La Danse (Dorat)

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Œuvres diversesImprimerie de la société typographiqueTome 4 (p. 106-123).

LA DANSE

CHANT QUATRIÈME


 
Le jeune amant de Flore a déployé ses ailes ;
De ses nouveaux baisers naissent les fleurs nouvelles.
Les satires légers, aux accens du haut-bois,
Soulevent, en riant, les nymphes de nos bois.
Voyez-vous ces tritons, dont les desirs avides
Font bouillonner les flots autour des néréides ?
Ils nagent en cadence, et joignant leurs bras nus,
Agitent doucement la conque de Vénus.
Volez, jeunes beautés ; le front ceint de feuillages,
Traversez, en dansant, les vallons, les bocages :
Ressuscitons ces jeux, ces folâtres loisirs,
Par le Tibre adoptés, au retour des zéphirs.
Pour orner votre sein, ces roses vous demandent ;
Pour vous peindre leurs feux, vos bergers vous attendent.
Tout vous sert ; cet ombrage, interceptant le jour,
Enhardit à la fois la pudeur et l’amour.
Loin de nous la sagesse et ses leçons austeres !
Terpsichore, voici l’instant de tes mysteres.


Ils naissent du plaisir, je dois les respecter :
Viens, ta harpe à la main, m’apprendre à les chanter.
Léger comme tes pas, fidele à leur cadence,
Que mon rapide vers brille, parte et s’élance.
Déesse, la nature est soumise à tes loix,
Et ton silence actif le dispute à la voix.
Le voile ingénieux de tes allégories
Cache des vérités par ce voile embellies.
Rivale de Clio, tu sais conter aux yeux ;
Et tout, jusqu’à la fable, est vivant dans tes jeux.
Des pas tardifs ou prompts la liaison savante
M’offre de cent tableaux une scene mouvante.
J’y vois du désespoir le sombre accablement,
La colere d’un dieu, les transports d’un amant,
Mars courant aux combats, Daphné prenant la fuite,
Pour éviter l’amant qui vole à sa poursuite,
Les défis des pasteurs, les courses de Tempé,
Et celles de l’amour à Vénus échappé.
Mais de cet art charmant craignez la douce amorce.
Il rit à l’œil trompé qui n’en voit que l’écorce.
D’un trop crédule espoir n’allez pas vous bercer,
Et sondez le terrein qu’il faut ensemencer.
Avant de faire un pas, voyez si la nature
N’a point sur les calots calqué votre figure.
Héros, que votre taille ait de la majesté :
Berger, qu’elle nous plaise en sa légéreté.


Que votre corps liant n’offre rien de pénible,
Et se ploie aisément sur le genou flexible.
Que les pieds, avec soin rejetés en dehors,
Des jarrets trop distans rapprochent les ressorts.
Que l’épaule s’efface, et que chaque partie,
En paroissant se fuir, soit pourtant assortie.
Quelque vice secret avec vous est-il né ?
Qu’avant le pli du tems il soit déraciné.
Profitez, profitez de ces jours de souplesse,
Où chaque fibre encor tressaille avec mollesse.
Quand l’âge roidira vos muscles engourdis,
Tous les moyens alors vous seront interdits.
Cet orme contrefait penche vers le rivage,
Et d’un tronc tortueux voit sortir son feuillage.
Il seroit aujourd’hui l’ornement du hameau,
Si l’art l’eût redressé, quand il fut arbrisseau.
Que vos pas soient précis : d’une oreille sévere
Calculez chaque tems, sans jamais vous distraire.
Vos talens, quels qu’ils soient, n’auront qu’un foible éclat,
Sans ce juge subtil, ce tact si délicat,
Que la nature même, à nos plaisirs fidelle,
Pour épier les sons, a mis en sentinelle.
Ce timpan sinueux, où tout va retentir,
Doit marquer la mesure et vous en avertir.
Un danseur sans oreille est la vivante image
D’un fou qui ne met point de suite à son langage,


