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La Dernière campagne (1675)

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La Dernière campagne (1675)
Revue des Deux Mondes4e période, tome 123 (p. 241-274).
LA DERNIÈRE CAMPAGNE
1675[1]


I. — DISTRIBUTION DES ARMEES. M. LE PRINCE AUX PAYS-BAS (MAI-JUILLET)

« Tant qu’il reste un soldat de l’Empire en Alsace, disait Turenne en reprenant le service l’année précédente, un homme de guerre français n’a pas le droit de se reposer. » Aujourd’hui les Impériaux ont repassé le Rhin : Turenne revient avec plus d’insistance que jamais à ses pensées de retraite. Depuis la mort de sa femme, ses sentimens religieux, souvent voilés par les mouvemens d’un cœur passionné, avaient pris une force nouvelle; le souci d’une autre vie, de la destinée éternelle des êtres qu’il avait aimés sur la terre, agitait son âme; le dogme consolateur de l’Église catholique qui permet de prier pour les morts fut un des fondemens de sa conversion. Veuf en 1666, il s’était, deux ans plus tard, séparé de l’Église réformée, gravement, dignement. Toujours robuste, sa santé lui donnait quelques avertissemens ; la goutte se faisait sentir, et la lassitude était plus difficile à surmonter. « Je veux mettre un intervalle entre la vie et la mort, » avait-il dit au cardinal de Retz, et il parlait de se retirer à l’Oratoire.

De son côté, M. le Prince, repris par ses douleurs, souvent condamné à l’inaction, ne pouvant pas compter toujours sur le répit qui lui avait permis de conduire le combat à Seneffe, désirait échapper à la responsabilité du commandement et du maniement des troupes sur le terrain, fonction que son caractère, son tempérament, ses habitudes ne lui permettaient pas de déléguer à un lieutenant. Il aurait voulu remettre de son vivant à son fils cette partie de son glorieux héritage. Ses soins pour préparer M. le Duc étaient incessans; il le mettait en avant, lui créait des rapports avec le Roi, les ministres, les généraux, ne manquant pas une occasion de faire ressortir une brillante valeur, un esprit prompt et vif, une grande application au métier. Sachant bien ce qui manquait à ce fils bien-aimé, il offrait de suppléer par ses conseils à un certain défaut de jugement. Que le Roi veuille bien accorder à M. le Duc, non plus seulement le titre qu’il a déjà, mais les fonctions réelles de général en chef, et M. le Prince prendra l’engagement de rester auprès de son fils pendant les premières campagnes. S’il n’est pas toujours assuré de pouvoir se jeter à cheval dans la mêlée, du moins répond-il de suivre les armées; de sa chaise il donnera des conseils, des lumières. Ce mode de transition ou de transaction n’était pas du goût de Louvois. D’ailleurs le Roi ne voulait pas accepter les velléités de retraite des deux généraux qui faisaient la gloire de son règne, et dont la présence à la tête de ses troupes semblait comme un gage de victoire.

Si la campagne de 1674 s’était partout bien terminée[2], elle n’avait été marquée par aucune conquête nouvelle. Louis XIV avait abandonné la funeste chimère de la Hollande ; il voulait recueillir aux Pays-Bas les fruits de la victoire, les recueillir en personne, — genre d’opérations qui convenait à ses goûts, à son caractère, se faire accompagner de Condé. D’autre part l’Empire reprenait les armes, menaçait le Rhin. Montecuccoli, se croyant délivré par les incidens de Colmar de la concurrence du Grand Electeur, des autres princes ou généraux, assuré d’exercer seul le commandement, rétablissait l’armée. D’un moment à l’autre, on allait le voir reparaître avec des troupes plus nombreuses, mieux organisées que jamais.

Le Roi demanda au prince de Condé et à M. de Turenne de reprendre pour la campagne de 1675 les positions qu’ils avaient occupées en 1674, l’un auprès de S. M. dans les Pays-Bas, l’autre en Alsace. Les deux illustres vétérans se soumirent.

Le tableau d’organisation dressé le 1er mai[3] assignait à M. le Prince, et sous lui à M. le Duc, le commandement de l’armée « où Sa Majesté sera en personne. » Cette formule un peu vague témoignait de la déférence de Louis XIV pour son glorieux cousin. En fait, le plan de la campagne fut arrêté, le détail réglé par le Roi sur la proposition de Louvois. Le personnel était nombreux : toute la cour; quatre lieutenans généraux, La Feuillade, Luxembourg, du Lude, Rochefort; neuf maréchaux de camp[4] ; 48 bataillons en sept brigades ; 25 escadrons de gendarmes, gardes du corps, mousquetaires ; 100 escadrons de cavalerie légère et 15 de dragons. L’équipage d’artillerie comprenait six pièces de 24, six de 12, neuf de 8, neuf de 4, trente bouches à feu[5].

Le 14 mai, M. le Prince, accompagné de son fils, rejoignait Louis XIV au Catelet. Les dernières troupes étant arrivées au Cateau-Cambrésis, la frontière fut franchie le 18; et, le 23, la parole animée de Condé faisait revivre sur place, aux yeux du souverain ému, les épisodes de la journée du 11 août précédent. Le Roi voulut voir la formidable position de Fayt, la ravine qui arrêta les Suisses, la houblonnière où tomba Fourilles, et ce bourg de Seneffe où Condé avait pris huit mille hommes d’un coup de filet.

Le théâtre d’opérations choisi par le Roi était la vallée de la Meuse. Déjà le gouverneur de Maestricht avait, par un habile mélange d’adresse et d’audace, heureusement préparé le terrain. Cette citadelle de Liège, que les chanoines avaient si souvent tenté d’ouvrir aux Impériaux, venait de recevoir une garnison française; un beau matin (1er avril), les Liégeois surpris furent réveillés par le bruit des tambours battant à la française. L’émotion, vive d’abord, fut assez vite calmée et la situation facilement acceptée. Au point de vue stratégique, Liège est maintenant dans les mains de d’Estrades ; l’ennemi ne pourra plus essayer d’y passer la Meuse. C’était un premier pas.

Tandis que l’armée royale se rassemblait près du Cateau, le corps volant de Créqui s’éloignait de la Moselle et de la Sarre pour se rapprocher de la Meuse. Le 29 mai, le maréchal reprenait Dinant, perdue l’année précédente, et marchait aussitôt vers le nord-est pour contenir les Lorrains et les Lunebourg, qu’on s’attendait toujours à voir déboucher de Coblentz. Derrière lui, Rochefort, détaché par le Roi, complétait cet ensemble d’opérations par la prise de Huy (9 juin), et Louis XIV, avec sa grande armée, ses capitaines, ses courtisans, s’avançant majestueusement par la route bien connue de Thiméon, Gembloux, Freeren, s’arrêtait le 1er juin à Visé sur la Meuse, à mi-chemin entre Liège et Maestricht. Les clefs de Huy à peine remises au Roi, Rochefort courut investir la forteresse qui donne son nom au duché de Limbourg, alors terre d’Espagne. M. le Prince suivait, amenant le corps de siège, qu’il établit devant la place; il fit aussitôt ouvrir la tranchée. Campé près de Visé d’abord, puis un peu à l’est, à Dahlem, avec le gros de l’armée, tout fier de tenir la campagne pendant que Condé remuait la terre, le Roi couvrait le siège, et faisait face au prince d’Orange, qu’une marche parallèle venait d’amener à Ruremonde. Ne renonçant pas à la résistance, ni même à l’offensive, mais trop faible pour s’approcher davantage, Guillaume s’était placé de façon à pouvoir attirer à lui et les troupes que rassemblait Charles IV de Lorraine, et celles dont disposait Villa-Hermosa, le successeur de Monterey justement disgracié. Le vice-roi des Pays-Bas « avait assuré le prince d’Orange que le siège de Limbourg durerait un mois[6]. » Il se trompait dans ses calculs.

Les travaux furent poussés activement. Rien ne manquait. La main de Louvois se faisait sentir partout ; pas une compagnie ne peut être déplacée sans son ordre; a-t-on besoin de bateaux, de cordages, d’outils, même de sacs à terre, c’est à lui qu’il faut s’adresser[7]. Prodigue d’ordres, mais avare de nouvelles, le ministre ne disait mot dans ses dépêches des mouvemens de l’ennemi. Par son fils, M. le Prince faisait demandera d’Estrades des nouvelles du prince d’Orange, des Espagnols, des Lorrains. « Comme j’envoye tous les avis que j’ay à M. le marquis de Louvois, répondait le gouverneur de Maestricht, et que je sais qu’il les envoyé tout aussitost à V. A. S., cela m’a empesché de me donner l’honneur de luy escrire[8]. » Condé se garde bien d’insister, ne souffle mot, s’efface de son mieux. Aussitôt le siège mis en train, il en laisse la direction à son fils et rentre au quartier général du Roi, n’intervenant que s’il en est requis, se bornant au rôle de conseil, de surveillant général. C’est S. M. qui ordonne par la plume du ministre; c’est M. le Duc qui exécute. A lui reviendra l’honneur, le mérite d’avoir heureusement interprété la pensée du Roi. Et M. le Prince a soin de faire, dans le succès qu’on attend, une large part à la sagacité stratégique du souverain : « M. le prince d’Orange tesmoignoit, par la marche qu’il a tenue, vouloir secourir cette place; mais le Roy, en passant la Meuse, s’est mis en estat de l’en empescher et de s’opposer à luy[9]. » De son côté, Henry-Jules ne négligeait rien de ce qui pouvait plaire au maître ; son père avait le droit d’espérer que la récompense de tant de soins, d’efforts, de résignation, cette patente si attendue de véritable général en chef, allait enfin arriver. Le 21 juin, le Roi écrivit de sa main à M. le Duc pour le féliciter chaudement de l’heureux succès du siège de Limbourg, que le comte de Nassau venait de rendre après six jours de tranchée ouverte[10].

Limbourg pris, le Roi, sentant Condé à côté de lui, eut quelque velléité d’aller défier Guillaume de Nassau, qui se tenait toujours blotti auprès de Ruremonde. Mais avec le lourd cortège, le train fastueux qui suivait le monarque, une marche offensive, en présence d’un ennemi sérieux, fut reconnue impossible. Luxembourg fut détaché avec quelque infanterie et une nombreuse cavalerie pour observer les Hollandais, et Louis XIV, reprenant sa marche lente et majestueuse, occupa successivement Tongres, Saint-Trond, Tirlemont, rasant sur le chemin les fortifications de ces petites places. Arrivé près de Charleroy, il passe la revue de son armée, renvoie Créqui vers la Sarre pour s’opposer aux entreprises de cet insaisissable duc de Lorraine, — qui ne tardera pas à donner de ses nouvelles au maréchal, — et dirige M. de La Trousse sur l’Alsace, où celui-ci conduit six bataillons, douze escadrons et cinq cents dragons. Déjà un premier détachement était parti pour rejoindre Turenne.

Le 17 juillet, Louis XIV quitte l’armée, laissant à M. le Prince 54 bataillons (dont deux de fusiliers pour le service des pièces), 97 escadrons de cavalerie, 1 de dragons, 24 pièces de campagne[11], soit une quarantaine de mille hommes, avec la mission de déjouer les tentatives des ennemis depuis Dunkerque jusqu’à Trêves, — un grand front.

De loin, Guillaume a suivi la marche de l’armée du Roi. Il arrive à Matines; il a fait sa jonction avec les troupes d’Espagne. La situation est analogue à celle qui existait un an plus tôt. Comme au mois de juillet 1674, Condé manœuvre auprès de Charleroy avec quarante mille hommes ; aux environs de Bruxelles, le prince d’Orange a déjà retrouvé l’avantage du nombre.

