La Corée et les Missionnaires français/La Corée/09

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IX

CONDITION DES FEMMES. — MARIAGE

En Corée, comme dans les autres pays où le christianisme n’a pas pénétré, les femmes sont dans un état d’infériorité choquante.

Les femmes n’ont pas de nom. La plupart des jeunes filles reçoivent, il est vrai, un surnom quelconque, par lequel les parents plus âgés, ou les amis de la famille les désignent pendant leur enfance. Mais, aussitôt qu’elles ont grandi, le père et la mère seuls peuvent employer ce nom ; les autres membres de la famille, ainsi que les étrangers, se servent de périphrases telles que : « la fille d’un tel, la sœur d’un tel. » Après le mariage, une femme n’a plus de nom. Ses propres parents la désignent le plus souvent par le nom du district où elle a été mariée ; les parents de son mari, par le nom du district où elle vivait avant son mariage. Quelquefois on l’appelle tout court ; « la maison d’un tel » (nom du mari). Quand elle a des fils, les bienséances demandent qu’on se serve de la désignation : « mère d’un tel. » Quand une femme est forcée de comparaître devant les tribunaux, le mandarin, pour faciliter les débats, lui impose d’office un nom pour le temps que doit durer le procès.

Dans les hautes classes de la société, l’étiquette exige que les enfants des deux sexes soient séparés dès l’âge de huit ou dix ans. À cet âge, les garçons sont placés dans l’appartement extérieur où vivent les hommes. C’est là qu’ils doivent passer leur temps, étudier et même manger et dormir. On ne cesse de leur répéter qu’il est honteux à un homme de demeurer dans l’appartement des femmes, et bientôt ils refusent d’y mettre les pieds.

Les jeunes filles, au contraire, sont enfermées dans les salles intérieures, où doit se faire leur éducation, où elles doivent apprendre à lire et à écrire. On leur enseigne qu’elles ne doivent plus jouer avec leurs frères et qu’il est inconvenant pour elles de se laisser apercevoir des hommes, de sorte que peu à peu elles cherchent d’elles-mêmes à se cacher.

Ces usages se conservent pendant toute la vie, et leur exagération a complètement détruit la vie de famille. Presque jamais un Coréen de bon ton n’aura de conversation suivie même avec sa propre femme, qu’il regarde comme infiniment au-dessous de lui. Jamais surtout il ne la consultera sur rien de sérieux, et, quoique vivant sous le même toit, on peut dire que les époux sont toujours séparés, les hommes conversant et se délassant ensemble dans les salles extérieures, et les femmes recevant leurs parentes ou amies dans les appartements qui leur sont réservés. La même coutume, basée sur le même préjugé, empêche les gens du peuple de rester dans leurs maisons quand ils veulent prendre un instant de récréation ou de repos. Les hommes cherchent leurs voisins, et, de leur côté, les femmes se réunissent à part.

Après leur mariage, les femmes nobles sont inabordables. Presque toujours consignées dans leurs appartements, elles ne peuvent ni sortir ni même jeter un regard dans la rue, sans la permission de leur mari ; et de là, pour beaucoup de dames chrétiennes, surtout en temps de persécution, l’impossibilité absolue de participer aux sacrements. Cette séquestration jalouse est portée si loin, que l’on a vu des pères tuer leurs filles, et des maris tuer leurs femmes et des femmes se tuer elles-mêmes, parce que des étrangers les avaient touchées du doigt.

Quoique les femmes en Corée ne comptent à peu près pour rien, ni dans la société, ni dans leur propre famille, elles sont entourées cependant d’un certain respect extérieur. On se sert en leur parlant des formules honorifiques, et nul n’oserait s’en dispenser, si ce n’est envers ses propres esclaves.

L’appartement des femmes est inviolable ; les agents de l’autorité eux-mêmes ne peuvent y mettre le pied, et un noble qui se retire dans cette partie de la maison n’y sera jamais saisi de force. Le cas de rébellion est seul excepté, parce qu’alors les femmes sont supposées complices du coupable. Dans les autres circonstances, les satellites sont forcés d’user de ruse pour attirer leur proie au dehors, en un lieu où ils puissent légalement l’arrêter. Quand un acheteur vient visiter une maison en vente, il avertit de son arrivée, afin qu’on ferme les portes des chambres réservées aux femmes, et il n’examine que les salons extérieurs ouverts à tous. Quand un homme veut monter sur son toit, il prévient les voisins afin que l’on ferme les portes et les fenêtres.

