La Corée et les Missionnaires français/La Corée/11

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XI

RELIGION. — CULTE DES ANCÊTRES. — SUPERSTITIONS POPULAIRES

D’après les traditions locales, le bouddhisme ou doctrine de Fô pénétra en Corée au ive siècle de l’ère chrétienne, et se répandit, avec plus ou moins de succès, dans les trois royaumes qui alors se partageaient la péninsule. Lorsque la dynastie Korie eut réuni ces divers États en une seule monarchie, elle protégea les sectateurs de cette doctrine qui devint la religion officielle. À la fin du xive siècle, la dynastie Korie ayant été renversée, les princes de la dynastie Tsi-tsien, qui lui succéda, cédant à l’influence et peut-être aux ordres formels des empereurs de Péking, adoptèrent non seulement la chronologie et le calendrier chinois, mais aussi la religion de Confucius. Ils ne proscrivirent point la religion ancienne, mais ils l’abandonnèrent à elle-même, et, par la marche naturelle des choses, le nombre des bouddhistes a toujours été en diminuant, et leur doctrine aussi bien que leurs bonzes sont aujourd’hui tombés dans le mépris.

La doctrine de Confucius, au contraire, établie par la loi, est devenue la religion dominante ; son culte est le culte officiel, et toute contravention à ses règlements en matière grave peut être punie du dernier supplice, comme le prouvent les pièces du procès de Paul Ioun et de Jacques Kouen, et d’autres documents que nous donnons tout au long dans cette histoire.

Nous ne parlerons pas ici de cette doctrine de Confucius en elle-même. Les travaux des missionnaires et des sinologues, depuis deux siècles, ont épuisé la question, et à travers les exagérations opposées de louange ou de blâme on est aujourd’hui parvenu à en avoir une idée à peu près exacte.

Voyons seulement ce qu’elle est en Corée.

Pour la masse du peuple, elle consiste dans le culte des ancêtres, et dans l’observation des cinq grands devoirs envers le roi, envers les parents, entre époux, envers les vieillards et entre amis. À cela se joint une connaissance plus ou moins vague du Siang-tiei, que la plupart confondent avec le ciel. Pour les lettrés, il faut ajouter : le culte de Confucius et des grands hommes, la vénération des livres sacrés de la Chine.

Les missionnaires ont souvent interrogé des Coréens très instruits sur le sens qu’ils attachent au mot Siang-tiei, sans jamais obtenir de réponse claire et précise. Les uns croient que l’on désigne par là l’Être suprême, créateur et conservateur du monde ; d’autres prétendent que c’est purement et simplement le ciel, auquel ils reconnaissent un pouvoir providentiel, pour produire et faire mûrir les moissons, pour éloigner les maladies, etc. ; le plus grand nombre avouent qu’ils l’ignorent et qu’ils ne s’en inquiètent guère. Quand on offre des sacrifices publics pour obtenir la pluie ou la sérénité, ou pour conjurer divers fléaux, la prière s’adresse soit à l’Être suprême, soit au ciel, selon le texte que rédige le mandarin chargé de la cérémonie.

Voici quelques détails sur ces sacrifices, assez peu fréquents d’ailleurs.

Quand des districts ou des provinces souffrent de la sécheresse, le gouvernement envoie un ordre aux mandarins, et chacun d’eux au jour marqué se rend dès le matin avec sa suite, ses prétoriens et ses satellites, au lieu qui lui est désigné. Là il attend patiemment sans prendre aucune nourriture, sans même fumer de tabac, que l’heure propice arrive. C’est ordinairement vers minuit, et, en tout cas, le mandarin ne doit rentrer chez lui qu’après minuit passé. Au moment précis, il immole des porcs, des moutons, des chèvres, dont le sang et les chairs crues sont offerts à la divinité. Le lendemain il se repose, pour recommencer le surlendemain, et ainsi de suite, de deux en deux jours, jusqu’à l’obtention de la pluie.

