La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/08

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CHAPITRE VIII


PRINCIPES DE LA SÉLECTION SEXUELLE


Caractères sexuels secondaires. — Sélection sexuelle. — Son mode d’action. — Excédent des mâles. — Polygamie. — Le mâle ordinairement seul modifié par la sélection sexuelle. — Ardeur du mâle. — Variabilité du mâle. — Choix exercé par la femelle. — La sélection sexuelle comparée à la sélection naturelle. — Hérédité aux périodes correspondantes de la vie, aux saisons correspondantes de l’année, et limitée par le sexe. — Rapports entre les diverses formes de l’hérédité. — Causes pour lesquelles un des sexes et les jeunes ne sont pas modifiés par la sélection sexuelle. — Supplément sur les nombres proportionnels des mâles et des femelles dans le règne animal. — La proportion du nombre des individus mâles et femelles dans ses rapports avec la sélection naturelle.


Chez les animaux à sexes séparés, les mâles diffèrent nécessairement des femelles par leurs organes de reproduction, qui constituent les caractères sexuels primaires. Mais les sexes diffèrent souvent aussi par ce que Hunter a appelé les caractères sexuels secondaires, qui ne sont pas en rapport direct avec l’acte de la reproduction ; le mâle, par exemple, possède certains organes de sens ou de locomotion, dont la femelle est dépourvue ; ou bien, ils sont beaucoup plus développés chez lui pour lui permettre de la trouver et de l’atteindre ; ou bien encore, le mâle est muni d’organes spéciaux de préhension, à l’aide desquels il peut facilement la maintenir. Ces derniers organes, très diversifiés, se confondent avec d’autres que, dans certains cas, on peut à peine distinguer de ceux qu’on considère ordinairement comme les organes primaires ; tels sont les appendices complexes qui occupent l’extrémité de l’abdomen des insectes mâles. À moins que nous ne restreignions le terme « primaire » aux glandes reproductrices seules, il n’est presque pas possible d’établir une ligne de démarcation entre les organes sexuels primaires et les organes secondaires.

La femelle diffère souvent du mâle en ce qu’elle possède des organes destinés à l’alimentation ou à la protection de ses jeunes, tels que les glandes mammaires des Mammifères, et les poches abdominales des Marsupiaux. Dans quelques cas plus rares, le mâle possède des organes analogues qui font défaut chez la femelle, comme les réceptacles pour les œufs qu’on trouve chez certains poissons mâles, et ceux qui se développent temporairement chez certaines grenouilles mâles. La plupart des abeilles femelles ont un appareil particulier pour récolter et porter le pollen, et leur ovipositeur se transforme en un aiguillon pour la défense des larves et de la communauté. Nous pourrions encore citer de nombreux cas analogues, mais qui ne nous intéressent pas ici. Il existe, toutefois, d’autres différences qui n’ont aucune espèce de rapport avec les organes sexuels primaires, différences qui nous intéressent plus particulièrement, — telles que la plus grande taille, la force, les dispositions belliqueuses du mâle, ses armes offensives ou défensives, sa coloration fastueuse et ses divers ornements, la faculté de chanter, et autres caractères analogues.

Outre les différences sexuelles primaires et secondaires auxquelles nous venons de faire allusion, le mâle et la femelle diffèrent quelquefois par des conformations en rapport avec différentes habitudes d’existence, et n’ayant que des relations indirectes, ou n’en ayant même pas, avec la fonction reproductrice. Ainsi les femelles de certaines mouches (Culicidés et Tabanidés) sucent le sang, tandis que les mâles vivent sur les fleurs et ont la bouche privée de mandibules[1]. Certaines phalènes mâles ainsi que quelques crustacés mâles (Tanais) ont seuls la bouche imparfaite, fermée, et ne peuvent absorber aucune nourriture. Les mâles complémentaires de certains Cirripèdes vivent, comme les plantes épiphytiques, soit sur la femelle, soit sur la forme hermaphrodite, et sont dépourvus de bouche et de membres préhensiles. Dans ces cas, le mâle s’est modifié et a perdu certains organes importants que possèdent les femelles. Dans d’autres cas, la femelle a subi ces modifications ; ainsi, le lampyre femelle est dépourvu d’ailes ; ces organes, d’ailleurs, font si bien défaut à beaucoup de phalènes femelles que quelques-unes ne quittent jamais le cocon. Un grand nombre de crustacés parasites femelles ont perdu leurs pattes natatoires. Chez quelques charançons (Curculionidés) la trompe présente une grande différence en longueur chez le mâle et chez la femelle[2] ; mais nous ne saurions dire quelle est la signification de ces différences et d’autres analogues. Les différences de conformation entre les deux sexes, qui se rapportent à diverses habitudes d’existence, sont ordinairement limitées aux animaux inférieurs ; chez quelques oiseaux, cependant, le bec du mâle diffère de celui de la femelle. Le huia de la Nouvelle-Zélande présente à cet égard une différence extraordinaire ; le docteur Buller[3] affirme que le mâle se sert de son bec puissant pour fouiller le bois mort, afin d’en extraire les insectes, tandis que la femelle fouille les parties les plus molles avec son bec long, élastique et recourbé ; de cette façon le mâle et la femelle s’entr’aident mutuellement. Dans la plupart des cas, les différences de conformation entre les deux sexes se rattachent plus ou moins directement à la propagation de l’espèce ; ainsi, une femelle qui a à nourrir une multitude d’œufs a besoin d’une nourriture plus abondante que le mâle, et, par conséquent, elle doit posséder des moyens spéciaux pour se la procurer. Un animal mâle qui ne vit que quelques heures peut, sans inconvénient, perdre, par défaut d’usage, les organes qui lui servent à se procurer des aliments, tout en conservant dans un état parfait ceux de la locomotion, qui lui servent à atteindre la femelle. Celle-ci, au contraire, peut perdre sans danger les organes qui lui permettent le vol, la natation ou la marche, si elle acquiert graduellement des habitudes qui lui rendent la locomotion inutile.

Nous n’avons toutefois à nous occuper ici que de la sélection sexuelle. Cette sélection dépend de l’avantage que certains individus ont sur d’autres de même sexe et de même espèce, sous le rapport exclusif de la reproduction. Lorsque la conformation diffère chez les deux sexes par suite d’habitudes différentes, comme dans les cas mentionnés ci-dessus, il faut évidemment attribuer les modifications subies à la sélection naturelle, et aussi à l’hérédité limitée à un seul et même sexe. Il en est de même pour les organes sexuels primaires, ainsi que pour ceux destinés à l’alimentation et à la protection des jeunes ; car les individus capables de mieux engendrer et de mieux protéger leurs descendants doivent en laisser, cæteris paribus, un plus grand nombre qui héritent de leur supériorité, tandis que ceux qui les engendrent ou les nourrissent dans de mauvaises conditions n’en laissent qu’un petit nombre pour hériter de leur faiblesse. Le mâle cherche ordinairement la femelle, les organes des sens et de la locomotion lui sont donc indispensables ; mais, si ces organes lui sont indispensables, ce qui est généralement le cas, pour accomplir d’autres actes de l’existence, ils doivent leur développement à l’action de la sélection naturelle. Lorsque le mâle a joint la femelle, il lui faut quelquefois des organes préhensiles pour la retenir ; ainsi, le docteur Wallace m’apprend que certaines phalènes mâles ne peuvent pas s’unir avec les femelles, si leurs tarses ou pattes sont brisés. Beaucoup de crustacés océaniques mâles ont les pattes et les antennes extraordinairement modifiées pour pouvoir saisir la femelle ; d’où nous pouvons conclure que, ces animaux étant exposés à être ballottés par les vagues de la pleine mer, les organes en question leur sont absolument nécessaires, pour qu’ils puissent propager leur espèce ; dans ce cas, le développement de ces organes n’a été que le résultat de la sélection ordinaire ou sélection naturelle. Quelques animaux placés très bas sur l’échelle se sont modifiés dans le même but ; ainsi, certains vers parasites mâles, qui ont atteint leur développement complet, ont la surface inférieure de l’extrémité du corps transformée en une sorte de râpe ; ils enroulent cette extrémité autour de la femelle et la maintiennent ainsi très fortement[4].

Lorsque les deux sexes ont exactement les mêmes habitudes d’existence, et que le mâle a les organes des sens et de la locomotion plus développés qu’ils ne le sont chez la femelle, il se peut que ces sens perfectionnés lui soient indispensables pour trouver la femelle. Mais, dans la grande majorité des cas, ces organes perfectionnés ne servent qu’à procurer à un mâle une certaine supériorité sur les autres mâles, car les moins privilégiés, si le temps leur en était laissé, réussiraient tous à s’apparier avec des femelles sous tous les autres rapports, à en juger d’après la structure des femelles, ces organes seraient également bien adaptés aux habitudes ordinaires de l’existence. La sélection sexuelle a dû évidemment intervenir pour produire les organes auxquels nous faisons allusion, car les mâles ont acquis la conformation qu’ils ont aujourd’hui, non pas parce qu’elle les met à même de remporter la victoire dans la lutte pour l’existence, mais parce qu’elle leur procure un avantage sur les autres mâles, avantage qu’ils ont transmis à leur postérité mâle seule. C’est l’importance de cette distinction qui m’a conduit à donner à cette forme de sélection le nom de sélection sexuelle. En outre, si le service principal que les organes préhensiles rendent au mâle est d’empêcher que la femelle ne lui échappe avant l’arrivée d’autres mâles, ou lorsqu’il est assailli par eux, la sélection sexuelle a dû perfectionner ces organes en conséquence de la supériorité que certains mâles ont acquis sur leurs rivaux. Mais il est impossible, dans la majorité des cas de cette nature, d’établir une ligne de démarcation entre les effets de la sélection naturelle et ceux de la sélection sexuelle. On pourrait remplir des chapitres de particularités sur les différences qui existent entre les sexes sous le rapport des organes sensitifs, locomoteurs et préhensiles. Cependant, comme ces conformations ne sont pas plus intéressantes que celles qui servent aux besoins ordinaires de la vie, je me propose d’en négliger la plus grande partie, me bornant à indiquer quelques exemples dans chaque classe.

La sélection sexuelle a dû provoquer le développement de beaucoup d’autres conformations et de beaucoup d’autres instincts ; nous pourrions citer, par exemple, les armes offensives et défensives que possèdent les mâles pour combattre et pour repousser leurs rivaux ; le courage et l’esprit belliqueux dont ils font preuve ; les ornements de tous genres qu’ils aiment à étaler ; les organes qui leur permettent de produire de la musique vocale ou instrumentale et les glandes qui répandent des odeurs plus ou moins suaves ; en effet, toutes ces conformations servent seulement, pour la plupart, à attirer ou à captiver la femelle. Il est bien évident qu’il faut attribuer ces caractères à la sélection sexuelle et non à la sélection ordinaire, car des mâles désarmés, sans ornements, dépourvus d’attraits, n’en réussiraient pas moins dans la lutte pour l’existence, et seraient aptes à engendrer une nombreuse postérité, s’ils ne se trouvaient en présence de mâles mieux doués. Le fait que les femelles, dépourvues de moyens de défenses et d’ornements, n’en survivent pas moins et reproduisent l’espèce, nous autorise à conclure que cette assertion est fondée. Nous consacrerons dans les chapitres suivants de longs détails aux caractères sexuels secondaires auxquels nous venons de faire allusion ; en effet, ils présentent un vif intérêt sous plusieurs rapports, mais principalement en ce qu’ils dépendent de la volonté, du choix, et de la rivalité des individus des deux sexes. Lorsque nous voyons deux mâles lutter pour la possession d’une femelle, ou plusieurs oiseaux mâles étaler leur riche plumage, et se livrer aux gestes les plus grotesques devant une troupe de femelles assemblées, nous devons évidemment conclure que, bien que guidés par l’instinct, ils savent ce qu’ils font, et exercent d’une manière consciente leurs qualités corporelles et mentales.

