La Corée Libre, numéro 2/Texte entier

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La Corée Libre, numéro 2
La Corée Libren°2 (p. 1-43).
Première Année.
JUIN 1920.
No2.


La Corée Libre

Revue mensuelle, Politique, Économique et Littéraire


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France.................24 francs
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Le numéro : 2 francs

SOMMAIRE


I
Informations. — 1. Les Japonais en Sibérie. — 2. Le renouvellement de l’Alliance Anglo-japonaise.
II
L’Action Coréenne. — 1. Déclaration de l’Indépendance de la République de Corée ; Buts et aspirations du peuple coréen ; La Constitution provisoire ; Les méthodes d’administration. — 2. Anniversaire de l’Indépendance coréenne. — 3. Conférence du Docteur Syngman Rhee.
III
Le Japon et l’Allemagne.
IV
Un Mariage forcé. — Le mariage du Prince Yi de Corée avec la Princesse Nashimoto du Japon.
V
La Croix Rouge coréenne.
VI
L’Opinion Étrangère. — 1. Le Pays du Matin calme par Louis Bresse. — 2. Deux Alsace-Lorraine asiatiques, par Œdipe.
VII
Hors-texte. — 1. Portrait du Docteur Syngman Rhee, président de la République coréenne. — 2. Démonstration coréenne devant l’arc de l’Indépendance à Séoul. — 3. Portrait de M. Kiusik Kimm, président de la Commission coréenne en Europe et en Amérique. — 4. Porte de l’Est à Séoul.

N. B — Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.
Les auteurs sont seuls responsables de leurs articles.
Reproductions et insertions autorisées, sous réserve d’indication de source.
Première Année
Juin 1920.
No2

LA CORÉE LIBRE

Revue mensuelle, Politique, Économique et Littéraire

INFORMATIONS


1. — Les Japonais en Sibérie


Le Japon allié de l’Entente n’a pas abandonné une seule minute son plan d’action continentale en Extrême-Asie durant toute la grande guerre européenne ; bien au contraire, cet évènement fut comme une providence pour la politique Yoshida japonaise.

Les Nippons n’ont pas voulu éparpiller leurs forces en intervenant sur les champs de bataille de l’occident. Ils ont fait mieux pour leur profit. Ils sont restés les maîtres en Extrême-Orient pendant ces six dernières années. Leur emprise est profonde et, risquerait gros le pays occidental qui voudrait les en déloger !

Tsing-Tao et le Chan-Tong comme butin de guerre et compensation de son intervention ? Maître en Corée : dominant militairement la Mandchourie et une vaste partie de la Mongolie orientale, le Japon n’hésita pas un seul instant à intervenir cette fois, en Sibérie, contre la révolution russe. La Sibérie jusqu’au Baïkal, c’est-à-dire toute la Transbaïkalie, le Kamtchatka jusqu’à Sakhaline, fait partie de son ambition continentale.

Toujours selon sa vieille méthode qui lui réussit parfaitement, le Japon a fait risette, joué au bon enfant qui n’intervient que pour la bonne cause, c’est-à-dire celle du droit, de la liberté !

Dès 1918, il s’est retranché fort adroitement derrière les Alliés, attendant que ceux-ci lui demandent, le supplient même, d’intervenir et d’envoyer des contingents en Sibérie. Il accepta, certes, mais en se faisant encore tirer l’oreille, alors que ses troupes étaient prêtes et concentrées depuis longtemps. Voulant agir seul, sans compétitions et surtout sans témoins autour de lui, il sut, par une diplomatie adroite, n’aider les alliés que juste dans la mesure de mettre ces derniers dans l’impossibilité de se maintenir en Sibérie. Il aida au strict nécessaire, les armées tchéco-slovaques à se retirer. Il sut également faire cause commune avec les États-Unis à l’époque où il était favorable pour lui de parler de retirer les troupes de la Sibérie, jusqu’au moment où, seul, ou à peu près seul sur le terrain, il put agir en toute sécurité et envahir la Sibérie.

Nous mettrons simplement sous les yeux de nos lecteurs les nouvelles et les télégrammes les plus importants parvenus depuis le mois de mars dernier sur la question sibérienne ; ils y découvriront aisément tout le plan de conquête du Japon sur ce vaste territoire et la rapidité avec laquelle il accomplit ses desseins.

AMÉRICAINS ET JAPONAIS ÉVACUENT LA SIBÉRIE

New-York, 6 mars. — Le Japon aurait décidé de suivre une politique commune avec les États-Unis en ce qui concerne l’évacuation de la Sibérie.

Le premier détachement japonais embarquerait à Vladivostock le 23 mars. Cette date a été choisie pour le départ des troupes tchéco-slovaques.

On croit savoir à Washington que le Japon éprouve une vive inquiétude sur le développement du bolchevisme, qui s’étend rapidement vers l’Est. Les Japonais favorisent la création d’un État tampon qui les séparera de la Russie administrée par les Soviets. Ils ne voudraient avoir aucun rapport avec la Russie tant que pareil État ne serait pas établi.

On prétend, dans les milieux officiels, que les bolchevistes auraient eux-mêmes préconisé la création d’un État autonome en Sibérie, qui aurait pour capitale Irkoutsk (Havas).

Le Japon pas très certain de l’attitude des populations sibériennes à son égard se réserve une porte de sortie, en cas d’échec, par la formation d’un État-tampon entre lui et les bolcheviki ?

La délégation japonaise n’a reçu aucune confirmation de la note de Tchitcherine concernant une prétendue expédition navale japonaise contre la partie russe de Sakhaline. Les plus récentes nouvelles du Japon rapportent seulement que les bolchevistes, ayant occupé Alexandrovsk sur la côte occidentale de l’île dès le 28 janvier et s’étant depuis cette date avancés dans l’intérieur, le gouverneur japonais de Sakhaline a pris des mesures pour faire rapatrier les ressortissants japonais qui, en vertu du traité de Portsmouth, bénéficient du droit de pêche sur les côtes russes de l’île. Cette opération a été effectuée à l’aide de traîneaux.

(Le Temps, 14 mars 1920.)

Ce sont là des précautions diplomatiques japonaises.

Tokio, 3 avril. Des troupes japonaises ont été envoyées en Sibérie pour porter secours aux Tchéco-Slovaques et jusqu’à leur évacuation complète. Toutefois, en raison de la position géographique de la Sibérie et du Japon, et de la situation actuelle des Japonais en Sibérie, dont la sécurité ne peut être garantie, le Japon ne pourra retirer immédiatement ses troupes, mais il n’a aucune ambition politique en Russie.

Le Japon a renouvelé son engagement d’évacuer la Sibérie aussitôt que la menace en Mandchourie et en Corée sera écartée, que la vie des résidents japonais sera hors de danger et que les communications seront assurées.

(Le Temps, 4 avril 1920.)
LE JAPON ET L’ÉVACUATION DE LA SIBÉRIE

Tokio, 4 avril. — Le gouvernement publie une note déclarant que le Japon retirera ses troupes de Sibérie, mais qu’il ne peut le faire en ce moment où la sécurité des personnes et des propriétés japonaises n’est pas assurée. Quand la situation des territoires voisins du Japon sera calme, quand les menaces contre la Mandchourie et la Corée auront cessé, quand la sécurité des Japonais en Sibérie sera certaine, quand les communications seront libres, le Japon évacuera.

(Le Temps, 6 avril 1920.)
POUR LA POSSESSION DE LA SIBÉRIE DES COMBATS À VLADIVOSTOCK ENTRE RUSSES ET JAPONAIS

Les informations les plus contradictoires sont parvenues ces temps derniers d’Extrême-Orient à propos de l’attitude des Japonais en Sibérie. Après avoir annoncé que les Américains leur laissaient les mains libres, les télégrammes ont démenti cette nouvelle. Cependant, on savait qu’à la in de janvier les Japonais avaient pris des mesures pour envoyer des renforts à Vladivostock et qu’en février leurs effectifs atteignaient en Sibérie une centaine de mille hommes.

Dans une note officielle, le gouvernement de Tokio vient de déclarer qu’il ne retirera ses troupes que quand la situation des territoires voisins sera calme, quand les menaces contre la Mandchourie et la Corée auront cessé et quand la sécurité des Japonais en Sibérie sera certaine.

Ce dernier vœu n’est pas près d’être réalisé encore. Depuis quelque temps, en effet, une agitation se manifeste contre les Japonais à Vladivostok, Nikolsk et Khabarovsk.

Le 4 avril, à Vladivostok, les Russes ont attaqué des troupes japonaises. Le commandant en chef japonais à Vladivostok s’est trouvé forcé de demander le désarmement des soldats révolutionnaires. Ce désarmement a été effectué dans la matinée du 5. À Nikolsk et à Khabarovsk, des combats sont en cours entre Russes et Japonais pour obtenir ce désarmement.

Le représentant japonais en Sibérie est entré en négociations avec les autorités locales russes pour assurer le maintien de l’ordre.

(L’Œuvre, 9 avril 1920.)

Les informations les plus contradictoires sont parvenues ces temps derniers d’Extrême-Orient à propos de l’attitude des Japonais en Sibérie. Après avoir annoncé que les Américains leur laissaient les mains libres — nouvelle extrêmement importante et qui ne paraît pas avoir suffisamment retenu l’attention du monde — les télégrammes ont démenti cette nouvelle. Cependant, on savait qu’à la fin de janvier les Japonais avaient pris des mesures pour envoyer des renforts à Vladivostok et qu’en février leurs effectifs atteignaient en Sibérie une centaine de mille hommes. Les journaux de Pékin semblaient déconcertés par la décision hautement exprimée des Japonais « de ne pas entrer en guerre avec les bolchevistes et de se tenir à l’écart des complications de ce côté », mais l’un d’eux faisait ces judicieuses réserves :

« Si l’on peut être certain que le Japon ne risquera pas de déclarer la guerre à la Russie des Soviets et de s’aventurer trop loin dans les plaines immenses de la Sibérie, la tentation de consolider sa position en Sibérie orientale — ce qui du même coup mettrait sous son emprise la Mongolie et la Mandchourie — est trop forte pour qu’il y renonce facilement. »

Une note officielle de Tokio supprime toute équivoque à ce sujet. Le gouvernement japonais y déclare en substance qu’il ne retirera ses troupes de Sibérie que quand la situation des territoires voisins du Japon sera calme, quand les menaces contre la Mandchourie et la Corée auront cessé, quand la sécurité des Japonais en Sibérie sera certaine, quand les communications seront libres. La note ajoute que le Japon n’a aucune ambition politique en Russie ; il n’en reste pas moins qu’à l’heure présente c’est un immense territoire qui va se trouver sous son contrôle exclusif. C’est l’aboutissement d’un effort soutenu de savante diplomatie.

Dès le mois de juin 1918, il fut question de la défense de la Sibérie par le Japon. Pour des raisons surtout « américaines », ce projet de grand style n’eut pas de suites ; aussi bien, beaucoup de personnes en Europe escomptaient-elles l’arrivée des Japonais sur les champs de bataille d’Occident, sans penser que le Japon pouvait vouloir réserver ses forces pour un autre théâtre d’opérations et que son domaine naturel était l’Extrême-Orient. Bref, on peut regretter aujourd’hui pour bien des motifs de n’avoir pas chargé les troupes japonaises d’opérer en Sibérie dès 1918.

Quoi qu’il en soit, après avoir employé en grande partie le temps de guerre, à s’imposer à la Chine, les Japonais restent seuls en Sibérie, acquérant ainsi une suprématie que ni leurs armes, ni leur habileté n’avaient pu jusqu’ici leur conquérir. Sibérie Orientale, Mongolie, qui complète géographiquement la première Mandchourie, Chantoung : 80 millions d’âmes sous le contrôle du gouvernement mikadonal et 2 millions de kilomètres carrés qui ne sont pas tous désertiques, tant s’en faut ! Rien que la zone méridionale de la Sibérie, dont le climat est supportable, compte 7 754 000 hectares de terres cultivées.

Les Américains doivent sentir que cette expansion des Japonais sur le continent asiatique enrichit le problème du Pacifique d’une donnée nouvelle. — A. D.

(Le Temps, 9 avril 1920.)

La Russie s’est débarrassée de Koltchak. Elle s’est débarrassée de Denikine. Elle a chassé presque tous les contingents français, anglais, américains qui s’étaient installés sur différents points de son territoire.

Mais le Japon demeure. Les soldats japonais, au nombre de cent mille environ, continuent de terroriser la Sibérie et d’écraser toutes les forces démocratiques du pays.

Les nouvelles assez confuses qui arrivent de Vladivostok annoncent que de très graves événements viennent de se passer dans toute la Sibérie orientale.

La délégation japonaise à Paris veut nous faire croire que les soldats du mikado ont été attaqués par des révolutionnaires russes, et qu’ils ont dû intervenir pour rétablir l’ordre.

En réalité, le Japon achève en ce moment l’œuvre commencée depuis des mois : l’occupation militaire de l’immense territoire sibérien pour assurer son contrôle définitif sur la Mandchourie, la Mongolie et le Chantoung.

Tant que Koltchak a eu une ombre de pouvoir, le Japon l’a soutenu. Il a protégé et aidé financièrement les hordes pillardes des « atamans » Semenov et Kalmykov. Il a écrasé impitoyablement les nombreuses tentatives de libération des populations de Krasnoïarsk, d’Irkoutsk, de Vladivostok. Ses soldats ont brûlé et dévasté des centaines de villages, ainsi que me l’affirmait encore récemment un témoin oculaire rentré en France.

Les généraux japonais ont couronné leur œuvre contre-révolutionnaire en supprimant le nouveau gouvernement démocratique qui s’était établi fin janvier dernier, sous la direction de Medrediev. Ce gouvernement avait l’appui de tous les partis, y compris celui des communistes, si j’en crois les informations publiées par notre confrère Pour la Russie. Ce gouvernement était démocratique, comme le désirent les Alliés, et non soviétiste. Il était soutenu par les zemstvos et toutes les organisations politiques régionales. Le Japon n’a pas hésité néanmoins à porter un coup fatal à la démocratie russe. Celle-ci, tôt ou tard, aura sa revanche.

Mais que pensent les États-Unis de la fièvre expansionniste nipponne dans tout l’Extrême-Orient ?

L’impérialisme du Japon, qui est un danger mondial, doit inquiéter tout particulièrement Washington.

La politique brutale des « Prussiens de l’Orient… » — nos alliés dans la guerre du droit et de la justice — risque fort de compromettre, dans un avenir prochain, la paix du monde.

André Pierre.
(L’Humanité, 10 avril 1920.)
LE PROTECTORAT JAPONAIS

De combien de guerres partielles devra donc être faite la paix générale dont nous jouissons ?

Du Rhin au Pacifique, après une courte halte pour reprendre haleine, les armées se remettent en mouvement.

Après avoir hésité, reculé, protesté de leur désintéressement, les Japonais brusquement ouvrent une violente offensive contre les Russes de Sibérie. L’apaisement des révoltes paysannes et l’arrêt des bolcheviks à l’est du Baikal, leur ont rouvert l’appétit et rendu le courage.

