La Découverte de l’Amérique par les Normands vers l’an 1000/Itinéraires d’après les directions

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Société d'Édition Maritimes, Géographies et Coloniales (p. 134-143).
Les itinéraires-directions

Il ne nous reste donc qu’un dernier élément : les directions des itinéraires. Le système des points cardinaux et même leurs désignations généralisées dans l’Europe entière n’a pas varié depuis le xe siècle. Nous comprenons comme les Normands les mots Nord ou Sud, Est ou Ouest. Ces directions étant exprimées dans les textes tout au long en mots parfaitement compréhensibles, il y a peu de chances que les scribes aient commis les mêmes erreurs que pour les chiffres.

Les scaldes qui racontaient ces récits devant un public composé de marins ou des parents ou descendants des auteurs des exploits ont dû sur ce point être exacts. Le susdit public était assez prévenu pour ne point devoir admettre à cet égard des erreurs par trop grossières. Le contrôle devait en être d’autant plus facile qu’au moment où les Sagas furent écrites, les routes des régions découvertes par les Normands étaient en partie connues et utilisées.

On peut donc s’appuyer d’une façon plus certaine sur ces directions et nous avons là une base des plus solides. En les portant sur les cartes, on peut tenter de démêler où elles mènent On peut dire de suite qu’elles indiquent non un point déterminé, mais une région assez étendue et qu’il faut se contenter d’une approximation. Les indications de direction sont en effet d’une exactitude relative, elles n’indiquent pas un point déterminé de la rose des vents, mais bien plutôt un secteur de cette rose. Ainsi « sudr » indique une direction comprise entre le Sud-Ouest et le Sud-Est. C’est là une précision d’un avantage considérable sur les autres indications des Sagas.

Il faut de plus remarquer que dans les Sagas, la direction indiquée n’est pas celle de la course du navire, mais celle du vent. Il est toutefois assez probable que, dans la généralité des cas, les deux sont assez voisines, avec les navires normands, ainsi que nous l’avons dit dans la première partie. Cette condition nous approche de la vérité mais ne donne encore qu’une approximation.

En extrayant de la Saga d’Eirik (Flatey Bók) tout ce qui concerne les directions, nous obtenons les renseignements suivants :

Bjarni, parti de l’Islande, fait route trois jours vers le Groenland, donc vers l’Ouest. Il est pris par une tempête nord (donc chassé vers le Sud) et est drossé pendant beaucoup de « doegr ». Il se perd dans le brouillard et un beau matin aperçoit une terre qu’il n’assimile pas avec le Groenland. Il en approche et voit une côte peu accidentée, couverte de bois sur de petites collines. Il laisse cette terre à babord, en allant vers le Nord, avec l’écoute à bâbord, donc avec vent d’est ou sud-est.

Il navigue deux doegr et arrive en vue d’une deuxième terre qui est plate et boisée. Il pique en pleine mer, le dos à la terre, donc direction Nord ou Nord-Est. Il fait route trois doegr avec un fort vent du Sud-Ouest et aperçoit une troisième terre. Celle-là est haute, montagneuse et couverte de neige. En approchant, il se rend compte que c’est une île et reprend la mer avec le même vent Sud-Ouest, donc marche vers le Nord ou le Nord-Est.

Après quatre doegr, il aperçoit enfin le Groenland, où il touche près de Herjolfness, c’est-à-dire à un point situé au Sud des établissements de l’Est et proche du cap Farewell.

Essayons de reporter ces directions sur une carte, sans trop nous soucier des distances indiquées par la Saga, distances que nous savons peu exactes.

Bjarni a été surpris par le vent du Nord-Est, alors qu’il était entre l’Islande et le Groenland (voir fig. no ). Étant donné ces vents et la direction des courants, on peut estimer, et c’est l’avis unanime, qu’il a été poussé dans la région de Terre-Neuve. L’examen de la carte de l’Atlantique permet en effet de penser que, drossé plus au Sud, il n’eut jamais touché de terre et se fut perdu dans l’Atlantique ; que poussé plus au Nord, il eut touché le Groenland comme Gunnbjorn ou au plus, le Labrador. Sa description ne s’applique pas à ces deux contrées. Dans la direction intermédiaire, le Sud-Ouest, il eût, atteint et navigué le long des côtes Est des États-Unis ou de la Nouvelle-Écosse qui se trouvent considérablement dans l’Ouest de Terre-Neuve et le trajet de retour au Groenland eût été beaucoup plus long. Le nombre de terres aperçues aurait été aussi beaucoup plus considérable qu’il ne paraît indiqué dans la Saga.