De même que l’homme peut améliorer la race de ses coqs de combat par la sélection de ceux de ces oiseaux qui sont victorieux dans l’arène, de même les mâles les plus forts et les plus vigoureux, ou les mieux armés, ont prévalu à l’état de nature, ce qui a eu pour résultat l’amélioration de la race naturelle ou de l’espèce. Un faible degré de variabilité, s’il en résulte un avantage, si léger qu’il soit, dans des combats meurtriers souvent répétés, suffit à l’œuvre de la sélection sexuelle ; or, il est certain que les caractères sexuels secondaires sont éminemment variables. De même que l’homme, en se plaçant au point de vue exclusif qu’il se fait de la beauté, parvient à embellir ses coqs de basse-cour, ou, pour parler plus strictement, arrive à modifier la beauté acquise par l’espèce parente, parvient à donner au Bantam Sebright, par exemple, un plumage nouveau et élégant, un port relevé tout particulier, de même il semble que, à l’état de nature, les oiseaux femelles, en choisissant toujours les mâles les plus attrayants, ont développé la beauté ou les autres qualités de ces derniers. Ceci implique, sans doute, de la part de la femelle, un discernement et un goût qu’on est, au premier abord, disposé à lui refuser ; mais j’espère démontrer plus loin, par un grand nombre de faits, que les femelles possèdent cette aptitude. Il convient d’ajouter que, en attribuant aux animaux inférieurs le sens du beau, nous ne supposons certes pas que ce sens soit comparable à celui de l’homme civilisé, doué qu’il est d’idées multiples et complexes ; il serait donc plus juste de comparer le sens pour le beau que possèdent les animaux à celui que possèdent les sauvages, qui admirent les objets brillants ou curieux et aiment à s’en parer.

Notre ignorance sur bien des points fait qu’il nous reste encore quelque incertitude sur le mode précis d’action de la sélection sexuelle. Néanmoins, si les naturalistes, qui admettent déjà la mutabilité des espèces, veulent bien lire les chapitres suivants, ils conviendront, je pense, avec moi, que la sélection sexuelle a joué un rôle important dans l’histoire du monde organique. Il est certain que, chez presque toutes les espèces d’animaux, il y a lutte entre les mâles pour la possession de la femelle ; ce fait est si notoirement connu qu’il serait inutile de citer des exemples. Par conséquent, si l’on admet que les femelles ont une capacité mentale suffisante pour exercer un choix, elles sont à même de choisir le mâle qui leur convient. Il semble, d’ailleurs, que, dans un grand nombre de cas, les circonstances tendent à rendre la lutte entre les mâles extrêmement vive. Ainsi, chez les oiseaux migrateurs, les mâles arrivent ordinairement avant les femelles dans les localités où doit se faire la reproduction de l’espèce ; il en résulte qu’un grand nombre de mâles sont tout prêts à se disputer les femelles. Les chasseurs assurent que le rossignol et la fauvette à tête noire mâles arrivent toujours les premiers ; M. Jenner Weir confirme le fait pour cette dernière espèce.

M. Swaysland, de Brighton, qui, pendant ces quarante dernières années, a eu l’habitude de capturer nos oiseaux migrateurs dès leur arrivée, m’écrit qu’il n’a jamais vu les femelles arriver avant les mâles. Il abattit, un printemps, trente-neuf mâles de hoche-queue (Budytes Raii) avant d’avoir vu une seule femelle, M. Gould, qui a disséqué de nombreux oiseaux, affirme que les bécasses mâles arrivent dans ce pays avant les femelles. On a observé le même fait aux États-Unis chez la plupart des oiseaux migrateurs[5]. La plupart des saumons mâles, lorsqu’ils remontent nos rivières, sont prêts à la reproduction avant les femelles. Il en est de même, à ce qu’il semble, des grenouilles et des crapauds. Dans la vaste classe des insectes, les mâles sortent presque toujours les premiers de la chrysalide, de sorte qu’on les voit généralement fourmiller quelque temps avant que les femelles apparaissent[6]. La cause de cette différence dans la période d’arrivée ou de maturation des mâles et des femelles est évidente. Les mâles qui ont annuellement occupé les premiers un pays, ou qui, au printemps, sont les premiers prêts à se propager, ou les plus ardents à la reproduction de l’espèce, ont dû laisser de plus nombreux descendants, qui tendent à hériter de leurs instincts et de leur constitution. Il faut se rappeler, en outre, qu’il serait impossible de changer beaucoup l’époque de la maturité sexuelle des femelles sans apporter en même temps de grands troubles dans la période de la production des jeunes, production qui doit être déterminée par les saisons de l’année. En somme, il n’est pas douteux que, chez presque tous les animaux à sexes séparés, il y a une lutte périodique et constante entre les mâles pour la possession des femelles.

Il y a, cependant, un point important qui mérite toute notre attention. Comment se fait-il que les mâles qui l’emportent sur les autres dans la lutte, ou ceux que préfèrent les femelles, laissent plus de descendants possédant comme eux une certaine supériorité, que les mâles vaincus et moins attrayants ? Sans cette condition, la sélection sexuelle serait impuissante à perfectionner et à augmenter les caractères qui donnent à certains mâles un avantage sur d’autres. Lorsque les sexes existent en nombre absolument égal, les mâles les moins bien doués trouvent en définitive des femelles (sauf là où règne la polygamie), et laissent autant de descendants, aussi bien adaptés pour les besoins de l’existence que les mâles les mieux partagés. J’avais autrefois conclu de divers faits et de certaines considérations que, chez la plupart des animaux à caractères sexuels secondaires bien développés, le nombre des mâles excédait de beaucoup celui des femelles ; mais il ne semble pas que cette hypothèse soit complètement exacte. Si les mâles étaient aux femelles comme deux est à un, ou comme trois est à deux, ou même dans une proportion un peu moindre, la question serait bien simple ; car les mâles les plus attrayants ou les mieux armés laisseraient le plus grand nombre de descendants. Mais, après avoir étudié, autant que possible, les proportions numériques des sexes, je ne crois pas qu’on puisse ordinairement constater une grande disproportion numérique. Dans la plupart des cas, la sélection sexuelle paraît avoir agi de la manière suivante.

Supposons une espèce quelconque, un oiseau, par exemple, et partageons en deux groupes égaux les femelles qui habitent un district ; l’un comprend les femelles les plus vigoureuses et les mieux nourries ; l’autre, celles qui le sont moins. Les premières, cela n’est pas douteux, seront prêtes à reproduire au printemps avant les autres ; c’est là, d’ailleurs, l’opinion de M. Jonner Weir, qui, pendant bien des années, s’est beaucoup occupé des habitudes des oiseaux. Les femelles les plus saines, les plus vigoureuses et les mieux nourries, réussiront aussi, cela est évident, à élever en moyenne le plus grand nombre de descendants[7]. Les mâles, ainsi que nous l’avons vu, sont généralement prêts à reproduire avant les femelles ; les mâles les plus forts, et, chez quelques espèces, les mieux armés, chassent leurs rivaux plus faibles, et s’accouplent avec les femelles les plus vigoureuses et les plus saines, car celles-ci sont les premières prêtes à reproduire[8]. Les couples ainsi constitués doivent certainement élever plus de jeunes que les femelles en retard, qui, en supposant l’égalité numérique des sexes, sont forcées de s’unir aux mâles vaincus et moins vigoureux ; or, il y a là tout ce qu’il faut pour augmenter, dans le cours des générations successives, la taille, la force et le courage des mâles ou pour perfectionner leurs armes.

Il est, cependant, une foule de cas où les mâles qui remportent la victoire sur d’autres mâles n’arrivent à posséder les femelles que grâce au choix de ces dernières. La cour que se font les animaux n’est, en aucune façon, aussi brève et aussi simple qu’on pourrait le supposer. Les mâles les mieux ornés, les meilleurs chanteurs, ceux qui font les gambades les plus bouffonnes, excitent davantage les femelles qui préfèrent s’accoupler avec eux ; mais il est très probable, comme on a eu d’ailleurs l’occasion de l’observer quelquefois, qu’elles préfèrent en même temps les mâles les plus vigoureux et les plus ardents[9]. Les femelles les plus vigoureuses, qui sont les premières prêtes à reproduire, ont donc un grand choix de mâles, et, bien qu’elles ne choisissent pas toujours les plus robustes ou les mieux armés, elles s’adressent, en somme, à des mâles qui, possédant déjà ces qualités à un haut degré, sont, sous d’autres rapports, plus attrayants. Ces couples formés précocement ont, pour élever leur progéniture, de grands avantages du côté femelle aussi bien que du côté mâle. Cette cause, agissant pendant une longue série de générations, a, selon toute apparence, suffi non seulement à augmenter la force et le caractère belliqueux des mâles, mais aussi leurs divers ornements et leurs autres attraits.

Dans le cas inverse et beaucoup plus rare où les mâles choisissent des femelles particulières, il est manifeste que les plus vigoureux, après avoir écarté leurs rivaux, doivent avoir le choix libre ; or, il est à peu près certain qu’ils recherchent les femelles les plus vigoureuses et les plus attrayantes à la fois. Ces couples ont de grands avantages pour l’élève de leurs jeunes, surtout si le mâle est capable de défendre la femelle pendant l’époque du rut, comme cela se produit chez quelques animaux élevés, ou d’aider à l’entretien des jeunes. Les mêmes principes s’appliquent si les deux sexes préfèrent et choisissent réciproquement certains individus du sexe contraire, en supposant qu’ils exercent ce choix, non seulement parmi les sujets les plus attrayants, mais aussi parmi les plus vigoureux.


Proportion numérique des deux sexes. — J’ai fait remarquer que la sélection sexuelle serait chose fort simple à comprendre, si le nombre des mâles excédait de beaucoup celui des femelles. En conséquence, je cherchai à me procurer des renseignements aussi circonstanciés que possible sur la proportion numérique des individus des deux sexes chez un grand nombre d’animaux ; mais les matériaux sont très rares. Je me bornerai à donner ici un résumé fort succinct des résultats que j’ai obtenus ; je réserve les détails pour une discussion ultérieure, afin de ne point interrompre le cours de mon argumentation. On ne peut vérifier les nombres proportionnels des sexes, au moment de la naissance, que chez les animaux domestiques ; et encore n’a-t-on pas tenu des registres spéciaux dans ce but. Toutefois, j’ai pu recueillir, par des moyens indirects, un nombre considérable de données statistiques ; il en résulte que, chez la plupart de nos animaux domestiques, les individus des deux sexes naissent en nombre à peu près égal. Ainsi, on a enregistré, pendant une période de vingt et un ans, 25,560 naissances de chevaux de course ; la proportion des mâles aux femelles est comme 99,7 est à 100. Chez les lévriers, l’inégalité est plus grande que chez tout autre animal, car sur 6,878 naissances, réparties sur douze ans, les mâles étaient aux femelles comme 110,1 est à 100. Il serait, toutefois, dangereux de conclure que cette proportion est la même à l’état de nature qu’à l’état domestique, car des différences légères et inconnues suffisent pour affecter dans une certaine mesure les proportions numériques des sexes. Prenons, par exemple, le genre humain : le nombre des mâles s’élève, au moment de la naissance, à 101,5 en Angleterre, à 108,9 en Russie, et chez les Juifs de Livourne, à 120 pour 100 du sexe féminin. J’aurai, d’ailleurs, à revenir sur le fait curieux de l’excédent des mâles au moment de la naissance dans un supplément à ce chapitre. Je puis ajouter, toutefois, que, au cap de Bonne-Espérance, on a compté pendant plusieurs années de 91 à 99 garçons d’extraction européenne pour 100 filles.