Vladivostok est occupé. On se bat à Nikolsk et à Khabarovsk, c’est-à-dire très loin au nord sur la voie ferrée.

C’est bien une opération d’envergure pour mettre la main sur les points essentiels de la côte et du bassin de l’Oussouri.

Malgré leur puissance de dissimuler, nos amis nippons laissent percer leur véritable intention.

Le commandant japonais de Vladivostok vient de poser au gouvernement populaire de Sibérie orientale une série de conditions qui semblent fortement inspirées du fameux ultimatum envoyé par l’Autriche à la Serbie en 1914. Sans doute à Tokio possède-t-on plus d’astuce que d’imagination !

1o Le transport, l’approvisionnement et les communications des forces japonaises ne doivent pas être entravés ;

2o Les accords intervenus entre Russes et Japonais, soit au bénéfice des Alliés soit à celui de particuliers, doivent être respectés ;

3o Les partisans des opérations militaires japonaises ne doivent pas rencontrer d’obstacles ;

4o Les sociétés secrètes dangereuses pour la Corée et la Mandchourie sont interdites ;

5o Les articles anti-japonais doivent être interdits dans la presse ;

6o Il ne doit y avoir aucun conflit avec les forces japonaises protégeant la vie et la propriété des Coréens et des Japonais.

Ne nous semble-t-il pas que la deuxième demande marque un certain désir de profiter des circonstances pour s’approprier rapidement le bien d’autrui ?

En lisant le numéro quatre, nous éprouvons une profonde surprise. Dans un de ses articles, dont l’innocence le dispute à la sincérité, Le Temps ne nous avait-il pas récemment démontré que le peuple Coréen était un des plus paisibles et des plus satisfaits du monde. Qui croire, mon Dieu ? Le mot protectorat est-il trop fort pour qualifier le régime nouveau que les Japonais veulent établir à Vladivostok ? Et tout le monde sait ce que signifie un protectorat japonais !

Hélas, l’Europe, absorbée par ses querelles intestines, qui prolongent et renouvellent la guerre, ne peut poursuivre une aussi lointaine politique !

Les États-Unis, tout à leurs affaires et à la préparation de la campagne présidentielle, paraissent capituler systématiquement devant leur ancien ennemi du Soleil Levant.

Il faut donc bien l’avouer, paysans et ouvriers sibériens ne peuvent attendre leur salut que de leurs propres efforts et des succès de l’armée rouge.

Ernest Lafont.
(L’Humanité, 11 avril 1920.)
LA GUERRE DÉCLARÉE À LA RUSSIE ?

Tokio, 9 avril. — L’état de guerre a été déclaré à Vladivostok et à Nikolsk.

(Chicago-Tribune, Paris, 11 avril 1920.)

On mande de Tokio, à la date du 13 avril :

Un accord entre Russes et Japonais a été conclu le 5 avril à Vladivostok. À la suite des troubles qui ont eu lieu dans cette ville, on signale plusieurs victimes.

À Nikolsk, les révolutionnaires se sont rendus le 5 après avoir opposé une assez sérieuse résistance.

À Khabarovsk, le 5 au matin, les révolutionnaires ont ouvert le feu. Après 10 heures de combat, l’ordre a été rétabli. On compte, du côté japonais, 260 victimes tant morts que blessés, et 400 morts du côté russe. Le but des révolutionnaires était de réduire par bombardement la base navale japonaise. Ils ont dû se retirer devant la résistance des défenseurs.

(Le Temps, 15 avril 1920.)
LE MILITARISME JAPONAIS A VLADIVOSTOK

On mande de Tokio, à la date du 14 avril :

Le désarmement des révolutionnaires a été achevé le 10 avril à Vladivostok, Nikolsk et Khabarovsk.

Le gouvernement provisoire de Vladivostok avait adressé au corps consulaire de cette ville une demande de médiation établie sur les bases suivantes :

1o Protestation formelle contre l’action militaire japonaise ;

2o Évacuation et restitution immédiate des établissements occupés par les troupes japonaises ;

3o Explications et excuses de la part du Japon à propos des récents événements ;

4o Restitution des armes confisquées par les troupes japonaises.

Le corps consulaire avait repoussé purement et simplement cette demande par décision du 8 avril.

Le général Bodyrev a été nommé commandant en chef des troupes russes à Vladivostok.

(L’Humanité, 17 avril 1920.)
LES JAPONAIS SÉVISSENT EN SIBÉRIE

Londres, 16 avril. — On mande de Pékin, que la situation devient extrêmement sérieuse. Les Japonais viennent d’occuper à l’improviste plusieurs points importants du chemin de fer chinois oriental et y ont installé des ouvriers japonais.

On estime, dans les milieux officiels de Londres, que l’avance japonaise en Sibérie se poursuit méthodiquement.

Aussitôt après le départ des Américains de Vladivostok, les Japonais sont entrés dans la ville, après une entente avec le gouvernement provisoire. Mais leur premier soin fut de désarmer les troupes russes et de s’emparer des édifices de l’État. En réalité la ville est entre leurs mains.

Ils avancent maintenant dans la région d’Ussuri, bombardent Novo-Nikolaïevsk et poursuivent leur marche.

VIOLENTS COMBATS À KHABAROVSK

Londres, 16 avril. — On câble de Tokio :

De violents combats se sont déroulés à Khabarovsk (Est de la Sibérie) entre Russes et Japonais. Un détachement de soldats russes s’est rendu et a été désarmé, toutefois la majorité des Russes a combattu farouchement. Les Japonais ont eu 327 tués et ont fait 1.500 prisonniers. Le nombre de tués du côté russe s’élève à 400.

À la suite d’une grève des opérateurs télégraphistes, les communications avec Vladivostok ont été interrompues.

(L’Humanité, 18 avril 1920.)
LA SITUATION À VLADIVOSTOK

Vladivostok, 19 avril. — La situation à Vladivostok est normale depuis le début de l’occupation japonaise. Les Japonais ont également occupé le chemin de fer et plusieurs centres importants en deçà de l’Amour.

De nombreux combats ont eu lieu, particulièrement vers Nikolsk et Khabarovsk, où les pertes japonaises et russes se chiffrent par centaines. Les Russes préparent la guerre de guerillas. De nombreux Coréens anti-japonais ont été arrêtés.

(La Lanterne, 20 avril 1920.)

Les bruits répandus sur l’évacuation complète de la Sibérie par les Japonais sont dénués de fondement. D’après les renseignements de Vladivostok, le gouvernement de Tokio aurait décidé de restreindre sa sphère d’action en Sibérie, en occupant par contre plus solidement le territoire conservé. Le chef de la mission diplomatique à Vladivostok, Matzoudaira, a aussi déclaré ne rien savoir de l’évacuation de la Sibérie par les troupes japonaises. Un officier supérieur japonais a déclaré à Tchita que les Japonais maintiendraient l’ordre dans cette ville et ne toléreraient aucune manifestation politique. Les troupes japonaises sont prêtes à réprimer par la force toute tentative de désordre.

(La Cause Commune, 24 avril 1920.)
LE JAPON ATTAQUE LA RUSSIE

Le gouvernement de Tokio, qui veut cacher au monde l’abominable agression dont il vient de se rendre coupable vis-à-vis de la Russie, envoie de nombreuses dépêches officieuses en Occident, qui déforment cyniquement les faits.

Il ose prétendre que les troupes japonaises ont été attaquées, que les Russes avaient préparé un complot. Il agite naturellement aux yeux des Alliés l’éternel spectre bolchevik !

Or, le fait est que Vladivostok n’est pas aux mains des bolcheviks, mais d’un gouvernement socialiste-révolutionnaire, présidé par Medviediev, gouvernement qui a rallié tous les partis sans exception à sa politique.

Notre confrère Pour la Russie vient, d’ailleurs, de nous communiquer la dépêche suivante datée de Vladivostok, 18 avril, où l’on trouvera le récit véridique des événements :

Dans la province maritime, le gouvernement provisoire des Zemstvos comprenait des représentants de toutes les classes de la population russe depuis les propriétaires jusqu’aux bolcheviks. Grâce à l’esprit de coniliation qui animait tous ses membres, il voyait son autorité s’étendre cependant que l’armée s’organisait au milieu de l’enthousiasme national grandissant. Les relations du gouvernement avec le Japon étaient amicales et l’esprit des troupes excellent.

Brusquement, dans la nuit du 4 avril, nos troupes subissaient une attaque simultanée des Japonais ici, le long de la voie ferrée et à Nikolski. Les maisons occupées par les Zemstvos sont bombardées ainsi que plusieurs autres immeubles, des civils sont tués. Le siège du gouvernement est finalement occupé par les Japonais qui y arborent leur drapeau, ainsi que sur les batteries des hauteurs. Nos troupes, qui ont reçu l’ordre de refuser le combat, sont retirées vers les montagnes ; des civils Russes et Coréens ainsi que des soldats blessés sont massacrés.

Le télégramme se termine ainsi :

La nouvelle Douma municipale, y compris les propriétaires et les bolcheviks, a unanimement décide de soutenir le gouvernement, de réclamer son rétablissement dans la pleine souveraineté de ses droits, ainsi que la libération de notre armée, la cessation de l’intervention et la restitution des armes.

Le général Boldgrev a été désigné comme commandant en chef de l’armée.

Ainsi, tandis que les Alliés discutent à San Remo, le Japon agit. Il poursuit avec méthode son programme impérialiste. Il prépare la conquête de la Sibérie orientale, et pour réaliser son plan, écrase la démocratie russe.

Sera-t-il dit que le monde, à l’issue de la guerre du Droit, doit devenir la proie de deux hégémonies : hégémonie anglaise en Occident, hégémonie japonaise en Orient ?

André Pierre.
(L’Humanité, 24 avril 1920.)
LES JAPONAIS EN TRANSBAÏKALIE

Tokio, 3 mai. — À la suite des incidents de Vladivostok, qui avaient fait craindre un moment l’ouverture d’hostilités entre les Russes et les Japonais, un accord vient d’intervenir. Cet accord est d’ailleurs tout à l’avantage du Japon.

Le gouvernement provisoire russe de Vladivostok proclame une amnistie générale. Il s’engage à évacuer complètement la zone du chemin de fer, qui sera occupée par les troupes nipponnes sous le contrôle de la commission interalliée. Les Russes s’engagent à s’abstenir de toute activité dans la région de Sakhaline et dans la Transbaïkalie. Ils remettront à la garde des Japonais les dépôts d’armes et laisseront les casernes à la disposition des troupes du mikado.

Cet accord équivaut en somme à l’établissement d’un véritable protectorat japonais sur toute la région comprise à l’est de Baïkal.

(Le Journal, 5 mai 1920.)

En réponse à une question à la Chambre des Communes, M. Bonar Law a déclaré que l’action des Japonais en Sibérie n’avait pas l’approbation des Alliés.

(Le Journal, 7 mai 1920.)

Washington, 5 mai Les Japonais ont l’intention d’occuper les parties de la Sibérie à l’Est du Baïkal pendant de nombreuses apnées. Leurs troupes d’occupation ont été puissamment renforcées depuis le départ des forces américaines.

Il se confirme de plus en plus qu’un conflit éclatera entre le Japon et l’Amérique dans le Pacifique. On attend impatiemment le retour de M. Roland S. Morris, Ministre des États-Unis au Japon qui doit arriver ici très prochainement.

On fait remarquer la contradiction entre l’attitude et les promesses du Japon faites aux Américains de retirer ses troupes aussitôt que les Tchéco-Slovaques seraient rapatriés. Des représentations diplomatiques auraient déjà été faites à Tokio si le Département d’État n’attendait le retour de M. Morris pour conférer sur la question de Sibérie.

(Chicago-Tribune, Paris, 7 mai 1920.)

Pékin, 7 mai. — Le Japon augmente rapidement ses troupes et ses munitions en Sibérie, dit un message officiel de Kharbine. Durant ces derniers jours, les Japonais ont transporté secrètement — en passant par cette ville — neuf wagons chargés de fusils et huit de munitions ; d’autre part, il s’expédie journellement une douzaine de wagons chargés de vivres et d’équipements militaires.

On dit que les 5e, 13e et 14e divisions japonaises ont quitté Tokio pour la Sibérie en tenue civile et non équipées. On dit, d’autre part, que les Japonais envoient des agents en Mandchourie pour fomenter des troubles sur les lignes du chemin de fer de l’Est-Chinois, afin de leur donner prétexte à intervention.

(Chicago-Tribune, Paris, 12 mai 1920.)
LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE D’EXTRÊME-ORIENT

On mande de Pékin :

Un long message téléphonique de 1.450 mots, signé d’un certain M. Krasnochetof, qui se déclare Ministre des Affaires étrangères de la République d’Extrême-Orient, a été envoyé de Verkhné-Oudinsk (Sibérie orientale) aux représentants des grandes puissances à Pékin. Ce message expose que les représentants de toutes les classes de la population de la Transbaïkalie, réunis à Verkhné-Oudinsk le 16 mai, ont proclamé l’indépendance des territoires situés à l’est du lac Baïkal, sous le nom de République d’Extrême-Orient. Le gouvernement de cette république a été constitué.

Le message de M. Krasnochetof ajoute que son gouvernement, se référant à la promesse que le Japon a faite de retirer ses troupes dès qu’un régime d’ordre serait établi, réclame l’évacuation du pays par les Japonais. Il se déclare opposé au régime de Koltchak, Séménof et autres contre-révolutionnaires, et il demande que tous les gouvernement des grandes puissances entrent en relations politiques et économiques avec la République d’Extrême-Orient, laquelle promet de protéger les étrangers sur son territoire.

Suivant des informations recueillies à la Légation de Russie, M. Krasnochetof se nommerait en réalité Tobieson, et il serait un israélite d’origine russe qui a passé une partie de sa vie aux États-Unis.

(Le Temps, 21 mai 1920.)

Londres, 21 mai. — D’après un télégramme de Vladivostok, le nouvel État-tampon créé entre la Russie soviétique et le Japon comprendrait les provinces sibériennes de Transbaïkalie, de l’Amour, de la côte maritime, de Sakhaline et du Kamtchatka.

(Le Temps, 22 mai 1920.)
L’ARMISTICE RUSSO-JAPONAIS

On mande de Vladivostok :

La Commission d’armistice russo-japonaise a réglé avec succès les différends qui se sont élevés ici. En conformité de l’accord russo-japonais, les bolchevistes locaux se sont retirés à 30 kilomètres de la voie ferrée, évitant de nouveaux combats.

(Le Temps, 22 mai 1920.)

Londres, 28 mai. — Les hostilités entre la Russie et le Japon ont cessé le 25 mai. La Commission russo-japonaise pour l’armistice est arrivée à Khabarovsk.

(Havas.)

On mande de Vladivostok, 30 mai, que Tchitcherine a notifié au gouvernement de Verkhne-Oudinsk que la République des Soviets reconnaît la République extrême-orientale et qu’elle est disposée à entrer en relations avec elle.