Les femmes des mandarins ont le droit d’avoir des voitures à deux chevaux, et ne sont point obligées de faire cesser, dans l’enceinte de la capitale, les cris des valets de leur suite, ce que doivent faire les plus hauts fonctionnaires, même les gouverneurs et les ministres. Les femmes ne font la génuflexion à personne, si ce n’est à leurs parents, dans le degré voulu et selon les règles fixées. Celles qui se font porter en chaise ou palanquin sont dispensées de mettre pied à terre en passant devant la porte du palais.

Lorsque les enfants ont atteint l’âge convenable, ce sont les parents qui les fiancent et les marient, sans les consulter, sans s’inquiéter de leurs goûts, et souvent même contre leur gré. De part et d’autre on ne s’occupe que d’une chose, la convenance de rang et de position entre les deux familles. Peu importent les aptitudes des futurs époux, leur caractère, leurs qualités ou leurs défauts physiques, leur répugnance mutuelle. Le père du garçon se met en relation avec le père de la fille, de vive voix s’ils demeurent dans le voisinage l’un de l’autre, par lettre s’ils sont trop éloignés. On discute les diverses conditions du contrat, on convient de tout ; on marque l’époque qui semble la plus favorable, d’après les calculs des devins ou astrologues, et cet arrangement est définitif.

La veille ou l’avant-veille du jour fixé pour le mariage, la demoiselle invite une de ses amies pour lui relever les cheveux ; le jeune homme, de son côté appelle, l’un de ses parents ou connaissances pour lui rendre le même service. Ceux qui doivent faire cette cérémonie sont choisis avec soin ; on les appelle pok-siou, c’est-à-dire mains de bonheur.

En Corée, les enfants des deux sexes portent leurs cheveux en une seule tresse qui pend sur le dos. Ils vont toujours nu-tête. Tant que l’on n’est pas marié, on reste au rang des enfants (ahai), et l’on doit conserver ce genre de coiffure. On peut alors faire toutes sortes d’enfantillages et de folies, sans que cela tire à conséquence ; on n’est pas supposé capable de penser ou d’agir sérieusement, et les jeunes gens, eussent-ils vingt-cinq ou trente ans, ne peuvent prendre place dans aucune réunion où l’on traite d’affaires importantes. Mais le mariage amène l’émancipation civile, à quelque âge qu’il soit contracté, fût-ce à douze ou treize ans.

Dès lors on devient homme fait : les jeux d’enfants doivent être abandonnés, la nouvelle épouse prend son rang parmi les matrones, le jeune marié a le droit de parler dans les réunions d’hommes et de porter désormais un chapeau. Après que les cheveux ont été relevés pour le mariage, les hommes les portent noués sur le sommet de la tête, un peu en avant. D’après les vieilles traditions, ils ne devraient jamais se couper un seul cheveu ; mais, à la capitale surtout, les jeunes gens qui veulent faire valoir leurs avantages personnels, et n’avoir pas sur le crâne un trop gros paquet de cheveux, se font raser le sommet de la tête, de façon à ce que le nœud ne soit pas plus gros qu’un œuf.

Les femmes mariées, au contraire, non seulement conservent tous leurs cheveux, mais s’en procurent de faux, afin de grossir autant que possible les deux tresses qui pour elles sont de règle stricte. Les femmes de tout rang à la capitale, et les femmes nobles dans les provinces forment avec ces deux tresses un gros chignon qui, maintenu par une longue aiguille d’argent ou de cuivre placée en travers, retombe sur le cou. Les femmes du peuple, dans les provinces, roulent les deux tresses autour de leur tête, comme un turban, et les nouent sur le front. Les jeunes personnes qui refusent de se marier, et les hommes qui, arrivés à un certain âge, n’ont pu trouver femme, relèvent eux-mêmes leurs cheveux secrètement et en fraude, afin de ne pas être éternellement traités comme des enfants ; c’est une violation grave des usages, mais on la tolère.

Au jour fixé, on prépare dans la maison de la jeune fille une estrade plus ou moins élevée, ornée avec tout le luxe possible ; les parents et amis sont invités et s’y rendent en foule. Les futurs époux, qui ne se sont jamais vus ni jamais adressé la parole, sont amenés solennellement sur l’estrade, et placés l’un en face de l’autre. Ils y restent quelques minutes, se saluent sans mot dire, puis se retirent chacun de son côté. La jeune mariée rentre dans l’appartement des femmes, et le marié demeure avec les hommes dans les salons extérieurs, où il se réjouit avec tous ses amis, et les fête de son mieux. Quelque considérables que puissent être les dépenses, il doit s’exécuter de bonne grâce ; sinon on emploiera tous les moyens imaginables, jusqu’à le lier et le suspendre au plafond, pour le forcer à se montrer généreux.

