La Daniella/49

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XLIX


15 mai. — Mondragone.

Hier, Brumières est venu nous rendre visite pendant qu’elle étudiait. De loin, il avait entendu cette voix merveilleuse, et il ne pouvait croire que ce fût celle de la Daniella. Quand il en fut convaincu, et qu’elle lui eut chanté une très-belle vocalise que j’ai trouvé à la villa Taverna dans les feuilleta déchirés d’un vieux solfège, et que je crois être de Hasse, il fit deux fois le tour de la chapelle qui me sert d’atelier, en donnant des marques d’une vive préoccupation. Puis il revint vers moi et me dit :

— Mais elle n’a aucune notion de musique, n’est-ce pas ? Elle a appris cela comme un perroquet ; elle ne le lit pas, vous le lui avez seriné ?

Je me mis à rire.

— Et pourquoi riez-vous, voyons ?

— Parce que vous faites des questions d’enfant. Il lui a fallu deux jours pour comprendre ce que c’est que de la musique écrite. Dans quinze jours, elle lira à livre ouvert dans n’importe quelle partition. Dans un mois, avec l’intelligence et la volonté dont elle est douée, elle sera capable de faire sa partie raisonnée dans un ensemble. Mais cet A B C de la pratique, dont vous faites une si grosse affaire, ne lui servirait absolument à rien, si elle n’était pas douée comme elle l’est. Il y a des artistes qui ont étudié dix ans et qui ne se doutent pas de ce qu’elle sait, sans qu’elle-même s’en doute.

— C’est vrai, cela ! reprit-il naïvement, et le diable m’emporte si elle ne chante pas mieux que la*** et la*** !

— Voilà que vous passez d’un excès à l’autre. Elle ne sait pas le métier, et, en toutes choses, le métier est à l’art ce que le corps est à l’esprit. Elle doit apprendre à ménager ses moyens, afin de les trouver toujours à son service, même quand l’inspiration, qui est une chose fugitive, lui fera défaut. Et puis, cette distinction naturelle, cette élévation instinctive, ont besoin d’un criterium du plus au moins en elle-même ; et c’est par le savoir, qui est la lumière du sentiment, qu’elle l’acquerra.

— Oui ! le pourquoi et le comment ! Mais croyez-vous qu’elle conserve cette fraîcheur de timbre, cette naïveté d’accent ?

— Je l’espère, car je ne veux pas qu’elle ait d’autres professeurs que moi, et je m’imagine savoir comment il faut développer une individualité comme la sienne.

— Ah ça ! vous êtes donc un grand musicien, vous aussi ?

— Non certes. Je sais ce que c’est que la musique, voilà tout.

— Et vous l’aimez passionnément ?

— Depuis huit jours, oui !

— Et votre femme sera une grande cantatrice

— Oui ! lui cria Daniella moitié riant, moitié impatientée de ses questions, dont elle ne voyait pas venir le but.

Je le pressentais, et je voulus en détourner l’aveu.

— Voyons, dis-je à Daniella, veux-tu lui chanter un air du pays ? Cela, c’est toi seule, toi tout entière, avec ce que la nature t’a donné, avec le caractère et l’accent que personne ne pourrait t’enseigner et que personne ne pourrait, en ce sens, réaliser mieux que toi. Te rappelles-tu ce que tu chantais un soir à la villa Taverna ?

— Oui, oui, s’écria-t-elle. Oh ! cela me fera plaisir de me rechanter cela !

Elle dit un ou deux couplets ; mais, mécontente d’elle-même et trouvant qu’elle manquait de feu et d’entrain, elle prit le tamburello, et, comme si elle se fût remontée à l’énergique appel de ce grelot sauvage, elle chanta avec plus de nerf. Cependant elle secouait la tête d’un air de dépit.

— Qu’a-t-elle donc ? dit Brumières. Il me semble qu’elle va mettre le feu au château !

— Non ; non, je ne suis ni en voix ni en âme, s’écria-t-elle. Ces choses-là ne se chantent pas, elles se dansent !

Et, s’élançant au milieu de la chapelle, en sautant par-dessus les planches et les copeaux qui en encombrent encore une partie, elle se mit à danser, à chanter et à tambouriner en même temps, avec cette sorte de fureur sacrée qui m’avait fait déjà frissonner d’amour et de jalousie.