(Le Temps, 1er juin 1920.)

Jusqu’à cette heure, la question sibérienne n’est pas encore solutionnée, et les événements qui depuis la guerre semblent dépasser la compréhension et la volonté des hommes, nous apprendront par la suite, le sort de cette immense région.

Il nous a paru intéressant de donner in fine quelques opinions autorisées sur cette question.

JAPON ET SIBÉRIE

« En examinant l’autre jour, les différents plans que pourrait adopter le gouvernement de Tokio dans le cas où la politique du parti militaire triompherait définitivement nous avons émis cette opinion que, selon toute probabilité, c’est la « recherche d’une nouvelle influence centrale » qui serait entreprise.

Cette « influence centrale », avons-nous dit, ne peut, naturellement, être ni le Gouvernement provisoire d’Irkoutsk, ni les organes de self-gouvernement local — comme les Zemstwos ou les municipalités — car ce n’est pas là qu’on peut trouver les instruments dociles de l’État-Major japonais.

La déclaration par laquelle le Zemstwo de la Province Maritime annonce la prise provisoire du pouvoir politique dans la région confirme nos prévisions.

« L’intervention étrangère, dit cette déclaration, rendant le travail des Russes plus difficile que jamais et ayant tendance à fomenter la lutte intérieure préjudiciable à la restauration de l’ordre, des efforts spéciaux doivent être faits pour maintenir l’ordre et éviter ainsi la continuation de l’intervention étrangère. L’assistance nécessaire sera donnée au passage des Tchèques. »

Ceci ne peut être considéré que comme une invitation polie adressée aux Japonais de cesser toute « assistance » ultérieure aux Russes qui la déclinent et aux Tchèques qui n’en ont plus besoin puisque le nouveau Gouvernement s’en charge.

Cette déclaration officielle empêche le Gouvernement de Tokio de toute possibilité de dissimuler sa politique d’agression derrière la soi-disante protection de la population de Sibérie contre la menace des Soviets.

Désormais, tout maintien ultérieur de ses troupes en Sibérie Orientale signifierait que le Japon s’oppose non seulement au bolchevisme, mais à toutes les institutions démocratiques russes.

Ainsi l’espoir de certains hommes d’État japonais d’encourager les éléments démocratiques de Sibérie à continuer la lutte fratricide avec l’appui des baïonnettes nipponnes pour consolider l’emprise du Japon jusqu’au lac Baïkal doit être abandonné.

M. Kato, étant sur place, s’en est déjà rendu compte et a suggéré dans son interview de Séoul, que le Japon ne peut s’appuyer que sur son agent Sémenoff et ses Cosaques.

La Transbaïkalie, le domaine de Semenoff était la seule des trois provinces de Sibérie Orientale dont l’attitude, par suite de manque de télégrammes, n’était pas connue jusqu’ici. [[File:]]

LE DOCTEUR SYNGMAN RHEE

Fit ses études à l’Université de Washington, puis sa Licence (M. A.) à Harvard et son Doctorat (Ph. D.) à Princeton. Devint en 1894 un des leaders du Club de l’Indépendance Coréenne, Condamné à mort par l’ancien Gouvernement Coréen, puis gracié, il subit dix années de prison et de tortures jusqu’à l’amnistie. Il fut élu, le 23 avril 1919 Président de la République Coréenne.

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DÉMONSTRATION DEVANT L’ARC DE L’INDÉPENDANCE A SÉOUL.

Or, d’après un correspondant de l’Asahi, les « troupes japonaises dans la Transbaïkalie sont l’objet d’une grande hostilité surtout parce que, dans l’opinion générale, elles soutiennent l’Ataman Semenoff qui est haï par la population. »

Bref, le Japon perd le dernier point d’appui.

Après les paysans qui menaient déjà plus d’un an, une guerre implacable des partisans, après les ouvriers, les municipalités, les coopératives, les Zemstvos, voilà que les Cosaques se dressent contre les envahisseurs et leurs agents et refusent de servir désormais d’instrument aveugle entre les mains de louches aventuriers.

Cette unanimité de tous les habitants de la Sibérie Orientale accule le Japon à cette alternative :

Ou bien se conformer au désir du peuple russe et à l’opinion publique japonaise en retirant toutes ses troupes, ou bien suivre la politique de la clique militariste en déclarant la guerre à la Russie.

D’après les dernières nouvelles de source japonaise on se prononce de plus en plus énergiquement, dans les couloirs de la Diete, pour le retrait des troupes japonaises de Sibérie.

Le Gouvernement de Tokyo continue, cependant, à garder une attitude hésitante, ce qui est d’ailleurs naturel.

La tentation pour faire aboutir d’un seul coup le plan de l’établissement d’un Grand Empire sur le Continent, devant comprendre la Corée, la Sibérie Orientale, la Mandchourie et la Mongolie, plan à la réalisation duquel la diplomatie japonaise travaille activement depuis 1904 lorsqu’elle menait encore la guerre contre la Russie pour l’indépendance de la Corée et l’intégrité de la Chine, cette tentation, disons-nous, est trop forte pour que les militaristes japonais y renoncent facilement. »

(Journal de Pékin, 16 février 1920.)
EN EXTRÊME-ORIENT

Que se passe-t-il en Extrême-Orient ? Ici, sur la terre d’Occident, nul ne le sait d’une façon précise.

En notre siècle de télégraphie sans fil, où dans tous les coins du monde, tout l’Univers devrait, heure par heure, voir étalé sous ses yeux le tableau de toutes les choses humaines, sur certains événements nous ne sommes pas plus renseignés que si nous étions au XVIIIe siècle : les nations auraient cependant intérêt primordial à savoir, afin de pouvoir régler elles-mêmes leurs destinées au lieu de les abandonner aux caprices des intrigants qui « ayant beau mentir en venant de loin » ou étant sensés venir de loin, bourrent le crâne du public.

De l’Extrême-Orient nous ne savons rien. De temps en temps, nous arrivent des dépêches tronquées, peu explicites, contradictoires, qui font entrevoir à l’Occident que le feu est là-bas aux extrémités orientales de l’Asie : mais c’est tout.

Nous savons — et dans quelles conditions le savons-nous ! — que l’on se bat sur toutes les frontières de la Russie et que l’on s’y bat — hélas ! — avec l’argent et les armes de la France et de l’Angleterre, mais dans quelles conditions ? Les gouvernements de l’Occident ne fournissent pas l’ombre d’une explication : les radios bolchevistes incertains, sujets à contestation, ne sont ni exposés, ni critiqués.

À travers l’épaisse fumée qui s’élève des incendies allumés sur la frontière polonaise et sur la frontière du Caucase, fumée qui forme vers le ciel d’Orient un gigantesque rideau, nous percevons cependant que la bataille incessante est engagée dans le bassin de l’Amour.

Quelle est l’issue de la bataille, mieux, quelles sont même ses péripéties ? Obscurité complète.

 

Avec les nouvelles vagues et incertaines venues soit de Sibérie, soit de Tokio, c’est bien la guerre qui est allumée entre le Japon et la Russie, guerre affectant même forme de conquête tragique.

Un jour, on apprend que les Japonais ont pris Vladivostock et ont fait flotter leur drapeau sur le grand port du nord-occidental du Pacifique, tenant le transsibérien entre leurs mains : le lendemain, on apprend que le pavillon a été retiré et que la prise du port et de la ville n’a été que le résultat d’une méprise !

Méprise singulière ; mais ce qui n’est pas une méprise c’est l’occupation par les soldats du mikado de certaines villes des bords du fleuve Amour, villes bombardées au préalable et enlevées, leurs populations livrées au massacre !

Il passerait à travers toute la Sibérie un vent de tragique affolement, l’ère des massacres étant ouverte et, par ce que l’on sait que les Japonais ont fait en Corée, on comprend l’effroi des populations sibériennes.

Le XXe siècle s’ouvrait comme le siècle de grande civilisation : Guillaume II ayant déclenché la guerre d’effroyable barbarie, l’Entente a fait triompher le Droit et la Justice : or, il se trouve que, partout, c’est l’effroyable barbarie qui s’exerce, jetant les peuples les uns contre les autres, faisant couler le sang à flots.

Et l’Occident ne paraît pas s’en préoccuper !

Les hordes d’Orient s’exercent à la lutte en leurs batailles intestines, elles se font la main aux massacres ; écoutez bien : comme aux premiers siècles, ces hordes se mettront un jour d’accord pour rouler sur les riches proies offertes à leurs convoitises par les pays d’Occident et pour assouvir leur rut sur les populations blanches, blondes et brunes qui tenteront la brutalité féroce des fils de Genjis-Khan !

Que l’Europe sache donc ce qui se passe en Extrême-Orient ; qu’elle le sache pour aviser !

C’est simple prudence.

Alexandre Bérard,
Sénateur.
(Le Radical, 13 avril 1920.)
LE JAPON ET LA SIBÉRIE

« Une dépêche de Washington publiée dans le Chicago Tribune du 7 mai 1920, annonce que les Japonais ont l’intention d’occuper en partie la Sibérie pendant une période de plusieurs années et que leurs troupes d’occupation ont été, à cet effet, puissamment renforcées.

Cette brève nouvelle est d’une signification des plus importantes. Le Japon a saisi et occupe la Sibérie, c’est là le fait le plus significatif de la politique internationale et il passe presque inaperçu. C’est le commencement d’un changement redoutable qui, en son temps, se fera sentir terriblement sur le monde.

Il est aisé d’entrevoir dans cette campagne, soigneusement dirigée, un double projet : 1o l’extension de la puissance militaire et de l’hégémonie de l’Empire Japonais ; 2o la suppression de 1’influence Européenne et Américaine en Asie, en d’autres termes, la Doctrine de Monroe Japonaise est en action.

Dans l’espace de vingt ans, le Japon a pour ainsi dire acquis toute l’Asie, mais combien faudra-t-il de temps avant que le reste ne soit absorbé ? Si l’on regarde la carte de la Chine aujourd’hui, l’étau Japonais étreint ce vaste pays de trois côtés : depuis le Foukien au sud jusqu’au fleuve Yangtse, le Chantoung à l’est et la Mandchourie ainsi que la Mongolie au nord. Le grand port de Wladivostock et les régions fertiles de la Sibérie sont maintenant sous la domination Japonaise. C’est apparemment le premier pas vers la formation d’un premier Empire du monde. Le succès de ce plan gigantesque dépend de la manière dont il sera, toléré par les autres nations Asiatiques, comme la Chine, la Corée, et par les Puissances Européennes et Américaines.

Il y a quelques années, les nations occidentales protégeaient gentiment ces « petits Japonais » souriants et leurs voisins Asiatiques étaient très amis avec eux, ne soupçonnant pas le poignard caché sous leur kimono. Puis, ces « petits Japonais » gagnèrent deux guerres, contre la Chine et la Russie. Dans la dernière, ne pouvant vaincre complètement par les armes, ils atteignirent leur succès par une habile diplomatie. À la conclusion de cette guerre, le Japon, sans aucun scrupule, absorba la Corée, une terre de vingt millions d’âmes, qui était son alliée et dont la contribution active avait assuré la victoire Japonaise.

Quand la grande guerre de 1914 éclata, le destin servit encore le Japon ; il chercha à absorber toute la Chine, mais le géant était trop grand pour être avalé d’un seul coup. Depuis, le Japon a resserré son étreinte autour de Pékin. La révolution Russe servit également aux Japonais l’occasion d’offrir à Koltchak leur assistance sous certaines conditions ; ces conditions étant la concession d’un monopole sur tout ce qui peut avoir de la valeur en Sibérie. À la suite des protestations de l’Amérique sur ce que le Japon agissait seul, on en fit une question alliée, ce qui retint la main du Japon pendant un certain temps ; mais lorsque les Alliés se furent fatigués d’une intervention sans profit et que les contingents Américains se furent retirés de Sibérie, le Japon lança aussitôt une vive offensive contre les Russes, dont le résultat est l’occupation permanente de la Sibérie.

Pendant tout le dernier hiver, il installa d’énormes magasins d’armes et de provisions et répandit près de 200.000 hommes le long des frontières Coréennes et dans le pays même.

Dans l’intervalle, des messagers envoyés de Tokio, pour la propagande à l’étranger, disaient que le peuple Japonais était contre la politique du Gouvernement en Sibérie, et proposaient le retrait des forces japonaises. Le Gouvernement, en réponse, proclamait que le Japon s’en irait en temps voulu ? C’est du reste devenu une habitude des Japonais de déclarer en occupant un pays : « Je m’en irai ». Ils dirent la même chose en Corée et au Chantoung ! Derrière le rideau, le Japon se rapproche de la Chine ; il lui propose une alliance offensive et défensive. Il faut espérer que la Chine portera ses regards sur la Corée à travers la Mer Jaune, et qu’elle se rappellera, à temps, ce que le traité d’alliance Coréo-Japonais a fait pour la Corée. Le Japon ne cache pas non plus son désir de faire un arrangement avec la France à propos des possessions Françaises de l’Indo-Chine !

Le rêve du Japon de dominer l’Asie comme prélude d’une domination mondiale est en train de se réaliser rapidement. Il y a pourtant un grand obstacle à son projet, c’est son inhabilité à japoniser les différentes races de l’Asie ! L’exemple le plus frappant en est la Corée où il récolte l’insuccès le plus complet. Il y a des probabilités et des possibilités dans son projet, mais pour la Corée, c’est une impossibilité d’être autre chose que la Corée. Il est étonnant de voir avec quelle impertinence les Japonais répandent en Corée le bruit du « Péril Blanc » ! : « Joignez-vous à nous, disent-ils, nous voulons garder l’Asie aux Asiatiques ». Mais leurs efforts répétés pour répandre en Corée ou ailleurs ce bruit tendancieux ont complètement fait faillite. Il faut être Japonais pour concevoir un plan aussi fantastique. Ils ont détruit notre liberté, nos foyers, notre histoire vieille de 42 siècles et maintenant ils osent nous faire cette ignoble proposition. Nous, Coréens, ne sommes intéressés que dans la Corée pour les Coréens et non dans l’Asie pour les Japonais !

Il est tard, mais pas trop tard pour arrêter la marche des Insulaires Nippons, pour leur propre salut et celui de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique. Quelques précautions valent mieux que beaucoup de remèdes, c’est-à-dire qu’une prompte action dès maintenant sauvera le monde d’une guerre de races, qui sera inévitable si le Japon est autorisé à s’étendre sur le Continent et vers le Pacifique.

E.-K. Whang.
(Paru en partie dans le Chicago Tribune, Paris, 10 mai 1920.)

2. — Le Renouvellement de l’Alliance Anglo-Japonaise


C’est dans le courant de ce mois que sera dénoncée ou renouvelée l’alliance anglo-japonaise qui expire en 1921.

Les discussions sont déjà nombreuses, tant en Angleterre qu’au Japon, au sujet de ce renouvellement ; les intérêts ayant fortement changé, de part et d’autre, depuis le renouvellement du 20 juillet 1911.