Une fois en possession réelle du commandement, M. le Prince revient à ses habitudes d’antan, rend la liberté à sa cavalerie légère et la tient dehors. Il a retrouvé La Fitte, son éclaireur favori depuis la mort de Saint-Clas, et La Fitte lui donne des nouvelles des Hispano-Hollandais. D’Estrades a repris sa correspondance suivie; de Maestricht, il observe les Lorrains et les Lunebourg, veille sur toute la région de la Meuse; ainsi fait d’Humières à Lille pour la Flandre maritime, et Créqui à Trêves pour la Moselle. Tous trois sont comme les satellites de Condé, placés sous sa direction plutôt que sous sa dépendance ; tous trois disposent de grosses garnisons, de véritables corps d’armée, en état d’exécuter de courtes opérations ou d’assister puissamment l’armée principale si elle se rapproche d’eux. Cette disposition, séduisante, avantageuse à certains égards, n’est pas sans péril. Ces hommes de valeur, se sentant en force, peuvent se laisser entraîner à des entreprises excentriques, étrangères à l’objet principal, périlleuses. Voici déjà d’Estrades, le plus expérimenté, le plus judicieux, qui fait sortir Calvo avec « deux mille hommes de pied » pour l’envoyer prendre position à Saint-Wit. M. le Prince estime que le maréchal a été « mal inspiré », que le détachement est en péril et qu’il faut le faire rentrer. Condé ne blâme pas qu’on aventure la cavalerie; il le recommande; si elle est bien menée, la cavalerie, même pressée, peut toujours revenir, plus ou moins étrillée. Ce n’est pas le cas de l’infanterie, et Condé ne veut pas qu’on l’expose à un désastre. Encore quelques jours, et M. de Lorraine se chargera de donner, à nos dépens, une démonstration éclatante des principes posés par Condé.

Sans s’éloigner beaucoup de Charleroy, M. le Prince a souvent déplacé ses troupes pour les tenir en haleine et se montrer dans diverses directions. Le 26 juillet, il se rapproche de l’ennemi, occupe son vieux camp de Brugelette sur la route d’Ath ; du 27 au 30, ses lettres donnent à peu près les mêmes nouvelles : le prince d’Orange, avec ses troupes et celles d’Espagne, n’a pas quitté ses positions de Hal et de Tubize. M. de Créqui a retenu M. de La Trousse à Trêves et s’y croit en sûreté. M. le Prince est moins confiant ; il n’a guère d’anxiété pour la Flandre ; mais si l’orage n’éclate pas sur Trêves et la Moselle, il tombera sur Limbourg et la Meuse. Il ne faut pas que l’armée d’Allemagne puisse être attaquée par derrière : Condé espère que partout les mesures seront prises pour lui laisser le temps d’arriver. De jour en jour, son armée est en meilleure condition de marche. Le prince d’Orange ne saurait lui dérober ses mouvemens. Il le guette. On se croirait revenu à la veille de Seneffe.

Soudain la foudre éclate, renverse tous les plans.

M. de Turenne est tué !


II. — SUR LE RHIN. — TURENNE ET MONTECUCCOLI.

Le 19 mai 1675, Turenne rejoignait son armée à Schelestadt. Vaubrun, qui avait passé l’hiver en Haute-Alsace, venait d’y rassembler ses quartiers ; le maréchal trouvait au rendez-vous dix mille cavaliers ou dragons et douze mille soldats d’infanterie Lorges et Vaubrun étaient ses lieutenans généraux. Au même moment, Montecuccoli, achevant de traverser la Forêt-Noire, s’arrêtait au débouché d’Oberkirch ; ses éclaireurs poussaient jusqu’à Kehl, et il échangeait des complimens avec le magistrat de Strasbourg. Turenne coupe court à ce manège ; sans perdre une minute, il s’avance à Benfeldt et fait dire à Strasbourg qu’il ira plus loin s’il le faut. Les magistrats protestent aussitôt de leur neutralité (23 mai); le pont de Kehl ne sera pas ouvert aux ennemis de la France.

Mais déjà l’armée impériale s’éloigne, va menacer Philisbourg, fait mine d’aller chercher les dix-huit mille hommes que Sporck et le prince Charles de Lorraine[12] réunissent près de Francfort, puis subitement se montre sur la rive gauche du Rhin; quelques détachemens sont dirigés sur la Basse-Alsace. Turenne ne s’émeut pas; il a pénétré le projet de son adversaire et ne se laissera pas attirer loin de Strasbourg. Jetant un pont à Ottenheim, il traverse le Rhin et va camper fièrement à Willstett sur la Kinzig, à quatre lieues de Strasbourg. Voilà le pont de Kehl bien barré (8 juin).

Montecuccoli est percé à jour. Il comptait entrer triomphalement en Alsace, et voici la guerre reportée sur la rive droite du Rhin. Il s’arrête à Lichtenau, la droite au fleuve, à sept lieues de son adversaire (11 juin), puis il gagne le pied des montagnes, chemine sur les dernières pentes, s’établit à Offembourg. Les éclaireurs des deux armées se rencontrent à chaque instant. Dans sa belle position centrale de Willstett, il suffit à Turenne d’un simple changement de front pour fermer l’accès du pont de Kehl ou pour protéger celui d’Ottenheim. C’est ce dernier point qui est surtout menacé.

Quelque habilement que Turenne ait disposé ses troupes entre Willstett et le fleuve, de façon à pouvoir les réunir en quelques heures, sa ligne est trop longue ; pour la resserrer, il rapproche son pont et le fait descendre deux lieues plus bas à Altenheim. L’opération est terminée le 26 juin. Nous ne suivrons pas les deux capitaines dans le détail, fort intéressant d’ailleurs, de leurs mouvemens. La figure ci-jointe indique les points entre lesquels ils se meuvent, se fractionnant souvent, détachant des postes, des partis. Montecuccoli s’applique à rétablir ses communications avec les impérialistes de Strasbourg, à s’ouvrir le chemin du pont de Kehl; s’il peut en même temps détruire celui d’Altenheim, son adversaire se trouvera à sa merci, contraint de remonter jusqu’à Brisach ou de descendre jusqu’à Philisbourg pour y repasser le fleuve, non sans péril même de perdre l’une ou l’autre de ces deux places et de voir sombrer la fortune de la France en Alsace.

Tel est l’objet des marches qui le rapprochent successivement de Lichtenau, d’Urloffen et d’Offembourg, l’en écartent ou l’y ramènent. Turenne sait que l’enjeu est la possession de l’Alsace, objet des convoitises de ceux qui ne l’ont jamais possédée, — car personne ne songe à la replacer sous la faible et bénigne tutelle du Saint-Empire Romain; — aussi le maréchal apporte à déjouer le dessein de son adversaire presque autant de finesse, avec plus d’activité et d’audace; Montecuccoli le retrouve partout. C’est ainsi qu’à l’exercice de l’épée on rencontre de ces poignets de fer dont les parades rigides usent les forces de l’adversaire et finissent par le mettre hors d’état de soutenir sérieusement une attaque.

Cependant le feld-maréchal a le bras souple. Rarement il abandonne ses vues : il en remet l’exécution à d’autres temps, et, pour se ménager une reprise, il pousse parfois la prévoyance jusqu’à prendre des mesures qui ne sont pas sans péril. Ainsi, lorsqu’il ramène son armée sur les bords du Rhin, à l’embouchure de la Rench, près de Lichtenau et du point où il avait déjà franchi le fleuve (5 juillet), il laisse Caprara avec cinq mille hommes à Offembourg, afin de conserver au pied des montagnes un poste qui permette de reprendre les premières manœuvres. Mais Turenne a mis Willstett et Altenheim en état de ne rien craindre de Caprara, et il marche vers le nord sans abandonner les lignes intérieures, dont la possession lui assure un avantage marqué. Le jour où son adversaire campait à l’embouchure de la Rench, lui-même prenait position en face, la gauche au Rhin, près de Freistett. Là il trouve des bateaux, jette des postes dans les îles, communique avec Haguenau, se sert du Rhin pour vivre, tandis qu’il intercepte tous les secours qui, par la même voie, pourraient être envoyés de Strasbourg à l’ennemi. Sa tête de pont, son poste central de Willstett, passage de la Kinzig, sont parfaitement retranchés. Ces trois camps, toujours approvisionnés en vivres et munitions, reçoivent les éclopés, servent de dépôt et de magasins. Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/257 Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/258 Ce jeu dura deux mois. Turenne avait réussi à rendre la vie difficile à son adversaire.

Après le 20 juillet, la partie s’échauffe. Séparé de son aile gauche[13], manquant de vivres, resserré, menacé d’une sorte de blocus, Montecuccoli doit gagner une bataille ou repasser la Forêt-Noire. Turenne ne permettra pas au feld-maréchal de se retirer en Souabe, d’y transporter le théâtre de la guerre, sans essayer de lui enlever pied ou aile, peut-être de lui infliger une véritable défaite. Comme il dit en sa forme originale, « les armées sont en estat de voir continuellement des actions[14] ; » chacun en a le sentiment. Les lieutenans du maréchal, ses moindres officiers, les soldats, redoublent d’activité et de vaillance[15]. A des indices certains, Turenne juge que Montecuccoli va marcher ou marche vers les montagnes. Il essaiera de le prévenir; mais les mouvemens ne peuvent pas être simples, et les marches seront tortueuses.

Ce pays si plat, où rien ne semble devoir arrêter la vue ni gêner les mouvemens, est un pays de chicane, de surprises et d’embuscades ; impossible d’y cheminer en ligne droite ; les eaux s’étalent, forment des marais, se subdivisent en ruisseaux, en filets ; partout des bois, souvent de grande surface; il faut chercher les passages, marcher à tâtons; les partis sont aux mains avant de s’être reconnus. Il faut aussi multiplier les postes pour garder les gués, ponts, défilés : « On a tant de postes différens à quoy la nécessité oblige[16]. » L’embarras est grand; que de vigilance, que de calculs pour assurer la sécurité des mouvemens sans trop réduire les forces actives! Et la pluie tombe toujours.

Le 23 juillet, Turenne quitte Freistett avec Vaubrun et un premier échelon. Laissant au bord du Rhin un dépôt bien retranché, M. de Lorges amènera le reste des troupes dès que le général en chef sera fixé sur la direction qu’il veut donner aux opérations. Il faut faire un détour, aller au sud-est, traverser la Rench à Wagshurst. Du Plessis, qui gardait ce passage, vient d’être attaqué; donc l’ennemi remue, dégage sa route. Mais d’où vient-il? du nord-ouest ou du sud-est? Est-ce un parti envoyé par Montecuccoli ou par Caprara?

Turenne observe. Tandis qu’il rallie son second échelon et que les reconnaissances se meuvent, Vaubrun passe la Rench, pique au nord avec un gros de cavalerie. A Gamshurst, carrefour important de routes, il se heurte dans l’ombre à de nombreux escadrons conduits par le prince Charles de Lorraine. L’engagement fut assez vif; notre lieutenant général reçut au pied une blessure peu grave, mais « qui l’empêchera de servir de sitôt[17] ». Au jour (24), l’infanterie arriva et l’ennemi disparut.

Turenne est accouru. Plus de doute : c’est bien Montecuccoli qui assure sa route; mais Caprara n’a pas dit son dernier mot, et on s’attend à un mouvement offensif venant d’Offembourg. Pendant deux jours, le maréchal se partage entre Wagshurst et Gamshurst. C’est Gamshurst que Montecuccoli fait attaquer le 25; le combat fut sérieux et conduit par Turenne en personne : « Les Anglois y font bien, et par leur cri ordinaire donnent beaucoup de chaleur à l’action[18]. » Hocquincourt fut tué et Feuquières s’y distingua; le soir, les ennemis étaient repoussés.


III. — MORT DE TURENNE (27 JUILLET). L’ARMÉE FRANÇAISE REPASSE LE RHIN (1er AOUT).

Le 26, l’armée française se rallie à Gamshurst; dans la nuit, elle marche. Précédé d’une avant-garde d’infanterie et d’artillerie légère, Turenne conduit la cavalerie de l’aile droite. Avec des intervalles, les régimens d’infanterie le suivent, ainsi que la cavalerie de l’aile gauche, marchant sur plusieurs colonnes, tout prêts à faire en avant en bataille, mais surtout disposés à se former en ligne face à gauche; car, avec plus ou moins d’écart, on croit bien marcher parallèlement à l’ennemi. Le maréchal remonte le cours de la petite rivière d’Achern, qui l’amène au bourg de ce nom ; il y arrive au petit jour (27 juillet).