À la capitale, les mandarins se relèvent afin que les sacrifices aient lieu tous les jours. Si, après deux ou trois sacrifices, on n’obtient rien, on change de place et l’on s’installe dans un autre endroit plus propice. Les diverses stations que l’on doit ainsi occuper sont déterminées par d’anciens usages. Si les prières sont inutiles, les ministres viennent officier à la place des mandarins ; et enfin, quand ni les mandarins ni les ministres n’ont pu rien obtenir, le roi lui-même vient en grand appareil pour sacrifier et obtenir le salut de son peuple.

Lorsque la pluie arrive, ni le sacrificateur ni les gens de sa suite n’ont le droit de se mettre à l’abri ; ils doivent attendre jusqu’après minuit avant de rentrer dans leurs maisons. Tout le peuple les imite, car on croirait faire injure au ciel en cherchant à éviter une pluie si ardemment désirée, et si quelque individu a la malencontreuse idée de prendre son chapeau ou d’ouvrir son parapluie, on lui arrache ces objets, que l’on met en pièces, et on l’accable lui-même de coups et d’injures.

Le mandarin, après le sacrifice duquel la pluie arrive, est regardé comme ayant bien mérité de la patrie, et le roi le récompense en lui donnant de l’avancement ou en lui faisant quelque cadeau précieux. Il y a quelques années, un mandarin de la capitale, pour avoir fait la cérémonie avant l’heure fixée, fut immédiatement destitué. Mais cette nuit-là même la pluie commença à tomber ; il fut rétabli dans sa charge et partagea la récompense avec le mandarin du jour suivant, pendant le sacrifice duquel la pluie tomba en grande abondance.

Chacun d’eux reçut du roi une peau de cerf, qui fut portée à leur domicile avec tout l’appareil et toute la pompe possibles.

Les sacrifices pour obtenir le beau temps se font, à la capitale, sur la grande porte du Midi.

L’heure est la même, le sacrificateur garde la même abstinence, et pendant tout le temps que durent ces sacrifices la porte reste fermée jour et nuit, et la circulation est arrêtée. Quelquefois aussi on interdit pendant ce temps de transporter les morts. Ceux qui alors font la levée du corps et se mettent en route, malgré la défense, soit parce qu’ils l’ignorent, soit parce qu’ils espèrent passer en contrebande, soit enfin parce que le jour du convoi a été fixé par les devins et ne peut être changé, sont impitoyablement arrêtés aux portes de la ville. Comme ils ne peuvent retourner chez eux avant l’enterrement, ils doivent demeurer à la pluie, eux et les cercueils qu’ils portent, souvent pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que le retour de la sérénité fasse lever la prohibition.

Quelquefois, dans les grandes calamités, comme au temps du choléra, les particuliers se cotisent ou font des quêtes pour fournir aux frais de sacrifices plus nombreux, et le roi, de son côté, cherche à apaiser le courroux du ciel en accordant des amnisties partielles ou générales.

Outre ce culte officiel du Siang-tiei ou du ciel, le gouvernement entretient à la capitale un temple et fait offrir régulièrement des sacrifices au Sia-tsik.

« J’ai souvent demandé, écrit Mgr Daveluy, ce qu’est ce Sia-tsik. »

Les réponses sont fort obscures.

La plupart prétendent que Sia est le génie de la terre, et Tsik l’inventeur de l’agriculture en Chine, placé aujourd’hui parmi les génies tutélaires. Quoi qu’il en soit, le peuple ne s’occupe guère du Sia-tsik, et dans les provinces on ignore et son nom et son culte. Mais, à la capitale, son temple est ce qu’il y a de plus sacré ; le temple où l’on conserve les tablettes des ancêtres de la dynastie régnante ne vient qu’en second lieu.

La partie principale de la religion des lettrés, la seule que connaisse et pratique fidèlement l’immense majorité de la population, est le culte des ancêtres. De là l’importance des lois sur le deuil, sur le lieu où doivent être placés les tombeaux, et sur la conservation dans chaque famille des tablettes des parents défunts. À propos des funérailles royales et des devoirs de parenté, nous avons déjà donné des détails sur le deuil et sur les tombeaux des rois ; voici maintenant, pour compléter, quelques notions sur les sépultures ordinaires et sur les tablettes.