Ce n’est pas, d’ailleurs, seulement le nombre proportionnel des mâles et des femelles au moment de la naissance qui nous intéresse, mais aussi le nombre proportionnel à l’âge adulte ; il en résulte un autre élément de doute, car on sait très positivement qu’il meurt, avant ou pendant la parturition, puis dans les premières années de la vie, une quantité beaucoup plus grande d’enfants du sexe masculin que du sexe féminin. On constate le même fait pour les agneaux mâles, et probablement aussi, il est vrai, pour d’autres animaux. Les mâles de certaines espèces se livrent de terribles combats qui amènent souvent la mort de l’un des adversaires, ou ils se pourchassent avec un acharnement tel qu’ils finissent par s’épuiser complètement. En errant à la recherche des femelles, ils sont exposés à de nombreux dangers. Les poissons mâles de différentes espèces sont beaucoup plus petits que les femelles ; on affirme qu’ils sont fréquemment dévorés par celles-ci, ou par d’autres poissons. Chez quelques espèces d’oiseaux, les femelles meurent, dit-on, plus tôt que les mâles ; elles courent aussi de plus grands dangers, exposées qu’elles sont sur le nid, pendant qu’elles couvent ou qu’elles soignent leurs petits. Les larves femelles des insectes, souvent plus grosses que les larves mâles, sont, par conséquent, plus sujettes à être dévorées ; dans quelques cas, les femelles adultes, moins actives, moins rapides dans leurs mouvements que les mâles, échappent moins facilement au danger. Chez les animaux à l’état de nature, nous ne pouvons donc, pour apprécier le nombre proportionnel des mâles et des femelles à l’âge adulte, nous baser que sur une simple estimation, qui, à l’exception peut-être des cas où l’inégalité est très marquée, ne doit inspirer que peu de confiance. Cependant, les faits que nous citerons dans le supplément qui termine ce chapitre semblent nous autoriser à conclure que, chez quelques mammifères, chez beaucoup d’oiseaux, chez quelques poissons et chez quelques insectes, le nombre des mâles excède de beaucoup celui des femelles.

Le nombre proportionnel des individus des deux sexes éprouve de légères fluctuations dans le cours des années ; ainsi, chez les chevaux de course, pour 100 femelles nées, les mâles avaient varié d’une année à une autre dans le rapport de 107,1 à 92,6, et chez les lévriers de 116,3 à 95,3. Mais il est probable que ces fluctuations auraient disparu si l’on avait dressé des tableaux plus complets, basés sur une région plus étendue que l’Angleterre seule ; ces différences ne suffiraient pas pour déterminer à l’état de nature l’intervention effective de la sélection sexuelle. Néanmoins, comme on en trouvera la preuve dans le supplément, le nombre proportionnel des mâles et des femelles paraît éprouver, chez quelques animaux sauvages, suivant les différentes saisons ou les diverses localités, des fluctuations suffisantes pour provoquer une action de ce genre. Il faut, en effet, remarquer que les mâles, vainqueurs des autres mâles ou recherchés par les femelles à cause de leur beauté, acquièrent au bout d’un certain nombre d’années, ou dans certaines localités, des avantages qu’ils doivent transmettre à leurs petits et qui ne sont pas de nature à disparaître. En admettant que, pendant les saisons suivantes, l’égalité en nombre des individus des deux sexes permette à chaque mâle de trouver une femelle, les mâles qui descendent de ces mâles plus vigoureux, plus recherchés par les femelles, supérieurs en un mot, ont au moins tout autant de chance de laisser des descendants que les mâles moins forts et moins beaux.


Polygamie. — La pratique de la polygamie amène les mêmes résultats que l’inégalité réelle du nombre des mâles et des femelles. En effet, si chaque mâle s’approprie deux ou plusieurs femelles, il en est beaucoup qui ne peuvent pas s’accoupler, et ce sont certainement les plus faibles ou les moins attrayants. Beaucoup de mammifères et quelques oiseaux sont polygames, mais je n’ai pas trouvé de preuves de cette particularité chez les animaux appartenant aux classes inférieures. Les animaux inférieurs n’ont peut-être pas des facultés intellectuelles assez développées pour les pousser à réunir et à entretenir un harem de femelles. Il paraît à peu près certain qu’il existe un rapport entre la polygamie et le développement des caractères sexuels secondaires ; ce qui vient à l’appui de l’hypothèse qu’une prépondérance numérique des mâles est éminemment favorable à l’action de la sélection sexuelle. Toutefois, beaucoup d’animaux, surtout les oiseaux strictement monogames, ont des caractères sexuels secondaires très marqués, tandis que quelques autres, qui sont polygames, ne sont pas dans le même cas.

Examinons rapidement au point de vue de la polygamie la classe des Mammifères, nous passerons ensuite aux Oiseaux. Le Gorille paraît être polygame, et le mâle diffère considérablement de la femelle ; il en est de même de quelques babouins vivant en sociétés qui renferment deux fois autant de femelles adultes que de mâles. Dans l’Amérique du Sud, la couleur, la barbe et les organes vocaux du Mycetes caraya présentent des différences sexuelles marquées, et le mâle vit ordinairement avec deux ou trois femelles ; le Cebus capucinus mâle diffère quelque peu de la femelle, et paraît être polygame[10]. On n’a que fort peu de renseignements à cet égard sur la plupart des autres singes ; on sait, cependant, que certaines espèces sont strictement monogames. Les ruminants, essentiellement polygames, présentent, plus fréquemment qu’aucun autre groupe de mammifères, des différences sexuelles, non seulement par leurs armes, mais aussi par d’autres caractères. La plupart des cerfs, les bestiaux et les moutons sont polygames ; il en est de même des antilopes, à l’exception de quelques espèces monogames. Sir Andrew Smith, qui a étudié les antilopes de l’Afrique méridionale, affirme que, dans des troupes d’environ une douzaine d’individus, on voit rarement plus d’un mâle adulte. L’Antilope saïga asiatique paraît être le polygame le plus désordonné qui existe, car Pallas[11] constate que le mâle expulse tous ses rivaux, et rassemble autour de lui un troupeau de cent têtes environ, composé de femelles et de jeunes ; la femelle ne porte pas de cornes et a des poils plus fins, mais ne diffère pas autrement du mâle. Le cheval sauvage qui habite les îles Falkland et les États situés au nord-ouest de l’Amérique septentrional est polygame ; mais, sauf sa taille plus grande et les proportions de son corps, il ne diffère que peu de la jument. Les crocs et quelques autres particularités du sanglier sauvage constituent des caractères sexuels bien accusés ; cet animal mène en Europe et dans l’Inde une vie solitaire, à l’exception de la saison de l’accouplement, pendant laquelle, à ce qu’assure Sir W. Elliot, qui l’a beaucoup observé dans l’Inde, il vit dans ce pays avec plusieurs femelles ; il est douteux qu’il en soit de même pour le sanglier d’Europe, bien que, cependant, on signale quelques faits à l’appui. L’éléphant indien adulte mâle passe une grande partie de son existence dans la solitude, comme le sanglier ; mais le docteur Campbell affirme que, lorsqu’il est associé avec d’autres, « il est rare de rencontrer plus d’un mâle dans un troupeau entier de femelles ». Les plus grands mâles expulsent ou tuent les plus petits et les plus faibles. Le mâle diffère de la femelle par ses immenses défenses, sa grande taille, sa force et la faculté qu’il possède de supporter plus longtemps la fatigue ; la différence sous ces rapports est si considérable qu’on estime les mâles, une fois capturés, à 20 p. 100 au-dessus des femelles[12]. Les sexes ne diffèrent que peu ou point chez les autres pachydermes qui, autant que nous pouvons le savoir, ne sont pas polygames. Aucune espèce appartenant aux ordres des Cheiroptères, des Édentés, des Insectivores ou des Rongeurs, n’est polygame, autant, toutefois, que je puis le savoir ; le rat commun fait peut-être exception à cette règle, car quelques chasseurs de rats affirment que les mâles vivent avec plusieurs femelles. Chez certains paresseux (Édentés) les deux sexes diffèrent au point de vue du caractère et de la couleur des touffes de poils qu’ils portent sur les épaules[13]. Plusieurs espèces de chauves-souris (Cheiroptères) présentent des différences sexuelles bien marquées ; les mâles, en effet, possèdent des sacs et des glandes odorifères et affectent une couleur plus pâle[14]. Chez les rongeurs, les sexes diffèrent rarement ; en tout cas, les différences sont légères et portent seulement sur la couleur des poils.

Sir A. Smith m’apprend que, dans l’Afrique australe, le lion vit quelquefois avec une seule femelle, mais généralement avec plusieurs ; on en a découvert un avec cinq femelles ; cet animal est donc polygame. C’est, autant que je puis le savoir, le seul animal polygame de tout le groupe des carnivores terrestres, et le seul offrant des caractères sexuels bien accusés. Il n’en est pas de même chez les carnivores marins : en effet, beaucoup d’espèces de phoques présentent des différences sexuelles extraordinaires, et sont essentiellement polygames. Ainsi, l’éléphant de mer (Macrochinus proboscideus) de l’Océan du Sud est toujours, d’après Péron, entouré de plusieurs femelles, et le lion de mer (Otaria jubata), de Forster, est, dit-on, accompagné par vingt ou trente femelles. L’ours de mer mâle, de Steller (Arctocephalus ursinus), dans le Nord, se fait suivre d’un nombre de femelles encore plus considérable. Le docteur Gill[15] a fait à cet égard une remarque très intéressante : « Chez les espèces monogames, ou celles qui vivent en petites sociétés, on observe peu de différence de taille entre le mâle et la femelle ; chez les espèces sociables, ou plutôt chez celles où les mâles possèdent de véritables harems, les mâles sont beaucoup plus grands que les femelles. »

En ce qui concerne les oiseaux, un grand nombre d’espèces, dont les sexes s’accusent par de grandes différences, sont certainement monogames. En Angleterre, par exemple, on observe des différences sexuelles très marquées chez le canard sauvage, qui ne s’accouple qu’avec une seule femelle, ainsi que chez le merle commun et le bouvreuil, qu’on dit s’accoupler pour la vie. M. Wallace m’apprend qu’on observe le même fait chez les Cotingidés de l’Amérique méridionale et chez beaucoup d’autres espèces d’oiseaux. Je n’ai pas pu parvenir à découvrir si les espèces de plusieurs groupes sont polygames ou monogames. Lesson soutient que les oiseaux de paradis, si remarquables par leurs différences sexuelles, sont polygames, mais M. Wallace doute qu’il ait pu se procurer des preuves suffisantes. M. Salvin m’apprend qu’il a été conduit à admettre que les oiseaux-mouches sont polygames. Le Chera progne mâle, remarquable par ses plumes caudales, paraît certainement être polygame[16]. M. Jenner Weir et d’autres m’ont assuré qu’il n’est pas rare de voir trois sansonnets fréquenter le même nid ; mais on n’a pas encore pu déterminer si c’est là un cas de polygamie ou de polyandrie.