Achern est au pied des premiers gradins de la Forêt-Noire, là où le terrain commence à s’élever légèrement. Sur la place, une petite église, la chapelle Saint-Nicolas, que l’on voit encore aujourd’hui[19], peinte en lie de vin. Le prêtre était à l’autel; Turenne s’approche : « Dites pour moi les prières des quarante heures. « 

Cependant notre avant-garde approchait de Nieder-Sasbach, village un peu enfoncé à l’entrée d’une gorge dont sort un ruisseau difficile à franchir. Turenne avait ordonné d’occuper ce village, où il comptait soit changer de direction, soit prendre position. L’ennemi l’a prévenu et s’y trouve en forces, retranché dans le cimetière, avec l’église pour réduit, soutenu par des troupes qui arrivent, et par une artillerie qui réduit au silence nos pièces légères. L’avant-garde est impuissante à déloger les Impériaux du village.

Montecuccoli marchait depuis la veille. N’ayant pu se saisir du carrefour de Gamshurst, il avait pris plus au nord, et, s’élevant dans la montagne, il venait d’atteindre Riegel. En même temps il se saisissait du poste de Sasbach, espérant par ce double mouvement faciliter sa réunion avec Caprara, dont la position devenait fort critique, et qui, parti d’Offembourg, cherchait à rejoindre le gros de l’armée par des chemins presque impraticables. De la plaine, on pouvait apercevoir d’un côté les troupes de Montecuccoli qui descendaient en hâte de Riegel vers Sasbach, de l’autre les soldats de Caprara traînant leurs chevaux par la tête dans d’étroits sentiers.

S’il peut se rendre maître de ce village dont le nom est devenu historique, Turenne augmentera l’écart qui sépare les deux tronçons de l’armée impériale ; l’un ou l’autre, tous les deux peut-être, seront à sa merci, menacés d’une sanglante défaite, repoussés vers le Rhin ou contraints de traverser en désordre les défilés de la Forêt-Noire, rejetés en Souabe et peut-être jusqu’en Franconie. Par quel procédé, par quelle manœuvre Turenne comptait-il atteindre son but? La mort a emporté son secret; mais il montrait une assurance qu’il n’avait pas habitude de laisser voir; plusieurs fois il aurait dit : « Je les tiens, je les tiens[20] ! »

Tout d’abord il met fin à ce combat traînant, se borne à garder par de petits postes les avenues du village, et à contenir par quelques tirailleurs ceux que l’ennemi poussait dans les jardins. Puis, avec ses officiers et quelques soldats de l’avant-garde, il gravit un mamelon qui forme cap entre les deux ruisseaux d’Achern et de Sasbach. La position lui parut favorable pour appuyer sa droite et surtout pour prendre à revers l’église et le cimetière, dont il avait hâte de s’emparer. Ordre fut envoyé à M. de Lorges de presser son mouvement, de traverser Achern pour former ses troupes en bataille, et d’envoyer aussitôt l’artillerie au maréchal.

Celui-ci s’arrêta un moment pour contempler une vue admirable; à ses pieds, le petit clocher de Sasbach, perdu dans les vergers; au loin, la chaîne bleue des Vosges, et, dans la plaine, la flèche rouge de Strasbourg sortant de la verdure des bois. Hamilton mit fin à cette rêverie : « Monsieur, on tire sur vous. — Allons nous-en, répond le maréchal ; je ne veux pas être tué aujourd’hui. » Et il recula pour se garer des balles et des boulets, et aussi pour chercher un peu d’ombre ; midi était passé, et le soleil était brûlant; un gros arbre donna l’abri de ses branches; Turenne s’amusa à y faire grimper un soldat ainsi placé en vigie.

Survint Saint-Hilaire, lieutenant général de l’artillerie : « Vous plairait-il, Monseigneur, venir voir l’emplacement où je vais mettre en batterie? mes pièces me suivent. » Et Turenne rebroussa chemin. À ce moment, l’artillerie impériale envoyait une volée. Le bras déjà étendu de Saint-Hilaire fut emporté; Turenne, frappé en plein corps, roula dans les jambes de son cheval, « ouvrit deux fois la bouche et les yeux fort grands, et demeura tranquille pour jamais[21]. » Le corps fut déposé d’abord au pied de l’arbre qui venait d’abriter le héros vivant Il y a trente ans, on montrait encore un tronc desséché qui s’appelait l’arbre de Turenne, tout près de la pyramide élevée à l’endroit où le héros est tombé. Ce coin de terre appartient à la France. </ref>, puis porté à la chapelle Saint-Nicolas. Le prêtre à qui le maréchal avait parlé le matin achevait de réciter ses oraisons.

Turenne tombait au moment où la victoire allait encore une fois couronner ses cheveux blancs, dans toute la puissance et toute l’audace de son génie, dans le plus vif éclat de sa gloire et comme dans une sorte d’apothéose, élevé sur un tertre d’où sa vue embrasse l’Alsace qu’il vient encore de sauver, le visage tourné vers la France, que son épée sert depuis cinquante ans, le dos à la Forêt-Noire qu’il a maintes fois franchie victorieusement, tenant à ses pieds l’ennemi qu’il vient enfin de saisir. Il n’y a guère d’exemples d’une bataille aussi soudainement et complètement suspendue par la mort d’un homme. Privés de leur chef, le roi Gustave, tué au milieu de l’action, les Suédois avaient remporté la victoire à Lutzen. Le 27 juillet 1675, tout s’arrête avec la pensée de Turenne ; les deux armées opposées semblent plongées dans la stupeur ; le canon continue de gronder, aucune troupe ne bouge.

Montecuccoli fut dès premiers informés, peut-être même avant Lorges; on assure qu’un chirurgien, traversant les lignes au galop, lui avait aussitôt porté la nouvelle. Il l’accueillit avec une gravité émue et respectueuse : « Messieurs, dit-il en se retournant vers ses officiers, il vient de mourir un homme qui faisait honneur à l’homme[22]. » Mais le respect pour la mémoire d’un héros ne peut pas seul expliquer l’apparente inaction du feld-maréchal. Son armée était divisée, mal postée, ses troupes, ses bagages disséminés dans diverses directions; l’issue d’une bataille engagée dans de telles conditions restait au moins douteuse. Quel effort ne pouvait-on pas attendre de la colère et de la douleur des soldats français ! Montecuccoli se contenta de garder par quelques postes les issues de Sasbach, et de laisser sa cavalerie en bataille. Tandis que par une canonnade assez nourrie il retenait l’attention de ses adversaires, il achevait la concentration de ses troupes. Sur le soir même, il fit une courte marche en retraite, et, se rapprochant des montagnes, recueillit les derniers détachemens du corps de Caprara. Par d’autres moyens qu’un combat hâtivement engagé, avec moins d’éclat, mais plus sûrement, le lieutenant de l’Empereur comptait bien arriver à son but : s’assurer l’usage du pont de Kehl, rejeter les Français au delà du Rhin, reporter la guerre en Alsace.

Avant de reprendre entre les deux armées, la lutte commença entre les deux lieutenans généraux de l’armée française. Le plus ancien, le seul valide d’ailleurs, était M. de Lorges, le neveu de Turenne, officier de mérite et d’expérience, aussi modeste que brave. Occupé à placer les troupes, on eut quelque peine à le trouver ; le premier moment fut terrible ; il ne se sentait pas moins accablé par la douleur que par le poids de la responsabilité; mais il fut promptement délivré de ce souci. Tout blessé et porté dans sa chaise, M. de Vaubrun accourait et réclamait le commandement; moins ancien que Lorges[23], il soutenait qu’en vertu du « roulement » créé par les ordonnances il devait partager le commandement avec son ancien, alterner avec lui, faire le service de jour, comme si le général en chef n’avait pas disparu. La discussion fut violente : homme de métier, très vaillant, Vaubrun était d’humeur hautaine et jalouse; Lorges, croyant avoir le bon droit pour lui, se rebiffait et sortait des gonds. Cette querelle indécente, engagée presque en vue du cadavre de Turenne, continuait avec fracas en présence des troupes, soulevait une indignation bruyante qui contrastait avec l’impassibilité de l’ennemi : « Lâchez la Pie[24], criaient les soldats; celle-là saura bien nous conduire à la victoire. » Enfin les deux rivaux, ne pourrait-on pas dire les frères ennemis, tombèrent d’accord sur un point; tous deux reconnurent qu’il fallait faire repasser le Rhin à l’armée. Assurément, dans une situation si confuse, il n’y avait pas d’autre parti à prendre. Le mouvement commença le 28 juillet au soir, et s’exécuta avec assez de méthode; tous les détachemens furent ralliés, les magasins de Freistett et de Willstett levés; les approvisionnemens qu’on ne put enlever furent détruits. L’ennemi ne se montra pas d’abord, mais il se fit voir au passage de la Rench et s’engagea avec assez de vivacité lorsque les Français abandonnèrent Willstett pour traverser la Kinzig. A l’entrain de ceux-ci, on put juger ce qui se passait dans leur cœur: ils ne rêvaient que vengeance. L’ennemi sembla étonné et disparut.

L’armée ne rencontra dans sa marche d’autres difficultés que celles qui entravaient les opérations depuis le commencement de la campagne : marais, cours d’eau tortueux, bois touffus. Le 1er août, elle s’arrêta dans une assez belle plaine, bordée vers Test par la grande Schotter, flanquée par de gros moulins et un ou deux vieux châteaux, et vers l’ouest séparée du Rhin par des bois, coupée en deux par un bras de la rivière, dit petite Schotter. Au fond de la plaine, le gros bourg d’Altenheim semblait un solide réduit; c’était aussi la tête de pont.

M. de Lorges avait formé un corps de huit bataillons et de seize escadrons, qui devait rester en position et tomber sur le flanc de l’ennemi en cas d’agression pendant que l’armée traverserait le fleuve; mais Vaubrun, survenant, jugea la précaution inutile; heureux de faire acte d’autorité, il rallia ce détachement et lui donna l’ordre de passer immédiatement sur l’autre rive. L’armée avait reformé ses deux lignes : la seconde, devenue première, était rangée derrière la petite Schotter; la première, devenue seconde, allait suivre le mouvement du corps renvoyé par Vaubrun. La brigade de Champagne[25], chargée de l’arrière-garde, était restée en avant de la Schotter, se reposant sur les armes. Aucune cavalerie ne surveillait les mouvemens de l’ennemi, si bien que celui-ci arriva soudainement sur la brigade de Champagne; malgré son expérience, cette troupe aguerrie fut rejetée en désordre au delà de la Schotter sans avoir pu envoyer sa décharge[26].

La seconde ligne, devenue .première, reçut le choc de son mieux. La bataille se développa avec une série d’incidens dont le récit nous entraînerait trop loin. Vaubrun alla lui-même chercher le détachement auquel il avait si imprudemment donné l’ordre de repasser le Rhin; juché sur son cheval, la jambe attachée sur l’arçon, il racheta sa faute par son dévouement, et se fit tuer à la tête de ses soldats. M. de Lorges, qui avait bien aussi sa part de responsabilité par son imprévoyance, déploya la plus brillante valeur, ramena plusieurs fois les escadrons ébranlés; mais, comme le dit un bon juge, à la fois témoin et acteur, Feuquières, la journée d’Altenheim fut surtout glorieuse pour les soldats et les officiers particuliers[27]. Sur le soir, les Impériaux étaient partout en retraite. Le jour suivant, le passage s’opéra dans le calme.