Le choix d’un lieu d’enterrement est pour tout Coréen une affaire majeure ; pour les gens haut placés, on peut dire que c’est leur principale préoccupation. Ils sont convaincus que de ce choix dépendent le sort de leur famille et la prospérité de leur race, et ils n’épargnent rien pour découvrir un endroit propice. Aussi, les géoscopes et les devins, qui se font une spécialité de cette étude, abondent dans le pays. Quand le lieu de la sépulture est fixé et qu’on y a déposé le corps, il est défendu désormais à qui que ce soit d’y enterrer, de peur que la fortune ne passe de son côté, et la prohibition s’étend à une distance plus ou moins considérable, suivant le degré d’autorité de celui qui l’établit. Pour les tombeaux des rois, le terrain réservé s’étend à plusieurs lieues tout autour, et comprend les montagnes environnantes d’où l’on peut voir le tombeau. De leur côté, les grands et les nobles prennent le plus d’espace possible ; ils y plantent des arbres qu’il est défendu de couper jamais, et qui avec le temps deviennent de véritables forêts. Si quelqu’un parvient à enterrer furtivement sur une montagne déjà occupée par d’autres, cette montagne devient aux yeux de la loi la propriété du dernier inhumant, et, dans ce cas, lorsque les premiers tombeaux appartiennent à des nobles ou à des gens riches, on fait déterrer les corps, sinon on se contente de raser les tombes et d’en faire disparaître la trace en nivelant le terrain. De là des querelles, des rixes, des haines violentes, qui, comme toutes les haines du Coréen, se transmettent de génération en génération.

La loi défend de déterrer le corps d’un individu appartenant à une autre famille ; les parents du mort ont seuls le droit d’y toucher.

Il y a quelques années, derrière la montagne où habitait un missionnaire, un riche marchand qui venait de perdre son père trouva un lieu de sépulture à sa convenance. Près de là étaient quelques tombeaux de nobles. La distance étant légalement suffisante, le marchand avait le droit d’enterrer ; mais la raison du plus fort est, en Corée, presque toujours la meilleure, et les nobles firent opposition. Le marchand persista, loua secrètement une centaine d’individus déterminés pour vaincre toute résistance de la part des gardiens, fit l’inhumation selon les règles, et se retira avec sa troupe ; il était environ six heures du soir. Les nobles, premiers possesseurs du terrain, demeuraient à trois lieues de là, et, bien qu’on les eût avertis dès le matin, ils ne purent arriver, avec deux ou trois cents hommes, qu’une demi-heure trop tard ; la montagne leur était ravie. N’osant toucher au cadavre fraîchement inhumé, ils se lancèrent avec leurs gens à la poursuite du marchand, battirent ses affidés, le saisirent lui-même, lui lièrent les pieds et les mains et l’emportèrent, au milieu des plus effroyables vociférations, jusque sur la tombe de son père. Le pauvre malheureux, à moitié mort de frayeur et de fatigue, donna le premier coup de bêche. Les autres purent alors déterrer le corps, ce qui fut fait en quelques minutes, et le marchand dut chercher ailleurs un lieu de sépulture.

Les gens du peuple ont recours à tous les moyens pour protéger leurs tombeaux. Un jour, des prétoriens voulurent enterrer un des leurs dans l’endroit que possédait une famille pauvre. Le chef de cette famille voyant que toutes les réclamations étaient inutiles, assista tranquillement à l’enterrement fait par les prétoriens et après la cérémonie, offrit du vin aux fossoyeurs, qui l’acceptèrent ; puis avec le plus grand sang-froid, il se coupa lui-même les chairs des cuisses, et leur en offrit les morceaux saignants pour compléter leur repas.

Le mandarin, apprenant le fait et entendant les exécrations dont le peuple chargeait ses prétoriens, les fit punir sévèrement, et les força à déterrer leur mort et à rendre la place au premier propriétaire.