Les Gallinacés présentent des différences sexuelles presque aussi fortement accusées que les oiseaux de paradis ou que les oiseaux-mouches, et beaucoup d’espèces sont, comme on le sait, polygames ; d’autres sont strictement monogames. Les mâles diffèrent considérablement des femelles chez le paon et chez le faisan polygames ; ils en diffèrent, au contraire, fort peu chez la pintade et chez la perdrix monogames. On pourrait citer d’autres faits à l’appui : ainsi, par exemple, dans la tribu des Grouses (Lagopèdes), le capercailzie polygame et le faisan noir, polygame aussi, diffèrent considérablement des femelles ; tandis que les mâles et les femelles, chez le grouse rouge et chez le ptarmigan monogames, diffèrent très peu. Parmi les Cursores, il n’y a qu’un petit nombre d’espèces qui présentent des différences sexuelles fortement accusées, à l’exception des outardes, et on affirme que la grande outarde (Otis tarda) est polygame. Chez les Grallatores, très peu d’espèces présentent des différences de cette nature ; le combattant (Machetes pugnax) constitue, toutefois, une exception remarquable, et Montagu affirme qu’il est polygame. Il semble donc qu’il y ait souvent, chez les oiseaux, une relation assez étroite entre la polygamie et le développement de différences sexuelles marquées. M. Bartlett, des Zoological Gardens, qui a si longtemps étudié les oiseaux, me répondait, ce qui me frappa beaucoup, un jour que je lui demandais si le tragopan mâle (gallinacé) est polygame : « Je n’en sais rien, mais je serais disposé à le croire en raison de ses splendides couleurs. »

Il faut remarquer que l’instinct qui pousse à s’accoupler avec une seule femelle se perd aisément à l’état de domesticité. Le canard sauvage est strictement monogame, le canard domestique est polygame au plus haut degré. Le Rév. W. D. Fox m’apprend que quelques canards sauvages à demi apprivoisés, conservés sur un grand étang du voisinage, faisaient des couvées extrêmement nombreuses, bien que le garde tuât les mâles de façon à n’en laisser qu’un pour sept ou huit femelles. La pintade est strictement monogame ; cependant, M. Fox a remarqué que ses oiseaux réussissent mieux lorsqu’il donne à un mâle deux ou trois poules. Les canaris, à l’état de nature, vont par couples ; mais, en Angleterre, les éleveurs réussissent à donner quatre ou cinq femelles à un mâle. J’ai signalé ces cas, car ils tendent à prouver que les espèces, monogames à l’état de nature, paraissent sans difficulté pouvoir devenir polygames d’une façon temporaire ou permanente.

Nous avons trop peu de renseignements sur les habitudes des reptiles et des poissons pour pouvoir nous étendre sur leurs rapports sexuels. On affirme, toutefois, que l’épinoche (Gasterosteus) est polygame[17] ; pendant la saison des amours, le mâle diffère considérablement de la femelle.

Résumons les moyens par lesquels, autant que nous en pouvons juger, la sélection sexuelle a déterminé le développement des caractères sexuels secondaires. Nous avons démontré que l’accouplement des mâles les plus robustes et les mieux armés, qui ont vaincu d’autres mâles, avec les femelles les plus vigoureuses et les mieux nourries, qui sont les premières prêtes à engendrer au printemps, produit le plus grand nombre de descendants vigoureux. Si ces femelles choisissent les mâles les plus attrayants et les plus forts, elles élèvent plus de petits que les femelles en retard qui ont dû s’accoupler avec les mâles inférieurs aux précédents, sous le rapport de la force et de la beauté. Il en sera de même si les mâles les plus vigoureux choisissent les femelles les plus attrayantes et les mieux constituées, et cela sera d’autant plus vrai, si le mâle vient en aide à la femelle et contribue à l’alimentation des jeunes. Les couples les plus vigoureux peuvent donc élever un plus grand nombre de petits, et cet avantage suffit certainement pour rendre la sélection sexuelle efficace. Cependant une grande prépondérance du nombre des mâles sur celui des femelles serait beaucoup plus efficace encore ; soit que cette prépondérance fût accidentelle et locale, ou permanente ; soit qu’elle eût lieu dès la naissance, ou qu’elle fût le résultat subséquent de la plus grande destruction des femelles ; soit enfin qu’elle fût la conséquence indirecte de la polygamie.


Les modifications sont généralement plus accusées chez le mâle que chez la femelle. — Lorsque les mâles diffèrent des femelles au point de vue de l’apparence extérieure, c’est, à de rares exceptions près, — et cette remarque s’applique à tout le règne animal, — le mâle qui a subi le plus de modifications ; en effet, la femelle continue ordinairement à ressembler davantage aux jeunes de l’espèce à laquelle elle appartient ou aux autres membres du même groupe. Presque tous les animaux mâles ont des passions plus vives que les femelles ; ce qui paraît être la cause de ces différences. C’est pour cela que les mâles se battent, et déploient avec tant de soin leurs charmes devant les femelles ; ceux qui l’emportent transmettent leur supériorité à leur postérité mâle. Nous aurons à examiner plus loin comment il se fait que les mâles ne transmettent pas leurs caractères à leur postérité des deux sexes. Il est notoire que, chez tous les mammifères, les mâles poursuivent les femelles avec ardeur. Il en est de même chez les oiseaux ; mais la plupart des oiseaux mâles cherchent moins à poursuivre la femelle qu’à la captiver ; pour y arriver, ils étalent leur plumage, se livrent à des gestes bizarres et modulent les chants les plus doux en sa présence. Chez les quelques poissons qu’on a observés, le mâle paraît être aussi beaucoup plus ardent que la femelle ; il en est évidemment de même chez les alligators et chez les batraciens. Kirby[18] a fait remarquer avec justesse que, dans toute l’immense classe des insectes, « le mâle recherche la femelle ». MM.  Blackwall et C. Spence Bate, deux autorités sur le sujet, m’apprennent que les araignées et les crustacés mâles ont des habitudes plus actives et plus vagabondes que les femelles. Chez certaines espèces d’insectes et de crustacés, les organes des sens ou de la locomotion existent chez un sexe et font défaut chez l’autre, ou, ce qui est fréquent, sont plus développés chez un sexe que chez l’autre ; or, autant que j’ai pu le reconnaître, le mâle conserve ou possède presque toujours ces organes au plus haut degré de développement ; ce qui prouve que, dans les relations sexuelles, le mâle est le plus actif[19].

La femelle, au contraire, est, à de rares exceptions près, beaucoup moins ardente que le mâle. Comme le célèbre Hunter[20] l’a fait observer il y a bien longtemps, elle exige ordinairement « qu’on lui fasse la cour » ; elle est timide, et cherche pendant longtemps à échapper au mâle. Quiconque a étudié les mœurs des animaux a pu constater des exemples de ce genre. Divers faits que nous citerons plus loin, et les résultats qu’on peut attribuer à l’intervention de la sélection sexuelle, nous autorisent à conclure que la femelle, comparativement passive, n’en exerce pas moins un certain choix et accepte un mâle plutôt qu’un autre. Certaines apparences nous portent parfois à penser qu’elle accepte, non pas le mâle qu’elle préfère, mais celui qui lui déplaît le moins. L’exercice d’un certain choix de la part de la femelle paraît être une loi aussi générale que l’ardeur du mâle.

Ceci nous amène naturellement à rechercher pourquoi, dans tant de classes si distinctes, le mâle est devenu tellement plus ardent que la femelle, que ce soit lui qui la recherche toujours et qui joue le rôle le plus actif dans les préliminaires de l’accouplement. Il n’y aurait aucun avantage, il y aurait même une dépense inutile de force à ce que les mâles et les femelles se cherchassent mutuellement ; mais pourquoi le mâle joue-t-il presque toujours le rôle le plus actif ? Les ovules doivent recevoir une certaine alimentation pendant un certain laps de temps après la fécondation ; il faut donc que le pollen soit apporté aux organes femelles et placé sur le stigmate, soit par concours des insectes ou du vent, soit par les mouvements spontanés des étamines ; et, chez les algues, etc., par la locomotion des anthérozoïdes.

Chez les animaux d’organisation inférieure à sexes séparés qui sont fixés d’une manière permanente, l’élément mâle va invariablement trouver la femelle ; il est, d’ailleurs, facile d’expliquer la cause de ce fait : les ovules, en effet, en admettant même qu’ils se détacheraient avant d’être fécondés et qu’ils n’exigeraient aucune alimentation ou aucune protection subséquente, sont, par leurs dimensions relativement plus grandes, moins facilement transportables que l’élément mâle et, par le fait même qu’ils sont plus grands, existent en plus petite quantité. Beaucoup d’animaux inférieurs ont donc, sous ce rapport, beaucoup d’analogie avec les plantes[21]. Les animaux mâles aquatiques fixés ayant été ainsi conduits à émettre leur élément fécondant, il est naturel que leurs descendants, qui se sont élevés sur l’échelle et qui ont acquis des organes de locomotion, aient conservé la même habitude et s’approchent aussi près que possible de la femelle, pour que l’élément fécondant ne soit pas exposé aux risques d’un long passage au travers de l’eau. Chez quelques animaux inférieurs, les femelles seules sont fixées, il faut donc que les mâles aillent les trouver. Quant aux formes dont les ancêtres possédaient primitivement la faculté de la locomotion, il est difficile de comprendre pourquoi les mâles ont acquis l’invariable habitude de rechercher les femelles, au lieu que celles-ci recherchent les mâles. Mais, dans tous les cas, il a fallu, pour que les mâles devinssent des chercheurs efficaces, qu’ils fussent doués de passions ardentes ; or, le développement de ces passions découle naturellement du fait que les mâles plus ardents laissent plus de descendants que ceux qui le sont moins.

