La Démocratie et la société française

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LA


SOCIÉTÉ FRANÇAISE


ET


LA DÉMOCRATIE




DE LA DÉMOCRATIE EN FRANCE, par M. Guizot[1].




La France, malgré les périls qui pèsent sur son avenir, malgré les souffrances qui l’étreignent encore dans le présent, jouit en ce moment d’une courte trêve de Dieu. C’est le prix et la récompense des efforts valeureux qu’elle fait depuis dix mois pour sauver le droit, la justice, la civilisation, pour se sauver elle-même du débordement révolutionnaire qu’elle a laissé se déchaîner sur elle. À force de courage et de bonne volonté, elle est parvenue à remonter le courant ; elle a recouvré jusqu’à un certain point, au milieu de l’avalanche d’événemens qui l’emportaient, l’usage de son libre arbitre ; elle a trouvé un point d’arrêt ; elle peut aujourd’hui recueillir ses pensées et ramasser ses forces pour diriger sa marche future ; elle peut, si elle sait réfléchir et si elle continue à vouloir, redevenir maîtresse de ses destinées. Cette halte n’est point le repos ; c’est la veillée des armes. Notre salut ou notre perte dépende du parti que nous saurons en tirer.

M. Guizot a choisi ce moment solennel pour faire entendre à la France une voix dont les suites de la catastrophe de février ont rendu les accens plus pénétrans encore et plus graves. Le livre de la Démocratie en France, nous n’en voulons point faire un autre éloge, ramène l’opinion aux points de vue hauts et larges où la convie le calme passager de cette heure décisive. Peut-être quelques personnes, dans les rangs surtout ses anciens adversaires, attendaient-elles de M. Guizot une rentrée plus vive et plus véhémente dans nos débats politiques ; mais la dignité de sa situation et plus encore l’intérêt présent de la société française prescrivaient à M Guizot l’attitude qu’il a prise en adressant, pour la première fois après une révolution, la parole à son pays. Les luttes qui nous ont déchirés pendant une année, et où tant d’hommes politiques et d’écrivains ont si bien fait leur devoir, rendaient superflu un nouveau livre de polémique. Ce qu’il faut maintenant à la France, ce sont des œuvres de méditation et de recueillement qui l’aident à regarder et à bien voir au dedans d’elle-même, qui l’éclairent sur les résolutions que l’intérêt de son avenir lui commande. Tel est le caractère de l’écrit de M. Guizot. C’est ce qui en fait l’opportunité, l’utilité, je dirai même le charme. L’intelligence, fatiguée des écrits alcooliques dont nous avons été incendiés, se repose dans la sérénité, dans le calme, dans la tolérance libérale que respirent les paroles de M. Guizot. Il y a sans doute de la tristesse dans l’ame de l’homme d’état qui a subi de si cruelles injustices, et qui n’a pu prévenir les malheurs de sa patrie ; mais cette tristesse qui n’a pas abattu un seul instant la fermeté de ses pensées et le courage de ses espérances ajoute une séduction de plus à cette voix éloquente et à cette noble figure.