Aussitôt après la mort, on fabrique la tablette dans laquelle doit venir résider l’âme du défunt. Ces tablettes sont généralement en bois de châtaignier, et l’arbre doit être tiré des forêts les plus éloignées de toute habitation humaine, ce que les Coréens expriment par ces mots : « Pour les tablettes, il faut un bois qui de son vivant (avant d’être coupé) n’ait jamais entendu ni l’aboiement du chien ni le chant du coq. » Cette tablette est une petite planche plate que l’on peint avec du blanc de céruse, et sur laquelle on inscrit en caractères chinois le nom du défunt. Sur le côté, on pratique des trous par lesquels doit entrer l’âme. La tablette, placée dans une boîte carrée, se conserve, chez les riches, dans une chambre ou salle spéciale ; chez les gens du peuple, dans une espèce de niche, au coin de la maison. Les pauvres font leurs tablettes en papier. Pendant les vingt-sept mois du deuil, les sacrifices se font tous les jours devant ces tablettes. On se prosterne le front dans la poussière, on offre divers mets préparés avec soin, du tabac à fumer et de l’encens. Après le deuil, on continue à offrir ces sacrifices plusieurs fois par mois, à des jours fixés par la loi et l’usage, soit devant les tablettes, soit sur le tombeau. À la quatrième génération, on enterre les tablettes et le culte cesse définitivement, si ce n’est pour les hommes extraordinaires, dont les tablettes se conservent à perpétuité.

Outre ce culte des ancêtres commun à tous les Coréens, les lettrés et les nobles ont celui de Confucius et des grands hommes, auxquels ils offrent des sacrifices dans des temples spéciaux, non pas qu’ils les regardent comme des dieux, mais parce que, dans leur opinion, ils sont devenus des esprits ou génies tutélaires. Mais qu’entendent-ils par là ? il est difficile de le savoir. « Dans ce pays, écrit Mgr Daveluy, on n’a pas de notions exactes sur la distinction de l’âme et du corps, ni sur la spiritualité de l’âme. Les mots hon, sin, lieng, etc., consacrés dans nos livres chrétiens pour désigner l’âme et sa nature, ne sont appliqués par les païens qu’aux esprits ou génies, et aux âmes des défunts. Un païen assez instruit d’ailleurs, à qui je disais que chaque homme a une âme, ne voulut pas l’admettre. « Pour nous autres, disait-il, ce qui nous meut et nous anime se dissipe avec le dernier souffle de la vie ; mais, pour les grands hommes, ils subsistent encore après leur mort. » Parlait-il de leur âme, ou prétendait-il qu’ils étaient transformés en esprits ou génies ? Je l’ignore, et lui-même ne le savait pas. » Dans chaque district, se trouve un temple de Confucius. Ce sont de petits bâtiments assez beaux pour le pays, avec de vastes dépendances ; on les appelle hiang kio. On ne peut passer à cheval devant ces temples, et des bornes, placées aux extrémités du terrain consacré, marquent l’endroit où il faut mettre pied à terre. C’est dans ces temples que les lettrés tiennent leurs réunions, et l’on y offre des sacrifices, à la nouvelle et à la pleine lune. Quand les revenus attachés aux temples ne suffisent pas pour couvrir les frais, la caisse du district doit y suppléer. Les lettrés élisent entre eux ceux qui doivent, pour un temps donné, exercer les fonctions de sacrificateur.


Pagodes.

Les se-ouen sont des temples élevés aux grands hommes avec l’autorisation du roi. Leurs portraits y sont conservés, et l’on témoigne à ces portraits une vénération presque égale à celle que l’on a pour les tablettes des défunts. Si ces grands hommes ont laissé des descendants, ceux-ci sont de droit fonctionnaires de leurs temples ; sinon, les lettrés du voisinage remplissent à tour de rôle l’office de sacrificateur. Quelques-uns de ces se-ouen sont très célèbres dans le pays, et le gouverneur ou ministre qui refuserait d’accorder sur les deniers publics les sommes quelquefois énormes, exigées par les fonctionnaires de ces temples pour les frais des sacrifices, compromettrait gravement sa position.