M. de Lorges eut le double déboire de remettre le commandement à son frère, le duc de Duras, et de lui voir porter le bâton de maréchal qu’il avait peut-être espéré pour lui-même. L’accord était déjà fait entre Montecuccoli et les magistrats de Strasbourg ; l’armée impériale avait passé à Kehl, et disposait encore d’un autre pont construit à la Wanzenau. La Basse-Alsace n’avait que ses places pour défense. Avec raison, Duras songea surtout à la Haute-Alsace, grenier de l’armée et particulièrement en péril. Afin de la fermer à l’ennemi, il s’établit à Châtenois, sur un contrefort des Vosges, au débouché de Sainte-Marie-aux-Mines, à l’endroit où la plaine offre le moins de largeur. Ainsi postée, l’armée attendit le chef que le Roi venait de lui donner et qui avait été désigné par la voix de la nation pour prendre la place de Turenne.


IV. — M. LE PRINCE ENVOYE EN ALSACE. — RETARDS. — DEFAITE DE CREQUI (11 août).

Le Roi avait terminé sa campagne solennelle dans les Pays-Bas. Resté seul investi du commandement, Condé se trouvait ramené sur le terrain où il avait si longtemps manœuvré l’année précédente, aux bords de la Dender, aux environs d’Ath, en face du même adversaire, de Guillaume, qu’il se préparait à combattre, tout au moins qu’il saurait retenir loin du Rhin. Il avait bien quelque souci d’un orage qui menaçait du côté de l’Est : l’ennemi des anciens jours, le vieux Charles IV de Lorraine, venait de ressusciter et s’était mis à la tête des troupes qui se rassemblaient à Coblentz. Mais d’Estrades était à Maestricht, Créqui à Trêves; avec le concours de lieutenans aussi vigilans, aussi expérimentés, M. le Prince espérait bien garantir notre armée d’Allemagne contre toute attaque de flanc et lui assurer la liberté de poursuivre sa carrière de succès, lorsque tout à coup il reçut, à son camp de Brugelette[28], avec les ordres du Roi, la nouvelle de la mort de Turenne (31 juillet).

Bien que, pour ces hommes qui vivaient dans un constant péril, la mort sur le champ de bataille parût presque naturelle et fût toujours attendue, Condé ressentit une émotion profonde et « la plus grande douleur du monde en apprenant cette perte si considérable pour le service du Roy, surtout en un rencontre aussi capital. » Ainsi appelé à l’improviste à prendre immédiatement la place de son glorieux émule, il ne peut cacher ce qu’il éprouve : « Je vous advoue que je me croy fort peu propre à bien servir le Roy dans l’employ où Sa Majesté me destine ; c’est un pays d’un travail extrême, et ma santé est si peu affermie que j’appréhende bien d’y succomber, particulièrement si le froid vient avant la fin de la campagne ; vous sçavés que je vous le dis auparavant de partir. J’obéis pourtant, et ne feray jamais de difficulté d’exposer ma vie et le peu qui me reste de santé pour la satisfaction et le service du Roy, mais j’appréande bien que je ne luy puisse pas estre si utile en ce lieu là qu’il le croit et que je le souhaite, et je vous advoue que je ne m’attendois pas à recevoir cet ordre... Je marcheray demain[29]. » Et sombre, chargé de soucis et d’infirmités, mais résolu, l’esprit présent atout, il fit comme il avait dit.

Le jour même, il passait le service à Luxembourg, un des huit maréchaux nommés par le Roi, — la monnaie de Turenne[30], — mais celui-là seul comptait plus que tous les autres ensemble. Non content de lui remettre les chiffres et instructions, Condé prit des mesures pour renforcer les garnisons et laisser à son successeur des ressources en tout genre réparties dans les places[31]. En même temps il donne la route jusqu’à Metz aux troupes désignées pour partir avec lui, douze escadrons, quatre bataillons; Chazeron en a la charge. Deux des nouveaux dignitaires, La Feuillade et Rochefort, depuis longtemps habitués à servir sous M. le Prince, avaient été désignés pour l’accompagner; ils lui étaient moins nécessaires que le chef d’état-major incomparable dont il ne pouvait plus se passer : Chamlay eut l’ordre de le rejoindre[32]. M. de La Frézelière remplace Saint-Hilaire dans le commandement de l’artillerie.

Le duc d’Anguien, étant d’âge à voyager plus vite que son père, qui ne pouvait plus guère se séparer de son équipage, courut la poste jusqu’à la cour pour recevoir les derniers ordres du Roi. Il repartit presque aussitôt, rapportant les réponses, assez insignifiantes, de Louvois à un questionnaire compliqué, ainsi que les pouvoirs nécessaires pour prendre, aussitôt arrivé, le commandement de l’armée d’Allemagne.

M. le Prince avait reçu communication des ordres[33] envoyés d’urgence aux lieutenans généraux de Turenne (on ignorait encore la mort de Vaubrun). En les autorisant à ramener l’armée en deçà du Rhin, le Roi leur prescrivait de renvoyer à Brisach l’infanterie qui en était sortie, de veiller sur Haguenau et Saverne et de se mettre en communication avec le maréchal de Créqui; celui-ci, renforcé de quatre mille hommes, devait les soutenir. Prendrait-il le commandement? Ce point restait obscur. Il faut croire que Créqui était muni de quelque instruction secrète, car on s’attendait à le voir quitter les bords de la Moselle pour accourir sur le Rhin ; et dans ce cas le duc de Duras, éventuellement désigné pour aller en Allemagne, devait se rendre à Nancy pour y remplacer Créqui[34]. Cette singulière mutation n’eut pas lieu ; mais cette espèce d’imbroglio eut de graves conséquences. Duras entra en fonctions, et M. le Prince comptait bien rencontrer Créqui sur sa route. Dès sa seconde étape, il avait reçu les premières nouvelles d’Altenheim; elles annonçaient un combat fort glorieux, sans en marquer le caractère et sans annoncer le passage du fleuve. Condé vit là un fâcheux pronostic : « Ce combat ne décidera rien, aura fait tuer et blesser bien du monde et retiendra l’armée en lieu où il n’y a plus de fourrages. Les ennemis pourront se retrancher là où ils sont, faire passer du monde à Strasbourg assez considérablement pour disputer le passage[35]. » De plus en plus soucieux, il poursuivait sa marche aussi rapidement que le permettait l’allure de l’escorte et des équipages, fort incommodés par le mauvais temps, lorsqu’en passant par Vitry, le 13, il reçut un nouveau coup de foudre.

Cette armée qui était placée comme en vigie vers Trêves pour empêcher l’ennemi de pénétrer par la vallée de la Moselle entre nos armées de Flandre et d’Allemagne, — que Turenne et Condé avaient toujours respectée, refusant de l’appeler ou de l’affaiblir dans leurs plus pressans besoins, se reposant, pour continuer en sécurité leurs opérations, sur la présence du plus éprouvé de nos jeunes généraux, de l’élève favori de Turenne, — cette armée, moins importante par le nombre que par la situation, vient d’être surprise, dispersée, anéantie ; les fuyards arrivent de tous côtés, beaucoup sans armes.

Depuis quelque temps déjà, plusieurs princes, laïques, ecclésiastiques, jadis plus ou moins alliés ou à la solde de Louis XIV, ramenés aujourd’hui sous la discipline de l’Empire, cherchaient de nouveaux acquéreurs pour leurs bandes ; d’autres, alarmés par les prétentions de la France, par le système de Louvois, irrités des exactions, des ravages commis par les garnisons de Philisbourg et de Brisach, avaient pris le parti de mettre des régimens sur pied ; citons les ducs de Lunebourg, de Zell, de Brunswick, les évêques d’Osnabruck et de Munster. Charles IV, qui, de vieille date dépouillé de son duché de Lorraine, rôdait autour de ses États, faisant commerce de ses troupes, aujourd’hui bien réduites en nombre, s’offrit à rallier ces groupes épars. Infatigable dans sa vieillesse, il stimule les plus indifférens et parvient à rassembler à Coblentz, auprès de l’électeur de Trêves, comme lui chassé de sa capitale, une armée de quinze à vingt mille hommes. Mais quelle direction prendre ? Devait-il rejoindre le prince d’Orange ou Montecuccoli ? La mort de Turenne lui ouvre une perspective nouvelle ; il se décide aussitôt à faire le siège de Trêves et paraît sous les murs le 9 août.

Affligé, étonné de n’avoir pas été appelé à remplacer Turenne, ignorant ou feignant d’ignorer qu’un malentendu l’avait écarté de cette position, au moins à titre provisoire, Créqui, « pressé de s’embarquer dans quelque grande affaire », veut déloger ce corps de siège et s’avance à Consaarbrück. Il est surpris (11 août), fait des prodiges de valeur, entraîne une partie de ses troupes ; les autres l’abandonnent. Ce ne fut pas une défaite, ce fut une déroute, rappelant les journées de Thionville et d’Honnecourt, les temps qui précédèrent l’apparition de Condé et de Turenne à la tête des armées. La cavalerie avait lâché pied presque sans coup férir[36] ; l’infanterie, submergée dans cette débandade, se rejeta dans Trêves, animée du plus mauvais esprit. La masse des fuyards porte la terreur à Thionville et à Metz, y répand les bruits les plus sinistres: personne ne commande plus à Trêves, annoncent-ils ; M. de Vignory (un fort brave homme) a été tué d’une chute de cheval. C’est la première nouvelle dont Condé fut salué à Vitry (13 août). M. de Gajac, s’étant offert pour aller prendre la place de Vignory, est aussitôt pris au mot; c’était le plus urgent : comment « laisser sans chef une si belle garnison »[37]?

Les détails manquaient; mais M. le Prince en savait assez pour mesurer l’étendue du désastre : « Ce nouveau malheur rend les affaires bien difficiles; plus que jamais il faut songer à ne pas faire de fautes, » écrit-il aussitôt à M. le Duc[38]. Il n’importe pas moins de calculer juste, car on ne doit plus compter en Alsace sur les troupes de Chazeron ; immédiatement M. le Prince leur a donné une autre direction ; elles ne dépasseront pas la Moselle. Lui-même quitte sa suite, retrouve son allure d’antan, brûle les étapes; la jeunesse des villes lui sert d’escorte. Il passe deux jours à Nancy, deux jours bien employés, pourvoit à l’armement des fuyards de Consaarbrück, assure le ravitaillement des places menacées et mal garnies, Metz, Thionville, Tout, Verdun, Phalsbourg, en renforce les garnisons ; La Feuillade prendra le commandement. Tout fut approuvé par le Roi ; Louvois se contenta de remplacer La Feuillade par Rochefort, l’homme en vue dans le cabinet du ministre[39] ; c’était aussi un vieux compagnon de Condé, qui ne fit aucune observation. Puis il reprend sa course, franchit la montagne de Saint-Dié, le défilé de Sainte-Marie-aux-Mines, et, le 18 août, embrasse son fils au camp de Châtenois.


V. — M. LE PRINCE A SON ARMÉE (18 AOUT). SECOURS DE HAGUENAU.

Quand on considère les difficultés que présentait alors le passage des Vosges, — même sur les points tels que Saint-Dié et Sainte-Marie, où il était relativement plus facile, plus fréquenté, mieux préparé, — les pentes raides, les gorges étroites, les torrens profonds, tous ces chemins à peine ouverts, défoncés par les pluies, sillonnés par les charrois (car c’était la seule voie de ravitaillement de l’armée), on se demande comment cet invalide a pu si rapidement, parmi tant d’obstacles, parcourir de tels espaces. Et cependant, du fond de sa chaise cahotée, il avait pu lire sa correspondance, recevoir de nombreux rapports, dicter ses dépêches, expédier ses ordres ; si bien qu’à peine arrivé à Châtenois toutes les mesures étaient prises, les détails réglés. Lui-même, sans prendre aucun repos, marchait le lendemain avec l’armée pour déjouer à tout risque les desseins de l’ennemi. L’orage avait grossi, et les moyens de le conjurer étaient bien imparfaits.