Qui de mots mal consus forme son entretien,
S’étourdit en parlant, et ne dit jamais rien.
Par ce sens dirigés, riez de l’impuissance
Du burlesque rouleau, sceptre de l’ignorance,
Dont le geste ambulant semble vous menacer,
Et qui coupe les tems, au lieu de les fixer.
Que chaque mouvement soit naturel et libre.
Soumettez votre corps aux loix de l’équilibre.
Élevé dans les airs, soyez assujetti
Au point déterminé d’où vous êtes parti.
Émule de Gardel, dans votre essor habile,
Tombez sur un pied seul, et restez immobile.
Pour atteindre au fini de tous ces déploîmens,
N’allez point vous créer d’inutiles tourmens,
Étudier votre art comme de vils esclaves,
Ni vous emprisonner dans ces dures entraves
Qui du jeu des ressorts vous ôtent la douceur,
En font mille martyrs, sans former un danseur.
C’est peu de m’étaler une danse savante,
Et ces sauts périlleux dont l’effort m’épouvante,
De battre l’entrechat, de jouer du poignet,
De hasarder un rond, de faire un moulinet.
La médiocrité brigue ces avantages :
L’art a d’autres secrets, pour gagner nos suffrages.


Sur le bloc arrondi d’un célebre sculpteur
Quand l’amour agita son flambeau créateur,
Il en fit rejaillir une vive étincelle,
Et soudain vit éclorre une Vénus nouvelle,
Dont le premier regard peignit un sentiment,
Dont le premier soupir demandoit un amant.
L’heureux Pigmalion brûle pour son ouvrage :
Le marbre est animé ; l’amour veut davantage.
Les graces, qu’il appelle, accourent sur ses pas,
Et la nymphe naissante a volé dans leurs bras.
Leurs loix sont des plaisirs ; leurs leçons, des caresses.
L’écoliere bientôt égale ses maîtresses,
S’instruit dans l’art de plaire, et plaît en l’oubliant,
Met dans chaque attitude un jeu doux et liant,
De la simplicité se fait une parure,
Déploie avec pudeur les dons de la nature,
Laisse errer sur sa bouche un sourire charmant,
Et, grace à ses regards, se tait éloquemment.
Voilà votre modele, enfans de Terpsichore.
La nature vous sert, il faut l’aider encore.
Imaginez des tems et des grouppes nouveaux,
Entassez pas sur pas, et travaux sur travaux,
Sautez sur le gazon, sans y laisser vos traces ;
Vous ne possédez rien, si vous n’avez les graces.
Elles vous donneront le poli des ressorts,
D’un buste harmonieux les tranquilles accords,

Le moëlleux contour d’une tête flexible,
Des passages divers la nuance insensible ;
Ces pas demi formés, ces bras que le desir,
Dans un doux abandon, semble tendre au plaisir,
Tous ces ébranlemens, ces secousses légeres,
Que la volupté compte au rang de ses mysteres,
Et ces gestes de feu, ces repos languissans,
Qui jusqu’en leur foyer vont réchauffer nos sens.
Des élémens de l’art connoissez l’importance :
Formez vos premiers pas sous un maître qui pense.
Vous avancerez plus avec moins de travaux :
Il saura profiter même de vos défauts.

C’est ainsi que Marcel, l’Albane de la danse,
Communiquoit à tout la noblesse et l’aisance.
Des mouvemens du corps il fixa l’unisson,
Et dans un art frivole il admit la raison.
La beauté qu’il formoit venoit-elle à paroître ?
Elle emportoit le prix, et déceloit son maître ;
Telle brille une rose entre les autres fleurs.
Il dotoit la jeunesse, en lui gagnant des coeurs.
Il me semble le voir, dans un jardin fertile,
Assujettir à l’art chaque tige indocile,
Tendre au lys incliné la main qui le suspend,
Resserrer le bouton où l’œillet se répand,
Distribuer par-tout cet accord, cette grace
Qui pare la nature, et jamais ne l’efface.




