d’Artois, le Duc de Berry, etc.
  23. Ce mémoire d’Isnard fut écrit dans une chambre de l’hôtel des Lillois, rue de Richelieu, 63. C’est là que l’ancien conventionnel descendait toutes les fois qu’il revenait à Paris. Par une de ces rencontres que le coudoiement de la vie parisienne multiplie pour la joie des amateurs de contrastes, c’est dans le même hôtel, dans la même chambre peut-être, que Henri Beyle, épris de Mme Pasta, devait, quelques années plus tard, préparer son fameux traité de l’Amour.
  24. A. Babeau, Paris et la France sous le Directoire, p. 275.
  25. Réflexions relatives au Sénatus-Consulte du 28 floréal an XII, par Maximin Isnard. Draguignan, prairial 1804, in-8o.
  26. Mais contrairement à l’opinion courante, les Girondins qui furent condamnés par le tribunal révolutionnaire le 30 octobre 1793 et qui montèrent à l’échafaud le lendemain, se confessèrent tous, à l’exception de Lasource, qui était protestant, et de Brissot, qui refusa, seul, les secours de la religion. Deux prêtres, préposés par l’évêque constitutionnel de Paris au service habituel des condamnés, se partagèrent la besogne. On connaît leurs noms ; on possède leur propre témoignage. Et cependant Michelet n’hésite pas à dire que, seuls, « l’évêque et le marquis (Fauchet et Sillery) acceptèrent leur ministère.