Ceux qui ont présent à la mémoire, non-seulement son passé de ministre, mais son passé d’écrivain politique, attendaient avec une curiosité impatiente le jugement que M. Guizot allait porter aujourd’hui sur la société française. Tous les écrits de M. Guizot durant la restauration, œuvres historiques et brochures politiques, n’ont eu qu’un objet, l’étude, l’analyse des élémens, des conditions, des caractères de la société nouvelle que la révolution a engendrée. Personne ne s’est appliqué à cette étude avec plus de persévérance et de ferveur ; personne n’y a porté un esprit d’observation plus profond et une pensée plus virile ; Personne non plus n’a signalé avec plus d’énergie les périls qui entourent notre démocratie, et cependant personne, en tout temps, n’a témoigné dans l’avenir de la France libre une confiance plus assurée, et l’on pourrait dire plus superbe. M. Guizot est l’homme de notre époque, qui a épousé avec le plus de passion et d’orgueil les destinées de la société nouvelle. Il y avait donc un immense intérêt à savoir si, après la commotion qui vient de nous livrer encore à toutes les incertitudes, M. Guizot conservait sur la France la même opinion et le même espoir. S’il avait voulu montrer dans nos souffrances présentes la conséquence des fautes qu’il avait dénoncées pendant toute sa vie, il n’avait qu’à rouvrir au hasard ses écrits et ses discours. Dès 1817, ne disait-il pas à ceux qui, comme de nos jours, s’imaginaient pouvoir renverser un gouvernement sans dissoudre la société : « Lorsqu’un esprit nouveau possède la société et lui impose l’obligation de revêtir une forme nouvelle, qu’on ne pense pas que, pour accomplir cette œuvre, il suffise de renverser le gouvernement ; car ce n’est pas son gouvernement, mais elle-même, et elle-même tout entière, que la société a à changer ?… Les peuples, après le renversement du pouvoir, ne tarderaient pas à déplorer l’erreur où les auraient précipités ces hommes qui les invitent à se séparer de leurs gouvernemens, en les persuadant qu’ils sont capables de faire eux-mêmes ce que les gouvernemens refusent à tort. Il n’y aurait plus alors qu’à courber la tête sous la main de la destinée. » S’il avait voulu rappeler le jugement qu’il portait sur ce parti révolutionnaire par lequel la France s’est laissé vaincre en février, il n’avait qu’à redire les paroles qu’il prononçait en 1834, et dont nos malheurs ont fait une prophétie : « C’est ce parti qui a décrié en France les mots de liberté, d’égalité, de patriotisme : c’est ce parti qui a amené tous les échecs de la liberté, toutes les réactions que nous avons eu à subir ; chaque fois que la liberté est tombée entre ses mains, chaque fois qu’il s’est emparé de nos institutions, de la presse, de la parole, du gouvernement représentatif, du droit d’association, il en a fait un tel usage, il en a tiré un tel danger pour le pays, un tel sujet d’épouvante, et permettez-moi d’ajouter de dégoût, qu’au bout de très peu de temps le pays tout entier s’est indigné, alarmé, soulevé, et que la liberté a péri dans les embrassemens de ses honteux amans. » Mais non, M. Guizot, avec un scrupule que la France honorera, a chassé de son esprit toutes les préoccupations personnelles. Il n’a repris dans son passé que le courage et l’espérance. Jeune, après les désastres de l’empire, il s’efforçait de détourner la France des stériles regrets et l’exhortait à refaire elle-même, avec de vaillans efforts, son avenir. « La bonne et la mauvaise fortune, disait-il, se succèdent pour les peuples comme pour les individus ; mais il ne leur appartient pas de décider des destinées d’une ame forte, ni de celles d’une nation énergique. C’est à nous-mêmes, et non aux événemens, qu’il faut demander quel sera notre sort. Nous n’avons plus tout ce que nous avions ; mais ce que nous étions, nous le sommes encore : il reste à la France ce qui restait à Médée après ses malheurs. Puisons donc dans nos revers autre chose que des regrets, qu’ils nous instruisent au lieu de nous abattre : interrogeons-les sur leurs causes, au lieu de nous affaisser sous le poids de leurs effets ; ne gardons du passé que sa gloire et ses leçons, et travaillons avec la confiance de la force à l’avenir que nous sommes capables de nous faire. » M. Guizot aurait pu prendre ces paroles pour épigraphe de son livre. Il demeure fidèle à l’unité de sa vie. Après une révolution qui l’a lui-même brisé, il conserve la force d’ame de sa jeunesse et jette encore sur l’avenir un calme et intrépide regard.

La pensée de M. Guizot est si nette et si fortement gravée, que le dessin de la Démocratie en France peut se résumer en quelques pages.

La révolution française n’enfantera que des mécomptes, des avortemens et des malheurs, tant que la France ne prendra pas le parti de faire le triage définitif des idées contradictoires qui s’entrechoquent sous des mots vagues et sonores, répétés depuis soixante ans avec une superstition inintelligente. Il faut débrouiller le chaos que recouvre le mot démocratie. Ce mot est l’expression et le talisman de toutes les aspirations, de toutes les ambitions légitimes et illégitimes, honnêtes ou coupables de l’humanité. On l’emploie comme une devise sainte ; on s’en sert pour consacrer toutes les idées, toutes les mesures, toutes les institutions, sans prendre garde qu’il signifie à la fois le bien et le mal, qu’il désigne sous une forme nouvelle la lutte que les bons et les mauvais penchans se livrent au sein des sociétés, comme au cœur de l’homme. La constitution de la société française rend cette guerre universelle et incessante. Chez nous, le combat n’a plus lieu de classe à classe, accidentellement, sur des points isolés, car la société française n’est plus une réunion de classes divisées et juxtaposées ; elle n’est plus qu’un corps immense dont toutes les parties sont en fusion. Dans cette vaste unité, tout répond à tout, tout retentit partout. Cet état social est devenu la condition permanente de notre nation ; c’est dans ce milieu que la lutte est engagée, c’est dans ce milieu seulement que nous pouvons trouver les forces qui doivent l’apaiser et les garanties de la paix sociale.