De cette servitude affranchis une fois,
Plus sûrs de votre vol, créez-vous d’autres loix.
Lisez au cœur de l’homme : amour, fureur, délire,
Dans vos jeux animés il faut tout reproduire.
De chaque sentiment épiez les secrets,
Démêlez les ressorts, combinez les effets.
Inventeurs de cet art, et Pilade et Bathile
Nous ont assez appris combien il est fertile.
Dans l’action du corps puisant leur coloris,
L’un arrachoit les pleurs, l’autre excitoit les ris ;
Et loin du cercle étroit de cent mimes profanes,
Leurs gestes et leurs pas leur tenoient lieu d’organes.
Pour atteindre à leur palme et vous rapprocher d’eux,
Laissez la gargouillade et les pas hasardeux.
Que par l’expression vos traits s’épanouissent :
L’ame doit commander, que les pieds obéissent.
Un méchanisme vain suffit pour un sauteur ;
Mariez les talens du peintre et de l’acteur ;
Et prenant votre essor loin des routes tracées,
Dans vos pas, s’il se peut, enchaînez des pensées.
Mais, si vous prétendez aux immortels festons,
De masques odieux débarrassez vos fronts.
De chaque passion le turbulent orage
Avec des traits de feu se peint sur le visage :
On y voit le chagrin d’un crêpe se voiler,
Sourire le bonheur, la joie étinceler ;

L’ame se montre à nu dans ce miroir sincere.
Pourquoi donc le charger d’une forme étrangere ?
Un visage postiche et privé de contour,
Un plâtre enluminé me rendra-t-il l’amour ?
Comment les passions, dans leur fougue énergique,
Pourront-elles percer l’enveloppe gothique,
L’immobile carton inventé par l’ennui,
Qu’un danseur met toujours entre nos cœurs et lui ?
Filles des sombres bords, déités infernales,
Éteignez sur vos fronts ces flammes sépulcrales.
Fleuves, ondains, tritons, dieux soumis au trident,
Quittez vos teints verd-pré, vos visages d’argent.
Vents, ayez plus d’adresse, et moins de bouffissure.
Monstres de nos ballets, respectez la nature.
Indifférente et libre, une nymphe des bois
Pour seule arme aux amours opposoit son carquois,
Et souvent renversoit de ses fleches rapides
Le faon aux pieds légers, et les biches timides.
Errante, l’arc en main, de réduit en réduit,
Un faune l’apperçoit, s’enflamme et la poursuit.
Voyez les mouvemens dont leur ame est atteinte,
Et l’aile du desir, et le vol de la crainte.
Quelle ardeur dans tous deux ! Que d’agiles détours !
Le faune joint la nymphe ; elle échappe toujours.
Elle se sauve enfin, tremblante, sans compagne,
Et gagne, en haletant, le haut d’une montagne.


Là, se laissant aller près d’un arbre voisin,
Son col abandonné touche aux lys de son sein.
Le faune reparoît : il tressaille de joie,
Et retrouve sa force, en retrouvant sa proie.
Ses yeux sont des flambeaux ; ses pas sont des éclairs :
Une fleche est moins prompte à traverser les airs.
La nouvelle Daphné frémit, tremble, chancele :
Au front de son amant l’espérance étincele ;
Du fugitif objet, qu’effarouchent ses voeux,
Déjà son souffle ardent fait voler les cheveux ;
Il l’atteint, il soupire, il demande sa grace :
Le faune s’embellit, la nymphe s’embarrasse,
Se livre par degrés à ce trouble enchanteur,
Tombe, se laisse vaincre, et pardonne au vainqueur.
D’un simulacre vain la froide dissonance
De ces divers combats rendra-t-il la nuance ?
Y verrai-je la crainte et ses frémissemens,
Le trouble, les desirs et l’ardeur des amans ?
Que n’ai-je le génie et le pinceau d’Apelle !
Alard, à mes esprits ce tableau te rappelle.
Jamais nymphe des bois n’eut tant d’agilité :
Toujours l’essain des ris voltige à ton côté.
Que tu mêlanges bien, ô belle enchanteresse,
La force avec la grace, et l’aisance et l’adresse !
Tu sais avec tant d’art entremêler tes pas,
Que l’œil ne peut les suivre, et ne les confond pas.


