La Coupe (Deltuf)
LA COUPE.
Le soleil, au milieu de sa vaste carrière,
Dispense à nos sillons sa féconde lumière ;
Le soc abandonné dort parmi les guérets ;
La chaste déité qui préside aux forêts,
Diane, solitaire et dans l’ombre profonde,
Cherche l’oubli du jour et la fraîcheur de l’onde.
Tout se tait ; mais Chromis, pour charmer son ennui,
Chante sa Lalagé : viens chanter avec lui.
Sous le feuillage épais de ces chênes antiques,
Nous trouverons de l’ombre et des sièges rustiques.
Suis-moi donc ! Il y va, Battus, songes-y bien,
De l’honneur d’un Hellène à vaincre un Libyen !
Triomphe, et deux chevreaux blancs, et faits pour te plaire,
Seront de tes exploits le champêtre salaire.
J’y veux joindre une coupe en bois de coudrier,
Vrai miracle de l’art, honneur de l’ouvrier :
Large, douce à la lèvre et de forme charmante,
Revêtue au dehors d’une cire odorante,
Elle respire encor, tant le travail est frais,
Le suave parfum des natales forêts.
Dedans est une femme : elle est jeune et bien belle,
Sous son voile d’azur ! S’empressant autour d’elle,
Superbement vêtus, deux fils de sénateurs
S’efforcent, à l’envi, d’obtenir ses faveurs.
Son cœur est insensible ; elle les laisse dire ;
Elle trône, amusant tantôt l’un d’un sourire,
Tantôt l’autre d’un mot. Attentifs, l’œil en feu,
Ils brûlent ; leur tourment pour elle n’est qu’un jeu.
Non loin d’eux, et debout sur des rochers arides,
Un pêcheur, dont le front est sillonné de rides,
Péniblement soulève un lourd filet. Tendus
Sous le poids de ses rêts, on voit ses membres nus
Se roidir, s’efforcer en vain ; et chaque veine
Se tordre autour du cou, qui fléchit sous la peine.
Ah ! que n’a-t-il un fils ? C’est travailler bien tard !
En arrière, et tout près du courageux vieillard,
Par le souffle du vent mollement balancée,
Une vigne s’élève, à des troncs enlacée.
Un jeune enfant, assis parmi le haut gazon,
La garde ; deux renards tournent à l’horizon :
L’un aux fruits les plus mûrs va déclarer la guerre ;
L’autre, d’un œil furtif, couve la panetière,
Et semble dire : « Enfant, tu ne t’en iras pas
Avant qu’on ait goûté ton modeste repas ! »
Lui qui, tressant du jonc en baguettes égales,
S’occupe à fabriquer une cage aux cigales,
Bien qu’on soit à quinze ans peu dispos à jeûner,
N’a cure ni des fruits ni de son déjeuner.
C’est un tableau naïf, mais qui plaît à la vue :
D’un couvercle sculpté cette coupe est pourvue,
Où l’artiste a voulu, dans un piquant travail,
Des célestes amours retracer le détail.
Façonnée, avec soin, d’une branche d’yeuse
Chaque anse s’arrondit en courbe gracieuse ;
Un érable a fourni la base et le support ;
Une guirlande enfin voltige sur le bord,
Et l’on y voit s’unir la modeste bruyère
Aux replis ondoyants d’une tige de lierre.
Qu’en dis-tu ? ce présent est-il digne de toi ?
Le fût-il cent fois plus, tu l’obtiendrais de moi ;
Le fût-il moins cent fois, dût même la victoire
Ne te rapporter rien, hormis un peu de gloire,
Dût Chromis l’emporter, ce serait faire bien
Que de chanter quand même, et de chanter pour rien.
La muse à ses amants est d’un si doux commerce !
Complaisante et fidèle à leur fortune adverse,
Elle enchante leurs maux : bien souvent les revers,
Rarement le bonheur, enfantent les beaux vers.
L’amant n’a de repos qu’à chanter sa maîtresse ;
Le pauvre, en la chantant, enrichit sa détresse ;
Par ses chants le poëte est souvent consolé :
Chante, triste captif, chante, noble exilé,
Et retrouvez tous deux dans une mélodie
Ta liberté, captif ; exilé, ta patrie !