La Corée ou Tchösen/Chapitre I

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Ernest Leroux (Tome 26ep. 1-5).


I. — DESCRIPTION ET HISTOIRE.


La Corée, plus connue sous le nom de Tchösen, est le prolongement du plateau de la Mantchourie. Elle s’avance vers le Grand Océan sous la forme d’une longue presqu’île, entre la mer du Japon à l’est et la mer Jaune à l’ouest. Elle est comprise entre les 33e et 43e degrés de latitude nord, et les 122° et 128° de longitude est du méridien de Paris. La frontière du nord est marquée par les deux rivières Yalou et Toumen, qui prennent leur source dans la montagne Pak-Tou-San (la montagne toujours blanche). C’est un endroit très vénéré des indigènes comme ayant été le théâtre de mystères sacrés qui ont donné lieu à de nombreuses légendes populaires.

Le Yalou est tributaire de la mer Jaune, et le Toumen porte ses eaux à la mer du Japon. À l’ouest, s’étend l’empire chinois, au nord la Mantchourie et au nord-est la Sibérie. Près de cette dernière frontière, sur la côte de la mer du Japon, se trouve Vladivostok, port de mer russe, appelé à devenir une station navale et militaire importante. C’est en effet à ce point de la côte que doit aboutir le chemin de fer transsibérien qui reliera la capitale de la Russie à l’Extrême-Orient, la Baltique au Grand Océan.

Le contour de la Corée offre une particularité digne de remarque : il représente, ainsi qu’il est facile de s’en convaincre en consultant une carte, la figure d’un dragon, animal qui est considéré comme dieu dans le culte du pays. La tête de cet animal se trouve à l’embouchure du Toumen, dont nous avons parlé ; les oreilles sont formées par les deux projections du cap Bruat ; le cou se trouve dans l’enfoncement de la baie Broughton ; les épaules ainsi que le dos sont représentés par les caps Duroche et Pélissier, et la chaîne des montagnes abruptes qui longent la mer du Japon ; la queue se prolonge jusqu’à l’île Quelpaërt ou Tchœ-Tchiou ; les pieds de derrière reposent sur l’archipel de la mer Jaune, et ceux de devant se trouvent à l’embouchure du Ta-Tong et du Yalou. Le versant occidental de ces montagnes s’incline vers la mer Jaune par une succession de collines et de monticules entre lesquels s’étendent des vallées d’une fertilité remarquable. Sur ces hauteurs prennent naissance un grand nombre de rivières, telles que : le Han, le Ta-Tong et autres, qui, après un cours sinueux, vont déverser leurs eaux dans la mer Jaune.

La Corée a été appelée la Nation Ermite, par suite de son isolement volontaire et complet du reste du monde ; sauf toutefois des visites annuelles de ses ambassadeurs à la cour de Pékin, porteurs du tribut comprenant du ginseng. Le gouvernement chinois, depuis fort longtemps, exerce sur ce pays les droits de suzerain et le désigne encore dans ses correspondances comme frère cadet.

Du Halde cite trois différents auteurs en parlant de la Corée, le Tsien-kio-kim-loui-tchu, le livre de Quang-yu-li et la géographie universelle intitulée Fang-yu-ching-lio et après ceux-ci, il dit :

« La Corée a été autrefois la demeure de différens peuples, dont les principaux étoient les , les Kaokiuli, les Hans, et ces derniers se partageoient en trois espèces, sçavoir les Méhan, les Pien-han et les Tchin-han. Ces peuples composoient plusieurs royaumes, tels qu’étoient celui de Tchaossien et celui de Kaoli. Mais ils furent dans la suite tous réunis sous une seule domination et ce grand État eut d’abord le nom de Kaoli d’où nous avons formé par corruption le nom de Corée que nous lui donnons.

« Il prit ensuite le nom de Tchaossien sous la dynastie régnante, qui est la famille des Li. Mais quoique, dans les actes publics, on ne lui donne que ce dernier titre à la Chine, cependant dans le discours ordinaire il retient encore le premier. Les Mantcheoux nomment la Corée Solho-kourou ou royaume de Solho. »

« Mais on sçait si peu de choses de leur histoire avant la dynastie des Tcheoux que les historiens chinois ont raison de commencer l’établissement de cette monarchie par Kitsei, depuis lequel jusqu’à présent elle a subsisté deux mille huit cent quatorze ans sans y comprendre les temps auxquels elle fut réduite en province sous la conduite de Pheï-tchoung-Sun qui proclamoit roi de Kaoli, Tching, fils d’une concubine du roi Tchy, lequel n’avoit été que heou ou duc, mais il fut obligé de se cacher dans l’île Tchin-tao. Les Mongols le punirent et rétablirent la tranquillité.

