La Découverte de l’Amérique par les Normands vers l’an 1000/Conclusion

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Société d'Édition Maritimes, Géographies et Coloniales (p. 159-161).


CONCLUSION



Nous sommes arrivés à la conclusion. Je n’irai pas plus loin dans les déductions, estimant que rien ne permet de le faire sur une base suffisante. Dans l’état actuel de la question et jusqu’à l’apparition, bien improbable d’ailleurs, d’un fait nouveau, il faut se contenter d’une approximation, en l’absence de précision suffisante dans les textes. D’ailleurs, la découverte normande n’a pas eu de suite dans l’histoire et on peut se contenter de l’affirmation.

Je partage absolument l’idée de MM. Hovgaard et Fossum qui distinguent deux régions différentes pour les découvertes de Leif et de Karlsefni. Je pense qu’on peut placer le Vinland de Leif quelque part dans l’entrée du Saint-Laurent. Cette entrée que j’ai pu visiter présente si bien les aspects d’une mer que les Normands ont pu s’y tromper et ne pas s’apercevoir qu’ils étaient dans l’estuaire d’un fleuve. J’incline à placer le Hóp de Karlsefni sur la côte Est et vers le Sud de Terre-Neuve. S’il avait été plus au Sud, il eût rencontré des conditions nouvelles de tout genre dont les Sagas ne nous parlent pas, des pays déjà très chauds en été, des arbres inconnus, etc…

L’approximation me semble ainsi suffisante et en rapport avec l’imprécision des textes. Quand, travaillant sur des explorations beaucoup plus récentes où cependant les renseignements dérivent de moyens autrement puissants au point de vue scientifique, nous cherchons à restituer la découverte des explorateurs espagnols, portugais, anglais ou français, nous sommes habitués à montrer une très grande prudence et à laisser dans bien des cas un certain champ à l’approximation. Je crois qu’il est encore plus prudent de le faire dans ce cas, par suite de l’éloignement dans le temps et des pauvres moyens de ces gens fort audacieux, mais peu enclins aux sciences précises.

Pourquoi les Normands ne sont-ils pas restés dans leur conquête ? Nous ne le savons pas au juste. Entre les lignes, on peut cependant trouver quelques motifs. La crainte des indigènes nombreux et belliqueux, l’éloignement, le petit nombre des colons. Si l’on se souvient des mécomptes des débuts de la colonisation de l’Amérique bien des siècles plus tard, on peut penser que la situation était autrement critique pour les Normands.

Il faut aussi faire entrer en ligne de compte que les Normands étaient avant tout des éleveurs. Ils ne durent pas estimer que ces terres nouvelles valaient à cet égard les pâturages tout faits du Groenland ou de l’Islande. Ils estimaient peut-être qu’on pouvait y voyager, les exploiter, mais non y vivre à demeure. Par ailleurs, nous les connaissons comme d’habiles marchands, quelque peu pirates à l’occasion. La nouvelle terre ne leur offrait guère de champ pour ce genre d’opérations.

Et puis, c’était sans doute, après un si bel effort, beaucoup plus agréable pour ces hommes si friands de raconter ou d’écouter de belles histoires, d’aller narrer la belle aventure parmi les compagnons d’Islande que de continuer à se morfondre dans un pays lointain trop dissemblable du pays natal. Le Vinland n’offrait d’ailleurs pas tant de charmes si nous nous en rapportons au chant de Thorhall le Chasseur.

Ayant abandonné le Vinland, ils oublièrent petit à petit le Markland. Quelque deux cents ans plus tard, les navires norvégiens ne connurent même plus le chemin du Groenland. Les derniers colons, les descendants de l’héroïque Eirik, furent massacrés ou réduits en esclavage vers le xve siècle par les Skroelings.

Puis, ce fut un silence de plusieurs siècles.

Au xviie siècle, le Groenland fut retrouvé, l’histoire du Vinland apparut un instant pour retomber presque aussitôt dans l’oubli. Enfin, Rafn, au milieu du xixe, la ressuscita définitivement.

De nos jours, la littérature scandinave est de plus en plus goûtée et à juste titre. C’est une source pure et jeune qui jaillit parmi nos littératures déjà vieilles. Nous lui devons une grande reconnaissance d’avoir transmis le grand événement que fut cette découverte d’une terre lointaine que Christophe Colomb redécouvrit cinq siècles plus tard. Il partagea partiellement le destin, de ses prédécesseurs, l’Amérique ne s’appelle ni Normandie, ni Colombie. Mais au moins eut-il la gloire d’ouvrir une voie qui ne se referma plus. Les Normands furent moins heureux, leur audace et leur esprit d’entreprise n’en sont pas moins à admirer.