Dans cette éternelle guerre civile, que le mal nourrit dans leur sein, les sociétés ont pour défenseur naturel le gouvernement. Le gouvernement doit résister, non-seulement au mal, mais au principe du mal, aux idées et aux passions qui enfantent le désordre. Ce rôle du gouvernement est plus nécessaire dans les sociétés démocratiques que dans les autres, précisément parce que la lutte y est plus universelle, plus directe, plus continue. Les gouvernemens démocratiques ont besoin de plus de vigueur, de plus de franchise, de plus de sévérité que les autres, parce qu’ils sont soumis, plus que les autres, au choc d’impulsions mobiles et contraires. Ceux qui, par vice d’organisation ou faiblesse de volonté, ne suffiront point à cette tâche périront et perdrons avec eux la démocratie. — Le gouvernement républicain, tel qu’il est sorti de la constitution ne répond point à ces exigences. Faibles et précaires dans l’ordre politique, les pouvoirs républicains ont besoin de puiser beaucoup de force morale dans les dispositions de l’ordre social. — Or, la république, qui s’est appelée démocratique, au lieu de réunir et de concilier les partis divisés et les situations hostiles dans le pays, nous a plongés dès le premier pas dans le chaos de guerre sociale ; elle aurait pu chercher du moins des garanties pour le gouvernement et les intérêts divers qui sont en lutte dans le contrepoids des forces au centre de l’état. Loin de là, elle n’a donné au gouvernement qu’un moteur, la volonté unique de la majorité numérique de la nation, plaçant partout le principe du despotisme révolutionnaire en face du droit d’insurrection. C’est ainsi affaiblis qu’elle nous laisse en proie aux assauts du socialisme, qui enrôle contre la société tous les mauvais penchans, toutes les ambitions chimériques, toutes les idées absurdes. Le socialisme est à la fois odieux et impossible ; mais il est fort, parce qu’il parle aux griefs populaires au nom de la justice et de la vérité, parce qu’il offre des droits au service des intérêts, parce qu’il allume le fanatisme en flattant l’égoïsme ; il est fort encore, parce que nous lui frayons nous-mêmes la voie par la confusion de nos idées, par nos préjugés de langage, par la légèreté avec laquelle nous nous abandonnons aux fantaisies d’opinion et méconnaissons les nécessités, les intérêts, les droits des gouvernemens. Le socialisme est redoutable, parce que rien n’est plus dangereux que ce qui est en même temps fort et impossible. Le socialisme, enfin, sera notre ennemi éternel. La société, obligée de le combattre et de le vaincre chaque jour dans ce qu’il a d’absurde et de pervers, le verra toujours en face d’elle, parce qu’il puise son ambition et sa force à des sources que personne ne peut tarir. Exposée plutôt que défendue par le gouvernement qu’on vient de nous faire, il faut donc que la société se sauve elle-même. En dehors d’elle, hors de la démocratie et de la liberté, elle ne doit compter sur personne ni sur rien. Elle ne pourrait pas même se reposer sous le honteux abri du despotisme. Avec la fermeté d’un homme qui n’a jamais placé l’illusion entre la réalité et lui, et qui a l’habitude de regarder les difficultés en face, M. Guizot le déclare : « On ne supprime pas plus la démocratie dans la société que la liberté dans le gouvernement. Ce mouvement immense qui pénètre et fermente partout au sein des nations, qui va provoquant sans cesse toutes les classes, tous les hommes à penser, à désirer, à prétendre, à agir, à se déployer en tous sens, ce mouvement ne sera point étouffé. C’est un fait qu’il faut accepter, soit qu’il plaise ou qu’il déplaise, qu’il enflamme ou qu’il épouvante. Ne pouvant le supprimer, il faut le contenir et le régler, car s’il n’est contenu et réglé, il ruinera la civilisation, et fera la honte comme le malheur de l’humanité. » Puisque c’est en elle-même qu’elle doit trouver son salut, il faut donc que la société française se rende compte des élémens qui la composent, et réunisse en un même effort toutes les ressources, toutes les armes qu’elle a en elle.