J’espérais que ce transport ne se communiquerait pas à Brumières ; et d’ailleurs, je craignais d’être égoïste en m’opposant au besoin que cette fille de l’air éprouvait d’essayer un instant ses ailes. Mais Brumières est impressionnable autant qu’expansif. Il se mit à crier d’admiration et à divaguer dans son enthousiasme d’artiste, de manière à me contrarier beaucoup. J’arrachai le tambourin des mains de Daniella, et l’emportant presque elle-même dans mes bras, je la poussai au piano en la grondant malgré moi.

— Mais pourquoi l’empêchez-vous d’être si belle ? disait Brumières. Vous êtes un brutal, un pédant ! Laissez-la donc se révéler ! Encore, encore !

Je donnai pour prétexte à mon dépit que ce chant mêlé de danse pouvait casser la voix.

— Crois-tu cela ? me dit Daniella, qui, sans être essoufflée, s’était assise, accoudée sur le piano d’un air tout à coup grave et rêveur.

— Non ! lui répondis-je tout bas ; mais je te l’ai dit, tu ne danseras jamais que pour moi, si tu m’aimes.

— Eh bien, mon cher, s’écria Brumières, comme s’il eût deviné mes paroles, vous auriez tort de vouloir faire mystère de telles aptitudes ! Voyez-vous, la signora Daniella a cent mille livres de rente dans le gosier, dans les pieds, dans le cœur, dans les yeux, dans la tête. Ah ! vous n’êtes pas maladroit, vous, d’avoir deviné et saisi au vol la sylphide déguisée en villageoise ! Quelle grâce, quelle verve, que d’enivrements réunis dans un seul être ! C’est trop, c’est trop ! Et avant un an, voilà un prodige qui effacera tous les prodiges de nos théâtres. La musique et la danse, au même degré de puissance…

Daniella l’interrompit brusquement. Elle voyait que ces éloges à bout portant me donnaient sur les nerfs, et elle tenait à me montrer qu’elle n’en était pas enivrée.

— Vous vous moquez de moi, lui dit-elle, et c’est ma faute. La paysanne a trop reparu. Il faudra qu’elle s’efface, car je veux être ce qu’il voudra que je sois. En attendant, je vas vous montrer que je suis encore une bonne ménagère en vous servant du café de ma façon.

Elle sortit et ne revint pas, délicatesse de cœur dont je lui sus un gré infini. Sans s’apercevoir de mon émotion, Brumières continua à s’extasier sur les séductions de ma femme et à me dire, sans trop gazer, que j’avais tiré à la loterie de l’amour un meilleur numéro que le sien. Il m’avait pris pour un braque, pour un philosophe, c’est-à-dire pour un crétin ou un fou ; mais il voyait bien que j’avais de meilleurs yeux que lui et qu’en retournant du fumier j’avais trouvé un diamant ; tandis que lui, en retournant des perles fines, il n’avait ramassé qu’un hanneton.

Je saisis l’occasion de le faire taire sur le compte de Daniella en le faisant parler de Medora, et, quoique peu curieux d’entendre un nouveau chapitre de ce roman qui ne m’intéresse pas énormément, je feignis d’y prendre beaucoup de part.

— Eh bien, mon cher, répondit-il, je voudrais bien que nous fussions dans une planète où il serait possible et convenable de dire à un ami : « Changeons, prenez mon rêve et donnez-moi le vôtre.» Vrai ! je vous envie cette adorable et magnifique Romaine qui, en attendant la gloire et la fortune, vous donne à la fois l’ivresse et la sécurité de l’amour. Oh ! je vois bien maintenant quel bonheur est le vôtre ! Moi, sachez que j’ai de cette Anglaise aussi éventée que glacée, cent pieds par-dessus la tête, et qu’il me prend envie, cent fois par jour, non pas de l’enlever, mais de m’enlever moi-même d’auprès d’elle. Ah ! si j’avais seulement un petit ballon, comme je m’en servirais, dès ce soir !

— Voyons, qu’y a-t-il donc de nouveau, et comment depuis huit jours, la scène a-t-elle changé de face à ce point-là ?

— Mon cher, vous êtes trop inexpérimenté pour savoir ce que c’est qu’une coquette. C’est un miroir à prendre les alouettes. Ça brille, et tout à coup ça ne brille plus, car ça ne luit qu’à la condition de tourner toujours.

— Qui vous force au métier d’alouette ?