Des difficultés nombreuses s’élèvent entre ces deux pays, vu le développement considérable que prend le Japon en Extrême-Orient. L’Impérialisme Japonais commence à émouvoir le gouvernement britannique. L’Angleterre craint, en effet, de froisser l’Amérique, par un renouvellement pur et simple de la Convention de 1911 ; et, d’autre part, elle ne désire pas non plus s’engager dans une aventure militaire où pourrait l’entraîner, assez prochainement, le Japon ; aventure dans laquelle l’Angleterre aurait tout à perdre. Nous ne sommes plus aux temps de la première alliance de janvier 1902, ni même à ceux de la seconde alliance du 12 août 1905, renouvelée en 1911. La grande guerre de 1914 est venue bouleverser toutes les situations politiques.

Cette alliance, si elle se renouvelle (car nous ne comprenons pas des alliances subsistant avec une Société des Nations ?), subira de profonds changements ; c’est du moins, ce que nous en indique la rumeur ; c’est aussi une nécessité impérieuse pour la politique propre de l’Angleterre dont les hommes d’État sont suffisamment clairvoyants pour ne pas s’engager à faux !

« On commence à se préoccuper en Angleterre d’une question qui est très débattue déjà dans les journaux du Japon, à savoir du renouvellement de l’alliance anglo-japonaise.

Le traité d’alliance actuel ne doit prendre fin qu’au mois de juillet 1921, mais il peut être dénoncé par l’une ou par l’autre des parties contractantes avec un préavis de 12 mois, c’est-à-dire que l’Angleterre ou le Japon pourraient l’annuler en annonçant le mois prochain qu’ils renoncent à l’alliance en question.

Un certain nombre de questions relatives à la politique japonaise en Chine et en Sibérie sont déjà posées entre les deux pays. La politique du parti militaire japonais et en particulier l’accord secret conclu entre le Japon et la Russie, en 1916, ont occasionné des froissements en Angleterre.

D’autre part, les États-Unis, le Canada et l’Australie ne sont pas favorables au renouvellement de l’alliance anglo-japonaise. Néanmoins, il n’est guère douteux que l’alliance conclue entre les deux grands empires maritimes ne leur paraisse indispensable et ne soit par conséquent renouvelée l’année prochaine. »

(Le Temps, 7 mai 1920.)

« La Grande-Bretagne donnera un avis formel au Japon le 20 juillet de ses intentions de dénoncer le Traité d’Alliance qui expire dans un an. Cet acte ne sera que la procédure régulière des affaires en matière de Traité et n’implique aucune idée de rupture entre les deux pays.

« On annonce, aujourd’hui, que le Traité sera probablement renouvelé, et en ce cas, il est certain qu’il comportera une clause, en l’état actuel des choses, de sauvegarde pour la Grande-Bretagne contre un appel de son appui au Japon dans une querelle avec l’Amérique.

« Ce sera le premier Traité, ayant une certaine importance, qui sera soumis à l’approbation de la Ligue des Nations, et, à moins d’un changement possible de sa politique, l’Amérique ne pourra pas intervenir dans la discussion de cette alliance où ses intérêts sont si vitalement en jeu. Cette discussion fera également découvrir le Traité secret intervenu entre la Chine et le Japon en 1918, qui, on suppose, donne au Japon un véritable contrôle dans les affaires militaires et dont les termes n’ont pas été communiqués à l’Angleterre. »

(Par John Steele, Chicago Tribune, Paris, 7 mai 1920)

« J’ai interrogé une éminente personnalité japonaise de passage à Londres, sur le traité d’alliance anglo-japonais. Je lui ai demandé si le traité serait renouvelé :

« Cela ne fait pour moi aucun doute, me répondit mon interlocuteur. Le traité conclu entre la Grande-Bretagne et le Japon en 1902, renouvelé en 1911, constitue la base, le pivot de toute notre politique étrangère. Vous remarquerez, ajouta-t-il, que ce traité prévoit, dans son article 4, une prolongation automatique tant qu’il n’aura pas été dénoncé, avec 12 mois de préavis par l’une des hautes parties contractantes. Nos rapports avec la Grande-Bretagne et les Dominions sont aussi bons aujourd’hui qu’ils l’ont été dans le passé. En Sibérie, nous nous sommes efforcés de remplir loyalement la tâche que nous imposait notre coopération avec les alliés. Aussi, le progrès de nos entreprises commerciales, pendant la guerre, a suscité des jalousies, en particulier de la part de négociants et de firmes de la Grande-Bretagne.

Il est évident que le Japon, par sa position géographique, était mieux placé que tout autre pays étranger pour satisfaire, pendant la guerre, aux besoins du marché chinois. Les rivalités commerciales de certaines branches de l’exportation britannique ne sauraient envenimer les rapports les plus cordiaux qui existent entre les deux pays. Tout au plus, pourraient-elles donner lieu à certaines négociations, en vue d’une meilleure entente économique entre la Grande-Bretagne et le Japon… »

(Correspondant spécial du Temps, 8 mai 1920.)

Un accord anglo-américain sera probablement la base du nouveau Traité :

« Le Japon commence à s’apercevoir que sa politique extérieure et son attitude, particulièrement en Chine, sont cause de méfiance et de soupçon en Angleterre et en Amérique et que cette politique pourrait affecter considérablement le renouvellement de l’alliance anglo-japonaise. On a la certitude au Japon, d’après le correspondant du Morning Post, que le renouvellement de cette alliance se fera sur de nouvelles bases.

« Malgré que le Japon donne l’assurance qu’il a toujours été sincère vis-à-vis de cette alliance, le développement agressif de ses intérêts en Chine a éveillé les suspicions de l’Angleterre et des Etats-Unis..Chaque acte de l’Angleterre et de l’Amérique qui confirme l’existence de.cette méfiance est immédiatement grossi, exagéré, déformé par la presse japonaise et en augmente d’autant plus la méfiance.

« Les plans de l’amiral Jellicoe de faire de Singapore une forte base navale avec une puissante flotte pour l’Australie, et l’augmentation de la puissance navale de l’Amérique dans le Pacifique indiquent suffisamment que les pays de langue anglaise ne laisseront plus longtemps la garde du Pacifique au Japon.

« Les relations anglo-américaines tendent de plus en plus à confirmer la méfiance du Japon envers la Grande-Bretagne, car on commence à comprendre au Japon, que dans l’avenir, l’Angleterre et l’Amérique coopéreront dans toutes les difficultés comme ils viennent de le faire dans la guerre.

« Depuis que la politique américaine en Asie Orientale est considérée comme contraire à celle du Japon, le Japon ne croit plus que l’Angleterre puisse entrer dans un arrangement de nature à porter préjudice aux Etats-Unis.

« Les Japonais reconnaissent aussi que la situation présente de leur Empire ne se serait jamais réalisée sans l’aide de l’Angleterre et de l’Amérique. »

(Chicago Tribune, Paris, 11 mai 1920.)

Les Dominions s’inquiètent du renouvellement du Traité anglo-japonais : « L’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zeeland s’inquiètent beaucoup de l’approche du renouvellement de l’alliance anglo-japonaise. Les discussions sont nombreuses à ce sujet.

« Que le Traité se renouvelle ou non, l’Angleterre a décidé de faire valoir le droit de ces trois pays de maintenir l’exclusion de l’immigration japonaise.

« Elle est également déterminée à renforcer et à rendre plus explicite la clause qui l’exemptera de l’obligation de prendre part dans une guerre quelconque entre le Japon et l’Amérique. »

(Chicago Tribune, Paris, 18 mai 1920.)

Londres, 20 mai. — On mande de Tien-Tsin, 17 mai, au Morning Post : « La question du renouvellement ou de la dénonciation du traité d’alliance anglo-japonaise suscite le plus vif intérêt en Chine. Les Anglais résidant en Extrême-Orient sont presque unanimement opposés au renouvellement de cette alliance sous sa forme actuelle, estimant qu’elle met obstacle à la coopération cordiale entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis si souhaitable pour résoudre les questions chinoises.

(La Patrie, 20 mai 1920.)

Tokio, 28 mai. (Retardée en transmission) :

« L’ancien premier ministre, marquis Okouma, a déclaré dans une interview que l’alliance anglo-japonaise était au plus haut point nécessaire, étant donné la situation critique de l’Orient. Cette alliance devrait être bien accueillie par les Etats-Unis qui devraient même en faire partie. »

(Le Temps, 1 juin 1920.)
LA CHINE FAIT ENTENDRE SA VOIX
NOTE À LA GRANDE-BRETAGNE ET AU JAPON

Pékin, 4 juin. — L’attitude officielle de la Chine dans la question du renouvellement de l’Alliance Anglo-Japonaise a été exposée dans une note publiée aujourd’hui par le Ministre Chinois des Affaires étrangères.

La note explique que la Chine a le droit de s’intéresser à cette affaire, ajoutant que les stipulations la concernant dans les traités d’alliance Anglo-Japonaise de 1905 et de 1911, ont été arrêtées sans son assistance, ni même sa consultation, fait dont l’opinion publique chinoise s’est longuement ressentie. Le Ministre de Chine à Londres a reçu des instructions de faire ressortir que la Chine ne tolérerait pas plus longuement d’être considérée comme une simple entité territoriale dans un tel traité, et que cela serait considéré par elle comme un acte inamical !

Le Ministre, dit la note, reçut une réponse verbale à cet effet, que les agréments successifs ont été rédigés toujours dans le même sens, et que si cette alliance doit être renouvelée, elle se fera dans les mêmes termes. Le Gouvernement chinois a répondu dans un mémoire, montrant que la première alliance de 1902 était totalement différente de celle de 1905, d’autant que la première garantissait tout spécialement l’Indépendance de la Corée ; qu’en 1905 les Indes étaient comprises, pour la première fois, dans le traité et que la Corée était reléguée, d’une façon très expressive, au second plan, laissant supposer une future annexion ». Que dans le troisième traité, aucune stipulation ne parlait de la Corée ou des Indes.

Le mémoire ajoute : « Que des changements vitaux sont intervenus dans la situation des parties contractantes ; l’opinion chinoise n’est pas de mauvaise foi dans cette question du renouvellement du traité ; tout le monde est d’accord que la Chine a terriblement souffert de ses effets durant la guerre. De plus, comme la Chine a signé et ratifié le traité autrichien, elle est devenue un Membre de la Société des Nations, qui, elle le croit, fut créée de bonne foi ; elle est avisée qu’un contrat relatif à ses intérêts entre d’autres membres de cette Société ne peut intervenir sans son propre consentement ; l’article 10, du Pacte étant une garantie suffisante que son intégrité territoriale sera respectée. La Chine espère que le Gouvernement britannique répondra à sa note ; elle a l’intention d’en adresser une semblable au Japon, afin de bien établir son attitude nationale dans une question essentielle pour la paix et la prospérité de son peuple.

(Agence Reuter.)

Il est bon de noter toute l’importance de cette intervention chinoise dans un traité futur où ses intérêts vitaux sont en cause et où toute la paix en Extrême-Orient est en jeu.

Nous espérons que l’Angleterre et le Japon se rappelleront qu’ils sont signataires du pacte de la Société des Nations !

(N. D. L. R.)

☐☐☐

L’ACTION CORÉENNE


1. — Déclaration d’Indépendance de la République de Corée

« Nous, les représentants du peuple Coréen, déclarons à toutes les nations du Monde, l’Indépendance de la Corée et la Liberté du peuple Coréen ; et nous annonçons à nos enfants et petits-enfants les grands principes d’égalité humaine et le droit éternel de propre préservation. Pleins d’une auguste vénération pour les quatre mille ans de notre histoire et au nom de nos vingt millions d’habitants loyaux et unis, nous déclarons notre indépendance pour garantir le libre développement de nos enfants dans tous les temps à venir ; en conformité avec la conscience éveillée de l’homme dans cette nouvelle ère. Ceci est la claire inspiration de Dieu, le principe vivant de l’âge présent et le juste droit de la race humaine.

« Victimes du temps passé, quand la force brutale et l’esprit de pillage régnaient, nous avons souffert l’agonie d’une oppression étrangère pendant ces derniers dix ans ; nous avons été privés de tous droits d’existence, nous avons été dépouillés de notre liberté de penser et de parler ; on nous a refusé toute juste participation au progrès de l’époque où nous vivons.

« Assurément si les torts du passé doivent être redressés, si la souffrance du présent doit être soulagée, si une oppression future doit être évitée, si la pensée doit être exprimée librement, si le droit à l’action doit être reconnu, si nous devons obtenir le privilège du libre développement, si nous devons délivrer nos enfants d’un héritage douloureux et honteux : ce qui s’impose d’abord c’est la complète Indépendance de notre nation. Aujourd’hui, nous tous et chacun de nos vingt millions de Coréens, armés des principes d’équité et d’humanité, nous nous levons pour la vérité et la justice. Quelles barrières sont sur notre chemin, que nous ne puissions briser ?

« Nous n’avons nullement l’intention d’accuser le Japon de fausseté quand il imputa à la Chine d’avoir violé le traité de 1876, d’arrogances injustifiées quand ses bureaucrates nous traitent comme un peuple conquis, de desseins honteux lorsqu’il bannit notre cher langage et notre histoire, de honte quand il employa des moyens d’oppression afin de paralyser notre culture (de laquelle dérive sa propre civilisation).

« Ayant de plus nobles devoirs, nous n’avons pas le temps de trouver des torts aux autres. Notre besoin urgent est le rétablissement de notre maison et non la discussion de ce qui l’a détruite. Notre travail est d’éclaircir l’avenir en accord avec les ordres formels dictés par la conscience de l’espèce humaine. Ne nous offensons pas des torts du passé.

« Notre rôle est d’influencer le gouvernement Japonais obstiné comme il l’est dans ses anciennes méthodes de force brutale contre l’humanité, de façon qu’il puisse modifier avec sincérité ses principes dirigeants selon la justice et la loyauté. Ayant annexé notre contrée sans le consentement de notre peuple, le Japon a établi à son propre bénéfice de faux comptes de profits et pertes il nous a opprimés de façon indescriptible creusant un fossé de haine de plus en plus profond.

« Les torts du passé ne seront-ils pas redressés par une raison éclairée et un noble courage ? Est-ce qu’une compréhension sincère et une amitié loyale fourniront les bases de nouvelles relations entre les deux peuples ? Nous aveugler, nous, vingt millions de Coréens, par pure force, ne signifie pas seulement la perte de la paix pour toujours entre les deux nations, mais ce serait la cause d’une défiance et d’une haine toujours grandissantes contre le Japon de la part de 400 millions de Chinois qui sont le pivot sur lequel repose la paix perpétuelle de l’Asie Orientale.

« Le temps de la force est passé, une nouvelle ère la renaissance universelle que nous envisageons sans hésitation et sans crainte. Pour la liberté de notre peuple Coréen, pour le développement libre de notre génie national, pour l’inviolabilité de notre sol, nous sommes tous unis’par une mâle détermination en ce jour mémorable ! Puisse l’esprit de nos aïeux nous aider à l’intérieur et la force morale du monde nous aider à l’extérieur ! Que ce jour soit celui de notre réussite et de notre gloire !