Quels sont les élémens dont la société française se compose ? Dans l’ordre civil, il y a la famille, la propriété, le travail : ce sont précisément les trois bases de la société qu’attaque la guerre sociale. Le caractère essentiel de la société civile en France, c’est l’unité de lois et l’égalité de droits. Législativement, par les institutions, la révolution française a fait tout ce qu’elle pouvait faire en matière de réformes sociales : elle a détruit toutes les inégalités artificielles que les institutions politiques laissaient subsister entre les citoyens. Elle s’est arrêtée devant les inégalités naturelles. L’erreur et la chimère du socialisme, c’est de vouloir promener le niveau sur ces inégalités, au mépris de l’homme, de la nature et de Dieu. Dans toute l’étendue de notre société civile, au sein du travail comme au sein de la propriété, les diversités et l’inégalité des situations se produisent ou se maintiennent, et coexistent avec l’unité des lois et l’égalité des droits. La diversité et l’inégalité entre les travaux sont une des lois naturelles et générales du travail même, au nom duquel le socialisme lève son drapeau de guerre. Enfin, ces inégalités de mérite et de destinées sont dans ce monde la loi mystérieuse de Dieu et le résultat indomptable de la liberté humaine. Si, de l’ordre civil, nous passons à l’ordre politique, les élémens que nous rencontrons sont les partis. Il faut aller au-delà du nom des partis, au-delà des bannières personnelles qu’ils portent : les grands partis politiques ne représentent pas seulement des doctrines, des affections particulières ; ils représentent des groupes d’intérêts, des traditions historiques, des faits enracinés dans les entrailles mêmes de la société. La vraie constitution d’un peuple, c’est son génie national tel que son histoire le développe. Les grands partis répondent tous à de grandes phases du développement social ; ils ont été et ils demeurent les instrumens et les organes du génie national ; en faire disparaître un seul, c’est mutiler le caractère et attenter à la vie de la nation tout entière. La France est à la fois très nouvelle et pleine de passé. Deux partis représentent ce qu’il y a d’ancien et de nouveau, en elle : ce sont ceux que l’on désigne par les épithètes de légitimiste et d’orléaniste ; il est manifeste que ces partis ne s’attachent point à de simples noms, à de simples personnes ; ils sont autre chose que dynastiques, autre chose même que monarchiques Dans une société républicaine, ils se transforment sans se désavouer, et gardent le dépôt vivant des intérêts, des idées, des traditions, des situations, des forces qu’ils représentaient autrefois. Autour de ces partis, il y a la masse de la nation, qui leur est attachée par des liens fragiles d’habitude et d’intérêt ; les socialistes s’adressent à cette masse flottante ; tout leur travail est de l’attirer à eux, de la dominer au nom de ses misères et de ses besoins. Tous du reste, par une coïncidence frappante, sont républicains : non qu’ils aiment ou supportent mieux le gouvernement républicain que tout autre, mais ils espèrent, sous la république, des armes plus fortes pour eux, des digues moins fortes contre eux ; tel est le secret de leur préférence. Voilà dans l’ordre civil et dans l’ordre politique, les élémens essentiels constitutifs de la société française ; ils peuvent se combattre et s’énerver ils ne sauraient se détruire ; ils survivent à toutes les luttes où ils s’engagent, à toutes les misères qu’ils s’imposent mutuellement. Le jour où ils se réconcilieront, la société sera sauvée.

Il faut qu’ils se réconcilient, ou, en se condamnant eux-mêmes à des douleurs infinies, ils pousseront la France à une ruine irrévocable. Il faut conclure la paix sociale, pour conjurer la guerre du socialisme ; mais la paix sociale comprend des conditions politiques et des conditions morales. La première condition politique, c’est que les grands élémens de notre société, l’ancienne aristocratie, les classes moyennes le peuple, renoncent à l’espoir de s’exclure mutuellement, et abandonnent la prétention qu’ils ont eue chacun tour à tour, depuis soixante ans, d’accaparer l’influence politique ; c’est, en un mot, que tout en continuant à lutter entre eux d’émulation, en maintenant chacun sa position et ses droits, ils se résignent à vivre ensemble dans le gouvernement comme dans la société civile. La seconde condition découle de la première : elle veut que cette coexistence des élémens divers de la société soit garantie par des institutions politiques. La diversité de ces élémens repousse, en effet, l’unité du pouvoir central. L’unité du pouvoir, exprimée tantôt par un roi, tantôt par une assemblée, est une fausse représentation de la société ; elle traite un peuple comme une simple addition d’individus, au lieu de le considérer comme un grand corps organisé, comme un être moral formé d’élémens multiples, de facultés variées, dont la combinaison fait son originalité et sa vie. Il faut, pour que les intérêts divers soient conciliés, que les élémens permanens et les élémens mobiles de la société soient représentés au sommet de l’état par des pouvoirs qui leur soient analogues, et qui leur servent de défense ; il faut que ces pouvoirs soient forts, car tout pouvoir énervé est condamné à la mort ou à l’usurpation ; Ce n’est pas seulement au sommet de l’état, c’est sur toute la face du pays que ces principes doivent présider à l’organisation du pouvoir. Le temps de la centralisation absolue est passé ; elle ne suffit plus aux besoins et aux périls de notre société. La lutte n’est pas seulement au centre, elle est partout. C’est trop peu pour défendre les bases de la société partout attaquées que des fonctionnaires et des ordres venus du centre, même soutenus par des soldats : il faut que partout les propriétaires, les chefs de famille, les gardiens naturels de la société, soient mis en mesure et en devoir d’en soutenir la cause. Si tous les élémens de stabilité, toutes les forces conservatrices de l’ordre social s’unissent et agissent en commun, la démocratie sera contenue et réglée ; elle montera toujours elle-même sans jamais faire descendre ce qui n’est pas elle, elle trouvera partout des issues, et elle rencontrera partout des barrières. Si, au contraire, les élémens conservateurs demeurent désunis et désorganisés, la démocratie perdra la France et se perdra elle-même.