La grande ardeur du mâle a donc indirectement déterminé un développement beaucoup plus fréquent des caractères sexuels secondaires chez le mâle que chez la femelle. L’étude des animaux domestiques m’a conduit à penser que le mâle est plus sujet à varier que la femelle, ce qui a dû singulièrement faciliter ce développement. Von Nathusius, dont l’expérience est si considérable, partage absolument la même opinion[22]. La comparaison des deux sexes chez l’espèce humaine fournit aussi des preuves nombreuses à l’appui de cette hypothèse. Au cours de l’expédition de la Novara[23], on a procédé à un nombre considérable de mesurages des diverses parties du corps chez différentes races, et, dans presque tous les cas, les hommes ont présenté une plus grande somme de variations que les femmes ; je reviendrai d’ailleurs sur ce point dans un chapitre subséquent. M. J. Wood[24], qui a étudié avec beaucoup de soin la variation des muscles chez l’espèce humaine, imprime en italiques la conclusion suivante : « Le plus grand nombre d’anomalies, dans chaque partie prise séparément, se trouve chez le sexe mâle. » Il avait déjà remarqué que « sur un ensemble de 102 sujets, les variétés de superfluités étaient moitié plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes, ce qui contrastait fortement avec la plus grande fréquence des déficits précédemment décrits déjà chez ces dernières ». Le professeur Macalister remarque également[25] que les variations des muscles « sont probablement plus communes chez les mâles que chez les femelles ». Certains muscles, qui ne sont pas normalement présents dans l’espèce humaine, se développent aussi plus fréquemment chez le mâle que chez la femelle, bien qu’on ait signalé des exceptions à cette règle. Le docteur Burt Wilder[26] a enregistré 152 cas d’individus ayant des doigts supplémentaires ; 86 ont été observés chez des hommes, et 39, moins de la moitié, chez des femmes ; dans les 27 autres cas, on n’a pas constaté le sexe. Il faut se rappeler, il est vrai, que les femmes cherchent plus que les hommes à dissimuler une difformité de ce genre. Le docteur L. Meyer affirme de son côté que la forme des oreilles est plus variable chez l’homme que chez la femme[27]. Enfin, la température du corps varie davantage aussi chez l’homme que chez la femme[28].

On ne saurait indiquer la cause de la plus grande variabilité générale du sexe mâle ; on doit se borner à dire que les caractères sexuels secondaires sont extraordinairement variables et que ces caractères n’existent généralement que chez le mâle, ce qu’il est, d’ailleurs, facile de comprendre dans une certaine mesure. L’intervention de la sélection naturelle et de la sélection sexuelle a rendu, dans beaucoup de cas, les animaux mâles très-différents des femelles ; mais, indépendamment de la sélection, la différence de constitution qui existe entre les deux sexes tend à les faire varier d’une manière un peu différente. La femelle doit consacrer une grande quantité de matière organique à la formation des œufs ; le mâle, de son côté, dépense beaucoup de forces à lutter avec ses rivaux, à errer à la recherche de la femelle, à exercer ses organes vocaux, à répandre des sécrétions odoriférantes, etc., et cette dépense doit généralement se faire dans une courte période. La grande vigueur du mâle pendant la saison des amours semble souvent donner un certain éclat à ses couleurs, même quand il n’existe pas de différence bien marquée, sous ce rapport, entre lui et la femelle[29]. Chez l’homme, et si l’on descend l’échelle organique jusque chez les Lépidoptères, la température du corps est plus élevée chez le mâle que chez la femelle, ce qui se traduit chez l’homme par des pulsations plus lentes[30]. En résumé, les deux sexes dépensent probablement une quantité presque égale de matière et de force, bien que cette dépense s’effectue de manière différente et avec une rapidité différente.

Les causes que nous venons d’indiquer suffisent pour expliquer que la constitution des mâles et des femelles doive différer quelque peu, au moins pendant la saison des amours ; or, bien qu’ils soient soumis exactement aux mêmes conditions, ils doivent tendre à varier d’une manière quelque peu différente. Si les variations ainsi déterminées ne sont avantageuses ni au mâle ni à la femelle, ni la sélection sexuelle, ni la sélection naturelle n’interviennent pour les accumuler et les accroître. Néanmoins, les caractères qui en résultent peuvent devenir permanents, si les causes existantes agissent d’une façon permanente ; en outre, en vertu d’une forme fréquente de l’hérédité, ils peuvent être transmis au sexe seul chez lequel ils ont d’abord paru. Dans ce cas, les mâles et les femelles en arrivent à présenter des différences de caractères, différences permanentes, tout en étant peu importantes. M. Allen a démontré, par exemple, que, chez un grand nombre d’oiseaux habitant les parties septentrionales et les parties méridionales des États-Unis, les individus provenant des parties méridionales affectent des teintes plus foncées que ceux des parties septentrionales. Cette différence semble être le résultat direct des différences de température, de lumière, etc., qui existent entre les deux régions. Or, dans quelques cas, les deux sexes d’une même espèce semblent avoir été différemment affectés. Les couleurs de l’Agelœus phœniceus mâle sont devenues bien plus brillantes dans le sud ; chez le Cardinalis virginianus, ce sont les femelles qui ont subi une modification ; les Quiscalus major femelles révèlent des teintes très-variables, tandis que celles des mâles restent presque uniformes[31].

On signale, chez diverses classes d’animaux, certains cas exceptionnels ; c’est alors la femelle qui, au lieu du mâle, a acquis des caractères sexuels secondaires bien tranchés, des couleurs plus brillantes, une taille plus élancée, une force plus grande et des goûts plus belliqueux. Chez les oiseaux, comme nous le verrons plus tard, il y a quelquefois eu transposition complète des caractères ordinaires propres à chaque sexe ; les femelles, devenues plus ardentes, recherchent les mâles qui demeurent relativement passifs, mais qui choisissent probablement, à en juger par les résultats, les femelles les plus attrayantes. Certains oiseaux femelles sont ainsi devenus plus richement colorés, plus magnifiquement ornés, plus puissants et plus belliqueux que les mâles, caractères qui ne sont transmis qu’à la seule descendance femelle.

On pourrait supposer que, dans quelques cas, il s’est produit un double courant de sélection : les mâles auraient choisi les femelles les plus attrayantes, et, réciproquement, ces dernières auraient choisi les plus beaux mâles. Ces choix réciproques pourraient certainement déterminer la modification des deux sexes, mais ne tendraient pas à les rendre différents l’un de l’autre, à moins d’admettre que leur goût pour le beau ne différât ; mais c’est là une supposition trop improbable chez les animaux, l’homme excepté, pour qu’il soit nécessaire de s’y arrêter. Toutefois, chez beaucoup d’animaux, les individus des deux sexes se ressemblent, et possèdent des ornements tels que l’analogie nous conduirait à les attribuer à l’intervention de la sélection sexuelle. Dans ces cas, on peut supposer d’une manière plus plausible qu’il y a eu un double courant ou un courant réciproque de sélection sexuelle ; les femelles les plus vigoureuses et les plus précoces ont choisi les mâles les plus beaux et les plus vigoureux, et ceux-ci, de leur côté, ont repoussé toutes les femelles n’ayant pas des attraits suffisants. Mais, d’après ce que nous savons des habitudes des animaux, il est difficile de soutenir cette théorie, car le mâle s’empresse ordinairement de s’accoupler avec une femelle quelle qu’elle soit. Il est beaucoup plus probable que les ornements communs aux deux sexes ont été acquis par l’un d’eux, généralement par le mâle, et ensuite transmis aux descendants des deux sexes. Si, cependant, les mâles d’une espèce quelconque ont, pendant une longue période, été beaucoup plus nombreux que les femelles, puis, qu’ensuite, durant une autre longue période, dans des conditions différentes, les femelles soient devenues à leur tour beaucoup plus nombreuses que les mâles, un double courant, bien que non simultané, de sélection sexuelle se serait facilement produit et aurait eu pour résultat la grande différenciation des deux sexes.

Nous verrons plus loin que, chez beaucoup d’animaux, aucun des sexes n’est ni brillamment coloré ni paré d’ornements spéciaux, bien que les individus des deux sexes, ou d’un seul, aient probablement acquis grâce à la sélection sexuelle des couleurs simples telles que le blanc ou le noir. L’absence de teintes brillantes ou d’autres ornements peut résulter de ce qu’il ne s’est jamais présenté de variations favorables à leur production, ou du fait que ces animaux préfèrent les couleurs simples, telles que le noir ou le blanc. La sélection naturelle a dû souvent intervenir pour produire des couleurs obscures comme moyen de sécurité, et il se peut que l’imminence du danger ait réagi contre la sélection sexuelle qui tendait à développer une coloration plus brillante. Mais il se peut aussi que, dans d’autres cas, les mâles aient lutté les uns contre les autres, pendant de longues périodes, pour s’emparer des femelles, sans qu’il se soit produit aucun résultat ; à moins que les mâles les plus heureux aient mieux réussi que les mâles moins favorisés à laisser après eux un plus grand nombre de descendants qui héritent de leur supériorité ; or, ceci, comme nous l’avons déjà démontré, dépend de nombreuses éventualités très-complexes.

La sélection sexuelle agit d’une manière moins rigoureuse que la sélection naturelle. Celle-ci entraîne la vie ou la mort, à tous les âges, des individus plus ou moins favorisés. Il est vrai que les combats entre mâles rivaux entraînent souvent la mort d’un des deux adversaires. Mais, en général, le mâle vaincu est simplement privé de femelle, ou en est réduit à se contenter d’une femelle plus tardive et moins vigoureuse, ou en trouve moins s’il est polygame ; de sorte qu’il laisse des descendants moins nombreux et plus faibles ou qu’il n’en a pas du tout. Quand il s’agit des conformations acquises grâce à la sélection ordinaire ou sélection naturelle, il y a, dans la plupart des cas, tant que les conditions d’existence restent les mêmes, une limite à l’étendue des modifications avantageuses qui peuvent se produire dans un but déterminé ; quand il s’agit, au contraire, des conformations destinées à assurer la victoire à un mâle, soit dans le combat, soit par les attraits qu’il peut présenter, il n’y a point de limite définie à l’étendue des modifications avantageuses ; de sorte que, tant que des variations favorables surgissent, la sélection sexuelle continue son œuvre. Cette circonstance peut expliquer en partie la fréquence et l’étendue extraordinaire de la variabilité que présentent les caractères sexuels secondaires. Néanmoins, la sélection naturelle doit s’opposer à ce que les mâles victorieux acquièrent des caractères qui leur deviendraient préjudiciables, soit parce qu’ils causeraient une trop grande déperdition de leurs forces vitales, soit parce qu’ils les exposeraient à de trop grands dangers. Toutefois, le développement de certaines conformations, — des bois, par exemple, chez certains cerfs, — a été poussé à un degré étonnant ; dans quelques cas même, à un degré tel que ces conformations doivent légèrement nuire au mâle, étant données les conditions générales de l’existence. Ce fait prouve que les mâles qui ont vaincu les autres mâles grâce à leur force ou à leurs charmes, ce qui leur a valu une descendance plus nombreuse, ont ainsi recueilli des avantages qui, dans le cours des temps, leur ont été plus profitables que ceux provenant d’une adaptation plus parfaite aux conditions d’existence. Nous verrons, en outre, ce qu’on n’eût jamais pu supposer, que l’aptitude à charmer une femelle a, dans quelque cas, plus d’importance que la victoire remportée sur d’autres mâles dans le combat.


LOIS DE L’HÉRÉDITÉ.