Le papillon s’envole avec moins de vîtesse,
Et pese plus que toi sur les fleurs qu’il caresse.
Te peindre, c’est louer ton émule divin :
Je place au même rang la nymphe et le silvain ;
Il partage l’honneur de ta palme brillante ;
Hippomene à la course égaloit Atalante.
Tous deux dans cette arene, où vous régnez sur moi,
Vous cueillez le laurier ; mais la pomme est pour toi.
Mon œil sur ces objets trop long-tems se repose ;
Muse, reprends le joug que Terpsichore impose :
Amans de la déesse, elle a choisi ma voix
Pour consacrer son art, et vous dicter ses loix.
Fuyez loin de ses yeux, pagodes vernissées,
Dans vos grouppes sans goût tristement compassées ;
Fuyez… qui vous donna le droit, le droit affreux
De venir dans leur temple effaroucher les jeux ?
Que la danse toujours annonce un caractere.
Qu’elle soit tour-à-tour noble, vive, ou légere…
M’offrez-vous des héros ? Modelez-vous sur eux :
Que vos pas soient précis, graves, majestueux.
Lorsque le grand Dupré, d’une marche hautaine,
Orné de son panache, avançoit sur la scene,
On croyoit voir un dieu demander des autels,
Et venir se mêler aux danses des mortels.


Dans tous ses déploîmens sa danse simple et pure
N’étoit qu’un doux accord des dons de la nature.
Vestris, par le brillant, le fini de ses pas,
Nous rappelle son maître, et ne l’éclipse pas.
Bacchantes, exprimez les fureurs de l’ivresse :
Tournez rapidement sous le dieu qui vous presse.
Filles du noir Cocite, armez-vous de flambeaux ;
Élancez-vous par bonds ; que vos pas inégaux,
Égarés, incertains, peignent l’affreuse rage,
Le tumulte de l’ame, et la soif du carnage.
Transportez les enfers sur vos fronts allumés,
Et décrivez en l’air des cercles enflammés.
Zéphirs, d’un vol léger caressez les feuillages ;
Et sans être entendus, parcourez les bocages.
On rit de ces zéphirs orageux et massifs,
Qui font gémir les airs sous leurs bonds convulsifs.
À ce bruit inconnu Flore en tremblant s’éveille ;
Ils ont déjà courbé les fleurs de sa corbeille :
Elle craint, à l’aspect de ses nouveaux amans,
Pour le trône fragile où s’assied le printems ;
Et le parterre enfin renvoie avec justice
Ces sauteurs mal-adroits bondir dans la coulisse.
L’heureuse Germanie est fertile en danseurs,
Et simple dans sa danse, ainsi que dans ses mœurs :
Elle nous a transmis celle qui dans nos fêtes
À nos jeunes beautés fait le plus de conquêtes.


Connoissez tous ces pas, tous ces enlacemens,
Ces gestes naturels, qui sont des sentimens ;
Cet abandon facile et fait pour la tendresse,
Qui rapproche l’amant du sein de sa maîtresse ;
Ce dédale amoureux, ce mobile cerceau,
Où les bras réunis se croisent en berceau ;
Et ce piege si doux, où l’amante enchaînée
À permettre un larcin est toujours condamnée.
Combien je vous regrette, ô tems, ô jours heureux,
Où dans les murs de Sparte, et dans ses plus beaux jeux,
Se partageant en choeurs, des vierges ingénues
Dansoient sans indécence, et dansoient toujours nues !
Que de secrets trésors dévoilés aux amours !
Quel charme arrondissoit tous ces légers contours !
À chaque mouvement que de beautés écloses !
Quels frais monceaux de lys, mêlés de quelques roses !
Que dis-je ! Aux yeux surpris de l’amant enchanté
La céleste pudeur voiloit la nudité.
Vous que Vénus instruit, qui, pour premiere étude,
Avez de tous ses jeux la savante habitude,
Surpassez ces tableaux, et sous le vêtement
Que l’amour exprimé frappe l’œil de l’amant.
Que vos illusions sur mes yeux se répandent ;
Je vous livre mon cœur, et mes sens vous attendent.
Là, par des mouvemens souples et négligés,
Par des balancemens avec art prolongés,

Imitez les langueurs de la douce mollesse :
N’allez point par des sauts fatiguer sa paresse.