Mais les conditions politiques ne suffiront point à nous donner la paix sociale. Les institutions ne sont, après tout, qu’une mécanique, et la machine a besoin de l’ouvrier. « La liberté humaine joue un grand rôle dans les affaires sociales, et c’est des hommes que dépend, en définitive, le succès des institutions. » Tout est donc subordonné à l’usage que nous ferons de notre liberté, au caractère moral de notre conduite, à l’esprit qui nous animera. Le socialisme s’enivre d’un sentiment passionné, de l’idolâtrie démocratique, de la foi insensée qu’il a dans la toute-puissance et la toute-bonté de l’homme. Nous serions vaincus, si nous n’avions à lui opposer ni un sentiment, ni une conviction, ni une foi. Ce sentiment est dans l’esprit de famille, cette conviction raisonnée dans l’esprit politique, cette foi dans l’esprit religieux. Au foyer de la famille, principe de stabilité et de moralité, s’échauffent aussi les sentimens tendres et dévoués, les passions affectueuses du cœur de l’homme, qui ont une si grande place à remplir dans les jours de luttes violentes et de vicissitudes révolutionnaires. L’esprit politique, en nous apprenant à chercher ce qui est réel, ce qui est possible dans les affaires humaines, par la discussion et sans violence, nous élèvera par sagesse, quand ce ne serait par vertu, au respect du droit, au respect de la loi, au respect des pouvoirs légaux, et rétablira un principe moral de fixité dans les rapports des hommes, et un principe moral d’autorité dans le gouvernement de l’état. Enfin, tout serait impuissant encore sans le secours d’un esprit plus élevé et qui pénètre plus avant dans les ames, sans l’esprit religieux, qui seul peut et sait parler à tous les hommes, et se faire entendre de tous, des grands comme des petits, des heureux comme des malheureux, qui seul, par ses ministres répandus et présens dans la société tout entière, donne des consolations à toutes les misères et des conseils à toutes les grandeurs. Si elle veut obtenir la paix sociale, la France ne saurait se soustraire à ces conditions fatales et inévitables. Elle peut souffrir sans mesure et sans terme, en les méconnaissant ; elle ne peut les abolir. Républicain, monarchique ou impérial, tout gouvernement qui les violera périra. Mais la France n’a pas fait de si grandes choses pour descendre, au nom de l’égalité, au plus bas niveau. Elle est pleine de force et de vie. Au bout de tant d’épreuves, instruite par ses malheurs la France se retrouvera elle-même, et avec l’aide de Dieu se sauvera.

Telle est la belle analyse à laquelle M. Guizot vient de soumettre la situation de la société française. C’est la préface, sinon le programme complet, du vaste système de politique et de conduite par lequel le grand parti modéré, avec les idées de patriotisme et de progrès, avec les intérêts de conservation, d’ordre et de prospérité publique qu’il représente, doit consolider et consommer son triomphe. Nous avons cru bon de reproduire dans son enchaînement rigoureux le tableau tracé par M. Guizot, afin de faire sentir toute la force, toute la nécessité des conséquences pratiques qui en découlent, et sur lesquelles il ne faut plus se lasser d’appeler l’attention et la pensée du pays.

Parmi ces conséquences, il en est quatre qui nous frappent surtout ; ce sont les plus pressantes. Il faut que la France fasse aujourd’hui avec réflexion, avec entente, avec esprit de suite et par un concert raisonné, ce qu’elle fait depuis dix mois spontanément et par instinct, sous le coup des attaques qui ont réveillé ses forces vitales en les menaçant. Le premier résultat de cette réflexion et de cette délibération doit être l’accord franc, sincère et digne des deux partis qui, par leur influence naturelle, ont la part la plus large et la plus active dans l’initiative politique du pays, du parti qui porte en lui les traditions et le passé ineffaçable de notre antique nationalité, et du parti qui exprime depuis 1789 les intérêts et les aspirations libérales de la société nouvelle : pour les nommer enfin par des mots d’un autre temps et qui les désignent, plus qu’ils ne les définissent, l’accord du parti légitimiste et du parti orléaniste. Il faut que cette union réponde aux deux besoins fondamentaux de la société : la conservation et le progrès ; — à la conservation, en conquérant pour la France des institutions qui protègent la sécurité des intérêts divers et qui arment la liberté de chaque citoyen contre le despotisme révolutionnaire, — au progrès, en sachant distinguer le but des aspirations légitimes de la démocratie, au milieu même des doctrines insensées ou perverses qui s’efforcent d’égarer le peuple. Il faut enfin que le parti modéré comprenne bien et n’oublie plus un seul jour les devoirs de labeur, de dévouement et de sacrifices qui lui sont imposés comme une condition de vie où de mort.