Il se peut aussi qu’il soit entré dans la baie du Saint-Laurent sans avoir aperçu la côte sud de Terre-Neuve, par le détroit de Cabot, dans la brume, et se soit trouvé, quand le brouillard se leva, au large des côtes du Nouveau-Brunswick. Cette hypothèse, quoique difficile à imaginer, n’est pas absolument à rejeter.

Nous sommes donc en présence de deux hypothèses (voir fig. 2).

Si nous suivons la Saga, ces hypothèses nous mènent d’abord à des terres différentes, puis nous ramènent au même point :

Première hypothèse : Suivant, vers le Nord, la côte Est de Terre-Neuve, Bjarni peut avoir rencontré la pointe, appelée le Petit Nord, après avoir franchi la baie Notre-Dame, entre le cap Frehel et le cap Bauld.

Deuxième hypothèse : Des environs de l’île de cap Breton allant vers le Nord-Ouest, il a pu toucher la Gaspésie. De l’un de ces deux points, tournant le dos à la terre, il a piqué en pleine mer. Il est pris par un fort vent du Sud-Ouest.

Reprenant la première hypothèse, de la partie Nord de la côte Est de Terre-Neuve, du cap Bauld, par exemple, Bjarni a pu marcher Nord ou même Nord-Ouest, largue ou grand largue et atteindre un point situé sur la côte sud-est du Labrador.

Dans la deuxième hypothèse, de la Gaspésie, en cédant au vent, il a pu, à travers la baie du Saint-Laurent, arriver sur la côte Sud du Labrador, dans les environs du détroit de Belle-Isle, c’est-à-dire sensiblement dans la même région que dans la première hypothèse.

Le point atteint est, d’après la Saga, une île, à vrai dire, il n’en manque pas sur la côte du Labrador.

Il reprit la mer, avec le même vent qui le mène facilement au Groenland, par une direction nord-est et au point précis du Herjolfness.

Leif a repris son itinéraire en sens inverse, sur les indications de Bjarni et selon toute vraisemblance, il a dû arriver aux mêmes endroits. Le point le plus remarquable de son récit, c’est le signalement de plages de sable blanc après le point où Bjarni a vu la terre pour la deuxième fois. Or, nous savons qu’il n’y en a pas ou fort peu au Nord du détroit de Belle-Isle, non plus que sur les côtes de Terre-Neuve, mais nous en connaissons sur la côte Sud du Labrador, dans la baie du Saint-Laurent (Blanc Sablons, etc.).

Ceci semblerait indiquer que Leif longeant la côte du Labrador est entré dans cette baie. Nous verrons que plusieurs auteurs partagent cette façon de voir.

De là, il repart avec un vent du Nord-Est, donc assez vraisemblablement vers le Sud-Ouest, il trouva une île au large d’une terre, et c’est là que pour la première fois, il observe la rosée. Il enfile le détroit qui séparait cette île de la rive sur laquelle saillait un cap orienté vers le Nord. C’est là le commencement du Vinland.

Cette topographie indiquerait assez bien une côte orientée Est-Ouest ayant la mer au Nord, or ceci concorde avec la rive Sud du Saint-Laurent. Le Vinland de Leif, d’après les directions de la Saga, peut donc se trouver quelque part dans la baie du Saint-Laurent, peut-être au Sud d’Anticosti, mais vraisemblablement pas beaucoup plus en amont, car les Normands eussent bien reconnu un fleuve, quel que soit le caractère et l’aspect maritime du Saint-Laurent. Nous devons les croire assez habitués aux choses de la mer pour ne point confondre les poissons, la nature des eaux, les objets charriés et d’autres caractéristiques habituelles aux fleuves et ce qu’ils avaient coutume de rencontrer au large ; d’autant plus qu’ils sont restés longtemps dans ces lieux.