— Eh ! eh ! l’ambition ! Je ne fais pas la bégueule avec vous, moi, je dis la chose telle qu’elle est ; j’aimerais à avoir huit cent mille livres de rente : vrai, ça me ferait plaisir ! Je ne suis pas un Arabe du désert comme vous ; je suis né satrape. Il n’y a pas de mal à ça quand on est bien décidé à ne jamais faire ni vilenie ni bassesse pour réaliser sa fantaisie. Vous me connaissez assez, j’espère, pour être bien certain que je ne voudrais ni d’une bossue, ni d’une vieille, ni d’une laide, ni d’une femme de mauvaise vie, eût-elle la fortune des Rothschild à m’offrir ; mais Medora est belle, et, malgré le soin tout particulier qu’elle prend de se compromettre et de faire jaser, elle est pure. De plus, elle est adorable d’esprit et de caractère quand elle veut. Enfin, j’en suis fou !…

— Et vous n’avez pas de ballon pour vous soustraire à la fascination ? Allez donc votre train et suivez l’étoile qui vous luit. Pourquoi la blâmer et la maudire pour un jour de caprice ? Si elle était parfaite, seriez-vous parfait vous-même pour la mériter ?

— Ma foi, pourquoi pas ? répondit-il en riant ; je ne vois pas ce qui me manque pour être un garçon accompli. D’ailleurs, la question n’est pas de savoir si je dois continuer à la poursuivre ; c’est de savoir si je ne perds pas mon temps et si je n’use pas mes dernières bottes fines pour n’aboutir qu’au titre flatteur de cher ami. Tenez ! vous aviez plus de chances que moi pour réussir auprès d’elle ; pourquoi diable n’avez-vous pas pris ma place et moi la vôtre ? Daniella est plus belle, quand elle chante et danse, que n’importe qui. Et même quand elle rêve… elle a des yeux, des narines… je ne l’avais jamais regardée comme aujourd’hui. Elle est pauvre et méconnue ; mais il ne tient qu’à elle d’être riche et célèbre, et, comme vous avez le mérite de l’avoir découverte, elle vous sera peut-être fidèle.

— Ce peut-être est de trop, mon cher ami ; et, si vous voulez me faire plaisir, vous me laisserez apprécier tout seul les mérites de ma femme.

— Allons ! vous voilà jaloux ?

— Et pourquoi pas, je vous prie ?

— C’est juste. Mais que diable faites-vous-là ! dit-il en me voyant retourner mon tableau sur le chevalet et reprendre ma palette.

— Ça veut être de la peinture, répondis-je.

— Eh ! eh ! s’écria-t-il en regardant avec une attention de plus en plus marquée : c’est de la peinture, en effet ! Diable ! mais savez-vous que c’est bien ça ? Je ne vous croyais pas fort !

— Vous aviez raison : je ne suis pas fort.

— Mais si, diantre ! vous êtes un sournois ; vous cachez votre jeu. Drôle de corps, va ! Est-ce que Medora a vu quelque chose de ce que vous savez faire ?

— Rien du tout. Pourquoi ?

— Ne lui laissez rien voir, hein ? Si elle découvre que vous avez du talent, elle ne m’en trouvera plus du tout.

Il tourna longtemps autour de moi avec des compliments exagérés, mais naïfs comme tous ses premiers mouvements, et finit par me dire, avec chagrin, que, depuis son arrivée à Rome, il n’avait pas touché un pinceau.

— Et j’y venais pourtant avec la résolution de travailler ; car, à Paris, voilà deux ans que je vas dans le monde et que je n’entre guère dans mon atelier. J’ai besoin d’avoir du talent, car je n’ai pas la moindre fortune, et la littérature d’agrément que je fais ne me rapporte rien. J’ai toujours rêvé des choses difficiles, et pendant que je sois aux prises avec mes rêves ambitieux, le temps se passe et les résultats s’éloignent.

— Vous êtes dans un jour de spleen ; demain, vous parlerez autrement.

— J’ai peur du contraire. Medora me traite comme un domestique qu’on essaye.

— Ou comme un mari qu’on éprouve ?

— Vous voulez me consoler ; mais je suis tout démonté. On nous avait promis du café ; voulez-vous que j’aille le chercher ?