Maître, non pas tout à fait de Strasbourg, — car la ville n’avait pas voulu recevoir de garnison impériale, — mais du pont sur le Rhin, dont Strasbourg tenait la clef, disposant de toutes les ressources de cette ville si riche et si puissante, ayant tout l’appui du magistrat, Montecuccoli n’avait pas perdu de temps à établir solidement son armée sur la rive gauche du Rhin et à la mettre en état d’exécuter d’importantes entreprises. Son dessein était bien tracé : déloger les Français de la Basse-Alsace, leur couper l’accès des montagnes, barrer le chemin aux renforts ou ravitaillemens, repousser ensuite cette armée isolée et achever la conquête de l’Alsace. Il préparait le développement méthodique de son plan, lorsque « le malheur de M. de Créqui » lui ouvrit des horizons prochains. Il commença aussitôt l’attaque de Haguenau.

Cette place était importante dans l’état des affaires parce qu’elle assurait les communications entre les Vosges et le Rhin, entre la France et Philisbourg. Elle avait été l’objet des soins particuliers de Turenne. Condé en avait mauvaise opinion: « Elle est de la force de Nanterre, » écrivait-il à Louvois en poussant peut-être la couleur de l’image. C’est le ton de sa correspondance officielle. De tout temps, il a été sobre d’assertions confiantes dans ses dépêches : maintenant il incline peut-être à exagérer cette disposition. Au risque de déplaire et de passer pour morose, il ne veut laisser au ministre aucune illusion ; il peint la situation comme il la voit, sombre, menaçante. Mais c’est un tout autre souffle qui anime ses lettres quand il écrit à ceux dont il doit soutenir le courage. Il n’avait pas caché à Louvois la faiblesse de son armée, son dénûment, la force des ennemis, la difficulté de secourir Haguenau. Au gouverneur Mathieu, il écrit : « La conservation de cette place est si importante au Roy que vous devez y attendre les dernières extrémités. Je suis asseuré que vous ferez une belle défense, et de mon costé, je vous l’asseure, il n’y a rien que je ne fasse pour vous secourir promptement[40]. » Et la conduite est d’accord avec ce langage : il court au secours de Haguenau.

Arrivé à Châtenois le 18 août, il couchait le 19 à Benfeldt, ramené par la fortune de la guerre dans la petite place où, trente-deux ans plus tôt, le duc d’Anguien était reçu par le Suédois Möckel en quittant Guébriant[41]. C’est de là que le jeune vainqueur de Rocroy partit alors pour aller visiter Strasbourg, invité par les magistrats, qui lui firent grand accueil. Et c’est aussi en partant de Benfeldt le 20 août 1675 que Condé reçut les envoyés de ces mêmes magistrats, aujourd’hui tout effrayés de l’approche de M. le Prince et de sa réputation de rigueur. On ne s’est pas écarté de la neutralité, affirment ces délégués ; s’il n’a pas été possible de fermer à une grande armée un pont qui, après tout, ne touche pas à nos murailles, du moins aucun soldat impérial n’a été admis dans la place. M. le Prince ne se montre ni trop crédule, ni trop menaçant: de la conduite des Strasbourgeois dépendra la sienne ; peut-être renouvelle i-a-t-il avant peu sa visite d’il y a trente ans ; il n’est pas encore fixé sur l’époque ; en ce moment il a d’autres affaires sur les bras. Et poursuivant sa marche, toujours un peu incertaine, s’approchant à la fois de Strasbourg et de Haguenau, il s’arrêtait le 21 août à Holtzheim, sur la Bruche. Mais déjà des exprès avaient informé Montecuccoli que l’armée française marchait au secours de Haguenau : Condé y comptait bien.

Le feld-maréchal sait comme son adversaire dégage les places; il n’ignore pas ce qui s’est passé à Valenciennes et à Cambrai. D’ailleurs Haguenau se défend bien et ne justifie pas sa mauvaise réputation; le siège, à tout le moins, sera affaire de longue haleine. Le gouverneur, Mathieu, est homme de valeur et de grande expérience, touchant à la soixantaine, mais plein de sève et d’activité, tenace, modeste (quoique Provençal), avec des allures de hâbleur ; capitaine à Rocroy et remarqué par le duc d’Anguien, il avait conservé dix-neuf ans le commandement d’une compagnie dans « la Marine », sans manquer un siège ni une bataille[42]. Montecuccoli n’exposera pas son armée à se trouver prise entre une grosse garnison menée par un soldat de cette trempe et l’armée de Turenne entraînée par M. le Prince.

Le 22 août, le siège de Haguenau était levé, et les Impériaux marchaient vers la Bruche. Ils y sont attendus. Le 26, les deux armées sont en présence et se canonnent toute la journée. Le soir, les Français se retirent dans la direction de Benfeldt, et s’arrêtent le 27 à Hipsheim sur l’Ill, derrière la Sheer. Les rôles sont renversés : c’est Montecuccoli qui offre la bataille, c’est Condé qui la refuse.

M. le Prince avait beaucoup vu, beaucoup observé pendant ces quelques jours passés au milieu de ses troupes. Il ne se sent guère secondé dans le commandement. S’il n’avait Chamlay et M. le Duc pour traduire, exécuter sa pensée, son embarras serait grand. On lui a ôté Rochefort. La Feuillade est vaillant, de belle humeur, mais cervelle creuse et ne méritant pas qu’on « fasse grand cas de ses avis »[43]. Les deux lieutenans généraux, Lorges et Duras, sont malades[44]. Il faut s’adresser aux brigadiers, Feuquières, La Motte, et autres, qui sont bons, comme les officiers de troupes. Que de files creuses dans les rangs de l’infanterie ! Il est vrai que si le nombre est faible, la qualité est supérieure : « Les hommes sont fort bons et ont fort bon air[45]. »

Quand on lit ce que Condé et son fils écrivaient sur l’armée qui avait suivi Turenne, on pense à cette autre armée du Rhin qui repassait aussi le fleuve en 1796 à Huningue après une rude campagne : « Du costume militaire nos hommes n’avaient conservé que la buffleterie, s’écrie Gouvion-Saint-Cyr ; jamais je n’ai rien vu de si martial. » — « Nos soldats n’ont plus aucune parure, écrit M. le Duc; mais ils ont l’air joyeux et n’ont aucune crainte de rencontrer l’ennemi. »

Mais cette admirable infanterie, faut-il l’engager dans une bataille que l’on peut éviter, lorsque, déjà si inférieure en nombre, elle est exposée à n’être pas soutenue ! « La ruine extraordinaire de notre cavalerie fait des progrès effrayans ; nombre de nos excellens cavaliers sont démontés[46]. » Les chevaux qui restent ne tiennent plus sur leurs jambes. L’artillerie n’est pas mieux traitée; attelages étiques et insuffisans. Après la moindre marche, on ne pourra ni faire charger les escadrons ni traîner les pièces.

M. le Prince s’est laissé canonner tout un jour (quoiqu’il n’eût que quelques canons légers pour répondre à 50 pièces bien servies et bien attelées), afin de compter lui-même les bataillons et les escadrons des ennemis. Il ne faut pas se faire illusion sur leur force, qui augmente tous les jours. « Je croy que leur précipitation à lever le siège de Haguenau a esté dans l’apréhension que je me misse entre Strasbourg et eux, et que par ce moyen je ne leur coupasse les vivres, et non par la crainte qu’ils ayent eu d’un combat[47]. » En somme, « il n’est pas du service du Roy de hasarder beaucoup après le malheur de M. de Créqui »[48]. Et cependant Condé aurait « hasardé beaucoup » pour sauver Haguenau. En fournissant au magistrat de Strasbourg l’occasion de se montrer indiscret, il a pu atteindre son but sans coup férir.


VI. — AU CAMP DE CHATENOIS. — NOUVEAU DÉSASTRE A TRÊVES. — SAVERNE ATTAQUÉE ET DÉLIVRÉE.

Le péril imminent est conjuré. Hors les cas imprévus, M. le Prince ne livrera bataille que sur l’ordre exprès du Roi[49]. Mais il ne saurait permettre aux Impériaux de se répandre et d’envahir la Haute-Alsace ; la tâche est malaisée lorsque la guerre ne peut pas être reportée sur la rive droite du Rhin. « M. de Turenne comprenoit si bien ce que je dis[50] qu’il n’a pas fait difficulté de risquer cent fois cette année la perte de l’armée plutost que de se résoudre à repasser le Rhin, jugeant bien qu’il estoit impossible, en le repassant, de sauver les deux Alsaces, le pays estant situé comme il est, les places aussy meschantes comme elles sont, et Strasbourg donnant le passage comme il le donne. »

En se maintenant sur les bords de l’Ill, M. le Prince court risque d’être tourné par le pied des montagnes, d’amener les ennemis à Schelestadt avant lui et de leur ouvrir ce chemin qu’il tient tant à fermer. Aussi ne s’attarde-t-il pas aux environs de Benfeldt. Le 29 au soir, il avait repris son camp de Châtenois, fortement retranché. Ses prévisions se réalisent. Le mouvement des ennemis se prononce ; ils ont marché par le pied des montagnes, traversé Obernai, et s’arrêtent à Epfig, à deux petites lieues de Châtenois (1er septembre). « S’ils nous attaquent, nous tascherons de les bien recevoir : or il faut qu’ils nous attaquent pour remonter plus haut[51]. » Ainsi voilà Condé posté à Châtenois comme jadis aux bords du Piéton, guettant l’ennemi, prêt à se jeter sur lui s’il ose défiler devant le front de bandière des Français ; mais Montecuccoli ne sera pas aussi téméraire que le prince d’Orange. Pendant quelques jours, il conserve ses positions. L’infanterie française reste immobile dans ses redoutes ; notre cavalerie se réveille et se rétablit un peu; elle a reçu quelques remontes, enlevé de grands fourrages, et s’engage, non sans succès. M. de La Roquevieille se signale dans un brillant combat. Enfin, le 6 septembre, le feld-maréchal abandonne définitivement ses projets sur la Haute-Alsace et remonte vers le nord, observé, suivi par nos chevau-légers.

Ces deux semaines d’opérations décidèrent du sort de la campagne. Condé s’y montre sous un jour nouveau; il a engagé avec Montecuccoli une partie stratégique qu’il finira par gagner. Déjà les premiers points sont pour lui ; par sa sagacité, son à-propos, l’heureuse alternative de la résolution et de la prudence, il a infligé à son adversaire un échec dont celui-ci ne se relèvera pas, bien que la série des incertitudes et des incidens graves ne soit pas encore épuisée : une nouvelle tragédie vient de s’accomplir sur les bords de la Moselle.

Disparu d’abord dans la bagarre de Consaarbrück, Créqui s’était dégagé et jeté dans Trêves. Sa présence au milieu d’une forte garnison faisait espérer que M. de Lorraine et son armée seraient retenus longtemps devant la place. Mais Trêves vient de tomber subitement, de la façon la plus inattendue (6 septembre); le maréchal de Créqui est prisonnier de guerre, trahi par la garnison insurgée qui a ouvert ses portes à l’ennemi[52]. Le contre-coup de cette catastrophe ne tarda pas à se faire ressentir de l’autre côté des Vosges.

  • Redescendu en Basse-Alsace, Montecuccoli s’était arrêté à

Hochfelden, sur la Zorn. Là « il donnait jalousie à Saverne, Haguenau, la Petite-Pierre. » A quelle entreprise va-t-il s’attacher? « Je vous advoue que cela ne m’embarrasse pas peu[53]. » Cette période d’incertitude fut de courte durée. « On a entendu aujourd’huy le canon des ennemis, qui tirent sur Saverne, écrit M. le Prince le 11 septembre[54], et depuis deux jours les troupes de Lorraine remontent la Sarre, » marchant sur Saarbrück. Le plan des ennemis se dessine. Le vieux Charles IV, qui semble avoir retrouvé l’audace et le bonheur de ses jeunes années, veut faire sa jonction avec Montecuccoli, qui lui ouvre le chemin en attaquant Saverne ; tous deux ensemble essaieront de conquérir l’Alsace.