La connaissance des lois qui régissent l’hérédité, si imparfaite que soit encore cette connaissance, nous est indispensable pour bien comprendre comment la sélection a pu agir et comment elle a pu produire dans le cours des temps, chez beaucoup d’animaux de toutes classes, des résultats si considérables. Le terme « hérédité » comprend deux éléments distincts : la transmission des caractères et leur développement ; on omet souvent de faire cette distinction, parce que ces deux éléments se confondent ordinairement en un seul. Mais cette distinction devient apparente, quand il s’agit des caractères qui se transmettent pendant les premières années de la vie, pour ne se développer qu’à l’état adulte ou pendant la vieillesse. Elle devient plus apparente encore quand il s’agit des caractères sexuels secondaires qui, transmis aux individus des deux sexes, ne se développent que chez un seul. Le croisement de deux espèces, possédant des caractères sexuels bien tranchés, fournit la preuve évidente de ces caractères chez les deux sexes ; en effet, chaque espèce transmet les caractères propres au mâle et à la femelle à la progéniture métis de l’un et de l’autre sexe. Le même fait se produit également lorsque des caractères particuliers au mâle se développent accidentellement chez la femelle âgée ou malade, comme, par exemple, lorsque la poule commune acquiert la queue flottante, la collerette, la crête, les ergots, la voix et même l’humeur belliqueuse du coq. Inversement, on observe plus ou moins nettement le même fait chez les mâles châtrés. En outre, indépendamment de la vieillesse ou de la maladie, certains caractères passent parfois du mâle à la femelle ; ainsi, chez certaines races de volaille, il se forme régulièrement des ergots chez des jeunes femelles parfaitement saines ; mais ce n’est là, après tout, qu’un simple cas de développement, puisque, dans toutes les couvées, la femelle transmet chaque détail de la structure de l’ergot à ses descendants mâles. La femelle revêt parfois plus ou moins complètement des caractères propres au mâle qui se sont d’abord développés chez ce dernier, puis qui lui ont été transmis ; nous citerons plus loin bien des exemples de cette nature. Le cas contraire, c’est-à-dire le développement chez le mâle des caractères propres à la femelle, est bien moins fréquent ; il convient donc d’en citer un exemple frappant. Chez les abeilles, la femelle seule se sert de l’appareil collecteur de pollen afin de recueillir du pollen pour les larves ; cependant, cet appareil, bien que complètement inutile, est partiellement développé chez les mâles de la plupart des espèces et on le rencontre à l’état parfait chez le Bombus et le Bourdon mâles[32]. Cet appareil n’existe chez aucun autre insecte hyménoptère, pas même chez la guêpe, bien qu’elle soit si voisine de l’abeille ; nous n’avons donc aucune raison de supposer que les abeilles mâles recueillaient autrefois le pollen aussi bien que les femelles, bien que nous ayons quelque raison de croire que les mammifères mâles participaient à l’allaitement des jeunes au même titre que les femelles. Enfin, dans tous les cas de retour, certains caractères se transmettent à travers deux, trois ou un plus grand nombre de générations, pour ne se développer ensuite que dans certaines conditions favorables inconnues. L’hypothèse de la pangenèse, qu’on l’admette ou non comme fondée, jette une certaine lumière sur cette distinction importante entre la transmission et le développement. D’après cette hypothèse, chaque unité ou cellule du corps émet des gemmules ou atomes non développés, qui se transmettent aux descendants des deux sexes, et se multiplient en se divisant. Il se peut que ces atomes ne se développent pas pendant les premières années de la vie ou pendant plusieurs générations successives ; leur transformation en unités ou cellules, semblables à celles dont elles dérivent, dépend de leur affinité et de leur union avec d’autres unités ou cellules, préalablement développées dans l’ordre normal de la croissance.


Hérédité aux périodes correspondantes de la vie. – Cette tendance est bien constatée. Si un animal acquiert un caractère nouveau pendant sa jeunesse, il reparaît, en règle générale, chez les descendants de cet animal, dans les mêmes conditions d’âge et de durée, c’est-à-dire qu’il persiste pendant la vie entière ou qu’il a une nature essentiellement temporaire. Si, d’autre part, un caractère nouveau apparaît chez un individu à l’état adulte ou même à un âge avancé, il tend à reparaître chez les descendants à la même période de la vie. On observe certainement des exceptions à cette règle ; mais alors c’est le plus souvent dans le sens d’un avancement que d’un retard qu’a lieu l’apparition des caractères transmis. J’ai discuté cette question en détail dans un précédent ouvrage[33], je me bornerai donc ici, pour rafraîchir la mémoire du lecteur, à signaler deux ou trois exemples. Chez plusieurs races de volaille, les poussins, alors qu’ils sont couverts de leur duvet, les jeunes poulets, alors qu’ils portent leur premier plumage, ou le plumage de l’âge adulte diffèrent beaucoup les uns des autres, ainsi que de leur souche commune, le Gallus Bankiva, chaque race transmet fidèlement ses caractères à sa descendance à l’époque correspondante de la vie. Par exemple, les poulets de la race Hambourg pailletées couverts de duvet, ont quelques taches foncées sur la tête et sur le tronc, mais ne portent pas de raies longitudinales, comme beaucoup d’autres races ; leur premier plumage véritable « est admirablement barré », c’est-à-dire que chaque plume porte de nombreuses barres transversales presque noires ; mais les plumes de leur second plumage sont toutes pailletées d’une tache obscure arrondie[34]. Cette race a donc éprouvé des variations qui se sont transmises à trois périodes distinctes de la vie. Le pigeon offre un exemple encore plus remarquable, en ce que l’espèce parente primitive n’éprouve avec l’âge aucun changement de plumage ; la poitrine seulement prend, à l’état adulte, des teintes plus irisées ; il y a, cependant, des races qui n’acquièrent leurs couleurs caractéristiques qu’après deux, trois ou quatre mues, et ces modifications du plumage se transmettent régulièrement.


Hérédité à des saisons correspondantes de l’année. — On observe, chez les animaux à l’état de nature, d’innombrables exemples de caractères qui apparaissent périodiquement à différentes saisons. Ainsi, par exemple, les bois du cerf, et la fourrure des animaux arctiques, qui s’épaissit et blanchit pendant l’hiver. De nombreux oiseaux revêtent de brillantes couleurs et d’autres ornements, pendant la saison des amours seulement.

Pallas constate[35] qu’en Sibérie, le poil du bétail domestique et celui des chevaux devient périodiquement moins foncé pendant l’hiver ; j’ai moi-même remarqué chez certains poneys, en Angleterre, des changements analogues bien tranchés dans la coloration de la robe, c’est-à-dire que celle-ci passe du brun rougeâtre au blanc absolu. Je ne saurais affirmer que cette tendance à revêtir un pelage de couleur différente à diverses époques de l’année est transmissible ; il est, cependant, très-probable qu’il en est ainsi, car la couleur constitue un caractère fortement héréditaire chez le cheval. D’ailleurs, cette forme d’hérédité, avec sa limite de saison, n’est pas plus remarquable que celle qui est limitée par l’âge et par le sexe.


Hérédité limitée par le sexe. — L’égale transmission des caractères aux deux sexes est la forme la plus commune de l’hérédité, au moins chez les animaux qui ne présentent pas de différences sexuelles très accusées, et encore l’observe-t-on même chez beaucoup de ces derniers. Mais il n’est pas rare que les caractères se transmettent exclusivement au sexe chez lequel ils ont d’abord apparu. J’ai cité, dans mon ouvrage sur la Variation à l’état domestique, d’amples documents sur ce point ; je me contenterai donc ici de quelques exemples. Il existe des races de moutons et de chèvres, chez lesquelles la forme des cornes des mâles diffère beaucoup de la forme de celles des femelles ; ces différences, acquises pendant la domestication, se transmettent régulièrement au même sexe. Chez les chats tigrés, la femelle seule, en règle générale, revêt cette robe, les mâles affectant une nuance rouge de rouille. Chez la plupart des races gallines, les caractères propres à chaque sexe se transmettent seulement au même sexe. Cette forme de transmission est si générale que nous considérons comme une anomalie, chez certaines races, la transmission simultanée des variations aux individus des deux sexes. On connaît aussi certaines sous-races de volailles chez lesquelles les mâles peuvent à peine se distinguer les uns des autres, tandis que la couleur des femelles diffère considérablement. Chez le pigeon, les individus des deux sexes de l’espèce souche ne diffèrent par aucun caractère extérieur ; néanmoins, chez certaines races domestiques, le mâle est autrement coloré que la femelle[36]. Les caroncules du pigeon messager anglais et le jabot du grosse-gorge sont plus fortement développés chez le mâle que chez la femelle, et, bien que ces caractères résultent d’une sélection longtemps continuée par l’homme, la différence entre les deux sexes est entièrement due à la forme d’hérédité qui a prévalu ; car, bien loin d’être un résultat des intentions de l’éleveur, cette différence est plutôt contraire à ses désirs.

La plupart de nos races domestiques se sont formées par l’accumulation de variations nombreuses et légères ; or, comme quelques-uns des résultats successivement obtenus se sont transmis à un seul sexe, d’autres à tous les deux, nous trouvons, chez les différentes races d’une même espèce, tous les degrés entre une grande dissemblance sexuelle et une similitude absolue. Nous avons déjà cité des exemples empruntés aux races de volailles et de pigeons ; des cas analogues se présentent fréquemment à l’état de nature. Il arrive parfois, chez les animaux à l’état domestique, mais je ne saurais affirmer que le fait soit vrai à l’état de nature, qu’un individu perde ses caractères spéciaux, et arrive ainsi à ressembler, jusqu’à un certain point, aux individus du sexe contraire ; ainsi, par exemple, les mâles de quelques races de volailles ont perdu leurs plumes masculines. D’autre part, la domestication peut augmenter les différences entre les individus des deux sexes, comme chez le mouton mérinos, dont les brebis ont perdu leurs cornes. De même encore, des caractères propres aux individus appartenant à un sexe peuvent apparaître subitement chez les individus appartenant à l’autre sexe ; chez les sous-races de volailles, par exemple, où, dans le jeune âge, les poules portent des ergots ; ou chez certaines sous-races polonaises, dont les femelles ont, selon toute apparence, primitivement acquis une crête, qu’elles ont ultérieurement transmise aux mâles. L’hypothèse de la pangenèse explique tous ces faits ; ils résultent, en effet, de ce que les gemmules de certaines unités du corps, bien que présents chez les deux sexes, peuvent, sous l’influence de la domestication, devenir latents chez un sexe, ou arriver à se développer.

Pourrait-on, au moyen de la sélection, assurer le développement chez un seul sexe d’un caractère d’abord développé chez les deux sexes ? C’est là une question difficile que nous discuterons dans un chapitre subséquent. Mais il importe, cependant, de bien poser cette question, ce que nous allons faire par un exemple.

Si un éleveur remarquait que quelques-uns de ses pigeons (espèce où les caractères se transmettent ordinairement à égal degré aux deux sexes) deviennent bleu pâle, pourrait-il, par une sélection continue, créer une race chez laquelle les mâles seuls affecteraient cette nuance, tandis que les femelles ne changeraient pas de couleur ? Je me bornerai à dire ici que, bien qu’il ne soit peut-être pas impossible d’obtenir ce résultat, ce serait cependant très-difficile ; car le résultat naturel de la reproduction des mâles bleu pâle serait d’amener à cette couleur toute la descendance, les deux sexes compris. Toutefois, si des variations de la nuance désirée apparaissaient spontanément, et que ces variations fussent limitées dès l’abord dans leur développement au sexe mâle, il n’y aurait pas la moindre difficulté à produire une race comportant une différence de coloration chez les deux sexes, ce qui a été, d’ailleurs, effectué chez une race belge, dont les mâles seuls sont rayés de noir. De même, si une variation vient à apparaître chez un pigeon femelle, variation limitée d’abord à ce sexe dans son développement, il serait aisé de créer une race dont les femelles seules posséderaient un certain caractère ; mais, si la variation n’était pas ainsi originellement circonscrite, le problème serait très-difficile, sinon impossible à résoudre[37].