« Dans cet esprit nous nous engageons à observer les trois résolutions suivantes :

« 1o Pour la justice, l’humanité et l’honneur, nous tâcherons qu’aucune violence ne soit faite à qui que ce soit !

« 2o Jusqu’au dernier homme, jusqu’au dernier moment nous garderons ce même esprit.

« 3o Tous les actes seront honorables et en continuel accord avec notre : esprit Coréen de probité et de franchise.

« En cette quatre mille deux cent cinquante-deuxième année de la. fondation de notre nation Coréenne, en ce premier jour du troisième mois.

« Au nom du peuple Coréen. »

Signatures des trente-trois représentants du peuple Coréen.
Buts et Aspirations du Peuple Coréen

« I. — Nous croyons dans un gouvernement qui reçoit des gouvernés son pouvoir légitime. Par conséquent, le gouvernement doit être administré pour les intérêts du peuple qu’il gouverne.

II. — Nous proposons d’avoir un gouvernement sur le type de celui de l’Amérique, autant que possible, compatible avec l’éducation des masses. Pour la première décade, un pouvoir plus centralisé dans le gouvernement peut être nécessaire ; mais dans la mesure où l’éducation du peuple progressera et où il acquèrera plus d’expérience dans l’art de se gouverner lui-même, il lui sera permis de participer plus universellement aux affaires gouvernementales.

III. — Pourtant, nous proposons de donner le droit universel d’élire des législateurs locaux et provinciaux, et le droit à ces législateurs provinciaux d’élire les représentants de la Législation nationale. Les législateurs nationaux possèderont le pouvoir en coordination avec le Département. Exécutif du Gouvernement ; ils auront le pouvoir unique de faire les lois de la Nation et seront seuls responsables envers le peuple qu’ils représentent.

IV. — Le Département Exécutif comprendra le Président, le vice-Président et les ministres du Conseil qui mettent en exécution toutes les lois faites par la Législation Nationale. Le Président et son Conseil sont responsables envers la Législation Nationale.

V. — Nous professons la liberté de religion. N’importe quelle religion ou doctrine sera librement enseignée et prêchée dans le pays, à condition que son enseignement n’entre pas en conflit avec les lois ou les intérêts. de la nation.

VI. — Nous professons la liberté du commerce avec toutes les nations du monde, assurant aux citoyens et sujets de toutes les puissances commerçantes une égale facilité et protection pour développer des relations commerciales et industrielles entre eux et la population Coréenne.

VII. — Nous professons l’éducation du peuple qui est plus importante qu’aucune autre activité gouvernementale.

VIII. — Nous professons les progrès de l’hygiène moderne sous le contrôle de la science, car la santé du peuple est une des considérations premières de ceux qui gouvernent.

IX. — Nous professons la liberté des discours et la liberté de la’presse. En fait, nous sommes en accord complet avec le principe de la démocratie, de la réciprocité de traitement, d’une saine économie politique, des libres rapports entre les nations du monde, ce qui rend les conditions de vie de tout le peuple très favorables à un développement illimité.

X. — Nous professons la liberté d’action dans tous les domaines, à condition que ces actions n’aillent pas à l’encontre des droits d’autrui ou ne soient en conflit avec les lois et intérêts de la nation.

Donnons solennellement notre parole d’exécuter ces points essentiels dans la plus grande mesure de nos forces, aussi longtemps qu’un souffle de vie nous restera. »

La Constitution Provisoire

La Constitution fut établie sur la base des dix principes suivants :

1o La République Coréenne suivra les principes démocratiques.

2o Tous les pouvoirs d’État s’appuieront sur l’Assemblée provisoire de la République.

3o Tous les citoyens de la République Coréenne seront égaux, sans distinction de sexe, de rang ou de condition.

4o Les citoyens de la République Coréenne auront la liberté religieuse, la liberté de parole, de presse et de réunion et le plein droit de résidence et de déplacement.

5o Les citoyens de la République Coréenne jouiront du droit de voter pour et d’être élus à toute fonction publique.

6o Les citoyens de la République Coréenne considéreront comme étant de leur devoir d’entreprendre l’éducation universelle, de payer les taxes, et de s’offrir pour le service militaire.

7o La République Coréenne, ayant été fondée par la Volonté de Dieu, s’offrira elle-même comme tribut à la paix et à la civilisation du monde et s’adressera à la Ligue des Nations pour en faire partie.

8o La République Coréenne traitera avec bienveillance la précédente famille impériale.

9o Les peines capitales et corporelles et la prostitution publique seront abolies.

10o Dans le courant de l’année qui suivra la libération de la Corée, le Congrès national sera convoqué.

Ont signé :

Le Président de l’Assemblée nationale provisoire.

Le Chef du pouvoir exécutif du Gouvernement provisoire.

Les Secrétaires des Affaires étrangères,

Les Secrétaires de l’Intérieur,

Les Secrétaires de la Justice,

Les Secrétaires des Finances,

Les Secrétaires de la Guerre,

Les Secrétaires des Communications,

(La première année et le quatrième mois de la République Tai-Han) (Avril 1919.)

La méthode d’administration suivante fut également adoptée :

1o L’égalité de tous les peuples et nations sera respectée ;

2o La vie et la propriété des étrangers seront respectées ;

3o Pleine et entière amnistie sera garantie à tous les délinquants politiques ;

4o Les droits et devoirs envers les puissances étrangères seront observés en accord avec tous les traités qui seront conclus par le Gouvernement de la République ;

5o Sous serment solennel, il est convenu de favoriser et de maintenir l’Indépendance absolue de la Corée ;

6o Ceux qui passent outre les ordonnances du Gouvernement provisoire seront regardés comme ennemis de l’État.


2. — Anniversaire de l’Indépendance Coréenne


Un triste anniversaire : 3.000 arrestations

Le 1er mars étant le premier anniversaire du mouvement d’indépendance de la Corée, de nombreux résidents coréens de Tokio tinrent une réunion à la Y.M.C.A. coréenne. Cette réunion était considérée, par le poste de police de Nishi Kanda sous la juridiction de laquelle le lieu de réunion était placée, comme illégale, l’ordre fut donné de la disperser. Tous les Coréens présents à la réunion se dirigèrent alors vers le parc Hibiya et se groupant autour du kiosque à musique de ce parc poussèrent de vigoureux Mansei. Ils commençaient à peine à prononcer des discours quand la police intervint de nouveau et ordonna à la foule de se disperser. 53 Coréens, étudiants et étudiantes pour la plupart, furent arrêtés et conduits au poste de police pour y répondre du fait d’avoir tenu une réunion publique sans avoir obtenu, préalablement, la permission des autorités. Ils furent maintenus en état d’arrestation jusqu’à plus amples informations.

Une dépêche reçue de Taiku, par l’Asahi, dit que pour prévenir des désordres possibles à l’occasion du 1er mars, jour anniversaire de la déclaration d’indépendance de la Corée, plus de 3.000 Coréens, reconnus comme de caractère dangereux, furent placés en observation dans les quartiers de police. Un certain nombre d’agents de police, soit en uniforme soit en bourgeois, furent répartis dans la gare et autres points de la ville pour surveiller étroitement les mouvements des Coréens. Des perquisitions furent opérées. Toutefois, de nombreuses protestations furent reçues, par les autorités japonaises, émanant d’éminentes personnalités coréennes et se plaignant de l’intervention de la police dans leurs mouvements.

Grace aux précautions prises, la journée se passa à peu près tranquillement dans la plupart des grands centres.

(Journal de Pékin, 8 mars 1920.)
La Fête Coréenne

Vladivostock, 1er mars. — 20.000 hommes, femmes et enfants coréens environ ont pris part à la fête célébrant l’anniversaire de la proclamation de l’indépendance coréenne.

La ville coréenne est décorée avec des drapeaux nationaux et rouge.

La fête s’est ouverte par un meeting auquel prirent la parole les représentants de 32 organisations coréennes y compris des socialistes, la Ligue des femmes patriotes de la Croix Rouge, la Ligue féministe, l’Association de jeunes gens, etc.

Tous les orateurs soulignaient que par son union le peuple coréen réussira à se libérer et exprimaient l’espoir de fêter l’anniversaire prochaine en Corée.

Le représentant des socialistes coréens déclara : « Le principe de justice a triomphé en Russie. C’est par l’union avec les Russes que nous pourrons conquérir notre indépendance ».

Après le meeting, une procession grandiose a parcouru les rues, acclamée par la population.

Au centre de la ville coréenne a été érigé un arc entouré de guirlandes de fleurs et portant des caractères coréens disant :

« Vive la République coréenne ».

L’enthousiasme des Coréens fut indescriptible. Beaucoup d’entre eux. ont dansé, aux sons de la Marseillaise, leur danse nationale.

(Journal de Pékin, 8 mars 1920.)
Les Femmes Coréennes sont arrêtées par la Police Japonaise

Honolulu, 10 février 1920. — « De nombreuses femmes coréennes, membres de la « Société des femmes patriotes de Corée », ont été récemment arrêtées par les autorités japonaises à Séoul et dans toute la Corée, sous le prétexte d’un complot pour l’Indépendance. »

Cette nouvelle a été reçue par Y.-W. Seung, directeur du Korean National Herald, journal en langue coréenne, publié à Honolulu.

(Philadelphie, 15 avril 1920.)

3. — Conférence du Dr Syngman Rhee

« Le 20 avril dernier, une grande réunion de la Ligue des Amis de la Corée s’est tenue à l’Université de Boston (E.-U.), dans le grand amphithéâtre Jacob Sleeper, sous la présidence de M. Lemmel H. Murlin, professeur à l’Université de Boston, Président de la Ligue (L. F. K.), assisté de MM. le Professeur H.-B. Hulbert, Conseiller universitaire du Gouvernement Coréen et de Ed. Chandler, secrétaire du « Club du xxe siècle ».

La principale Conférence était faite par le Docteur Syngman Rhee (docteur de l’Université de Harvard (E.-U.), Président de la République Coréenne, et dont voici la péroraison :

« La question japonaise est un problème mondial. Le Japon n’est pas seulement un danger pour l’Extrême-Orient, mais également une menace pour le monde entier !

« Le Japon est le seul et dernier pouvoir militariste et impérialiste existant dans le monde actuel, et son activité nationale dirigée par la classe militariste est imbue d’un esprit de conquêtes et de convoitises malsaines (lust of loot). Le Japon est maître aujourd’hui de la Corée ; ses troupes fourmillent dans tout le pays, sa police se trouve dans tous les coins et recoins.

« Doucement, furtivement, comme un voleur dans les ténèbres, le Japon a rejeté au dehors toute l’activité des étrangers, et, dès à présent, il détient. en main et monopolise tout le commerce et l’industrie de cette grande et importante région. Son ambition est également d’accaparer tout le commerce du reste de l’Asie.

« Actuellement, le Japon tente de rejeter le Christianisme au dehors de la Corée comme un péril pour lui ! Des décrets ont été promulgués, dont l’application se fait puissamment sentir depuis le 1or avril dernier, interdisant l’enseignement de la Bible et tous les exercices religieux quelconques dans les écoles supérieures, moyennes, publiques ou privées de la Corée. On y rappelle que la langue japonaise doit être seule.enseignée

« Ces deux mesures sont incontestablement dirigées contre le christianisme trop éclairé et dangereux pour l’influence nipponne. Le Japon désire pratiquée ! le remplacer par des idées de paganisme arriéré, ou de fétichisme religieux rétrograde comme le Shintoïsme. Les Japonais ont constamment accusé les missionnaires en Corée de fomenter et d’encourager la Révolte coréenne. Ces missionnaires étrangers, principalement les Américains, ont été tracassés, humiliés, assaillis et parfois jetés en prison. Le Japon persécute les religions étrangères dans un but de défense politique ; il emploie, pour ce faire, les méthodes féroces répudiées depuis des siècles en Occident. Ces attentats à la liberté et à la conscience religieuses doivent soulever les protestations et l’indignation générale !

« La Corée, malgré une population de 20 millions d’individus, ne suffit plus à l’ambition du Japon. Sa prochaine emprise sera le Chan-Tong, qui est plus fortement peuplé que la Corée. Ses convoitises vont plus loin encore. Elles ne connaissent pas de limites ! Vous comprendrez ainsi comment le Japon est une nation militariste, pourquoi sa vie politique n’est imbue que de conquêtes. Tout l’Orient doit craindre ses moindres mouvements ! Ses intentions impérialistes ne se sont dévoilées qu’à la fin des événements, malgré les déclarations publiques formelles toujours données au début, par ses hommes d’État. Le Japon se trouve, aujourd’hui, en mauvaise amitié avec tous les peuples de l’Extrême-Orient ? Toute l’Asie se méfie de lui ? parce que : traître à sa parole, plein de duplicité et d’esprit de convoitise !

« Le mouvement coréen pour l’Indépendance est bien vivace et en pleine activité. Il continuera et vivra. Il a résisté à la torture et aux baïonnettes japonaises ! Il a défié tout un système d’espionnage le plus perfectionné du monde. Notre mouvement a résisté à toutes les persécutions. Malgré tout il vit, il grandit ! car ce sont les vœux, l’idéal, les aspirations à la liberté d’un peuple de 20 millions d’individus ! Il vivra !… Manzei ! »


LE JAPON ET L’ALLEMAGNE


Il est grandement question à nouveau, depuis quelques temps, d’un rapprochement germano-japonais ! Les nombreux Japonais qui se trouvent actuellement en Allemagne, officiellement ou officieusement, intriguent fortement en ce sens et nouent avec les grandes firmes allemandes de solides relations économiques qui feront une réelle concurrence d’ici peu de temps au commerce des alliés.

Nous ne reparlerons pas ici des diverses tentatives de rapprochement entre le Japon et l’Allemagne durant les années de la Grande Guerre, et qui ont défrayé la presse alliée. Qu’il nous soit permis pourtant de donner à nos lecteurs et amis, quelques extraits de journaux japonais exprimant l’opinion et les impressions de personnalités nipponnes sur ce sujet. Ces extraits japonais auront d’autant plus de valeur auprès de nos lecteurs qu’ils sont eux-mêmes extraits d’une Revue française :

L’Information d’Extrême-Orient, n° du 27 mars 1918, p. 11 et suiv. :

Un Universitaire critique les déclarations des gouvernements alliés. — Dans un article du Taiyo, le Professeur Fukuda, de l’Université Keio, déclare ne pas comprendre l’insistance de l’Angleterre et de l’Amérique à répéter leurs déclarations de buts de guerre… Croit-on, écrit-il, qu’un homme qui, lancé à la poursuite éperdue d’un objet bien défini, s’arrêterait pour se demander ce qu’il poursuit, donnerait ainsi des signes de bonne santé morale ?

