La Défense de mon oncle/Édition Garnier/Avertissement

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AVERTISSEMENT
ESSENTIEL OU INUTILE[1].

Lorsque je mis la plume à la main[2] pour défendre unguibus et rostro la mémoire de mon cher oncle contre un libelle inconnu, intitulé Supplément à la Philosophie de l’Histoire[3], je crus d’abord n’avoir à faire qu’à un jeune abbé dissolu, qui, pour s’égayer, avait parlé dans sa diatribe des filles de joie de Babylone, de l’usage des garçons, de l’inceste, et de la bestialité. Mais, lorsque je travaillais en digne neveu, j’ai appris que le libelle anonyme est du sieur Larcher, ancien répétiteur de belles-lettres au collége Mazarin. Je lui demande très-humblement pardon de l’avoir pris pour un jeune homme, et j’espère qu’il me pardonnera d’avoir rempli mon devoir en écoutant le cri du sang qui parlait à mon cœur, et la voix de la vérité, qui m’a ordonné de mettre la plume à la main.

Il est question ici de grands objets : il ne s’agit pas moins que des mœurs et des lois depuis Pékin jusqu’à Rome, et même des aventures de l’Océan et des montagnes. On trouvera aussi dans ce petit ouvrage une furieuse sortie contre l’évêque Warburton ; mais le lecteur judicieux pardonnera à la chaleur de mon zèle, quand il saura que cet évêque est un hérétique.

J’aurais pu relever toutes les fautes de M. Larcher, mais il aurait fallu faire un livre aussi gros que le sien. Je n’insisterai que sur son impiété. Il est bien douloureux pour des yeux chrétiens de lire dans son ouvrage, page 298, que les écrivains sacrés ont pu se tromper comme les autres. Il est vrai qu’il ajoute, pour déguiser le poison, dans ce qui n’est pas du dogme.

Mais, notre ami, il n’y a presque point de dogme dans les livres hébreux ; tout y est histoire, ou ordonnance légale, ou cantique, ou prophétie, ou morale. La Genèse, l’Exode, Josué, les Juges, les Rois, Esdras, les Machabées, sont historiques ; le Lévitique et le Deutéronome sont des lois. Les Psaumes sont des cantiques ; les livres d’Isaïe, Jérémie, etc., sont prophétiques ; la Sagesse, les Proverbes, l’Ecclésiaste, l’Ecclésiastique, sont de la morale. Nul dogme dans tout cela. On ne peut même appeler dogme les dix commandements : ce sont des lois. Dogme est une proposition qu’il faut croire. Jésus-Christ est consubstantiel à Dieu, Marie est mère de Dieu, le Christ a deux natures et deux volontés dans une personne, l’eucharistie est le corps et le sang de Jésus-Christ sous les apparences d’un pain qui n’existe plus : voilà des dogmes. Le Credo, qui fut fait du temps de Jérôme et d’Augustin, est une profession de dogmes. À peine y a-t-il trois de ces dogmes dans le Nouveau Testament. Dieu a voulu qu’ils fussent tirés par notre sainte Église du germe qui les contenait.

Vois donc quel est ton blasphème ! Tu oses dire que les auteurs des livres sacrés ont pu se tromper dans tout ce qui n’est pas dogme.

Tu prétends donc que le Saint-Esprit, qui a dicté ces livres, a pu se tromper depuis le premier verset de la Genèse jusqu’au dernier des Actes des apôtres ; et, après une telle impiété, tu as l’insolence d’accuser d’impiété des citoyens dont tu n’as jamais approché, chez qui tu ne peux être reçu, et qui ignoreraient ton existence si tu ne les avais pas outragés.

Que les gens de bien se réunissent pour imposer silence à ces malheureux qui, dès qu’il paraît un bon livre, crient à l’impie, comme les fous des petites-maisons, du fond de leurs loges, se plaisent à jeter leur ordure au nez des hommes les plus parés, par ce secret instinct de jalousie qui subsiste encore dans leur démence.

Et vous, pusille grex[4], qui lirez la Défense de mon Oncle, daignez commencer par jeter des yeux attentifs sur la table des chapitres et choisissez, pour vous amuser, le sujet qui sera le plus de votre goût[5].



  1. Cet Avertissement, de l’auteur, est de 1767.
  2. Voyez ci-après, page 371.
  3. Voyez la Philosophie de l’Histoire, à la tête de l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations. (Note de Voltaire.)
  4. Luc, xii, 32.
  5. Voyez cette table à la fin du volume. (Note de Voltaire.) — Voyez la fin de la note 1, page 367.