M. le Prince est sur ses gardes, et, dans la mesure du possible, il parera les coups. Il ne peut compter que sur les ressources qu’il a sous la main. Louvois lui a bien écrit d’annoncer partout que de Flandre dix bataillons et soixante escadrons marchent au secours de l’Alsace[55]; la ruse est grossière; personne n’y peut croire. Une chose est certaine : les troupes que Chazeron devait amener sont encore une fois retenues par Rochefort. Tant qu’il ne sera pas renforcé, Condé ne quittera pas Châtenois, ne voulant pas se laisser prendre au piège dans lequel tomba Turenne en 1673, quand le maréchal courut défendre l’Alsace contre Montecuccoli, qui faisait tranquillement sa jonction à Bonn avec le prince d’Orange ; il ne s’exposera pas à faire promener dans le vide sa précieuse infanterie et ne la mettra pas en plaine sans artillerie. Or, quelque soin qu’il donne à son parc pour le compléter en bouches à feu et munitions de tout genre[56], il n’a plus un attelage pour traîner ses pièces et ses caissons ; les derniers ont disparu. Tout ce qu’on a pu rassembler de montures ou de fourrages a été consacré à remettre sur pied une partie de la cavalerie. Quatre à cinq mille chevau-légers divisés en partis qu’un service d’estafettes bien organisé relie avec le quartier général, tiennent la campagne depuis le Rhin jusqu’aux montagnes, enlevant les convois, arrêtant les bateaux, détruisant les fourrages, surveillant, resserrant les ennemis, les fatiguant d’alertes continuelles. D’autres détachemens, sortis de Haguenau, de Saverne, de Philisbourg même sur la rive droite du grand fleuve, concertant leurs mouvemens, complètent cette espèce de blocus de l’armée impériale, lui coupent les vivres, interceptent ses communications avec Strasbourg, avec le Rhin, avec l’Allemagne.

La vigilance de M. le Prince s’étendait jusqu’au revers occidental des Vosges. Déjà Ricous est à Phalsbourg[57], envoyant des nouvelles, stimulant l’activité de la garnison importante que, dès le mois d’août, la même pensée prévoyante avait envoyée dans cette place. Un peu plus tard, deux brigades de cavalerie sont poussées jusqu’à Baudonvillers. Des partis ennemis qui essayaient de passer de Lorraine en Alsace furent battus, les passages fermés de ce côté, les communications assurées avec le maréchal de Rochefort pour empêcher toute tentative de (jonction à travers les Vosges entre les vainqueurs de Trêves et les Impériaux postés en Basse-Alsace.

Mais, dès le 14, le siège de Saverne était levé[58]. Est-ce bien un siège que Montecuccoli voulait entreprendre ? Il ne fit aucun travail régulier d’approche, se bornant à investir la place et à la couvrir de projectiles pendant deux jours. Condé n’eut-il pas raison d’éventer un piège ? À quoi bon cette bruyante tentative, si ce n’est pour attirer le général français vers le nord et lui faire abandonner la protection de la Haute-Alsace ? Le gouverneur, du Fougerais, avait supporté sans sourciller cette canonnade furieuse ; on ne pouvait douter de sa résolution de défendre la place à outrance. L’attitude énergique de ce brave homme[59] suffit-elle à faire reculer Montecuccoli ? ou bien le feld-maréchal fut-il déconcerté par l’ensemble des mesures que M. le Prince avait ébauchées et dont nous avons rapidement tracé l’esquisse ? Ce n’était pas impossible. Toutefois, ni à Versailles, ni à Châtenois, on ne s’expliquait bien les mouvemens de Montecuccoli. Pourquoi canonner Saverne et se retirer presque aussitôt dans la direction de Wissembourg? Toutes les raisons que nous venons d’indiquer pouvaient avoir eu part à sa résolution ; mais il s’en présentait d’autres et plus péremptoires : d’abord, l’inquiétude causée par les dispositions de l’électeur Palatin : il importait que l’armée se rapprochât de lui pour le maintenir dans le parti de l’Empire; enfin et surtout la grave maladie de M. de Lorraine, bientôt suivie de sa mort (17 septembre). Cette fin délivrait la France d’un de ses plus redoutables ennemis, fauteur infatigable de coalitions, d’entreprises perfides ou téméraires. Nous l’avons rencontré bien souvent, depuis le jour où, trente-deux ans plus tôt, il surprenait Rantzau à Tüttlingen, jusqu’à celui tout récent où il battait Créqui à Consaarbrück, chant du cygne de ce héros incomplet, alternativement grand ou grotesque[60]. L’opération dont il était l’âme s’arrête avec sa vie ; bientôt son armée se sépare ; les divers souverains rappellent leurs troupes au delà du Rhin ; elles reparaîtront l’année suivante.

L’horizon s’éclaircit devant M. le Prince; la période de grande anxiété tire à sa fin. L’ennemi s’éloigne, et tous les secours avancent ou approchent : « Si vous estes attaqué, écrit Condé à Mathieu[61], je suis plus en estat de vous secourir qu’il y a un mois, m’estant arrivé de la cavalerie et devant m’en arriver encore plus dans un jour ou deux avec beaucoup d’infanterie. » Mais on ne vit plus d’attaque ni contre Haguenau, ni contre Saverne, ni contre aucune autre place ; il n’y eut que des feintes dont à peine on tint compte. Pendant six semaines, Montecuccoli se maintint dans la même région, traversant ou retraversant la fauter, passant dans le Palatinat, revenant en Basse-Alsace, et recommençant plusieurs fois ce manège. S’il pousse jusqu’à Kandell[62], et plus loin encore vers le nord dans la direction de Spire, ce n’est pas seulement pour faire vivre sa cavalerie, mais pour surveiller l’électeur et surtout contrôler les mouvemens de la garnison de Philisbourg. Nous avons là un gouverneur, du Fay, dont l’activité inquiète les Impériaux; car le feld-maréchal a des arrière-pensées sur la forteresse. Parfois il s’en approche si près qu’on lui prête quelques velléités d’attaque. « Ils font mine d’y vouloir aller, écrit M. le Prince[63]; j’ay peine à le croire; c’est un trop gros morceau, » — pour cette année du moins ; mais tout révèle leurs intentions, leurs préparatifs pour la campagne prochaine.

C’était une sorte de tendresse paternelle qui attachait Condé à la place de Philisbourg, glorieuse conquête de ses jeunes années, et qui, depuis le jour où il en avait forcé les remparts trente-deux ans plus tôt, n’a pas cessé d’appartenir à la France. Et il apporte le soin le plus assidu à munir, à conseiller le gouverneur du Fay, qu’il connaît depuis longtemps et qui mérite toute sa confiance. Il éclaire le ministre sur le vrai dessein des ennemis, indique les moyens de sauver Philisbourg. Il n’est pas écouté. La campagne prochaine ne donnera que trop raison à sa perspicacité[64].

Quand l’armée impériale reste ou revient près de Wissembourg, c’est que Montecuccoli a repris ses vues sur le pont de Kehl, s’occupe d’en rétablir un autre non loin de Strasbourg afin de pouvoir sortir facilement d’Alsace et y rentrer non moins facilement. Il cherche à donner le change à son adversaire, sans y réussir, simule des tentatives qui ne trompent personne. Condé lui fait échec partout, le tient sous la menace d’une attaque immédiate si les Impériaux font mine de s’approcher d’une de nos places, de revenir sur Strasbourg ou de se glisser en Haute-Alsace. Admirablement secondé par ses brigadiers de cavalerie et par les gouverneurs de Haguenau et de Saverne, il continue d’affamer l’ennemi, de lui disputer les bateaux, les convois, l’empêche de se saisir de points favorables pour établir ses ponts, tels que l’île de Drusenheim, en face de Stollhofen, lui donne enfin le souci constant de se voir coupé du fleuve. Mais Condé ne songe pas à fermer le passage à son adversaire; il veut seulement le contraindre à chercher ce passage loin de Strasbourg, à traverser le Rhin pour ne plus revenir, et, le poussant toujours, il finira par le forcer à faire descendre ses bateaux jusqu’à l’extrême limite de l’Alsace, presque en dehors, à l’embouchure de la fauter.


VII. — L’ALSACE ET STRASBOURG. — MONTECUCCOLI REPASSE LE RHIN.

Bien assuré maintenant du résultat final et obligé de l’attendre avec patience, tout en multipliant ses mesures pour en hâter l’accomplissement, M. le Prince profite de l’immobilité que les circonstances lui imposent pour appliquer l’activité de son esprit à l’étude des questions qui intéressent l’avenir de son armée, l’avenir de l’Alsace. Il fallait organiser ce grand et beau pays, en compléter l’occupation, le protéger contre l’invasion, le sauver du démembrement. M. le Prince avait rédigé, écrit de sa main un long « Mémoire sur le païs d’Alsace »[65], véritable traité politique et militaire, remarquable par la netteté des vues, la sûreté du jugement, l’étendue de la prévoyance. Rien n’y manquait, description topographique minutieuse[66], tableau des partis, les personnes, les places, le détail des mesures à prendre. Voici quel était le début : « Une des choses qui m’a paru plus essentielle en ce païs icy, c’est qu’il n’y a aucune espèce de gouvernement et quasy aucune autorité establie. » C’était une situation ancienne qui se prolongeait et à laquelle il semblait utile de remédier ; elle avait cependant facilité notre établissement.

Avec la Germanie ou même l’Allemagne, l’Alsace n’avait de commun que la langue ; c’est du Saint-Empire Romain qu’elle faisait partie, comme jadis les Flandres, la Bourgogne, et plus anciennement encore l’Italie, même la France[67]. Ce n’était pas un État ; c’était un cercle, où l’on rencontrait des seigneurs ecclésiastiques et laïques, catholiques ou luthériens, abbés, évêques, villes libres, comtes ou barons, baillis administrant les fiefs des Habsbourg de Vienne ou de Madrid, de divers électeurs ou princes, tous réunis par un faible et flexible lien sous l’autorité nominale de César, souverain éloigné, le plus souvent insouciant, débonnaire, avec des velléités de tyrannie, de rapine et de persécution. L’Alsace avait tenté plus d’un ambitieux, et elle en avait pâti, assez mal protégée et souvent livrée par l’Empire.

Rien de durable ne peut y être fondé si l’on ne s’assure de Strasbourg. « Cette ville, située quasy dans le milieu, est actuellement très mal affectionnée pour le service du Roy. » Les pamphlétaires de profession, ceux qui soufflent partout la haine de la France, s’y donnent rendez-vous. « Elle fournit aux ennemis en abondance toutes les choses dont ils ont besoin, et son pont quand ils veulent. Elle sépare les estats de Sa Majesté, et, quand on est le plus faible, elle nécessite d’abandonner la haute ou la basse Alsace, n’y ayant aucun poste à prendre d’où l’on puisse les conserver toutes deux[68]. » C’est ce que démontrait l’expérience de cette campagne et des campagnes précédentes; c’est ce que confirmera un avenir prochain. Aujourd’hui M. le Prince est d’avis d’employer les bons procédés, tout en se montrant redoutable et parfois menaçant. Nous avons vu comme la conduite des opérations fut conforme à cette double tendance. Il ne négligeait pas une occasion de montrer des égards. Un parti de Haguenau avait pris huit chariots dont l’origine semblait douteuse : « Qu’on ne touche à rien, écrivit M. le Prince à Mathieu[69], et si les chariots appartiennent à Messieurs de Strasbourg, qu’on les renvoie sans attendre d’autres ordres. » Louvois ayant recommandé une entreprise pour se saisir du fameux pont qui aboutissait à Kehl[70], M. le Prince repoussa cette idée : « L’entreprise est périlleuse tant que l’ennemi est de ce côté du Rhin. Si on réussit à brûler le pont, on ne pourra se maintenir dans le fort, et l’on fera prononcer Strasbourg. Le magistrat est impérialiste, mais il a toujours refusé de recevoir une garnison de l’Empire ; il saisira ce prétexte pour l’appeler[71]. » En même temps, Condé entamait une négociation pour obtenir de Messieurs de Strasbourg la rupture volontaire de leur pont[72] ; et encore au moment de son départ, il insistait sur l’urgence d’achever le traité et d’envoyer l’argent pour assurer l’exécution du marché[73] . Toutefois il reconnaissait que tôt ou tard, et mieux tôt que tard, il faudrait en finir : « Si le Roy veut faire un effort en ce païs, rien n’est si important que d’attaquer Strasbourg de bonne heure. La garnison est foible et meschante, n’y ayant pas plus de 1 500 hommes pour la ville et la redoute qui est en deçà du Rhin... Cette conqueste seule peut asseurer l’Alsace et l’empescher de tomber à la longue si les ennemis demeurent maistres de la campagne[74]. »

En attendant qu’on pût s’assurer de cette grande ville par l’alliance ou par la conquête, M. le Prince insistait pour la fortification de Schelestadt, dont l’occupation solide « donnerait, à défaut de Strasbourg, une teste pour conserver la haute Alsace ». Il y revint plusieurs fois, demandant qu’on créât « un grand poste avec solide réduit et magasins considérables », envoyant des notes, des projets complets, avec croquis et profils de sa main. Les ordres finirent par être expédiés et les fonds faits. Les événemens ultérieurs donnèrent raison à la sagacité de Condé.