Ici, nous séduisant par la vivacité,
Peignez dans votre essor un cœur plus agité.
Que vos bras jusqu’à nous toujours prêts à s’étendre,
Soient autant de filets où l’on cherche à se prendre.
Marquez tous les degrés de l’amoureux débat,
L’instant de la victoire et celui du combat,
Le calme du bonheur, le feu d’une caresse :
Fuyez, arrêtez-vous, suspendez votre ivresse.
Comme Guimard enfin appellez les desirs,
Et que vos pas brillans soient le vol des plaisirs.
C’est ainsi que Sallé, qui brilla sur la scene,
Émule des amours, en paroissoit la reine.
La tendre volupté présidoit à ses pas,
Animoit ses regards, et jouoit dans ses bras.
Comme elle cependant sur ces heureux mysteres
Laissez toujours tomber quelques gazes légeres ;
Et ne montrant jamais qu’un seul coin du tableau,
Laissez-nous soulever le reste du rideau.
Par des pas trop lascifs n’offensez point la vue :
Vénus même prescrit l’adroite retenue.
Enlacez-vous vos bras autour de votre amant ?
N’allez point, sans pudeur à nos yeux vous pâmant,
Outrager la décence, et sirene muette,
Proposer au public un bonheur qu’il rejette.


Aux talens naturels que l’art soit réuni.
Telle est à nos regards la danse de Lani.
Précision, vîtesse, esprit, tout s’y rassemble.
Les détails sont parfaits, sans altérer l’ensemble.
Elle enchante l’oreille et ne l’égare pas.
La valeur de la note est toujours dans ses pas.
Heinel la suit, Heinel que l’amour lui préfere.
Dans tous ses mouvemens quelle ame douce et fiere !
Parmi le chœur dansant, autour d’elle empressé,
Elle paroît, s’éleve, et tout est éclipsé…
La mortelle n’est plus, j’encense la déesse.
Hébé pour la fraîcheur, Pallas pour la noblesse,
Elle imprime à ses pas je ne sais quoi d’altier,
Et l’œil qui l’admira ne la peut oublier.
Il est une autre gloire où vous pouvez atteindre ;
Il faut tout embrasser, tout sentir et tout peindre.
La danse doit m’offrir d’innombrables tableaux.
Transfuges des palais, dansez sous des berceaux.
L’art brillant des couleurs avec même avantage
Éleve un temple auguste, et nous ouvre un bocage.
Tout objet bien saisi conserve un prix réel :
Teniers est aujourd’hui l’égal de Raphaël.
Quelle nymphe légere à mes yeux se présente !
Déesse, elle folâtre, et n’est point imposante.
Son front s’épanouit avec sérénité,
Ses cheveux sont flottans, le rire est sa beauté.


D’un feston de jasmins sa tête est couronnée,
Et sa robe voltige, aux vents abandonnée.
Mille songes légers l’environnent toujours ;
Plus que le printems même, elle fait les beaux jours.
Des matelots joyeux rassemblés auprés d’elle,
Détonnent à sa gloire une ronde nouvelle,
Et de jeunes pasteurs, désertant les hameaux,
Viennent la saluer au son des chalumeaux.
C’est l’aimable gaîté : qui peut la méconnoître,
Au chagrin qui s’envole, au jeu qu’elle a fait naître ?
Fille de l’innocence, image du bonheur,
Le charme qui te suit a passé dans mon cœur.
Sur ce gazon fleuri, qu’elle a choisi pour trône,
Pasteurs, exécutons les danses qu’elle ordonne.
Que trop d’art n’aille point amortir notre feu :
La danse d’un berger n’est pas celle d’un dieu.
Vous qui me transportez dans ces fêtes rustiques,
Laissez votre routine et vos pas méthodiques.
La nature est si belle ! Ah ! Ne l’altérez pas :
Elle hait la contrainte, et meurt sous le compas.
Venez : transportons-nous dans ces belles contrées,
Des rayons d’un ciel pur en tout tems colorées.
Déjà l’air est plus frais : Phébus vers l’occident
Précipite sa course et son char moins ardent.
Les mobiles sillons de sa pourpre brillante
Font resplendir au loin la mer étincelante.