La France, disons-nous, doit faire dès à présent avec réflexion et de libération ce qu’elle a fait d’instinct et par élan depuis la révolution de février. Aux élections de l’assemblée nationale, au 15 mai, aux journées de juin, à l’élection du président de la république, la France, de plus en plus éclairée par les périls dans lesquels les hommes de février l’ont précipitée, a manifesté de plus en plus la volonté de rejeter ces hommes funestes et leurs systèmes. Elle a montré qu’elle veut la fin, il faut qu’elle sache vouloir les moyens. Ce n’est pas tout d’avoir vaincu le danger, il faut en rendre le retour impossible. Pour cela, il y a une condition impérieuse : c’est de regarder la réalité en face, froidement, sans passion, sans préjugé, de voir les choses comme elles sont, d’être prêt d’avance à sacrifier ses sympathies ou ses antipathies personnelles aux nécessités démontrées du salut commun. Nous répéterons ce que avons dit en commençant : nous jouissons d’un moment de calme dont nul ne peut prévoir la durée, et pendant lequel, si nous en voulons profiter, nous devons sonder le présent et l’avenir d’une main ferme et d’un jugement libre de préventions. La France va refaire ses institutions fondamentales, et ces lois organiques par lesquelles chaque intérêt, chaque force, chaque fonction de la société reçoit son rang, son moyen d’action et sa garantie, ont une bien autre importance pratique qu’une constitution écrite. L’indifférence avec laquelle le pays a assisté à la discussion du code constitutionnel rédigé par la présente assemblée nationale prouve le discrédit irréparable dans lequel la chimère des constitutions écrites est tombée. Ces constitutions ne sont plus considérées que comme créant une légalité provisoire, légalité utile, puisqu’elle est l’abri momentané sous le couvert duquel la nation travaille à faire passer sans cesse dans ses lois ses intérêts, son tempérament et son génie, qui sont sa seule constitution permanente et vivante. C’est par les lois organiques que la France peut conjurer les maux qui la menacent et combiner les forces saines et vives qu’elle renferme, de manière à corriger plus tard les vices mêmes de la constitution de 1848 ; c’est par ces lois que la France peut donner aux bases de la société toute leur force de résistance contre le flot qui les sape. À la veille de l’élection d’une nouvelle assemblée devenue inévitable, voilà la situation décisive devant laquelle il faut que tous les citoyens qui veulent arracher pour toujours la France aux anarchies révolutionnaires descendent en eux-mêmes, interrogent scrupuleusement leur conscience et arrêtent avec résolution leur conduite future.

Dans ces circonstances, l’alliance des deux grands partis que nous avons nommés tout à l’heure est plus qu’une nécessité, elle est un devoir : elle est une des espérances de la France. Il est bien entendu, quand nous demandons l’alliance de ces deux partis, que nous ne voulons parler d’aucun compromis hostile à la légalité actuelle. Ces partis ont trop de patriotisme, de lumières et d’esprit politique, pour descendre jamais jusqu’à faire à un gouvernement établi, quel qu’il soit, une des oppositions factieuses qui finissent, ainsi que nous l’avons vu en février, par le naufrage de la société même. Le parti légitimiste et l’ancien parti constitutionnel, comme le fait observer M. Guizot, représentent autre chose que des idées de monarchie aujourd’hui proscrites, ou des affections personnelles. L’un représente tout ce qu’il y a de traditionnel, de national, tout ce qui reste de vital et de glorieux dans l’héritage que l’ancienne société française a transmis à la société nouvelle ; l’autre comprend ces classes actives, laborieuses, commerçantes, libérales, qui s’élèvent et s’élargissent sans cesse par la diffusion des richesses et des lumières. Ce n’est point dans la poursuite d’un triomphe égoïste, c’est sur le terrain des principes et des intérêts sociaux qui leur est commun, que ces partis doivent s’unir. Les malheurs de la France viennent du combat qu’ils ont soutenu l’un contre l’autre depuis 1789 jusqu’à la révolution de février. Sans l’opposition des classes moyennes, la restauration ne serait point tombée ; sans l’hostilité du parti légitimiste, qui a tant affaibli l’ancien gouvernement, la révolution de février n’aurait point eu lieu. D’ailleurs, tandis qu’ils se livraient bataille, les causes sérieuses et vraiment politiques de leur querelle disparaissaient. Les ombrages que les prétentions maladroites d’une aristocratie avide de recouvrer des privilèges surannés inspiraient sous la restauration aux classes moyennes sont dissipés pour toujours ; l’opposition dans laquelle les légitimistes sont restés pendant dix-huit ans, tout en leur laissant leur caractère propre, les a ralliés à jamais à nos institutions libres et à l’esprit des sociétés modernes. Pour comprendre tout ce que la réconciliation de ces deux partis rendrait à la société de santé et de force, il faut songer à tout ce que leur discorde lui a infligé de malaise et de faiblesse. Liés chacun par leur nature, par leurs principes, aux intérêts de stabilité et d’ordre, aux idées d’autorité, de respect et de droit, ils ont, chacun à son tour, par une guerre vraiment suicide, contribué à inquiéter l’ordre, à ébranler le droit, à ruiner le respect, à discréditer l’autorité. Par là, ils n’ont réussi qu’à se paralyser, qu’à s’annuler réciproquement, se condamnant tous deux, en matière de progrès social, à l’inertie, à l’immobilité. En montrant tout ce qu’ils peuvent l’un contre l’autre, ces deux partis ont donc fait voir combien ils sont nécessaires l’un à l’autre ; s’ils ne s’unissent pas loyalement oubliant le passé dans la vue de l’avenir, avec une mutuelle estime et une mutuelle confiance, la société ne sera point défendue, et ils périront tous deux sur ses débris. Mais cette supposition est impie. Dieu ne donne pas en vain aux peuples et aux hommes des leçons aussi terribles que celles que nous avons tous reçues. Malheur à ceux qui, dans le parti légitimiste ou dans l’ancien parti constitutionnel, resteraient insensibles à de pareils avertissemens, et qui, pour je ne sais quelles étroites rancunes ou quels calculs égoïstes, feraient perdre une occasion si noble et si patriotique de conciliation entre les deux élémens les plus considérables de la famille française !