— Non, j’y va

— Je vois bien que vous êtes un tigre ! reprit-il quand je revins avec le café que Daniella avait préparé et qu’elle savait bien que j’irais chercher moi-même. Je le comprends ; mais ne vous inquiétez donc pas de moi. Je suis un homme trop occupé pour être dangereux. D’une part, mon état de chien fidèle et parfois grognon auprès de ma princesse ; de l’autre, une petite sotte d’aventure pour passer le temps et prendre patience. Vous connaissez la Vincenza ?

— Oui. J’aime mieux son mari.

— Son mari n’est qu’un imbécile, parfaitement habitué au sort que je lui procure.

Vous vous trompez, c’est une dupe aveugle ; mais puisque vous me parlez de ça, je vous dois un avis. Prenez garde à cet homme gras et souriant : il aura un mauvais réveil !

— Je sais que je risquerais quelque chose avec lui. Je ne suis pas riche ; il me rançonnerait, à coup sûr.

— Vous lui faites injure en supposant qu’il vous épargnerait si vous pouviez payer son déshonneur. C’est un homme au-dessus de ce qu’il paraît. J’ai été à même de l’apprécier, et je cause avec lui tous les jours avec beaucoup d’intérêt. Il aime sa femme, il croit en elle, dans l’occasion, il sait se venger… Je ne peux rien vous dire de plus. Soyez averti.

— Bah ! je connais mon Frascati sur le bout du doigt ! Les femmes y sont bien plus libres que les filles. Cette Vincenza, à laquelle j’ai dû renoncer autrefois parce que la partie était dangereuse, et qu’en somme je ne prenais pas la personne assez au sérieux pour tout risquer, à présent qu’elle est mariée et qu’elle demeure pour quelques jours à Piccolomini… Diable ! n’allez pas dire cela à Daniella. Elle le répéterait peut-être à Medora, à présent qu’elles sont au mieux ensemble ! je serais perdu. D’autant plus que je tiens si peu à la fermière ! Elle est gentille et proprette, voilà tout. Et puis, j’ai remarqué une chose, c’est que, pour être un peu malin et un peu fort auprès d’une grande coquette, il ne fallait pas perdre un certain calme des sens qui réagit sur l’esprit. C’est en cela qu’une maîtresse sans conséquence, de l’autre côté de la cloison, est fort utile et très-appréciable ; mais je vois que je vous scandalise et que j’empêche votre femme de revenir auprès de vous. Moi, il faut que j’aille voir si on s’est aperçu de mon absence et de ma bouderie.

Je retrouvai Daniella préoccupée et presque triste.

— Tu m’en veux de ma jalousie ? lui dis-je en me mettant à ses genoux.

— Je n’ai pas le droit de t’en vouloir, répondit-elle. Je t’ai donné ce mauvais exemple et j’ai été bien plus mauvaise que toi !

— Oui, car tu doutais de moi, et moi, je te jure que je ne t’ai pas seulement supposé l’idée de vouloir plaire à Brumières.

— Bien vrai ?

— Aussi vrai que je t’aime.

— En ce cas, je te pardonne.

— Et pourtant, tu restes triste !

— Non, mais je réfléchis, et c’est d’autre chose que je me tourmente. M. Brumières croit que je peux faire fortune avec mes dispositions pour la musique ou la danse. Il a parlé de public et de théâtre… Tu ne m’avais jamais rien dit de pareil, toi ! Est-ce que tu serais jaloux, si, au lieu d’un seul bavard comme lui, j’avais plein une salle d’admirateurs et plein ma chambre de flatteurs ?

— Qu’en penses-tu ? réponds toi-même ?

— Je pense que tu serais très-jaloux, parce que je le serais à ta place.

— Et la jalousie fait beaucoup de mal, n’est-ce pas ?

Ô Dio santo ! quelle torture !

— Et, pour me l’épargner, tu renoncerais au rêve d’une vie brillante comme celle dont parlait Brumières ?

— Oui, tout de suite ! Si tu dois souffrir quand je saurai quelque chose, ne m’apprends plus rien.

— Ce serait mal. Nul n’a le droit de mettre un frein à la puissance d’un autre, quand c’est une belle et noble puissance. On serait d’autant plus coupable d’étouffer le feu sacré, que l’on aime d’avantage l’être qui le possède. Ainsi, quoi qu’il arrive, je te mettrai à même de te développer.

— Mais à quoi me servira d’être savante, si je cache mon savoir ?