Sur les rapports entre l’époque du développement d’un caractère et sa transmission à un sexe ou aux deux sexes. — Pourquoi certains caractères sont-ils héréditaires chez les deux sexes, et d’autres chez un seul, notamment chez celui où ils ont apparu en premier lieu ? C’est ce que, dans la plupart des cas, nous ignorons entièrement. Nous ne pouvons même conjecturer pourquoi, chez certaines sous-races du pigeon, des stries noires, bien que transmises par la femelle, se développent chez le mâle seul, alors que tous les autres caractères sont également transmis aux deux sexes. Pourquoi encore, chez les chats, la robe tigrée ne se développe-t-elle, à de rares exceptions près, que chez la femelle seule ? On a constaté que certains caractères, tels que l’absence d’un ou de plusieurs doigts ou la présence de doigts additionnels, la dyschromatopsie, etc., peuvent se transmettre dans telle famille aux hommes seuls, et dans telle autre aux femmes seules, bien que, dans les deux cas, ils soient transmis aussi bien par le même sexe que par le sexe opposé[38]. Malgré notre profonde ignorance, nous connaissons deux règles générales auxquelles il y a peu d’exceptions ; les variations, qui apparaissent pour la première fois chez un individu de l’un ou de l’autre sexe à une époque tardive de la vie, tendent à ne se développer que chez les individus appartenant au même sexe ; les variations qui se produisent, pendant les premières années de la vie, chez un individu de l’un ou de l’autre sexe, tendent à se développer chez les individus des deux sexes. Je ne prétends, cependant, pas dire que l’âge soit la seule cause déterminante. Comme je n’ai pas encore discuté ce sujet, je dois, en raison de la portée considérable qu’il a sur la sélection sexuelle, entrer ici dans des détails longs et quelque peu compliqués.

On conçoit facilement qu’un caractère apparaissant à un âge précoce tende à se transmettre également aux deux sexes. En effet, la constitution des mâles et des femelles ne diffère pas beaucoup, tant qu’ils n’ont pas acquis la faculté de se reproduire. Quand, au contraire, les individus des deux sexes sont assez âgés pour pouvoir se reproduire, et que leur constitution diffère beaucoup, les gemmules (si j’ose encore me servir du langage de la pangenèse) qu’émet chaque partie variable d’un individu possèdent probablement des affinités spéciales qui les portent à s’unir aux tissus d’un individu du même sexe, et à se développer chez lui plutôt que chez un individu du sexe opposé.

Un fait général m’a conduit à penser qu’il existe une relation de ce genre ; toutes les fois, en effet, et de quelque manière que le mâle adulte diffère de la femelle adulte, il diffère de la même façon des jeunes des deux sexes. Ce fait, comme je viens de le dire, est général ; il se vérifie chez la plupart des mammifères, des oiseaux, des amphibies et des poissons, chez beaucoup de crustacés, d’araignées et chez quelques insectes, notamment chez certains orthoptères et chez certains libellules. Dans tous ces cas, les variations, grâce à l’accumulation desquelles le mâle a acquis les caractères masculins qui lui sont propres, ont dû survenir à une époque tardive de la vie, car, autrement, les jeunes mâles posséderaient des caractères identiques ; or, conformément à notre règle, ces caractères ne se transmettent et ne se développent que chez les mâles adultes seuls. Quand, au contraire, le mâle adulte ressemble beaucoup aux jeunes des deux sexes (qui, sauf de rares exceptions, sont semblables), il ressemble ordinairement à la femelle adulte ; et, dans la plupart de ces cas, les variations qui ont déterminé les caractères actuels des jeunes et des adultes, se sont probablement produites, selon notre règle, pendant la jeunesse. Il y a, cependant, ici un doute à concevoir, attendu que les caractères se transmettent quelquefois aux descendants à un âge moins avancé que celui où ils ont apparu en premier lieu chez les parents, de sorte que ceux-ci peuvent avoir varié étant adultes, et avoir transmis leurs caractères à leurs jeunes petits. En outre, on observe beaucoup d’animaux chez lesquels les individus adultes des deux sexes, très-semblables, ne ressemblent pas aux jeunes ; dans ce cas, les caractères propres aux adultes doivent avoir été acquis tardivement dans la vie, et, néanmoins, contrairement en apparence à notre règle, ils se transmettent aux individus des deux sexes. Toutefois, il est possible et même probable que des variations successives de même nature se produisent quelquefois simultanément, sous l’influence de conditions analogues, chez les individus des deux sexes, à une période assez avancée de la vie ; dans ce cas, les variations se transmettraient aux descendants des individus des deux sexes à un âge avancé correspondant ; ce qui, alors, ne constituerait pas une exception à la règle que nous avons établie, c’est-à-dire, que les variations qui se produisent à un âge avancé se transmettent exclusivement aux individus appartenant au même sexe que ceux chez lesquels ces variations ont apparu en premier lieu. Cette dernière règle paraît être plus généralement exacte que la seconde, à savoir, que les variations qui surviennent chez les individus de l’un ou de l’autre sexe, à un âge précoce, tendent à se transmettre aux individus des deux sexes. Il est évidemment impossible d’estimer, même approximativement, les cas où ces deux propositions se vérifient chez le règne animal : j’ai donc pensé qu’il vaut mieux étudier à fond quelques exemples frappants, et conclure d’après les résultats.

La famille des cerfs nous fournit un champ de recherches excellent. Chez toutes les espèces, une seule exceptée, les bois ne se développent que chez le mâle, bien qu’ils soient certainement transmis par la femelle, chez laquelle, d’ailleurs, ils se développent quelquefois anormalement. Chez le renne, au contraire, la femelle porte aussi des bois ; chez cette espèce, par conséquent, les bois doivent, d’après notre règle, apparaître à un âge précoce, longtemps avant que les individus des deux sexes, arrivés à maturité, diffèrent beaucoup par leur constitution. Chez toutes les autres espèces de cerfs, les bois doivent, toujours en vertu de notre règle, apparaître plus tardivement, car ils ne se développent que chez les seuls individus appartenant au sexe où ils ont paru en premier lieu chez l’ancêtre de toute la famille. Or, chez sept espèces appartenant à des sections distinctes de la famille, et habitant des régions différentes, espèces chez lesquelles les cerfs mâles portent seuls des bois, je remarque que ceux-ci paraissent à des périodes variant de neuf mois après la naissance chez le chevreuil, à dix, douze mois et même plus longtemps chez les mâles des six autres plus grandes espèces[39]. Mais, chez le renne, le cas est tout différent, car le professeur Nilsson, qui a bien voulu, à ma demande, faire, en Laponie, des recherches spéciales à ce sujet, m’informe que les bois paraissent, chez les jeunes animaux des deux sexes, quatre ou cinq semaines après la naissance. Nous avons donc ici une conformation qui, se développant dès un âge d’une précocité inusitée, et chez une seule espèce de la famille, se trouve être commune aux deux sexes.

Chez plusieurs espèces d’antilopes les mâles seuls sont pourvus de cornes ; toutefois, chez le plus grand nombre, les individus des deux sexes en portent. Quant à l’époque du développement, M. Blyth a étudié aux Zoological Gardens un jeune Coudou (Ant. strepsiceros), espèce où les mâles seuls sont armés, et un autre jeune d’une espèce très-voisine, le Canna (Ant. orcas), chez laquelle les individus des deux sexes portent des cornes. Or, conformément à la loi que nous avons posée, le jeune Coudou, bien qu’il ait atteint l’âge de dix mois, avait des cornes très-petites relativement aux dimensions qu’elles devaient prendre plus tard ; tandis que, chez le jeune Canna mâle, qui n’avait que trois mois, les cornes étaient déjà beaucoup plus grandes que chez le Coudou. Il est à remarquer aussi que chez l’antilope furcifère (Ant. Americana)[40], quelques femelles seules, environ une sur cinq, portent des cornes, et encore ces cornes restent-elles presque rudimentaires, bien qu’elles atteignent parfois plus de 10 centimètres de longueur ; cette espèce se trouve donc, au point de vue de la possession des cornes par les mâles seuls, dans un état intermédiaire ; or, les cornes ne paraissent que cinq ou six mois après la naissance. En conséquence, si nous comparons la période de l’apparition des cornes chez l’antilope furcifère avec les quelques renseignements que nous avons à cet égard sur les autres espèces d’antilopes et avec les renseignements plus complets que nous possédons relativement aux cornes des cerfs, des bœufs, etc., nous en arrivons à la conclusion que les cornes, chez cette espèce, paraissent à une époque intermédiaire, c’est-à-dire qu’elles ne paraissent pas de très-bonne heure comme chez le bœuf et le mouton, ni très-tard comme chez les espèces plus grandes de cerfs et d’antilopes. Chez les moutons, les chèvres et les bestiaux, où les cornes sont bien développées chez les individus des deux sexes, bien qu’elles n’atteignent pas toujours exactement la même grandeur, on peut les sentir ou même les voir au moment de la naissance ou peu après[41]. Toutefois, certaines races de moutons, les mérinos, par exemple, où les béliers sont seuls armés de cornes, semblent faire exception à notre règle ; car, malgré mes recherches[42], je n’ai pu prouver que, chez cette race, ces organes se développent plus tardivement que chez les races ordinaires où les individus des deux sexes portent des cornes. Mais, chez les moutons domestiques, la présence ou l’absence des cornes n’est pas un caractère parfaitement constant ; certaines brebis mérinos portent, en effet, des petites cornes, tandis que certains béliers sont désarmés ; en outre, on observe quelquefois, chez les races ordinaires, des brebis qui n’ont pas de cornes.

Le Dr W. Marshall a étudié récemment avec une attention toute particulière les protubérances qui existent très souvent sur la tête des oiseaux[43]. Ces études lui ont permis de tirer les conclusions suivantes : quand les protubérances existent chez le mâle seul, elles se développent tardivement ; quand, au contraire, elles sont communes aux deux sexes, elles se développent de très bonne heure. C’est là une confirmation éclatante des deux lois que j’ai formulées sur l’hérédité.

Chez la plupart des espèces de la splendide famille des faisans, les mâles diffèrent considérablement des femelles, et ne revêtent leurs ornements qu’à un âge assez avancé. Il est, toutefois, un faisan (Crossoptilon auritum) qui présente une remarquable exception, en ce que les individus des deux sexes possèdent les superbes plumes caudales, les larges touffes auriculaires et le velours cramoisi qui couvre la tête ; j’apprends que tous ces caractères, conformément à notre loi, apparaissent de très bonne heure. Il existe, cependant, un caractère qui permet de distinguer le mâle de la femelle à l’état adulte : c’est la présence d’ergots, qui, selon notre règle, à ce que m’apprend M. Barlett, ne commencent à se développer qu’à l’âge de six mois, et même, à cet âge, il est difficile de distinguer les deux sexes[44]. Presque toutes les parties du plumage chez le mâle et chez la femelle du paon diffèrent notablement ; mais ils possèdent tous deux une élégante crête céphalique qui se développe de très-bonne heure, longtemps avant les autres ornements particuliers aux mâles. Le canard sauvage offre un cas analogue ; en effet, le magnifique miroir vert des ailes, communs aux individus des deux sexes, mais un peu moins brillant et un peu plus petit chez la femelle, apparaît de très bonne heure, tandis que les plumes frisées de la queue et les autres ornements propres aux mâles ne se développent que plus tard[45]. On pourrait, outre les cas extrêmes d’étroite ressemblance sexuelle et de dissimilitude complète, que nous présentent le Crossoptilon et le Paon, signaler beaucoup de cas intermédiaires dans lesquels les caractères suivent dans leur ordre de développement les deux lois que nous avons formulées.