C’est cette salutation réciproque, par-devant témoins, qui signifie le consentement, et constitue le mariage légitime. Dès lors le mari, à moins qu’il n’ait répudié sa femme dans les formes voulues, peut toujours et partout la réclamer ; et, l’eût-il répudiée, il lui est interdit de prendre lui-même une autre femme légitime, du vivant de la première ; mais il reste libre d’avoir autant de femmes qu’il en peut nourrir.

Le jour du mariage, la jeune fille doit montrer la plus grande réserve dans ses paroles. Sur l’estrade, elle ne dit pas un mot, et le soir, dans la chambre nuptiale, l’étiquette, surtout entre gens de la haute noblesse, lui commande le silence le plus absolu. Le jeune marié l’accable de questions, de compliments ; elle doit rester muette et impassible comme une statue. Elle s’assied dans un coin, revêtue d’autant de robes qu’elle en peut porter.

Si elle prononçait une parole ou faisait un geste, elle deviendrait un objet de risée et de plaisanterie pour ses compagnes ; car les femmes esclaves de la maison se tiennent auprès des portes pour écouter, regardent par toutes les fentes, et se hâtent de publier ce qu’elles peuvent voir et entendre. Un jeune marié fit un jour avec ses amis la gageure d’arracher quelques mots à sa femme dès la première entrevue. Celle-ci en fut avertie. Le jeune homme, après avoir vainement tenté divers moyens, s’avisa de lui dire que les astrologues, en tirant l’horoscope de sa future, lui avaient affirmé qu’elle était muette de naissance, qu’il voyait bien que tel était le cas, et qu’il était résolu à ne pas prendre une femme muette. La jeune femme aurait pu se taire impunément ; car, les cérémonies légales une fois accomplies, que l’un des deux conjoints soit muet, ou aveugle, ou impotent, peu importe, le mariage existe. Mais piquée de ces paroles, elle répondit d’un ton aigre-doux :

« Hélas ! l’horoscope tiré sur ma nouvelle famille est bien plus vrai encore. Le devin m’a annoncé que j’épouserais le fils d’un rat, et il ne s’est pas trompé. »

C’est là pour un Coréen la plus grossière injure, et elle atteignait non seulement l’époux, mais son père. Les éclats de rire des femmes esclaves en faction auprès de la porte augmentèrent la déconvenue du jeune homme. Il avait gagné son pari, mais les moqueries de ses amis lui firent payer bien cher et bien longtemps sa malencontreuse bravade.


Dame coréenne.

Cet état de réserve et de contrainte entre les nouveaux mariés doit, selon les lois de l’étiquette, se prolonger très longtemps. Pendant des mois entiers, la jeune femme ouvre à peine la bouche pour les choses les plus nécessaires. Point de conversations suivies avec son mari, point de confidences, jamais l’ombre de cordialité. Vis-à-vis de son beau-père, l’usage est encore plus sévère ; souvent elle passe des années entières sans oser lever les yeux sur lui ou lui adresser la parole, sinon pour lui donner de loin en loin quelque brève réponse. Avec sa belle-mère elle est un peu plus à l’aise, et se permet quelquefois de petites conversations ; mais, si elle est bien élevée, ces conversations seront rares et de peu de durée. Inutile d’ajouter que les chrétiens de Corée ont laissé de côté la plupart de ces observances ridicules.

Dans toutes les classes de la société, la principale occupation des femmes est d’élever, ou plutôt de nourrir leurs enfants.

L’éducation exige peu de soins. Elle consiste habituellement à faire toutes les volontés de l’enfant, surtout si c’est un fils, à se plier à tous ses caprices et à rire de tous ses défauts, de tous ses vices, sans jamais le corriger. En dehors du soin de leur progéniture, les femmes nobles n’ont rien à faire qu’à diriger leurs servantes et maintenir l’ordre dans les appartements intérieurs. Leur vie s’écoule presque tout entière dans l’inaction la plus complète. Mais les femmes du peuple ont une rude besogne. Elles doivent préparer les aliments, confectionner les toiles, en faire des habits, les laver et blanchir, entretenir tout dans la maison, et de plus, pendant l’été, aider leurs maris dans les travaux de la campagne. Les hommes travaillent au temps des semailles et de la moisson, mais en hiver ils se reposent. Leur seule occupation alors est de couper sur les montagnes le bois nécessaire pour le feu ; le reste de leur temps se passe à jouer, fumer, dormir, ou visiter leurs parents et amis. Les femmes, comme de véritables esclaves, ne se reposent jamais.