— D’abord, je n’exige rien et je ne veux rien établir pour l’avenir. Il est possible que ton génie t’emporte sur un chemin de soleil et de feu ; et, pourvu que tu m’aimes, je te suivrai. Il est possible aussi que, voyant plus de vraie clarté et de douce chaleur dans un sentier ombragé, tu préfères y rester avec moi. Quant à dire ce que tu feras alors de ton savoir, je ne saurais te l’expliquer que par une comparaison : Écoute le rossignol ; pour qui crois-tu qu’il chante ? Pour nous ou pour lui ?

— Ni pour l’un ni pour l’autre ; il chante pour ce qu’il aime.

— Voilà une plus belle réponse que ce à quoi je songeais ; mais saches que, privé de sa femelle et mis en cage, il chanterait encore.

— Il chanterait pour chanter. Eh bien, je comprends cela. C’est comme cela que j’ai toujours aimé les chansons et la danse, et, quand je disais à mes compagnes : « Je n’aime pas le bal, mais j’y vas pour danser :» elles comprenaient bien que je n’y allais pas pour les amoureux et pour les compliments, mais pour le besoin de me décoller l’esprit et les pieds de la terre où l’on marche.

— Il faut que je t’embrasse pour cette métaphore, mon bel oiseau du ciel. Tu la sentiras encore plus claire et plus vraie à mesure que tu découvriras, dans l’art, des sources d’émotion, de recueillement et d’enthousiasme que tu ne fais encore que deviner.

— Donc, il faut que je travaille et que je ne me tourmente pas de ce qui en arrivera ? Pourtant… Est-ce que tu as beaucoup de talent, toi ?

— Je ne pense pas, mais je tâche d’en avoir.

— Et tu crois que tu en auras ?

— Oui, j’espère : espérer, c’est croire.

— Mais ce sera long ?

— Peut-être que non.

— Et cela te fera riche ?

— Cela est douteux. Je ne sais pas. Tu as donc besoin d’être riche ?

— Moi ? Pourquoi aurais-je ce besoin-là ? J’ai toujours été pauvre : mais, tu es riche, toi !

— Tu trouves ?

— Oui, par comparaison, et je pense toujours que tu vas manger ce que tu as pour me faire belle et paresseuse.

— Travaille donc et ne crains rien. Disons-nous, pour n’avoir pas de déception, qu’à nous deux nous gagnerons toujours le nécessaire, et que nous pouvons nous passer du superflu.

— Mais… écoute encore ! Sais-tu que je n’ai rien ?

— Je ne t’ai jamais demandé si tu avais quelque chose.

— Ma petite toilette, qui tient dans ce coffre, et le pauvre petit mobilier que tu vois, c’est tout ce que je possède. J’avais un peu d’argent et des bijoux donnés par lady Harriet ; je n’ai rien voulu accepter de sa nièce en la quittant ; mais Masolino, en m’enfermant dans ma chambre, a tout pillé sous prétexte de m’empêcher de secourir les conspirateurs, et je ne sais ce que cela est devenu. On n’a rien trouvé sur lui ni chez lui.

— Eh bien, tant mieux ! Je t’aime mieux ainsi.

— Tu n’es pas inquiet ?

— Non !

— Et tu serais fâché peut-être que j’eusse gagné beaucoup d’argent au service de lady Harriet ?

— Cela me serait indifférent.

— Mais, si j’avais accepté les dons que Medora voulait me faire ?

— J’en serais humilié. Je te sais un gré infini de les avoir si fièrement refusés.

Elle m’embrassa, et me pressa de dîner pour aller faire notre visite de tous les soirs à la malade de Piccolomini. Je trouvais ma chère femme un peu agitée et comme impatiente de sortir. J’attribuais sa préoccupation à ce que je lui avais dit de Vincenza et de Brumières ; je l’avais engagée à sermonner cette petite femme, ou, tout au moins, à lui recommander la prudence. Daniella, qui est très-attachée à son parrain Felipone, était indignée de cette nouvelle trahison.

Lady Harriet va de mieux en mieux. Daniella passa une heure auprès d’elle, puis monta chez Medora, et, au retour, m’embrassa avec effusion sous les platanes de la villa Falconieri.

— Tu m’as donné un bon conseil, dit-elle, et grâce à toi, je suis délivrée d’un tourment cruel. À présent, tu auras ma confession ! Écoute !