Les descriptions de la contrée que nous donne la Saga s’appliquent d’ailleurs bien à la région : on peut y trouver des fruits sauvages qui peuvent rappeler le raisin, peut-être même du raisin, de la rosée, une sorte de graminée ressemblant à du froment, le bétail peut en général y paître en hiver au plein air. On y trouve des arbres de taille suffisante pour faire du bois de construction[1]. Enfin, les jours y sont plus longs qu’au Groenland, donc plus égaux aux nuits.

Il n’y a là qu’une hypothèse qui présente des côtés discutables. Les Normands, s’ils étaient entrés dans le Saint-Laurent, auraient pu être tentés, comme les navigateurs français, plus tard, de s’établir sur la rive nord qu’ils avaient longée auparavant, de préférence à la rive sud que rien ne leur indiquait spécialement.

Ils auraient pu reconnaître, comme nous l’avons signalé plus haut, qu’ils étaient, non sur la mer, mais sur un fleuve, immense à vrai dire, et tenter de le remonter, comme plus tard le fit Cartier, comme Eirik le Rouge l’avait fait pour les fjords du Groenland. On ne trouve aucune allusion à tout ceci dans le texte, non plus qu’à la grande île de Terre-Neuve et au détroit de Belle-Isle.

Toutefois, aucune de ces objections ne vient absolument à l’encontre de l’hypothèse qui présente par ailleurs des côtés tentants et qui, selon l’opinion de M. Fossum, remplit le maximum de concordance des textes.

Si nous passons à l’étude du voyage de Thorvald, nous retrouverons un appui à cette hypothèse. Thorvald est le frère de Leif. Il reçoit de lui tous les renseignements utiles et retrouve sans difficulté son campement au Vinland, c’est-à-dire, suivant ce qui précède, la rive sud du Saint-Laurent.

Il entreprend une exploration méthodique de la région. Dans ce but, il envoie un canot vers l’Ouest. Les marins de ce canot y trouvent une contrée agréable, boisée, avec des plages, de nombreuses îles et des hauts fonds. Tout ceci s’applique fort bien à la rive sud du grand fleuve, du côté de la Gaspésie. On peut même penser que, ne possédant qu’un canot, ces marins ont pu ne pas voir la rive nord du Saint-Laurent, ni osé s’aventurer sur l’immense fleuve large comme une mer et parcouru à chaque marée par des courants extrêmement violents.

De sa personne, Thorvald va vers l’Est, longeant ainsi une côte exposée au Nord qui peut être la côte de Gaspé ; ou si c’est une côte qui se dirige vers le Nord (le terme qui la désigne n’est pas très clair)[2], ce peut être la côte ouest de Terre-Neuve. Là il subit un violent coup de vent et est jeté sur un cap où il endommage la quille de son navire. Il la remplaça et hissa la quille brisée sur le cap. Il continua à explorer la terre vers l’Est. Cette terre était très découpée. Ceci représente aussi bien le cap Gaspé que le cap Normann.

S’il n’y a pas eu interpolation ou confusion dans les textes, nous verrons que plus tard, Karlsefni retrouva ce cap avec sa balise dans une région qui ne semble pas pouvoir être Gaspé, mais bien Terre-Neuve.

Thorvald fut tué sur une côte située non loin de là vers l’Est, dans une bagarre avec les indigènes. Il ordonna qu’on l’enterrât sur un cap et l’on ne parla plus dans les Sagas de cette tombe au cours des expéditions suivantes. Peut-on espérer, plus de mille ans après, être assez heureux pour la retrouver, alors qu’elle était déjà perdue dans l’immensité quelques années après ?

En somme, si l’on admet que le Vinland de Leif se trouve dans la baie du Saint-Laurent, on peut penser que Thorvald a fait une exploration circulaire dans la baie de Gaspé, la côte ouest de Terre-Neuve et le détroit de Belle-Isle.

En exploitant les textes de la même manière, on constate que l’itinéraire de Karlsefni diffère dès l’origine de celui de Leif, s’y raccorde pendant un temps, puis finalement s’en éloigne. Karlsefni partit des Établissements de l’Est. Pour des raisons qui ne sont pas spécifiées dans la Saga, il remonta la côte ouest du Groenland vers le Nord. Il dut ainsi contourner le paok que nous avons signalé comme bloquant, dans la saison froide, la pointe Sud-Ouest du Groenland. Ce faisant, il voulut peut-être aller chercher le chenal libre de glaces qui menait vers l’Ouest, navigable dans cette saison de l’année, tandis que les régions maritimes plus méridionales étaient encombrées par des glaces dérivantes ou fixes (voir le fig. 3).