En l’état actuel de la guerre, la question la plus importante est, d’après les déclarations de Lloyd Georges et du président Wilson, celle qui a trait au principe pas d’indemnité, pas d’annexion. En ce qui concerne l’Angleterre, la proclamation de ce principe équivaut à un aveu de défaite Quant à l’Amérique, point n’est besoin pour elle de répéter ce principe, si ce n’est vraiment pour l’humanité qu’elle combat. Mais ce qui prouve bien l’absurde hypocrisie de ces déclarations, c’est l’instance des Alliés à vouloir rendre l’Alsace-Lorraine à la France. Tous les arguments possibles ont été invoqués pour tenter de justifier que la restitution de ces provinces à la France n’irait pas à l’encontre des principes dont on se réclame. Pure hypocrisie, en réalité ! Si l’on demandait à l’Amérique de restituer les Philippines et Havai à leurs anciens propriétaires, croit-on qu’elle y consentirait ? Certainement, non ! Alors, l’argumentation de Wilson contre l’Allemagne pour défendre le soi-disant principe des nationalités pourrait être retourné contre l’Amérique avec juste raison.

Mais ce n’est là qu’un exemple de la futilité des arguments humanitaires en matière de guerre. Sous quelque angle qu’on l’envisage, la guerre apparaît toujours comme une violation des principes de droit et de justice. l’argumentation de Wilson peut avoir sa valeur pratique pour un homme d’État ; mais, si elle tend à défendre des principes de justice, elle est sans aucune portée. Elle n’est qu’un expédient : on n’y trouve rien qui distingue nettement ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, elle est construite de façon assez lâche et souple pour pouvoir être interprétée comme les exigences de la situation actuelle et future de l’Amérique l’exigeront. Mieux que les mots, les faits font comprendre le sens de l’action, prétendument désintéressée, de l’Amérique. Les restrictions qu’elle impose au commerce sont-elles par exemple inspirées par des sentiments d’humanité ?

Le président Wilson déclare que l’Amérique s’est engagée dans la guerre, parce que l’écrasement de l’Allemagne doit donner au monde une paix durable. C’est dire une absurdité. Quand Mr. Asquith fit à Birmingham une déclaration semblable, il s’attira les moqueries de tout ce qu’il y a en Angleterre de gens sensés. De telles assertions sont à peine bonnes pour des imbéciles ; ce sont cependant celles que MM. Lloyd George et Wilson veulent faire accepter à leurs compatriotes. Qu’Anglais et Américains se laissent égarer par leurs dirigeants hypocrites, c’est leur affaire, et ça ne nous regarde pas ; mais il ne faut pas que nous soyons dupes. Y a-t-il quelqu’un qui croie que quand l’Allemagne a engagé la guerre c’était pour défendre le principe pas d’annexion, pas d’indemnité, ou que ce soit pour la défense du même principe que les Alliés ont pris les armes contre l’Allemagne ? L’ambiguïté de la situation a obligé tous les belligérants des deux partis à se réclamer du même principe : mais il ne peut y avoir que des hypocrites endurcis pour prétendre user de ce principe de façon désintéressée au nom de l’humanité et de la justice.

Pour quiconque juge sans parti-pris, c’est une injustice flagrante de vouloir le retour à la France de l’Alsace-Lorraine dont l’Allemagne est actuellement la maîtresse absolue ; puisqu’ils se sont engagés dans la guerre, les Alliés devront accepter le verdict des batailles, et ils n’ont aucun droit à réclamer l’Alsace-Lorraine tant que leurs armées n’en occuperont pas le territoire.

Il est également absurde d’exiger un changement de régime en Allemagne ; le sentiment qui inspire cette prétention n’est ni noble ni brave, et se trouve en opposition absolue avec le droit qu’ont les nations d’être gouvernées comme elles le désirent. Parmi les nations en guerre, c’est l’Allemagne qui s’est montrée de beaucoup la plus attachée à son gouvernement. La prétention de Wilson d’obtenir de l’Allemagne un changement de régime est une faute énorme qui a fait plus de tort aux Alliés qu’à l’Allemagne. D’ailleurs, 1’Angleterre et l’Amérique sont peut-être maintenant des pays de gouvernement plus autocratique que l’Allemagne ; depuis le début de la guerre, ces nations se sont engagées résolument dans les voies de l’autocratie, tandis que le contraire s’est produit en Allemagne où la puissance du Kaiser s’est trouvée considérablement réduite. Cela ressort des faits et toutes les discussions possibles n’y changeront rien ; et l’on peut dire que si le but des nations alliées dans cette guerre est la destruction de l’autocratie, c’est contre ces nations mêmes que devraient se retourner leurs propres armées.

L’Angleterre qui est, de fait, la nation vaincue n’a aucun droit à parler haut et prétentieusement comme elle le fait. Quant à l’Amérique, elle ferait mieux de ne pas tant proclamer ses beaux principes jusqu’à ce qu’elle soit à même de les imposer à l’ennemi par la force des armes.

En ce qui concerne le Japon, son but dans cette guerre a déjà été atteint : occupation de Tsing-Tao et maintien de la paix en Orient C’est la protection de l’Orient seule qui a motivé la participation du Japon à la guerre ; la destruction de l’autocratie en Allemagne n’entre pas dans son programme. Pour moi, écrit le professeur Fukuda, je ne crois pas que le maintien de la paix en Orient exigeait que le Japon déclarât la guerre à l’Allemagne. Mais il n’y a pas à revenir sur ce qui a été fait Au sujet de la Russie, l’auteur adresse aux Alliés les mêmes violentes critiques. En usant de contrainte sur le pauvre peuple russe afin de maintenir la Russie en guerre avec l’Allemagne, les Alliés n’ont eu que le souci égoïste de leurs propres intérêts ; ils ont commis la même injustice dont ils se sont rendus coupables par leurs efforts désespérés pour séparer le peuple allemand de son gouvernement……

L’Information d’Extrême-Orient, n° du 27 novembre 1918, p. 26 et suivants :

Le Dr Miyake, directeur du Nihon Oyobi Nihonjin, écrit dans le Mainichi un article sur la paix et l’avenir du Japon, dont nous détachons certains passages dignes de remarque.

« À la Conférence de la paix se discuteront quelques questions asiatiques qui intéressent particulièrement le Japon. Si l’Augeterre réussit à conserver les anciennes colonies allemandes des Îles du Sud situées au-dessous de l’équateur, celles de ces colonies situées au nord de cette ligne pourront devenir la part du Japon En ce qui concerne Tsingtao, la restitution en a été promise à la Chine par le ministère Okouma, et, quelques critiques qu’ait soulevées cette promesse au moment où elle fut faite, il n’y a pas à revenir là-dessus. Si Tsingtao nous échappe, n’en ayons pas trop de regrets, car nous sommes en mesure d’obtenir pleine compensation en Mandchourie et en Mongolie. En ce qui concerne la Sibérie, elle est convoitée par l’Amérique qui y déploie beaucoup d’activité. L’Amérique n’ira pas jusqu’à s’emparer de territoires dans cette région, mais elle y deviendra le plus terrible rival économique du Japon. Il ne serait que juste que les Etats-Unis qui connaissent la situation prédominante du Japon en Extrême-Orient fissent droit aux réclamations japonaises en Sibérie, mais il est douteux qu’ils fassent preuve de tant de magnanimité. Il y aura antagonisme entre les intérêts japonais et américains en Sibérie ; si l’on n’arrive pas à les concilier, quelle sera l’attitude de l’Angleterre ? Ses relations avec l’Amérique sont devenues assez intimes pour qu’elle ne soutienne pas contre celle-ci les demandes du Japon par simple égard d’alliée. L’alliance anglo-japonaise a pu avoir sa raison d’être tant que la Russie et l’Allemagne restaient pour l’Angleterre et le Japon des rivaux formidables, ce qui n’est plus le cas maintenant que la Russie et l’Allemagne ont perdu leur ancienne puissance. Si le Japon ne peut plus compter sur l’aide de l’Angleterre, il sera réduit à un isolement auquel il importe de chercher dès 1uaintenant un remède. »

Le Dr Miyake parle alors d’une alliance entre le Japon et l’Allemagne. L’Amérique est appelée, selon lui, à disposer d’une influence prépondérante dans les affaires de politique mondiale. Le Japon n’aura dès lors le choix qu’entre deux politiques une politique humble et Soumise aux desseins de l’Amérique, ou une politique indépendante et forte, grâce, au besoin, à une alliance avec l’Allemagne. On se souvient, écrit le Dr Miyake, que la conclusion d’un accord russo-japonais produisit, il y a quelques années, un effet calmant salutaire sur les agissements de l’Angleterre et de l’Amérique ; si l’on peut espérer obtenir un pareil résultat d’un accord avec l’Allemagne, l’opportunité d’un tel accord mérite d’être prise en considération. L’écrasement total de l’Allemagne peut bien avoir l’heureux effet de calmer les ardeurs des militaristes japonais qui voient dans le militarisme la vraie, la seule force d’un État mais, si l’on tient compte de l’éventualité d’une alliance nippo-allemande la destruction absolue de la force allemande n’est pas à souhaiter, du point de vue japonais.

Pour le Dr Shida, professeur à l’École des Hautes Études Commerciales de Tokyo, l’Allemagne, bien que certainement très affaiblie, n’est pas arrivée à un tel degré d’épuisement qu’un délai quelconque à la ces lion des hostilités signifie pour elle la ruine complète. Mais, elle tient à conserver des forces suffisantes pour les entreprises qu’elle veut tenter après la guerre, et c’est pourquoi elle demande la paix dès maintenant. Il est probable qu’à la conférence de la paix, l’Allemagne n’insistera pas particulièrement pour rentrer en possession de Tsingtao ni des les du Sud ; elle se résoudra moins facilement à l’abandon de ses anciennes colonies d’Afrique et de ses nouvelles possessions en Russie.

Ce ne serait pas sage, de la part de l’Angleterre, du point de vue de son intérêt bien entendu, de vouloir la destruction totale de la puissance allemande, dont la disparition signifierait l’accroissement démesuré de la puissance américaine Il est donc probable que les conditions imposées par l’Angleterre ne seront pas telles que l’Allemagne ne les puisse accepter. Quant à la France, bien qu’elle se montre très irritée contre seule et sans l’aide de ses alliés, elle devra se satisfaire, si ces Alliés retirent leur concours, d’une indemnité suffisante. Pour le Japon, il ne tient pas à voir s’accroître encore les forces de l’Amérique, car son rival sera désormais l’Amérique et non plus l’Allemagne. Les déclarations américaines en faveur de la justice et de l’humanité sont de fort belles choses, mais la conduite de l’Amérique dément ses belles paroles. Tous ses discours moraux ne sont qu’un moyen de servir ses intérêts égoïstes. Tant de beaux principes n’empêchent qu’elle conserve ses préjugés à l’égard des Japonais et des Chinois Il est tout à fait probable que l’avenir verra des conflits éclater entre le Japon et l’Amérique sur le Pacifique, en Chine et en Sibérie.

Le Dr. Shida juge que l’intérêt du. Japon demande que la paix soit conclue avant que les forces de l’Allemagne se trouvent réduites à néant, afin que la paix soit désormais assurée par l’équilibre entre les quatre grandes puissances : Amérique, Grande-Bretagne, Allemagne et Japon. Le Japon doit agir conformément aux principes de justice internationale, mais il a le droit d’exiger de l’Amérique qu’elle observe les mêmes principes et qu’elle se défasse de ses préjugés de race. Il est nécessaire que le Japon évite d’être réduit à un isolement qui le reléguerait au rang de puissance de deuxième ou de troisième ordre.

D’un article du professeur Senga, de l’Université impériale de Kyoto, dans l’Osaka Asahi (1er Novembre) :

Les opinions diffèrent sur l’attitude que doit adopter le Japon à la conférence de la paix. En ce qui concerne le règlement des affaires européennes, le rôle du Japon se bornera à soutenir les demandes de la Grande-Bretagne, de l’Amérique et de la France. — Évidemment, la puissance allemande sortira très diminuée de cette guerre et son prestige gravement atteint ; il nous paraît cependant nécessaire, pour maintenir l’équilibre des puissances, que l’Allemagne reste après la guerre une puissance de premier rang. Son passage à la condition de puissance de second plan aurait pour conséquence de donner la suprématie absolue à une nation ou à un groupe de nations, ce dont les antres peuples n’auraient nullement lieu de se réjouir.

Le Dr. Shiozawa, professeur à l’Université de Waseda, ne croit pas la puissance allemande soit définitivement ruinée. La perte de l’Alsace-Lorraine affectera gravement son industrie ; le commerce allemand souffrira certes beaucoup de perte des colonies ; mais il est hors de doute cependant que l’Allemagne tôt ou tard relèvera la tête et reprendra son rang.

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M. KIUSIO KIMM

Fit ses études au Collège Roanoke, en Virginie (E. U. A.). Il s’est adonné entièrement au problème de l’éducation en Corée de 1905 à 1912, époque où il dut quitter sa patrie, au moment de l’affaire de « La Conspiration Coréenne ». Il devint par la suite un des leaders du parti Nationaliste Coréen en Chine, en Mandchourie et en Mongolie. Chef de la Délégation Coréenne à la Conférence de la Paix à Paris en 1919. Actuellement Président de la Commission Coréenne pour l’Europe et l’Amérique dont le Quartier Général est à Washington.

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PORTE DE L’EST, À SÉOUL

Nous relevons dans la presse de ces derniers jours :

LE JAPON REPRENDRAIT BIENTÔT LES RELATIONS AVEC L’ALLEMAGNE

Berlin, 6 mai. — Le Berliner Tageblatt publie une longue interview qui lui a été accordée par un des membres de la mission japonaise, actuellement à Berlin.

« Il est indéniable, aurait déclaré notamment le délégué, que l’harmonie n’a pas été toujours absolue, pendant la guerre, entre le Japon et les États-Unis. D’ailleurs, quelles que soient nos alliances actuelles, l’attitude du Japon vis-à-vis de l’Allemagne économique est absolument amicale et bien intentionnée.

« Les hommes d’affaires japonais ont l’intention de reprendre avec l’Allemagne leurs relations dans le plus bref délai possible. Mais, ce qui demeure actuellement le plus grand obstacle au développement des affaires entre les deux pays, c’est le taux du change. Le premier problème à résoudre sera celui-là. »

Le délégué japonais a annoncé également que toutes les lignes maritimes établies entre Hambourg et le Japon allaient être réorganisées et développées énormément. Déjà, un grand nombre de firmes japonaises prennent toutes leurs mesures pour établir en Allemagne des comptoirs et des succursales.

(La Petite République. 7 mai 1920.)
LES RELATIONS ENTRE LE JAPON ET L’ALLEMAGNE

Le Japon est l’héritier direct de l’Allemagne en Extrême-Orient.

Par l’article 156 du trait de Versailles, le Reich renonçait, en faveur du Japon, à tous ses droits, titres et privilèges concernant le territoire de Kiao-Tchéou et la province du Chantoung. Le chemin de fer de Tsing-Tao à Tsiuanfou et ses embranchements, les câbles sous-marins de Tsing-Tao à Tchéfou, ainsi que les droits mobiliers et immobiliers que l’État allemand possédait dans le territoire de Kiao-Tchéou, sont devenus propriété du Japon, francs et quittes de toutes charges, en vertu des articles 156 et 157 du traité.