Ce n’est pas sans peine qu’il avait pu faire prévaloir ses idées sur ce point essentiel et sur d’autres moins importans. Il avait beau les développer longuement dans ses dépêches, faire la leçon à Gourville, son plénipotentiaire officieux à Versailles, — toute l’adresse de ce roué, son habileté à s’emparer de l’oreille de Louvois n’arrivaient pas toujours à prévaloir sur les préventions ou plutôt sur les arrière-pensées du ministre. La sincérité des exposés l’offusque ; il n’aime pas à recevoir les renseignemens qui ne répondent pas à ses désirs ou qui ne s’accordent pas avec ses projets. Pour apprécier la force des ennemis et celle de l’armée du Roi, Louvois n’accepte jamais les évaluations de Condé[75] (il faut reconnaître que telle a été aussi la pratique de Napoléon envers ses lieutenans). Si Condé, après avoir vu marcher ses troupes, envoyait le nombre des combattans, estimé et fixé par son coup d’œil infaillible, Louvois lui opposait les états de revue, feignant d’ignorer que les chiffres relevés dans les colonnes d’un état de situation, même honnêtement dressé pour le service delà solde, donnent toujours une idée plus ou moins exagérée du nombre des présens sur le terrain. Condé fait-il parvenir à Louvois le chiffre des escadrons et bataillons ennemis qu’il a compté lui-même rangés en face de lui, ou bien qu’il a estimé en relevant les traces des feux dans un bivouac abandonné[76], le ministre lui oppose les chiffres fournis par ses agens, par Isaac et les autres espions. Sous les formules de respect prodiguées à l’Altesse Sérénissime, on retrouvait une certaine impatience, un ton cassant, un manque de déférence pour des jugemens si autorisés.

Louvois ne se contente pas d’administrer et de donner pour la guerre des instructions d’ensemble ; il entend régler, diriger les opérations dans le détail, et parfois il semble gourmander la lenteur et l’indécision de Condé. Un exemple : apprend-il que Montecuccoli commence le siège de Saverne, aussitôt il envoie à M. le Prince l’ordre de secourir la place, laissant percer sa surprise qu’il n’y fût pas encore pourvu. Il tombait mal ; au moment même où il prenait la plume[77], le siège était levé. Cependant la dépêche avait ému M. le Prince. On voit dans la réponse[78] qu’il a peine à se contenir : « ...Aussy bien je ne puis marcher que les troupes (envoyées de Lorraine) ne soient arrivées sans tout risquer mal à propos. Je vous ay mandé au vray l’estat de l’armée; comptés sur ce que je vous ay mandé; tout ce que vous en croirés de plus est une pure illusion... Si j’avois cru pouvoir m’avancer sans ruiner l’armée et hasarder trop manifestement les affaires du Roy, je n’aurois pas pris avec bien du plaisir le party de demeurer; mais les ennemis, en levant le siège de Saverne, m’ont osté ce chagrin-là. »

Au milieu de tant de soucis et de travaux, ces rapports de ministre à général sont pour Condé une source de déboires. Jadis il eût rompu avec éclat, brisé tous les liens. Aujourd’hui rien ne le fait dévier de la voie qu’il s’est tracée. La confiance que le Roi lui témoigne pour les affaires de la guerre ne lui fait pas illusion; il sait que le moindre incident pourrait faire revivre les souvenirs du passé. La lutte, comment l’engager, aujourd’hui que Turenne n’est plus là[79] pour faire diversion, soutenir ou même commencer l’attaque? Seul aux prises avec le ministre, Condé se perdrait sans retour, ruinant du même coup l’avenir qu’il rêve pour son fils. Il n’abandonne pas ses idées, riposte parfois aux gourmades, mais il obéit toujours et dévore les affronts. En voici un qu’il ressentit plus vivement qu’aucun autre. Au commencement de l’année, Louvois avait prescrit de casser les capitaines dont les compagnies avaient été trouvées faibles ou qui ne s’étaient pas conformés à certaines prescriptions des nouveaux règlemens. Ne voulant pas congédier de bons officiers de guerre pour quelques peccadilles administratives et troubler en pleine campagne l’harmonie de son infanterie, Turenne se dispensa de faire cette exécution ; il était trop bien en cour pour que Louvois osât insister. Mais lorsque M. le Prince prit le commandement, les mêmes ordres lui furent expédiés. Il défendit ses officiers contre des sévérités qu’il jugeait excessives[80], et « deux fois il a escrit pour que l’on voulust bien changer de résolution ; on luy a envoyé un ordre très sec de tout casser, de sorte que toute une armée voit que, se tuant pour servir de son mieux, il n’est pourtant pas en estat de rien obtenir pour le moindre de ses officiers[81]. » « Cependant la santé de M. le Prince diminue tous les jours, ce n’est plus que son esprit qui soutient son corps[82]. » La campagne tirait à sa fin. Le moment d’entrer en quartiers d’hiver approchait. M. le Prince était autorisé à remettre provisoirement ses pouvoirs à son fils ; c’était vague ; Condé espérait mieux. Il demande des ordres plus précis, et Louvois lui répond avec une sorte de naïveté ironique : « Je ne vous ay point mandé qui commanderoit en Alsace, parce que je n’ay pas cru que Vostre Altesse ignorast que Sa Majesté en avoit donné le commandement à M. de Lorges aussytost qu’Elle avoit sceu la mort de M. de Vaubrun[83]. » Or, M. de Lorges était malade et son nom n’était pas sérieusement prononcé. Condé feint de ne pas comprendre et persiste à se montrer préoccupé de savoir qui « restera l’hiver en Alsace ». Le Roi finit par désigner MM. de Montclar et de La Motte pour commander le quartier d’hiver[84]. Ce n’est pas sans amertume que Condé vit s’évanouir une espérance si longtemps nourrie ; avoir son fils pour successeur, c’eût été le couronnement de sa carrière, la plus belle récompense de ses derniers services.

Constamment resserré, entravé par les chevau-légers français qui lui coupaient toute communication avec Strasbourg, soit par eau, soit par terre, le feld-maréchal avait mis près d’un mois à rassembler ses bateaux, à construire son pont, à fortifier sa tête de pont de Lauterbourg, à y faire entrer assez de vivres et de munitions pour assurer l’existence d’une petite garnison vouée à un sévère blocus.

Le 1er novembre, Condé savait que les troupes de l’Empereur étaient en train de traverser le Rhin, et, le 8, qu’elles avaient achevé de passer le fleuve. Le 11, les mouvemens de l’armée d’Alsace pour l’entrée en quartiers d’hiver étaient commencés.


« Empêcher Montecuccoli de rien entreprendre, l’obliger à repasser le Rhin et à chercher des quartiers d’hiver en Allemagne », tel était le but précis que Louvois indiquait à M. le Prince dans ses instructions du 25 août[85], en lui promettant des renforts pour l’exécution. Les renforts ne vinrent pas, du moins en temps utile ; mais le but fut atteint, et le plan que le Roi avait tracé, exécuté de point en point.

Par ses mouvemens des premiers jours, par son attitude et la direction donnée à ses partis, par sa vigilance et l’ensemble de ses mesures, secondé par l’énergie des gouverneurs de Haguenau et de Saverne, Condé a fait avorter les entreprises de Montecuccoli contre ces deux places, lui a fermé l’entrée de la Haute-Alsace, et finit par l’obliger à ramener bien loin par delà le Rhin ses troupes épuisées.

Et cependant il a conservé au Roi cette admirable armée du Rhin, — l’armée de Turenne, — qui lui avait été remise malmenée, dépourvue, avec des bataillons faibles, des escadrons démontés, des pièces sans attelages, et que ses successeurs vont trouver rétablie, reposée, recomplétée en hommes, en chevaux, en bouches à feu.

La campagne de 1675 est terminée, campagne surprenante entre toutes, où l’allure de trois capitaines, arrivés au bout de leur carrière, — les plus grands peut-être parmi les modernes qui n’ont pas exercé le pouvoir souverain, — présente d’étranges contrastes avec les habitudes de toute leur vie ; où l’on voit le stratégiste le plus profond du siècle, passé maître en stratagèmes et ruses de guerre, d’abord aux prises avec le grave Turenne, qui, par l’audace, les coups inattendus, jette le trouble et la confusion dans le jeu de son adversaire, — puis fait échec et mat par la prudence, la justesse de calcul, la sagacité de Condé, sans que le fougueux général aux grandes hécatombes ait sacrifié la vie d’un de ses soldats.

Déjà Turenne repose à Saint-Denis dans son lit de marbre. Déjà Montecuccoli est rentré à Vienne et s’enferme dans la retraite, « ne voulant pas risquer contre la fortune éphémère d’un inconnu la gloire acquise en tenant tête au vizir Kuprugli, à M. le Prince, à Turenne ».

Et lorsque le dernier soldat de l’Empire eut quitté le sol de l’Alsace, — le sol de la France, — Condé remit au fourreau son épée, qui ne devait plus en sortir.