La première étape fut une île de « l’Ours » qu’on peut placer soit sur la Terre de Bafin, soit dans le Nord du Labrador. La Saga ne nous donne pas de direction pour la situer, mais nous savons que c’est seulement après avoir marché vers le Nord que les navigateurs y arrivèrent. Or, la barrière de glace barrait la route vers le Nord, il faut donc bien admettre que Karlsefni a été vers l’Ouest. D’autre part, s’il a suivi le chenal libre, il a abouti de même à une terre située à l’ouest et à hauteur de la partie moyenne du Groenland habitable. Ceci nous ramène encore comme précédemment à Bafin.

De cette île, selon la Saga, il alla vers le Sud et trouva une terre. L’île ne peut donc se trouver, comme certains l’ont pensé, sur la côte ouest du Groenland. Au sud des établissements de l’Ouest qui sont par 55° de longitude Ouest, il n’y a que l’Océan. À peine pourrait-on admettre qu’il ait touché, par chance, la pointe Est de Terre-Neuve. Mais elle se trouve à 1 800 kilomètres de là, c’est-à-dire beaucoup trop loin pour correspondre avec l’étape que relate la Saga. De plus, la description de cette terre ne concorde pas avec l’aspect de Terre-Neuve.

Il y a donc toutes raisons, avec M. Fossum, de situer l’île de l’Ours sur la côte de Bafin ou au plus au Nord du Labrador.

De l’île de l’Ours, Karlsefni a dû toucher un point de la côte septentrionale du Labrador, d’où il navigua avec un vent du Nord et trouva un pays boisé en face duquel se trouvait une Île. Il le nomma Markland. La description convient à la partie sud de la côte sud-est du Labrador. Il avait franchi, en tous cas, la limite des forêts, qui se trouve actuellement vers le port de Nain.

Il longea alors la côte vers le Sud et arriva à un cap sur lequel se trouvait la quille d’un navire. C’était peut-être le Kjalarness de Thorvald, avec sa balise. Si la localisation de ce cap concorde avec le Nord de Terre-Neuve, comme on l’a vu précédemment, Kjalarness serait le cap Normann ou le cap Bauld. Il s’applique d’ailleurs mieux au premier. La Saga nous dit en effet que Karlsefni longea encore des terres à l’Est du cap, or, à l’Est du cap Bauld, la côte tourne au Sud et l’on ne trouve plus que l’Océan.

Si l’on admet cette thèse, on peut s’expliquer que Karlsefni ait pu manquer, ou ne pas reconnaître l’entrée du détroit de Belle-Isle. Cette entrée ressemble à celles des nombreux « inlets » rencontrés plus au Nord, Davis Inlet, Hamilton Inlet par exemple. L’illusion peut avoir été complétée par les brumes si fréquentes dans ces parages.

Du Kjalarness, Karlsefni continua à longer la terre. Il avait fait au préalable reconnaître l’intérieur par ses coureurs écossais, qu’il avait envoyés vers le Sud. Ils trouvèrent des fruits appétissants. Pourquoi devant la description de régions aussi prometteuses, n’aurait-il pas suivi la même direction ?

Mais au Sud de Kjalarness, cap Normann ou cap Bauld, se développe la côte Est de Terre-Neuve, et c’est là qu’il a cru d’abord avoir atteint le pays trouvé par Leif. Il a cru seulement, car il évite de le nommer expressément Vinland. Il ne parle que du Straumfjord et plus au Sud du Hóp.

Pour aller au Vinland de Leif, si l’on admet que ce Vinland soit quelque part dans la baie du Saint-Laurent, il aurait dû à un certain endroit, probablement Kjalarness, se diriger vers le Sud-Ouest. Or, bien que le texte ne le dise pas expressément, il semble avoir continué à marcher vers le Sud et c’est sans doute à ce moment que les itinéraires durent diverger.

D’autres faits corroborent d’ailleurs l’hypothèse admise par Hovgaard et Fossum et que je partage entièrement, que le Vinland de Leif et le Hóp de Karlsefni sont des endroits différents.