À côté de la religion officielle se trouve, comme nous l’avons dit, le bouddhisme ou doctrine de Fô, qui est maintenant en pleine décadence. Avant la dynastie actuelle, le bouddha coréen, quelquefois appelé Sekael (issu de la famille de Se), était en grand honneur, ainsi que ses bonzes. C’est alors que furent bâties toutes les grandes pagodes dont quelques-unes existent encore aujourd’hui. On en trouvait dans chaque district, et les largesses du peuple et des rois les entretenaient dans la prospérité. Quand les dons volontaires étaient insuffisants, le trésor public y pourvoyait.

Plusieurs rois de la dynastie Korie voulurent, par dévotion, être inhumés dans ces pagodes, à la manière bouddhique, qui consiste à brûler les corps et à recueillir les cendres dans un vase, que l’on conserve en un lieu spécial ou que l’on jette à l’eau. Un de ces rois fit même un décret pour obliger chaque famille qui aurait trois enfants, à en donner un pour devenir bonze. À la fin du xive siècle, la nouvelle dynastie qui s’installa sur le trône de Corée, sans prohiber en aucune manière le bouddhisme, le laissa complètement de côté, et depuis cette époque pagodes, bonzes et bonzesses, n’ont cessé de déchoir dans la vénération publique.

Quelquefois encore, même aujourd’hui, le gouvernement invoquera officiellement le nom de Fô, et les reines ou princesses feront, dans des circonstances particulières, un petit présent à telle ou telle pagode, mais rien de plus ; et tout le monde, les bouddhistes eux-mêmes, avouent que dans quelques générations il ne restera de leur culte qu’un souvenir.

Les pagodes bouddhiques, bâties dans le genre chinois, n’ont généralement rien de remarquable. Le sanctuaire où se trouve la statue de Fô est assez étroit ; mais il est toujours entouré de nombreux appartements qui servent aux bonzes de demeures, de salles d’étude et de lieux de réunion. Du plus grand nombre il ne reste que des ruines. Ces pagodes sont d’ordinaire situées dans les montagnes, dans les déserts, et souvent le site en est admirablement choisi. Pendant l’été surtout, les lettrés s’y réunissent pour se livrer à l’étude et aux discussions littéraires. Ils y trouvent la tranquillité, la solitude, le bon air ; et les bonzes, moyennant une légère rétribution, leur servent de domestiques.

Ces bonzes sont maintenant presque sans ressources. Ils sont obligés, pour vivre, de mendier ou de se livrer à divers travaux manuels, tels que la fabrication du papier ou des souliers. Quelques-uns cultivent de petits coins de terre appartenant aux bonzeries. Par suite du discrédit où est tombée leur religion, ils ne peuvent que difficilement se recruter, et ont dû abandonner toute espèce d’études. Ceux qui se font bonzes aujourd’hui sont pour la plupart des gens sans aveu, qui cherchent un refuge dans les pagodes, des individus qui n’ont pas pu se marier, des veufs sans enfants qui ne veulent pas ou ne peuvent pas vivre seuls, etc. Le peuple les méprise, les regarde comme des querelleurs, des charlatans, et des hypocrites ; néanmoins, par habitude, peut-être aussi par une certaine crainte superstitieuse, on leur fait assez facilement l’aumône.

On trouve aussi, comme dans tous les autres pays bouddhistes des bonzesses, vivant ensemble dans des monastères, non loin des pagodes, où il leur est interdit de résider. De même que les bonzes, elles sont tenues à garder la continence.