« Dans l’histoire de la Corée Toung-kouè-tong-kian ou Miroir véridique du royaume oriental, et qui est citée dans la grande Encyclopédie japonaise Wo-han-san-thsaï-thou-hoei, il est dit : « Primitivement ce pays n’avoit ni princes ni chefs. Un homme surnaturel descendit sous un arbre de santal than-mou ; les gens du pays en firent leur prince ; il reçut le nom de Than-kiun, prince de santal, et son royaume fut appelé Tchaosian ; ceci eut lieu du temps de Thang-yao, vingt-trois siècles avant J.-C. Les descendants de ce prince régnèrent plus de mille ans. Ensuite Kitsu fut nommé roi. »

Selon la tradition actuelle, Kitsu en fut le premier roi, et c’est celui-ci qui dota le pays du nom de Tchösen, qui signifie terre du « Calme matinal ».

La Corée, selon la même autorité citée dessus, fut anciennement conquise et rendue tributaire par Zin-gou-kwo-go, impératrice du Japon (201 à 269 ap. J.-C). Au ive siècle de notre ère, la Corée fut saccagée par les hordes barbares des Huns, Kitans, Mongols et Tartares dont le torrent atteignit l’Europe.

Au xiiie siècle, une nouvelle invasion se produisit, mais cette fois sous les étendards du grand Ghenkis-Khân. Sa conquête fut un bienfait, il réunit les diverses tribus en corps de nation et leur inculqua les premières notions d’un sentiment patriotique.

Il faut encore mentionner les terribles invasions des Japonais conduites par Kato Kiyomasa et Konichi Youkinaga, en 1592 et 1598.

Au commencement de l’ère chrétienne, la Corée se composait de hordes sauvages, originaires de la Mantchourie, qui étaient presque continuellement en guerre les unes contre les autres. Cet état de choses durait encore au vie siècle lorsque les provinces du sud devinrent l’objectif des apôtres du bouddhisme, apportant avec eux la civilisation indo-chinoise ; ils répandirent dans le pays la culture des arts et des sciences ; ils fondèrent les trois royaumes distincts de Koraï, dans le nord ; Hiaksai et Shinrai, dans le sud ; et, vers le viie siècle, Kion-Tchou, la capitale de ce dernier, devenait un centre brillant de civilisation indo-chinoise.

D’après les Annales chinoises, des marchands arabes de la Syrie visitaient la Chine et la Corée, où ils vendaient des objets en verre colorié. Khordadbeh, géographe arabe du ixe siècle, rapporte qu’un certain nombre de ses compatriotes allaient faire du commerce dans un pays connu sous le nom de Sila et situé de l’autre côté de la Chine, en face de Kantou ; plusieurs de ces marchands, ajoute-t-il, s’établissaient dans le pays, d’où ils exportaient du ginseng, des bois de cerf, de l’aloès, du camphre, des clous de girofle, de la porcelaine, de la soie, du zimmit (?) et du galanga (?).

Sila est sans doute l’ancien Shinrai, la province la plus riche et la plus prospère à l’époque de Khordadbeh ; Kantou est le promontoire de Chan-toung à l’est de la Chine et dans la mer Jaune.

Le bouddhisme atteignit la plus haute période d’éclat de 905 à 1392. Le Grand Mongol, Koublai-Khan, en était devenu lui-même un ardent apôtre. La fin du xive siècle marque l’ère de décadence de cette religion. La pureté du dogme s’altère, les monastères qui étaient autrefois le séjour des vertus devinrent des foyers de vice et de corruption. La dépravation et la licence des prêtres de Bouddha excitèrent contre eux de violents murmures, et l’indignation étant arrivée à son comble, le peuple se souleva et en fit un massacre général, tant dans la capitale que dans le reste du pays.

Avec les bonzes périssait la civilisation dont ils avaient apporté les germes, et la Corée fut bientôt replongée dans l’état de barbarie d’où ils l’avaient tirée. Du bouddhisme, il ne resta plus qu’un vague souvenir, et le chamanisme prit sa place. Le chamanisme est la pratique des plus grossières superstitions, l’adoration des esprits de l’air et de la terre, et surtout la crainte du dragon, animal redoutable qui habite les montagnes et exerce un pouvoir absolu sur la vie du Coréen.

Pour donner une idée de ces superstitions je citerai le fait suivant : Sa Majesté le roi m’envoya prévenir un jour, en ma qualité de chargé d’affaires de mon pays, que je ne devrais pas me préoccuper du bruit que j’allais entendre la nuit suivante. Il paraît que Sa Majesté avait fait cette démarche à la suite d’un conseil tenu avec ses astrologues attachés à la cour dans lequel il fut résolu de chasser à coups de fusil un mauvais dragon qui lui faisait maintes farces, coupait le chignon de ses soldats, et, enfin, embêtait Sa Majesté même. Ce qui fut dit fut fait ; pendant toute la nuit je fus assourdi par des décharges continuelles de mousqueterie, et le lendemain, Sa Majesté m’informa officiellement que le dragon avait disparu.