Or, un membre de la mission diplomatique japonaise actuellement à Berlin a déclaré à un collaborateur du Berliner Tageblatt que le gouvernement de Tokio était prêt à payer une indemnité à l’Allemagne pour le chemin de fer du Chantoung dès qu’il serait prouvé que ce réseau appartenait à une société par actions, c’est-à-dire à des particuliers allemands et non à l’Empire.

Le délégué japonais a ensuite insisté sur le désir que le Japon avait d’entretenir d’excellentes relations avec le Reich. L’opinion nipponne serait tout à fait favorable à une entente cordiale avec la république d’Empire. Elle tient à faire avec le Reich le plus d’affaires possible et le plus tôt qu’il se, pourra. Déjà une importante ligne de navigation japonaise envoie chaque mois ses paquebots faire escale à Hambourg et elle se dispose à intensifier le trafic avec le grand port de l’Elbe. D’importantes firmes japonaises ont déjà des succursales en Allemagne.

Le Japon est prêt à fournir aux Allemands du cuivre et de la soie et il leur demande en échange de la potasse et des produits chimiques. Pour remédier à la baisse du mark, il consent à ouvrir des crédits à ses anciens ennemis et, « conformément aux principes loyaux qui sont la base de sa politique, il est disposé à ne pas agir d’une façon mesquine ».

Comme on le voit, le Japon tient à l’amitié des gens qu’il a vaincus et ceux-ci paraissent disposés à ne pas lui garder rancune de leur défaite.

Le délégué nippon a parlé également des rapports de son pays avec la Chine et de la question de la Sibérie Orientale.

Il a affirmé que le Japon suivait une politique désintéressée en Extrême-Orient, qu’il ne demandait qu’à s’entendre avec la Chine et qu’il était prêt à retirer ses troupes du Chantoung ; il lui suffisait que la Chine acceptat d’administrer en commun avec lui les mines et les autres exploitations importantes du pays, ce qui n’est déjà pas mal.

Quant à la Sibérie orientale, le Japon n’aurait aucune intention de s’y installer. Il voudrait seulement protéger ses nationaux qui y sont établis en grand nombre. Enfin, le Japon songerait même à évacuer la Corée.

Ce sont là d’excellentes intentions, bien faites pour rassurer l’opinion américaine qui n’a pas encore pu se résigner à accepter les clauses du traité relatives au Chantoung.

Mais ces belles promesses ne laisseront pas de susciter quelque scepticisme.

Il y a d’ailleurs plusieurs mois que nous les avons entendues pour la première fois, et le gouvernement de Tokio ne parait nullement pressé de les réaliser.

La Corée n’a pas recouvré son indépendance, et le Japon est parvenu à détacher la Transbaïkalie de l’empire des Soviets.

Mais ce n’est là sans doute qu’une solution provisoire.

Georges Moresthe. (L’Ordre Public 8 mai 1920.)
TENTATIVES ALLEMANDES

Les journaux de Chine qui viennent d’arriver relatent le fait que le gouvernement allemand avait, au mois de février, demandé au gouvernement chinois, par intermédiaire de la légation de Chine à Copenhague, d’accepter l’envoi de quatre délégués pour négocier un traité de commerce. Ces quatre délégués étaient MM. von Borch, Wagner, Schirmer et Zimmermann. Le gouvernement chinois avait repoussé ces avances.

Or, le gouvernement allemand est revenu à la charge, en demandant qu’il soit permis à M. von Borch de venir à Pékin comme agent officieux. Le gouvernement chinois examine la question.

D’autre part, deux missionnaires allemands, qui ont l’intention de venir en Extrême-Orient, ont déjà fait viser leur passeport à Berlin par le représentant officiel japonais. Ils ont également présenté leurs papiers à la légation de Chine à Copenhague ; celle-ci n’aurait encore pris aucune décision à ce sujet.

(Le Temps, 10 mai 1920)

Nous faisons remarquer le subterfuge employé par les Allemands à l’aide des Japonais ; ne pouvant obtenir, pour l’instant, des passeports pour la Chine signés des autorités chinoises, ils s’en font délivrer par les Japonais pour Tsing-Tao, Dalny et la Mandchourie ; tournant ainsi la difficulté, ils peuvent se rendre quand même en Chine. Nous savons, d’autre part, que les Japonais ont engagé de nombreux ingénieurs techniques, principalement pour les affaires navales, qui partent actuellement, pour le compte du Japon, en Extrême-Orient, plus particulièrement en Mandchourie et en Mongolie !

(N. D. L. R.)
LES NIPPONS NOUS DONNERAIENT-ILS, DANS LE CHANTOUNG, LA PREUVE QU’ILS SONT LES PRUSSIENS D’ASIE ?

Pékin, mars 1920. — On a dit, écrit et répété que les Japonais étaient les Allemands d’Extrême-Orient. Cette formule se trouve ici admirablement concrétisée.

Dans un cirque d’une nature merveilleuse l’orgueil allemand a planté sans art et sans méthode un décor monumental d’esbrouffe, de bluff et de chiqué. Palais officiels aux architectures de burgs moyen-ageux, modernisés par l’apport de la stylisation munichoise, villas aux silhouettes de châteaux forts, maisons aux allures de casemates, de poudrières et de prisons, tout cela s’étage sur les collines en un étalage de maçonneries granitiques dans des plans biscornus à terrasses et à rotondes, surmontés de donjons, de tourelles casquées de cuivres, de frontons, de dômes et d’épis.

Dans cette cité-toc et mastoc, les Japonais évoluent à l’aise. Ceux-là même qui font profession de se déchausser dans les temples comme chez leurs belles, les japs ont cette fois chaussé les souliers du mort bien avant son agonie dans l’intention formelle de ne les point ôter même pour la plus belle fille du monde. La chute de Tsing-Tao te fut qu’un incident dans l’épopée sanglante.

Le Japonais l’évoque comme le plus remarquable des faits d’armes de la grande guerre auprès duquel pâlissent Verdun ou la Marne

Le Japonais considérant Tsing-Tao comme prise de guerre s’y installa immédiatement comme chez lui en maître orgueilleux, insolent et retors.

Le disque rouge de son drapeau remplaça au mât de pavillon l’aigle qui surmontait le monument — style gare de Berlin — du gouvernement général. Un partage savant des dépouilles installa — je dirai dans quelles conditions — les Japonais dans les usines, dans les maisons de commerce, dans les villas.

Scellée dans le roc, la plaque de bronze où le kaiser célèbre en une inscription définitive la prise de possession de la terre chinoise, se vit adjoindre une dalle de pierre où l’orgueil du Soleil Levant éclate en rivalité mitoyenne avec l’aigle germain.

Même esprit de guerre, de conquête, d’impérialisme

Esprit d’imitation aussi.

Tsing-Tao, ville allemande, est plus allemande encore depuis l’emprise nipponne. Formalités tracassières de police, de douane, de passeports, fonctionnaires militarisés, sabres, bottes, éperons, panache, tout sent l’Allemand et la caserne.

Comme ils imitent et contrefont les produits français, démarquent toutes les inventions, voleur tous les procédés, camelotent, truquent, maquillent et camouflent toutes les fabrications, les Japonais artistes copient,

Le monument élevé aux Japonais tués par les Allemands est du plus pur style boche. Lourd, balourd, grotesque et prétentieux, il n’en constitue pas moins un hommage au colossal, à l’énorme, au massif, à l’écrasante et grotesque architecture teutonne.

C’est elle que l’on retrouve dans les constructions qui ont jailli de terre durant ces deux dernières années : usines, bureaux, banques, habitations de fonctionnaires, maisons de geishas, écoles, hôpitaux, cliniques, tout ça les Japonais l’érigent en imitation de faux simili allemand.

Sur les maisons de brique, ils font aux façades des applications de plâtres teintés — et quelles teintes ! — découpés et macaroniques.

Ils les recouvrent d’enduits, de torchis, de crépis, de mouchetis verts et bleus. Ce sont les ornements des rues nouvelles où l’architecture nippo-néo-allemande apparaît en manifestation du plus haut comique. Les anciennes voies ont été débaptisées il y a quelques semaines.

Mais si la rue Hohenzollern est devenue Maizuru Machi et le boulevard Bismarck le Mannem Machi, les Japonais, dans les terrains restants complètent au mieux le décor de la ville qui convient aux Allemands d’Extrême-Orient.

Et je ne serais pas étonné que le gouverneur militaire japonais qui avait invité à dîner le 2 février dernier les prisonniers allemands de retour du Japon l’ait fait pour s’expliquer. Ne convenait-il pas, en effet, de faire comprendre à ces Boches que c’était pour se perfectionner dans les méthodes allemandes et étudier de plus près l’art de la construction et du mobilier que les Japonais s’étaient installés pour pas cher dans leurs maisons abandonnées.

Il est bien permis de le supposer, car les journaux japonais de Tsing Tao ont complètement oublié de parler — et pour cause — de ce dîner officiel dans le décor teutonnique japonisé — où le « saké » fut bu entre saqueurs et saqués…

Albert Nachbaur
(La Lanterne, 14 mai 1920.)

UN MARIAGE FORCÉ !

Le Mariage du Prince Yi de Corée avec la Princesse Nashimoto du Japon


Ce mariage est un acte éhonté au-delà de toute expression.

Lorsque la Corée fut annexée au Japon, le Prince Ito, alors gouverneur général de la Corée, fit enlever de force à ses parents, c’est-à-dire à la Famille Impériale de Corée, le jeune prince Yi âgé de 12 ans pour le faire éduquer au Japon. Les Japonais voulurent le japoniser, le déraciner en quelque sorte. Des précautions toutes spéciales furent prises pour son éducation. Il fut choyé, respecté, traité en prince japonais ; on tenta de lui faire oublier sa famille et sa patrie ! Il entra à l’École Militaire impériale, dans la section des Cadets impériaux, c’est-à-dire composée par les princes du Japon. Le prince Yi s’y montra tout particulièrement brillant en tenant toujours la tête de cette classe d’élite. Il sortit major de la promotion. Il est aujourd’hui commandant dans la Garde impériale japonaise, non pas qu’il aime ce poste, mais bien obligé d’y rester sous l’œil du gouvernement japonais.

Le plus grand désappointement des Japonais est que, malgré douze années de férule nipponne, de japonisation forcée, ce brillant jeune prince refuse formellement d’être autre chose qu’un…Coréen !

Lorsqu’on annonça officiellement, il y a quelques années, ses fiançailles avec la Princesse Nashimoto du Japon, cousine du Mikado et d’une grande beauté, ce fut un orage de protestations dans toute la Corée. L’ex-Empereur, père du prince Yi, protesta énergiquement. Le jeune prince lui-même ne consentit point à cette union ! Mais l’engagement forcé fut maintenu par le gouvernement japonais et proclamé hautement afin de bien démontrer : « Qu’il existe une grande harmonie entre les deux peuples et entre les deux familles régnantes ! »

Le prince Yi refusa toujours. Voilà déjà plusieurs fois que ce mariage se trouvait reculé par suite de cette opposition !

La politique japonaise exige ce mariage pour de nombreuses taisons dont les trois principales sont :

1o Absorber la dernière branche régnante de la Dynastie des Yi et écarter ainsi le dernier prétendant au Trône de Corée !

2o Encourager, par ce mariage comme exemple, d’autres mariages entre Coréens et Japonais afin de mieux absorber la péninsule.

3o Ce prince sera placé, lorsqu’il sera complètement japonisé, à la tête des forces japonaises en Corée, comme gouverneur général ou avec tout autre titre ; il paraîtra ainsi aux Coréens d’être gouvernés par leur propre prince !

Nous faisons remarquer qu’en dehors de la répulsion personnelle du prince Yi pour ce mariage, la tradition nationale coréenne, de temps immémoriaux, veut qu’aucun membre de la famille régnante ne soit autorisé à épouser une princesse ou un prince étranger.

LA CROIX-ROUGE CORÉENNE
(K. R. C.)


La Croix-Rouge Coréenne avait été instituée et organisée bien avant la domination outrageante des Japonais.

Dès les premières années, elle put réunir des centaines de mille membres.

Lorsque l’Empire Coréen fut détruit et annexé au Japon en 1910, la Société de la Croix-Rouge Coréenne dût subir le sort de toute la nation. Elle fut obligée de fusionner, ou mieux, de s’amalgamer (car le Coréen ne fusionne pas avec le Japonais !) avec celle du Japon.

Depuis l’amalgame des deux Sociétés, les Japonais ont enrôlé les membres coréens par la contrainte et les ont forcés à contribuer à l’œuvre par la menace ; c’est ainsi que plus de 9.000.0000 de yens, soit près de 4.000.000 de dollars américains, ont été payés à la caisse de la Société Japonaise par les 200.000 membres coréens. Pas un centime de cette somme, payée par les Coréens, n’a été employé pour secourir les Coréens dans la souffrance !!

Lors des massacres de Chi-Ami-Ni en avril 1919 par les Japonais, la Croix-Rouge Américaine de Séoul offrit spontanément ses secours volontaires ; mais les autorités japonaises ne donnèrent pas les permissions nécessaires pour ce faire, sous le prétexte que la Croix-Rouge Japonaise se chargeait d’organiser et de porter les secours ; mais de fait, cela a été dûment constaté, aucun secours ne fut apporté par la Croix-Rouge Japonaise ! La Croix-Rouge Japonaise n’est du reste, ce fait en est une preuve tristement éloquente, qu’une partie du rouage de l’administration barbare des Japonais en Corée !

Lorsque les Américains de Séoul constatèrent que la Croix-Rouge Japonaise, malgré ses promesses, ne faisait rien pour secourir les malheureux coréens agonisants, ils allèrent d’eux-mêmes, et cela malgré l’interdiction des Nippons, dans les régions dévastées porter les premiers secours ; distribuèrent de la nourriture, des vêtements, de l’argent et des soins médicaux. Ce fut l’unique aide que reçurent nos malheureux compatriotes, qui n’avaient commis d’autre crime que celui de vouloir recouvrer leur liberté !

Selon les rapports les plus dignes de foi, basés sur les investigations faites par des historiens et des publicistes en Corée, les troupes et la gendarmerie japonaises, dans leur répression sauvage des manifestations pacifiques de mars 1919, ont tué, blessé et emprisonné plus de 100.000 Coréens.

7.645 tués ; 45.562 blessés ; 49.811 emprisonnés.

Les familles de tous ces martyrs de la liberté coréenne se trouvent actuellement dans une situation lamentable et sans aucun secours.

724 maisons ; 59 églises : 3 écoles.

ont été entièrement incendiées dans la ville et la banlieue par les torches incendiaires des troupes et de la police japonaises.

Dans ces chiffres ne sont pas comprises les maisons, églises ou écoles partiellement détruites !