Il y a en effet d’abord un point singulier, Karlsefni qui a trouvé du « vinvidr » n’emploie le mot Vinland pour désigner les terres qu’il a atteintes, qu’en un cas, et c’est précisément au départ de Thorhall qui lui, ne croit pas qu’on ait atteint le Vinland de Leif.

Karlsefni est si peu sûr de son fait qu’il ne reste pas à l’endroit primitivement abordé. Il va en reconnaissance vers le Sud, puis, plus tard, il va à la recherche de Thorhall vers le Nord et ensuite vers le Nord-Ouest.

Thorhall, vieux compagnon d’Eirik, ami de Leif et du clan groenlandais, partant du Straumfjord, va chercher le Vinland dans l’Ouest. Donc il sent, alors qu’il avait peut-être des renseignements spéciaux, que Karlsefni a été trop à l’Est.

Quand Karlsefni se met à sa recherche, il se dirige vers l’Ouest après avoir contourné Kjalarness. Puis, revenant à sa première idée, il incline encore vers le Sud et ne trouve que le pays du conte de l’Unipède. Mais, arrivé là, il croit reconnaître les montagnes. Ce serait l’autre face des montagnes qu’il voyait sur l’autre versant, du Hóp. Cette conformation correspondrait bien aux deux côtes est et ouest d’une île ou d’une presqu’île et le tout concorde avec la partie nord de Terre-Neuve.

La topographie des pays atteints par Leif et Karlsefni n’est pas semblable. Le Vinland de Leif est une plage basse avec de grandes laisses de mer, à marée basse et il s’y trouve un cap pointant vers le Nord, ce qui indique une côte orientée Ouest-Est. On n’y signale pas de montagnes.

Pour le Hóp de Karlsefni, la Saga spécifie qu’il y avait des fonds dangereux, mais sans dire si le danger venait de l’échouage sur une plage plate ou sur des roches. Le pays semble accidenté, puisqu’on parle de vallons où pousse le blé et de hauteurs où pousse la vigne. Enfin, dans l’intérieur, se trouvent des montagnes. Les bois contiennent beaucoup d’animaux dont il n’est pas parlé au Vinland de Leif.

Toutefois, les deux régions doivent être assez proches en latitude d’après les constatations qui sont faites dans les deux cas. Le bétail pouvait paître en plein air, en hiver et l’herbe ne blanchissait pas.

Cette disjonction des deux régions atteintes respectivement par Leif et par Karlsefni était d’ailleurs pressentie implicitement depuis longtemps. Nombre d’auteurs qui ne pensaient trouver qu’un seul et même Vinland dans les deux expéditions étaient fort gênés dans l’interprétation des textes. Trop souvent, ils étaient contraints de les violenter ou de négliger l’un au profit de l’autre ou de ne plus les suivre quand l’explication devenait trop embarrassante.

Tandis que, si nous adoptons la thèse des deux Vinland et que nous tenions compte des contingences et de la mentalité de nos personnages, tout s’explique naturellement, aisément. L’absence de cartes, les nombreuses similitudes d’aspects des côtes Est du Canada vers le Labrador et Terre-Neuve, les brumes si fréquentes sont autant d’explications plausibles à une erreur possible de la part de Karlsefni. À l’appui, M. Fossum cite exemple d’un capitaine, cependant habitué à naviguer dans ces parages et complètement perdu en dépit de toutes ses cartes marines.

L’étude des directions nous a donc ouvert un champ fertile et plus productif que les autres renseignements donnés par les

Sagas. Mais ce champ de recherches est encore fort large, aussi ne faut-il pas s’étonner que les auteurs qui aujourd’hui emploient la méthode géographique ou une méthode qui en dérive, soient arrivés à des solutions les plus diverses. Rien ne permet d’ailleurs, quand on arrive aux précisions, de penser que les unes soient supérieures aux autres. Par contre, quelques-unes sont à rejeter comme par trop en désaccord avec les indications multiples des Sagas ou les possibilités géographiques climatériques ou maritimes.

  1. Cartier en a trouvé aussi le long du Saguenay : « de sorte que y avons veu arbre suffisant à master navire de trente tonneauls ».
  2. Le terme « nyrdra » est un peu vague et signifie : vers le nord, plus au nord.