Fortifié par l’union sincère de ses deux grandes fractions, le modéré, dans cette reconstruction politique de la France, obtiendra toutes les garanties qui sont nécessaires aux intérêts de stabilité et de conservation ; par une coïncidence heureuse, du même coup il affermira les vraies et loyales garanties de la démocratie et de la liberté. Le suffrage universel, si on ne le laisse point corrompre et violenter par la tyrannie révolutionnaire, a cela d’admirable, qu’en portant la lutte politique partout, il doit offrir partout des moyens de résistance contre les usurpations des minorités factieuses. Le suffrage universel a une autre conséquence non moins rigoureuse : en donnant des droits politiques à chaque citoyen, il impose à chacun une responsabilité ; supposant chaque citoyen à la hauteur de sa responsabilité, le principe logique de la souveraineté populaire doit supprimer toutes les institutions qui ont retenu jusqu’à ce jour les citoyens sous une tutelle, et les émanciper dans tous les actes, dans toutes les fonctions de la vie publique. De là la nécessité de ranimer et de fortifier partout les libertés locales, les institutions communales ; de là la nécessité de relâcher partout le lien écrasant de la centralisation excessive qu’inventa le despotisme ; de là la nécessité de rendre partout les populations et les citoyens à leur spontanéité naturelle, à leur liberté. C’est ainsi que les libertés les plus complètes sont le produit nécessaire et en même temps le contrepoids légitime de la souveraineté du peuple. Décentralisation, libertés communales, libertés religieuses, liberté d’enseignement, sont les prérogatives inaliénables des citoyens actifs et responsables qui font partie du souverain. On ne pourrait pas, sans la plus monstrueuse inconséquence, leur donner d’une main le droit de nommer les représentans de la France et le chef du pouvoir, et leur refuser de l’autre le droit de veiller eux-mêmes à leurs affaires locales, ou d’élever leurs enfans dans les doctrines que leur conscience préfère. Le jour où le parti modéré aura ainsi organisé les forces naturelles et libres du pays à la base de la société, il sera facile de corriger les vices de la constitution dans une prochaine constituante.

Mais les garanties de conservation ne suffisent point aux peuples, ils veulent des garanties de progrès. La société est comme la terre, elle a deux évolutions : elle tourne sur elle-même par le travail intérieur quelle opère sur ses institutions, mais en même temps elle court toujours vers un but extérieur, sous l’empire d’une attraction invincible. La société est en marche : il ne faut pas qu’elle se débande ; mais elle ne peut s’arrêter, elle est obligée de reformer ses files en marchant toujours. Si vous ne savez pas indiquer à la société le but qu’elle poursuit, si vous ne possédez pas cet aimant fascinateur qui entraîne les peuples, si vous n’avez pas deviné la route de la terre promise, — qui que vous soyez, homme, classe ou parti, — vous serez sans puissance, vous êtes mort. Or, le but vers lequel marche aujourd’hui la société haletante est manifeste. La démocratie obéissant, il faut bien le dire, à un sentiment généreux et grandiose, veut de plus en plus affranchir l’homme de l’esclavage de la misère qui perpétue toutes les autres servitudes. La démocratie croit que tous les hommes peuvent arriver par des progrès successifs à des améliorations dans leur sort matériel, que la société doit travailler au soulagement continu de leurs souffrances. Cette foi est légitime, elle est sainte, elle est chrétienne : la morale l’avoue avec orgueil, et la science économique la confirme avec autorité. À côté de cette foi légitime viennent se placer l’idolâtrie démocratique et le mensonge socialiste : mensonge qui promet le bonheur absolu, idolâtrie qui place le bonheur dans la satisfaction de tous les penchans. Le parti modéré n’aura vaincu pour long-temps le socialisme et la démagogie que le jour ou, de l’aspiration du peuple qui demande le progrès du bien-être matériel, il aura fait sortir un profond et complet système de politique financière, industrielle, commerciale et philanthropique, que le jour où ce système, conçu avec grandeur, exposé avec foi et enthousiasme, entrera hardiment et rapidement dans l’application.