Deux fléaux ravagent en ce moment notre pauvre patrie : La famine et le choléra.

La famine, une des plus terribles que l’on n’ait jamais vu depuis bien des années, sévit sur une grande partie de la Corée. 85 % des Coréens vivent de la terre ; or, la récolte de cette année est complètement nulle dans trois de nos provinces de près de 4.000.000 d’habitants et est déficitaire pour les cinq autres provinces, représentant près de 7.000.000 d’individus. On peut dire que plus de 3.000.000 de nos compatriotes sont en danger de famine. Il leur faut un secours immédiat !

Le choléra fait également son apparition ; il y a déjà 9.000 morts sur plus de 25.000 cas, tous sans assistance ! Il leur faut également des secours urgents, sans quoi le pays et la race seront entièrement ravagés !

Les Japonais semblent satisfaits que la famine, et le choléra, en plus de leurs massacres, se soient abattus en Corée. Ils ne font rien, ou presque rien, pour enrayer ces calamités, puisque, selon leur désir, la race coréenne (20 millions d’individus) doit disparaître ! Ils osent dire que : « Ces fléaux sont un châtiment du ciel mérité pour avoir refusé la domination japonaise ».

Devant cette inertie, cette inaction coupable des Japonais, les Coréens ont reformé leur groupement de Croix-Rouge pour leur propre salut Ils ont fait revivre la Croix-Rouge Coréenne. Des médecins, des infirmières parcourent le pays, incognito, secrètement et portent les secours absolument nécessaires à nos compatriotes.

Les groupements Coréens de l’étranger : aux Hawaï, en Chine, en Russie, aux Etats-Unis ont immédiatement envoyé des secours à la patrie.

Notre Croix-Rouge se réorganise systématiquement dès lors. Des services de secours sont organisés, des hôpitaux de Croix-Rouge sont créés, un personnel d’hommes et de femmes entraîné. Elle recueille et distribue de l’argent et des secours en nature, etc., etc.

Le quartier général de la Croix-Rouge Coréenne se trouve actuellement à Shanghai (Chine) et son budget, de l’an passé (1919) s’élevait à 1.500.000 dollars. Les Coréens d’Amérique ont contribué à eux seuls (ils sont à peine 2.000 compatriotes), pour plus de 50.000 dollars.


L’opinion Étrangère


1. — LE PAYS DU MATIN CALME


Le hasard a voulu que ce fut l’ambassadeur du Japon qui fit fonction de doyen du corps diplomatique à l’occasion de la première réception de ce dernier par M. Paul Deschanel.

À M. Matsui qui venait de lui exprimer ses félicitations et ses veux, le président de la République répondit entre autres.

« Après l’effroyable tourmente qui a si longtemps bouleversé le monde, les peuples ont un immense besoin de repos, d’ordre et de travail. Nous avons encore beaucoup à faire pour établir les statuts de la paix et pour ramener une ère de tranquillité et de prospérité. Soyez assurés que le gouvernement, le Parlement et le peuple français vous y aideront de toutes leurs forces :

« Cette politique ne peut être fondée que sur le droit, sur le respect des traités. »

Le destin a de ces ironies, surtout d’avoir fait dire par M. Deschanel, à l’ambassadeur japonais, ces dernières paroles :

« Cette politique ne peut être fondée que sur le droit, sur le respect des traités. »

L’Impérialisme Nippon

Involontairement, en les lisant, le dessin qui ornait la couverture d’une plaquette parue récemment, se replaçait sous mes yeux. La brochure est intitulée : Quelle est la valeur des promesses japonaises ? Le titre en indique la tendance et le dessin, le contenu. Une bande de terre figure une presqu’île à l’extrémité de laquelle se dresse un mât avec l’inscription Corée. Devant, croisent, fermant la route de la mer, les cuirassés de l’empire du Soleil Levant. Dessus, une armée innombrable couvre une grande partie de la surface du pays, pendant que se dresse un guerrier japonais tout botté éperonné, qui semble la commander. Il porte en écharpe, sur sa poitrine, un grand cordon, où se détache, en grands caractères, le mot Impérialisme. De ses deux mains étendues, il montre, à droite, la multitude de soldats ; à gauche, les puissants vaisseaux de guerre. Sous ses bottes gît un chiffon de papier déchiré, et, sur ce chiffon de papier qu’il foule, les mots : Traité de 1905.

Une légende accompagne l’image et sert à l’expliquer par un rapprochement de dates : Vandalisme japonais en Corée, 1919.

Un pied sur le Continent

Un simple coup d’œil sur la carte de 1’Extrême-Orient suffit pour faire comprendre l’importance attachée par le Japon à la possession de la Corée. C’est sa situation géographique qui a fait le malheur de Chosen, le nom que lui donnent les Japonais. De même que le grand empire insulaire avait autrefois un intérêt immédiat à ce que les Coréens fissent respecter leur neutralité par la Chine et par la Russie, il en a un encore plus puissant aujourd’hui à rester le maître incontesté de leur pays. Avec celle du Liao-Toung, la grande péninsule Corée est, en effet, la tête de pont qui relie l’empire du Soleil-Levant à la terre ferme. Sans cette de pont, le Japon continuerait à se trouver trop à l’étroit dans son chapelet d’îles et il serait fort empêché de donner un commencement d’exécution à ses projets d’expansion et d’hégémonie sur le continent asiatique.

Le plus grand Japon et les buts éloignés de la politique japonaise tels que l’assujettissement de la Chine et la possession des îles du sud, au nord de l’Equateur, inquiètent les Etats-Unis et l’Australie. Ils ont ému plus d’un homme politique en Indo-Chine.

La Politique du Chiffon de Papier.

La Corée, le Pays du Matin calme, est une péninsule de 220.000 kilomètres carrés de superficie. Elle est bornée au nord par le fleuve Yalu, qui se jette dans la mer Jaune, et parle fleuve Tuman, qui se déverse, lui, dans la mer du Japon. Ces deux mers, qui baignent les 2.910 kilomètres de côtes coréennes, sont séparées par la péninsule.

Pays de zone tempérée, la Corée nourrit une population de 18 millions d’habitants. Suivant le savant anglais Keene, les Coréens sont de souche caucasienne, mélangée de Mongols et de Malais. Le professeur américain Homer B. Hulbert a écrit des Coréens qu’ils étaient, à beaucoup près, le peuple le plus facile à vivre de l’Extrême-Orient. L’histoire de la civilisation qui constitua la Corée en royaume, 2.333 ans avant J.-C. La dynastie de Yi, qui régna jusqu’au 29 août 1910, avait été fondée par Yi-Tai-Jo, en 1392.

Placée entre la Chine, la Russie et le Japon, la Corée eut a se préoccuper de préserver son indépendance contre les visées de ses dangereux voisins. Elle fut l’enjeu de luttes auxquelles ils se livrèrent, soi-disant pour défendre cette indépendance (guerres sino-japonaise de 1895 et russo-japonaise de 1904). Lorsqu’il prit les armes en dernier lieu contre la Russie, le Japon déclara, en effet, que c’était pour assurer l’indépendance politique et l’intégrité territoriale de la Corée. L’article III du traité coréo-japonais du 23 février 1904 est ainsi rédigé. Le gouvernement impérial du Japon garantit expressément l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’empire coréen.

La Russie vaincue, les Japonais ne s’inquiètent pas plus de la Chine et des puissances européennes que du bon billet qu’ils avaient signé à leurs crédules amis, les Coréens. Ils soumirent à leur domination, purement et simplement, le Pays du Matin calme. Plus de 3 millions de Coréens s’expatrièrent devant le flot de l’immigration japonaise. La Corée fut transformée eu une vaste prison, l’enseignement de sa langue et de son histoire demeura interdit.

C’est alors que la Corée cessa d’être le Pays du Matin calme. Elle a continué de s’agiter jusqu’au grand soulèvement du 1er mars 1919, organisé par la Société de la Nouvelle Corée, par l’Union de l’Indépendance nationale coréenne et par d’autres puissants groupements.

Un gouvernement national s’est constitué depuis, ayant à sa tête le docteur Syngman Rhee.

Aux dernières nouvelles, la lutte reprend sur le sol sacré avec plus d’intensité et d’acharnement. Une armée, levée par les Coréens du dehors, a pénétré dans le pays, forçant les garnisons japonaises à se replier en toute hâte et nécessitant le débarquement de nouvelles divisions japonaises. Ce sont les faits qui, légèrement déformés, ont été présentés comme un envahissement de la Corée par les… bolchevistes.

Louis Bresse
(Le Rappel, 8 mars 1920.)

2. — DEUX ALSACE-LORRAINE ASIATIQUES


La politique du Japon doit éveiller les plus grandes inquiétudes
Que font nos gouvernements pour en éviter le danger ?

Le Japon reparaît sur la scène où se jouent actuellement les destinées du monde. Je dis : il reparaît, ce qui ne signifie nullement qu’il n’ait pas continué dans la coulisse de préparer son rôle avec un soin méticuleux et d’habiller son personnage.

Deux faits significatifs rappellent opportunément l’empire extrême-oriental à l’attention des chancelleries. C’est tout d’abord son activité dans le Pacifique, activité que le sénateur américain Daniel vient de dénoncer à la commission parlementaire de la marine. C’est ensuite l’envoi de troupes en Sibérie sous prétexte de porter secours aux Tchéco-Slovaques.

Le Japon s’empresse de fortifier puissamment les îles que le traité de paix lui a accordées. Le Sénat américain serait vraiment par trop naïf s’il s’étonnait de ces dispositions. Il le serait encore bien davantage s’il s’interrogeait longuement sur la nature des armements variés dont nos alliés poursuivent fiévreusement la réalisation. Les Etats-Unis se sentent menacés : ils n’ont sans doute pas tort.

L’expédition de Sibérie répond au même état d’esprit. Le motif invoqué ne saurait donner le change, ni dissimuler des intentions beaucoup moins humanitaires. D’ailleurs, une note de Tokio nous avertit opportunément des suites que comportera cette descente sur le continent. En raison de la position géographique de la Sibérie et du Japon (??) et de la situation actuelle des Japonais en Sibérie (??), dont la sécurité ne peut être garantie, le Japon ne pourra retirer immédiatement ses troupes ». Et la note ajoute avec une ingénuité touchante : « Mais le Japon n’a aucune ambition politique en Russie ». Jusques à quand ?

Le gouvernement du Mikado a renouvelé son engagement d’évacuer la Sibérie aussitôt que la menace en Maudchourie et en Corée sera écartée. Ces engagements, on en connaît l’efficacité dès qu’il s’agit de puissances bien décidées à profiter de toutes les occasions pour réaliser leurs ambitions impérialistes. Ils rappellent fort à propos des promesses analogues qui furent faites solennellement à la Chine au sujet de Chantoung, et aussi la manière désinvolte dont la Corée, précisément, a été, et est encore traitée.

Nous ne rappellerons pas l’affaire du Chantoung, dont nous avons fréquemment parle et sur laquelle nous avons, en vain d’ailleurs, attiré dès la première heure, la sollicitude du Conseil suprême. Un ami des Japonais, mais un ami clairvoyant, M. Félicien Challaye, qui les connaît bien, exprime un avis semblable à celui que nous émîmes naguère, lorsqu’il prétend que les menées du Japon en Extrême-Orient ne constituent rien moins que de graves menaces pour la paix.

Personne n’a jamais nié le caractère absolument chinois du Chantoung, patrie de Confucius. Mais cette province immense, peuplée de plus de 30 millions d’habitants, possède une valeur économique considérable, et singulièrement alléchante pour l’avide voisin. Le charbon et le fer, notamment, s’y trouvent en abondance et en font un pays de grand avenir industriel. Par Surcroft, ces contrées commandent de vastes territoires. L’Allemagne et le Japon ne pouvaient pas ne pas avoir des idées identiques sur cette question. Or, voilà pourquoi notre allié, malgré sa promesse formelle de rendre le Chantoung a son possesseur légitime, frustré par la politique de Guillaume II, ne s’est pas encore exécuté. Le Japon, lorsqu’il cédait en apparence aux protestations de la Chine, ne visait au contraire qu’à asservir entièrement cette puissance, sous forme de contributions diverses, à la gestion de ses affaires militaires, diplomatiques, politiques et financières, en échange d’une restitution précaire.

Le plan était extrêmement habile. Jusqu’ici, la Chine a esquive le coup. Mais le Japon est tenace, et ses batteries sont habilement disposées.

À cet égard, le cas de la Corée est d’ailleurs suggestif. Nous ne l’avons pas laissé, non plus, ignorer à nos lecteurs. Sur ce point encore, M. Challaye corrobore nos indications. La presqu’île coréenne est également très riche : et ce fut la cause principale de ses malheurs. Le Japon avait jadis formellement promis de respecter aussi son indépendance. Ce qui ne l’a pas empêché de commencer ses manœuvres d’absorption en 1907, et d’annexer purement et simplement cette province en 1910.

Si encore les populations étaient heureuses sous la domination étrangère ! Il n’en est rien. Leur sort est, au contraire, effroyable ; il devrait exciter la pitié et soulever la réprobation universelle. La documentation de M. Challaye est édifiante à souhait. Ecoutons le : La police interdit le retour des Coréens dans leur patrie lorsqu’ils s’en sont éloignés ; elle les empêche, à l’intérieur, de circuler sans justification. Comme toutes les banques sont japonaises, les Coréens sont obligés de donner une explication plausible chaque fois qu’ils se livrent à une opération financière quelconque. Dans les écoles, l’enseignement de la langue japonaise est non seuleinent obligatoire, mais unique, le Coréen étant désormais proscrit. Les expropriations des Coréens en faveur des immigrants japonais sévissent sans aucune retenue.

Ce n’est pas tout chaque fois qu’ils le peuvent, les fonctionnaires nippens se livrent à d’odieuses répressions, qui rappellent parfois les supplices les plus raffinés des temps qu’on croyait à jamais disparus. Les témoignages abondent de brutalités révoltantes, principalement à l’égard de jeunes filles. Des rapports de médecins américains en attestent la véracité.

Dès qu’on parle du Japon, j’ai immédiatement dans les yeux le spectacle de ce petit homme étonnant, M. Li Yu Ying, professeur à l’Université de Pekin, qui, du ton le plus calme, ne cesse de proclamer urbi et orbi la similitude des caractères prussien et japonais. Lorsque M. Challaye démontre que la race nipponne se croit privilégiée et d’incarnation divine, il énonce une pensée du même genre. Ni hon ichi, n’est-ce pas un Deutschland über alles très ancien, le modèle de tous les über alles passés et futurs ?

Dans de pareilles conditions, toutes les solutions mixtes, et par conséquent bâtardes, que préconisent d’ardents défenseurs de la Corée et du Chantoung, sont absolument inadmissibles, et doivent être impitoyablement rejetées. Il faut exiger la restauration du droit

Œdipe.
(La Lanterne, 7 avril 1920.)

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Le Gérant : G. Bério.

Imp. des Arts et des Sports, 24, rue Miltom, IXe

Hors-texte

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