H. d’ORLEANS.

  1. Extrait du tome VII de l’Histoire des princes de Condé.
  2. Au nord, la bataille de Seneffe, le secours d’Audenarde et la retraite des alliés; à l’est, les victoires de Sintzheim, d’Ensheim. Enfin la glorieuse journée de Turckheim (5 janvier 1675) venait de couronner la plus audacieuse, la plus savante, la plus heureuse des campagnes de Turenne.
  3. A. C. (Archives de Condé).
  4. Nous ne comptons pas les brigadiers, majors de brigade, aides de camp, etc., un très gros état-major.
  5. Aux ordres du lieutenant-commandant Claude Barbier, sieur du Metz. L’attelage des pièces de 12, de 8 et de 4, se composait de 1 044 chevaux, sans compter les charrettes, l’équipage de siège et de pont, etc.
  6. Louvois à M. le Prince, 14 juin 1675. A. C.
  7. Dépêches des 14, 16 juin, 7 h., 10 h. du soir, 19 juin, etc. A. C.
  8. D’Estrades à M. le Duc, 16 juin 1675. A. C.
  9. M. le Prince à l’évêque d’Autun, 20 juin 1675, A. C.
  10. Le Roi à M. le Duc, 21 juin. — Le comte de Nassau à M. le Duc ; M. le Duc à Louvois, 22 juin. A. C.
  11. Ordre de bataille du 20 juillet; état du 17. A. C.
  12. Ancien gardien de pourceaux des environs de Paderborn, Sporck était, en 1644, colonel dans l’armée de Mercy; s’étant associé alors à la trahison de Jean de Wirth (voir t. IV, p. 440), il devint un des généraux de l’Empereur. Au mois de juin 1675, il fut renvoyé chez lui ; « la vieillesse lui avait abattu l’esprit et le courage ». — Le prince Charles de Lorraine, neveu du duc Charles IV, auquel il succédera, sans lui ressembler, tout en restant comme lui un souverain sans terres : habile général, esprit élevé et beau caractère. « C’est le plus grand, le plus sage, le plus généreux de mes ennemis, » disait de lui Louis XIV. Il avait vaillamment combattu à Seneffe à côté de son cousin, Vaudemont.
  13. Caprara à Offembourg.
  14. Turenne à Louvois ; camp de Gamshiirst, 23 juillet 1675.
  15. Valigny, simple cavalier, étant à la petite guerre avec deux cents de ses camarades armés de mousquetons, se met à leur tête, se retranche dans une vaste maison et défend le gué de la Holchenbach contre un ennemi dix fois plus nombreux, jusqu’à ce que le comte de Lorges vienne le dégager (29 juin). Il reçut le lendemain une commission de lieutenant. (Lettres de Turenne.)
  16. Turenne à Louvois ; camp de Gamshurst, 25 juillet 1675.
  17. Turenne à Louvois; camp de Gamshurt, 25 juillet 1675.
  18. Ibidem.
  19. 1864.
  20. Cette parole un peu outrecuidante et théâtrale ne semble pas dans la manière ordinaire de Turenne ; cependant on la retrouve dans presque tous les récits contemporains.
  21. Lettres de Sévigné.
  22. Nous reproduisons une version accréditée par tous les contemporains.
  23. Vaubrun n’était lieutenant général que du 13 février 1674 ; Lorges avait obtenu son grade le 15avril 1672 et devint maréchal de France le 21 février 1676.
  24. La jument favorite de Turenne.
  25. L’infanterie était divisée en brigades, chacune portant le nom du plus ancien régiment. Voici quelle était la composition de la brigade de Champagne : Champagne, 2 bataillons; Turenne, 1 bataillon: Orléans, 1 bataillon; La Ferté, 1 bataillon; Languedoc, 1 bataillon. En tout 6 bataillons.
  26. Que le lecteur veuille bien se rappeler combien on était loin alors du tir rapide. Cependant les formations s’allongeaient. A Rocroy, l’infanterie se présentait en carrés pleins de bataillons en masse. Dans la journée d’Altenheim, les bataillons étaient réellement déployés sur quatre rangs.
  27. Officiers de troupe. — Certains régimens d’infanterie firent une résistance héroïque. Sur seize capitaines du régiment de La Ferté, quinze furent tués dans leurs créneaux, sans que le régiment reculât.
  28. 6 kilom. sud-est d’Ath.
  29. M. le Prince à Louvois; camp de Brugelette, 1er août 1675. A. C. (minute autographe).
  30. MM, de Navailles, d’Estrades, de Schomberg, de Duras, de Vivonne, de La Feuillade, de Luxembourg et de Rochefort. — Cette grande promotion était accompagnée d’une mesure importante : pour empêcher le renouvellement du débat scandaleux qui avait indigné l’armée à Sasbach, le Roi modifiait le système du roulement et décidait qu’à grade égal le plus ancien prendrait le commandement. (Louvois à M. le Prince, 30 juillet 1675. A. C.)
  31. Tournay, 2 août, A-C. (minute).
  32. Louvois à M. le Prince, 4 août. A. C.
  33. 31 juillet. Le Roi à MM. de Lorges et de Vaubrun. A. C. (copie).
  34. Louvois à l’intendant Charuel, Louis XIV au duc de Duras, 29 juillet. A. C. (duplicata).
  35. M. le Prince à M. le Duc; Péronne, 5 août, A, C.
  36. Le corps d’observation commandé par le maréchal de Créqui était surtout fort en cavalerie : 20 escadrons et 6 bataillons, environ 9 000 hommes. (État du mois de mai 1675. A. C.)
  37. M. le Prince à Louvois ; Nancy, 16 août. A. C. (minute autographe).
  38. 13 août. A. C.
  39. On disait que la maréchale surtout était en faveur. — M. le Prince à Louvois; le Roi et Louvois à M. le Prince; 15, 16 août. A. C.
  40. De Nancy, 16 août. C. P. (Collections particulières).
  41. Octobre 1643.
  42. André Mathieu de Castelar, originaire du Comtat-Venaissin, né en 1618, enseigne au régiment de la Marine en 1638, capitaine à Rocroy, l’était encore dix-neuf ans plus tard, en 1662, lorsqu’il fut nommé lieutenant-colonel. Il avait pris part à toutes les actions de guerre où s’illustra ce brillant régiment ; sa conduite à Seneffe fut remarquée par M. le Prince, comme elle l’avait été en mainte occasion par Turenne, qui lui confia, en 1675, le périlleux et difficile commandement de Haguenau, où il fit fort bien. Gouverneur de Fribourg en 1677, puis de Casal, maréchal de camp en 1684, Mathieu mourut gouverneur de Longwy. Les lettres qui lui furent adressées par Turenne et Condé, conservées dans les archives du baron de Meyronet-Saint-Marc, nous ont été communiquées par le marquis de Saporta.
  43. Gourville à M. le Prince, 16 octobre. A. C. — Chevaleresque, aventureux, bizarre, souvent blessé, bien vu des dames, François d’Aubusson, comte, puis duc de La Feuillade, faisait remonter son origine au IXe siècle. « Pourvu que La Feuillade m’accorde d’être aussi bon gentilhomme que lui, disait Louis XIV, c’est tout ce que je lui demande. » Sa vanité ne l’empêchait pas de donner à son dévouement les formes de la servilité orientale et de pousser l’attachement au Roi jusqu’à l’adoration. On connaît ses démonstrations de la place des Victoires; nous avons raconté ailleurs (t. V, p. 149) ses démêlés avec Saint-Aunais. — Né en 1625, mort en 1691, — Son père avait été tué à Castelnaudary, tenant le parti du duc d’Orléans. Son fils devint, comme lui, maréchal de France, et son frère, l’archevêque d’Embrun, fut ambassadeur à Madrid.
  44. Duras venait de recevoir le bâton de maréchal ; mais il continuait de « rouler » pour le service avec son frère de Lorges. Tous deux avaient jadis suivi Condé aux Pays-Bas. (Voir t. VI, p. 336.)
  45. M. le Prince à Louvois, 20 août. A. C. (minute). — Un « estat au vray », dressé par M. le Duc le 18 août, à son arrivée, donnait : Infanterie, «sans valets ny destachés hors du camp », 8 637 hommes; « cavaliers en estat de servir », 7 793; cavaliers à pied, 663, total, 17 095 hommes. Ce chiffre se rapproche de l’évaluation de M. le Prince qui, ayant vu l’armée en route, déclara qu’elle ne dépassait pas 16 000 hommes, en y comprenant, il est vrai, deux très beaux régimens de dragons qui ne figurent pas dans l’évaluation de M. le Duc. — L’infanterie était répartie en quatre brigades (une de 6, une de 5, deux de 4 bataillons), chaque brigade portant le nom du plus ancien régiment de la brigade, Champagne, la Marine, Rambure, Auvergne; 19 bataillons embrigadés, plus 2 à la réserve = 21. — 67 escadrons de cavalerie, et deux régimens de dragons. — Environ 120 chevaux par escadron et 400 hommes par bataillon. — Au printemps on comptait 162 escadrons dans l’armée de Turenne.
  46. M. le Prince à Louvois, 28 août. A. C. (minute).
  47. Ibidem.
  48. M. le Prince à Louvois, 20 août. A. C. (minute autographe).
  49. M. le Prince à Louvois, 28 août. A. C. (minute).
  50. Le même au même, 20 août. A. C. (minute).
  51. M, le Prince à Louvois, 1er septembre. A. C. (minute).
  52. Le 12 août, Créqui avait reparu dans Trêves. Au bout de peu de jours, les pertes infligées à l’assaillant étaient telles que le maréchal crut devoir annoncer qu’il sauverait la place. Cependant l’ennemi était parvenu à faire brèche au corps de place, Créqui était là, soutenant une lutte suprême. Tout à coup, un capitaine de Navarre. Boisjourdan, l’interpelle vivement au nom de ses camarades sacrifiés, disait-il, et va jusqu’à mettre l’épée à la main. L’assistance était muette et sympathique. Boisjourdan échappe aux gardes qui veulent le saisir, se glisse le long du rempart, va trouver les alliés, signe une capitulation (6 septembre). Les portes s’ouvrent devant lui; l’ennemi entre dans la place. Créqui s’enferme dans une église avec quelques hommes d’honneur; il est cerné, fait prisonnier de guerre. — Le châtiment de ce crime abominable fut incomplet : Boisjourdan décapité, deux officiers dégradés, quelques malheureux soldats pendus. Le Roi s’indigna avec raison; il aurait voulu que non seulement les traîtres et leurs complices, mais les chefs de corps et de compagnie qui n’avaient pas su maintenir leurs soldats dans le devoir fussent sévèrement punis.
  53. M. le Prince à Louvois, 6, 9, 12 septembre. A. C. (minutes).
  54. A Louvois. A. C. (minute).
  55. Louvois à M. le Prince, 14 septembre. A. C.
  56. États du 16 septembre, etc. A. C.
  57. M. le Prince à Ricous, 1er septembre. A. C.
  58. M. le Prince à Louvois, 15 septembre. A. C. (minute).
  59. « Du Fougerais a fort bien fait. » M. le Prince demande qu’on lui laisse le commandement de Saverne. (A Louvois, 20 septembre. A. C. minute.)
  60. Charles IV laissait le titre de duc de Lorraine à son neveu Charles V, dont nous avons parlé plus haut. Ce fut le fils de Charles V qui rentra en possession du duché de Lorraine en 1697.
  61. 29 septembre. C. P.
  62. Langen-Kandell, dans le Palatinat cis-rhénan, à mi-chemin entre Landau et Lauterbourg.
  63. A Louvois, 17, 18 septembre. A. C. (minutes).
  64. Philisbourg fut pris l’année suivante (8 septembre 1676), par la faute de Luxembourg, a-t-on dit et redit. C’est le plus malheureux épisode de la carrière du Tapissier de Notre-Dame. — Du Fay ne rendit la place que sur l’ordre exprès du Roi et obtint la capitulation la plus honorable.
  65. Minute autographe et copie plus développée sous ce titre : « Lettre de moy à M. de Louvois à la fin de la campagne 1675. » A. C.
  66. Notons ce passage : « Cette grande quantité de ruisseaux et de rivières qui arrosent les deux Alsaces rend le païs extrêmement coupé et plein de postes avantageux ; pour peu qu’il pleuve, les plus petits deviennent d’une grosseur si inégale, qu’il est presque impossible quelquefois de les passer sans pont. »
  67. Dans une peinture du Xe siècle (Chantilly), l’empereur Othon le Grand, continuateur des Césars de Rome, des empereurs de Byzance, de Charlemagne, est représenté sur son trône, entouré des quatre nations souveraines, mais vassales de l’Empereur : Germania (Allemagne du Nord), Francia, Alamania (Allemagne du Sud, Souabe, etc.), Italia.
  68. Mémoire visé plus haut.
  69. 20 septembre.
  70. Louvois à, M. le Prince; 22 septembre. A. C.
  71. M. le Duc à Gourville, 29 septembre. A. C.
  72. M. le Prince à Louvois, 26 octobre. A. C. (minute).
  73. Le même au même, 12 novembre. A. C. (minute).
  74. Il avait même envoyé un projet détaillé : « Mémoire sur le siège de Strasbourg », fin 1675. A. C. (minute autographe).
  75. Louvois à M. le Prince, 25 août 1675, et passim (A. C).
  76. Holtzheim, 22-23 août.
  77. Louvois à M. le Prince, 14 septembre. A. C.
  78. M. le Prince à Louvois, 18 septembre k minuit. A. C. (minute).
  79. Comme à la fin de 1673.
  80. M. le Prince à Louvois, 3, 6, 13 octobre. A. C. (minutes).
  81. M. le Duc à Gourville, 15 octobre. A. C.
  82. M. le Duc à Gourville, 15 octobre. A. C.
  83. Louvois à M. le Prince, 9 octobre. A. C.
  84. Le Roi à M. le Prince, 17 octobre. A. C.
  85. A. C.