Tel est, en Corée, l’état actuel de la religion de Confucius et de celle de Fô. Ces deux doctrines, comme on l’a remarqué bien souvent et, selon nous, avec beaucoup de justesse, ne sont au fond que deux formes différentes d’athéisme. De leur coexistence légale, de leur mélange nécessaire dans l’esprit d’un peuple qui ne raisonne guère sa foi religieuse, est sortie cette incroyance pratique, cette insouciance de la vie future, qui caractérise presque tous les Coréens. Tous font les prostrations et offrent les sacrifices devant les tablettes ; mais peu croient sérieusement à leur efficacité. Ils ont une notion confuse d’un pouvoir supérieur et de l’existence de l’âme, mais ils ne s’en inquiètent pas, et quand on leur parle de ce qui suivra la mort, ils répondent aussi stupidement que nos libres penseurs de haut et de bas étage : « Qui le sait ? Personne n’en est revenu ! L’important est de jouir de la vie pendant qu’elle dure. » Mais si presque tous les Coréens sont pratiquement athées, en revanche, et par une conséquence inévitable, ils sont les plus superstitieux des hommes.

Ils voient le diable partout ; ils croient aux jours fastes et néfastes, aux lieux propices ou défavorables ; tout leur est un signe de bonheur ou de malheur. Sans cesse ils consultent le sort et les devins ; ils multiplient les conjurations, les sacrifices, les sortilèges, avant, pendant et après toutes leurs actions ou entreprises importantes.

Dans chaque maison il y a une ou deux cruches en terre pour renfermer les dieux pénates : Seng-tsou, le protecteur de la naissance et de la vie ; Tsé-tsou, le protecteur des habitations, etc., et de temps en temps on fait devant ces cruches la grande prostration. Si quelque accident arrive en passant sur une montagne, on est tenu de faire quelque offrande au génie de la montagne.

Les chasseurs ont des observances spéciales pour les jours de succès ou d’insuccès ; les matelots plus encore, car ils font des sacrifices et offrandes à tous les vents du ciel, aux astres, à la terre, à l’eau.

Sur les routes, et surtout au sommet des collines, il y a de petits temples, ou seulement des tas de pierres ; chaque passant accrochera au temple un papier, ruban, ou autre signe, ou jettera une pierre dans le tas. Le serpent est ici comme partout, et toujours chez les païens, l’objet d’une crainte superstitieuse ; très peu de Coréens oseraient en tuer un. Quelquefois même, ils fournissent de la nourriture en abondance, et régulièrement, aux serpents qui se logent dans les toits ou les murailles de leurs masures.

Un homme en deuil ne peut donner la mort à aucun animal ; il n’ose même pas se débarrasser de la vermine qui le dévore. Les femmes, qui en ce pays font tous les métiers possibles, ne voudraient jamais tuer un poulet, ni même le préparer après qu’il aurait été tué par une autre personne.


Temple de couvent.

La plupart des familles conservent précieusement le feu dans la maison, et font en sorte de ne jamais le laisser éteindre. Si un pareil malheur arrivait, ce serait pour la famille le pronostic et la cause des plus grandes infortunes. Pour l’éviter, tous les jours, après avoir préparé le repas du matin ou du soir, on dépose ce qui reste de charbons embrasés avec les cendres dans un vase de terre, en forme de chaufferette, et on prend les précautions nécessaires afin de conserver l’étincelle qui servira à rallumer le feu à la prochaine occasion. Un jour, un noble qui avait grande compagnie dans ses salons, vit un esclave sortir un bouchon de paille à la main, au moment où l’on devait préparer le repas.

« Où vas-tu ? lui cria-t-il.

— Je vais chez le voisin chercher du feu, répondit l’esclave ; il n’y en a plus nulle part dans la maison.

— Impossible ! » dit le maître en pâlissant, et aussitôt, laissant ses hôtes, il court aux vases où dans les divers appartements on conservait le feu, et à genoux, les larmes aux yeux, il retourne les cendres avec une attention fiévreuse. À la fin, il aperçoit une faible lueur ; il souffle et parvient à enflammer une allumette.

« Victoire ! s’écrie-t-il en rentrant dans le salon ; les destins de ma race ne sont pas encore terminés. J’ai recouvré ce feu que mes ancêtres se sont fidèlement transmis depuis des générations, et je pourrai à mon tour le léguer à mes descendants. »