Sous des bosquets rians, qu’embaume l’oranger,
Chaque jeune bergere a conduit son berger.
Les uns de joncs tressés composent leur coëffure :
D’autres avec des fleurs nattent leur chevelure.
On s’anime à l’envi de l’œil et de la voix :
Le tambourin résonne, et tout part à la fois.
Je ne sais quel instinct regle chaque attitude :
La grace, ailleurs captive, ici naît sans étude.
Les gestes et les pas, d’un mutuel accord,
Peignent la même ivresse et le même transport.
Sur des bras vigoureux on souleve une belle :
On s’enlace, on s’éleve, on retombe avec elle.
Que de baisers reçus, ou ravis, ou donnés !
Que de crimes charmans, aussi-tôt pardonnés !
L’ombre n’interrompt pas cette douce démence ;
Lorsqu’un plaisir s’envole, un plaisir recommence.
Pour s’occuper la nuit, l’amante, en ce moment,
Dépose dans son cœur les traits de son amant ;
Et le lendemain même, alors qu’elle s’éveille,
Répete encor les airs qu’ils ont dansés la veille.
Provence fortunée, asyle aimé des cieux,
Que j’aimerois ton ciel, ton délire et tes jeux !
Ici, tout est glacé, tout est morne, ou fantasque :
Du bonheur qui te rit nous n’avons que le masque.
Les temples de nos arts sont de tristes réduits
Où nous courons en pompe étaler nos ennuis.


Sans perdre nos défauts, perdant nos avantages,
Nous briguons en bâillant le beau titre de sages.
La jeunesse elle-même, éteinte dans sa fleur,
S’agite sans ivresse, et jouit sans chaleur.
Ce fleuve, qui jadis arrosoit la prairie,
N’est plus qu’un filet d’eau dont la source est tarie ;
Et l’on voit de son or le luxe dégoûté,
Gager des malheureux, pour rire à son côté.
Fous ténébreux et vains, qui n’aimant que vous-mêmes,
Des rêves de vos nuits composez vos systêmes ;
Catons prématurés, qui, froids calculateurs,
Cherchez des vérités dans l’âge des erreurs ;
Vous qui, dans vos boudoirs, sur l’ouatte et la soie
Savourez les langueurs où votre ame se noie,
Et changez chaque jour, pour seuls amusemens,
De chiens, de perroquets, de magots et d’amans ;
Compilateurs pesans ; toi, cruel moraliste,
Qui crois consoler l’homme, en le rendant plus triste ;
Peuple immense de sots, de mollesse hébété,
Poëtes sans esprit, et catins sans beauté,
Honoraires bouffons ; toi, frélon inutile,
Qui dévores le miel que l’abeille distile ;
Vous tous, qui variant vos lugubres travers,
Chacun, pour votre compte, ennuyez l’univers ;
Dansez… sortez du cercle où l’on vous emprisonne ;
Répandez sur la vie un sel qui l’assaisonne.


Le tems s’échappe, il fuit, sachez vous en saisir ;
Et végétez du moins dans le sein du plaisir…
Ma carriere est remplie, ô muse que j’encense !
Souris à mes travaux, voilà ma récompense.
J’ai célébré les jeux qui plaisent à mon cœur,
Qui m’ont séduit peut-être en peignant le bonheur.
Puissent, puissent mes chants rajeunir notre scene,
De funebres attraits embellir Melpomene,
À ses aimables sœurs prêter des ornemens,
Et leur former par-tout de fideles amans !
Amour, si dans mes vers je t’ai marqué mon zele,
À la postérité porte-les sur ton aile !
Dieu charmant, tous les arts te doivent leur beauté,
Et sous leurs traits divers c’est toi que j’ai chanté.