Le parti modéré trouvera bientôt de quoi satisfaire aux exigences progressives de la démocratie, s’il parvient à se constituer par la réconciliation de tous ses élémens, et il se constituera, si ses membres influens comprennent leurs devoirs dans toute leur étendue. Quelque fondées que puissent être les critiques dont nos institutions ont été l’objet depuis 1814, on doit avouer que ces institutions ont été toujours supérieures aux hommes. Espérons que, sous le régime actuel, nous ne sommes pas destinés à voir une fois de plus les hommes manquer aux institutions. C’est, ici qu’arrivent à leur place les conseils par lesquels M. Guizot termine ses considérations sur la démocratie. Dieu fasse que sa voix soit entendue, et que dans les sphères élevées de la société on comprenne mieux qu’on ne l’a fait autrefois les devoirs politiques. Parmi les plaies sociales qui ont causé notre dernière chute, l’indifférence en matière politique d’une classe de personnes trop nombreuse a été l’une des plus funestes. Nous ne pouvions pas être réveillés de cette léthargie par un plus violent coup de foudre. Nous devons tous le savoir aujourd’hui, la liberté est laborieuse, et l’on n’en fuit pas impunément les fatigues. Plus elle est grande, plus elle ennoblit l’homme et la société, et plus rude est la tâche qu’elle impose. Que le parti modéré organise donc sur l’échelle la plus vaste et par le mouvement le plus rapide son action politique ; qu’il ne néglige aucun des moyens que la constitution lui fournit ; qu’il se concerte et se discipline par l’association ; qu’il se répande sur le pays par toutes les voies et toutes les combinaisons de la presse. Qu’il soit toujours éveillé et partout présent. Qu’aucune peine, aucun sacrifice ne lui coûte. Qu’il se souvienne que, dans la lutte humaine, aucun effort ne demeure sans récompense, aucune négligence sans expiation. Après la lumière soudaine et sinistre qui a éclairé jusque dans ses plus noires profondeurs l’abîme social entr’ouvert naguère sous nos pas, comment pourrions-nous jamais oublier que cet abîme est toujours là, à nos pieds, et qu’au premier moment d’inattention, de défaillance, le moindre accident peut le rouvrir encore ! Ce qui n’était autrefois qu’indifférence ou égoïsme serait aujourd’hui une lâcheté, une trahison, et à la fin un suicide. « Un peuple, dit M. Guizot, qui a été grand dans un petit coin de terre, et républicain avec gloire en face de la gloire monarchique de Louis XIV, le peuple hollandais, a conquis et maintient sa patrie contre l’océan, en ouvrant partout des canaux et en élevant partout des digues. Que les canaux ne soient jamais fermés, que les digues ne soient jamais entamées ; c’est le travail incessant de tous les Hollandais, c’est le secret de leur succès et de leur durée. Que toutes les forces conservatrices de la société en France s’instruisent à cet exemple : qu’elles s’unissent étroitement, qu’elles veillent ensemble et sans relâche pour accueillir et contenir à la fois le flot montant de la démocratie. »

Mais un sentiment plus noble que la crainte, plus doux que l’avertissement d’un devoir sévère, anime ceux qui se vouent aujourd’hui, au nom de la cause conservatrice et libérale, à une action politique courageuse et constante. L’exercice des libertés publiques, l’initiative politique, ont de mâles joies. L’œuvre à laquelle nous travaillons aujourd’hui est de celles qui allument de nobles enthousiasmes. Refaire la France moderne avec le souvenir et le respect de toutes les traditions, de toutes les gloires d’une nation de quatorze siècles, et avec tous les élémens nouveaux, toutes les aspirations nouvelles qu’a produites la révolution la plus vaste que le monde ait vue depuis la chute de l’empire romain, telle est la mission qui nous est donnée par la Providence. Nous pouvons nous y appliquer aujourd’hui, non certes avec l’assurance du succès, mais avec ce degré de confiance qui encourage à l’action. Tel est le sentiment que le livre de M. Guizot laisse dans l’ame de ses lecteurs : encore une fois, il faut l’en remercier. Il était bien digne d’un grand esprit et d’une conviction profonde de lire et de signaler, à travers un terrible enseignement, une grande espérance.

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  1. Librairie de V. Masson, place de l’École de Médecine.