La plupart des insectes sortent de la chrysalide à l’état parfait. L’époque du développement peut-elle donc dans ce cas déterminer la transmission des caractères à un sexe seul ou aux deux sexes ? Prenons, par exemple, deux espèces de papillons : chez l’une, les mâles et les femelles diffèrent de couleur ; chez l’autre, ils se ressemblent. Les écailles colorées se développent-elles au même âge relatif dans la chrysalide ? Toutes les écailles se forment-elles simultanément sur les ailes d’une même espèce de papillons, chez laquelle certaines marques colorées sont propres à un sexe, pendant que d’autres sont communes aux deux ? Une différence de ce genre dans l’époque du développement n’est pas aussi improbable qu’elle peut d’abord le paraître ; car, chez les Orthoptères, qui atteignent l’état parfait, non par une métamorphose unique, mais par une série de mues successives, les jeunes mâles de quelques espèces ressemblent d’abord aux femelles, et ne revêtent leurs caractères masculins distinctifs que dans une de leurs dernières mues. Les mues successives de certains crustacés mâles présentent des cas strictement analogues.

Nous n’avons jusqu’ici considéré la transmission des caractères, relativement à l’époque de leur développement, que chez les espèces à l’état de nature ; voyons ce qui se passe chez les animaux domestiques ; nous nous occuperons d’abord des monstruosités et des maladies. La présence de doigts additionnels et l’absence de certaines phalanges doivent être déterminées dès une époque embryonnaire précoce, — la tendance à l’hémorrhagie est au moins congénitale, comme l’est probablement la dyschromatopsie ; — cependant, ces particularités et d’autres semblables ne se transmettent souvent qu’à un sexe ; ce qui constitue une exception à la loi en vertu de laquelle les caractères qui se développent à un âge précoce tendent à se transmettre aux individus des deux sexes. Mais, comme nous l’avons déjà fait remarquer, cette loi ne paraît pas être aussi généralement vraie que l’autre proposition, à savoir que les caractères qui apparaissent à une période tardive de la vie se transmettent exclusivement aux individus appartenant au même sexe que ceux chez lesquels ces caractères ont paru d’abord. Le fait que des particularités anormales s’attachent à un sexe, longtemps avant que les fonctions sexuelles soient devenues actives, nous permet de conclure qu’il doit y avoir une différence de quelque nature entre les individus des deux sexes, même à un âge très-précoce. Quant aux maladies propres aux individus d’un seul sexe, nous ignorons trop absolument l’époque à laquelle elles peuvent surgir, pour qu’il nous soit permis d’en tirer aucune conclusion certaine. La goutte semble, toutefois, confirmer la loi que nous avons formulée ; car elle résulte ordinairement d’excès faits longtemps après l’enfance et le père transmet cette maladie à ses fils bien plus souvent qu’à ses filles.

Les mâles des diverses races domestiques de moutons, de chèvres et de bétail, diffèrent des femelles au point de vue de la forme et du développement des cornes, du front, de la crinière, du fanon, de la queue, de la bosse sur les épaules, toutes particularités qui, conformément à la loi que nous avons posée, ne se développent complètement qu’à un âge assez avancé. Les chiens ne diffèrent ordinairement pas des chiennes ; cependant, chez certaines races, et surtout chez le lévrier écossais, le mâle est plus grand et plus pesant que la femelle ; en outre, comme nous le verrons dans un chapitre subséquent, la taille du mâle continue à augmenter jusqu’à un âge très-avancé ; ce qui, en vertu de notre règle, explique quil transmet cette particularité à ses descendants mâles seuls. On n’observe, au contraire, la robe tigrée que chez les chattes ; elle est déjà très-apparente à la naissance, fait qui constitue une exception à notre règle. Les mâles seuls d’une certaine race de pigeons portent des raies noires qui apparaissent déjà sur les oiseaux encore au nid ; mais ces raies s’accentuent à chaque mue successive ; ce cas est donc en partie contraire, en partie favorable à la règle. Chez les pigeons Messagers et chez les Grosse-gorges le développement complet des caroncules et du jabot n’a lieu qu’un peu tard, et, conformément à notre règle, ces caractères à l’état parfait ne se transmettent qu’aux mâles. Les cas suivants rentrent peut-être dans la classe précédemment mentionnée où les individus des deux sexes, ayant varié de la même manière à une époque tardive de la vie, ont transmis à leurs descendants des deux sexes leurs caractères nouveaux à une période correspondante, et, par conséquent, ne font point exception à notre règle. Ainsi, Neumeister[46] a décrit certaines sous-races de pigeons dont les mâles et les femelles changent de couleur pendant deux ou trois mues, comme le fait le Culbutant-amande ; ces changements, néanmoins, bien que tardifs, sont communs aux individus des deux sexes. Une variété du Canari, dit le prix de Londres, présente un cas presque analogue.

L’hérédité de divers caractères par un sexe ou par les deux sexes chez les races de volailles paraît généralement déterminée par l’époque où ces caractères se développent. Ainsi, quand la coloration du mâle adulte diffère beaucoup de celle de la femelle et de celle du mâle adulte de l’espèce souche, le mâle adulte, — ce que l’on peut constater chez de nombreuses races, — diffère aussi du jeune mâle, de sorte que les caractères nouvellement acquis doivent avoir apparu à un âge assez avancé. D’autre part, quand les mâles et les femelles se ressemblent, les jeunes ont ordinairement une coloration analogue à celle de leurs parents ; il est donc probable que cette coloration s’est produite pour la première fois à un âge précoce de la vie. Toutes les races noires et blanches, où les jeunes et les adultes des deux sexes se ressemblent, nous offrent des exemples de ce fait ; on ne saurait, d’ailleurs, soutenir que le plumage blanc ou noir soit un caractère tellement particulier qu’il doive se transmettre aux individus des deux sexes, car, chez beaucoup d’espèces naturelles, les mâles seuls sont noirs ou blancs, et les femelles très-différemment colorées. Chez les sous-races de poules dites coucous, dont les plumes sont transversalement rayées de lignes foncées, les individus des deux sexes et les poulets sont colorés presque de la même manière. Le plumage tacheté des Bantam-Sebright est le même chez les individus des deux sexes, et chez les poulets les plumes des ailes sont distinctement bien qu’imparfaitement tachetées de noir. Les Hambourgs pailletés constituent toutefois une exception partielle, car, bien que les individus des deux sexes ne soient pas absolument identiques, ils se ressemblent plus que les individus mâles et femelles de l’espèce souche primitive ; cependant ils n’acquièrent que tardivement leur plumage caractéristique, car les poulets sont distinctement rayés. Étudions maintenant d’autres caractères que la couleur : les mâles seuls de l’espèce souche sauvage et de la plupart des races domestiques portent une crête bien développée ; cette crête, cependant, atteint de très-bonne heure une grande dimension chez les jeunes de la race espagnole, ce qui paraît motiver sa grosseur démesurée chez les poules adultes. Chez les races de combat, l’instinct belliqueux se manifeste à un âge singulièrement précoce, ce dont on pourrait citer de curieux exemples ; ce caractère se transmet, en outre, aux individus des deux sexes au point que, vu leur excessive disposition querelleuse, on est obligé d’exposer les poules dans des cages séparées. Chez les races polonaises, la protubérance osseuse du crâne, qui supporte la crête, se développe partiellement avant même que le poulet soit éclos, et la crête commence à pousser, quoique faiblement d’abord[47] ; chez cette race, la présence d’une forte protubérance osseuse et d’une crête énorme constituent des caractères communs aux deux sexes.


En résumé, les rapports que nous avons vu exister chez beaucoup d’espèces naturelles et chez un grand nombre de races domestiques, entre la période du développement des caractères et le mode de leur transmission, — le fait frappant, par exemple, de la croissance précoce des bois chez le renne, dont les mâles et les femelles portent des bois, comparée à l’apparition plus tardive des bois chez les autres espèces où le mâle seul en est pourvu, — nous autorisent à conclure qu’une des causes, mais non la seule, de la transmission de certains caractères exclusivement aux individus appartenant à un sexe est que ces caractères se développent à un âge avancé. Secondement, qu’une des causes, quoique moins efficace, de l’hérédité des caractères par les individus appartenant aux deux sexes, est le développement de ces caractères à un âge précoce, alors que la constitution des mâles et des femelles diffère peu. Il semble, toutefois, qu’il doive exister quelque différence entre les sexes, même à une période embryonnaire très précoce, car des caractères développés à cet âge s’attachent assez souvent à un seul sexe.


Résumé et conclusion. — La discussion qui précède, sur les diverses lois de l’hérédité, nous apprend que les caractères tendent souvent, ordinairement même, à se développer chez le même sexe, au même âge, et périodiquement à la même saison de l’année, que ceux où ils ont apparu pour la première fois chez les parents. Mais des causes inconnues jettent une grande perturbation dans l’application de ces lois. Les progrès successifs qui tendent à modifier une espèce peuvent donc se transmettre de différentes manières ; les uns sont transmis à l’un des sexes, les autres aux deux sexes, les uns aux descendants à un certain âge, les autres à tous les âges. Les lois de l’hérédité présentent non seulement une complication extrême, mais il en est de même des causes qui provoquent et règlent la variabilité. Les variations ainsi provoquées se conservent et s’accumulent grâce à la sélection sexuelle, qui est en elle-même excessivement complexe, car elle dépend de l’ardeur, du courage, de la rivalité des mâles et, en outre, du discernement, du goût et de la volonté de la femelle. La sélection sexuelle est aussi, quand il s’agit de l’avantage général de l’espèce, dominée par la sélection naturelle. Il en résulte que le mode suivant lequel la sélection sexuelle affecte les individus de l’un ou de l’autre sexe ou des deux sexes, ne peut qu’être compliqué au plus haut degré.

Lorsque les variations se produisent à un âge avancé chez un sexe et se transmettent au même sexe et au même âge, l’autre sexe et les jeunes n’éprouvent, bien entendu, aucune modification. Lorsqu’elles se transmettent aux individus des deux sexes et au même âge, les jeunes seuls n’éprouvent aucune modification. Toutefois, des variations peuvent se produire à toutes les périodes de la vie chez les individus mâles ou femelles ou chez les deux à la fois et se transmettre aux individus des deux sexes à tous les âges ; dans ce cas, tous les individus de l’espèce éprouvent des modifications semblables. Nous verrons dans les chapitres suivants que tous ces cas se présentent fréquemment dans la nature.

La sélection sexuelle ne saurait agir sur un animal avant qu’il ait atteint l’âge où il peut se reproduire. Elle agit ordinairement sur le sexe mâle et non sur le sexe femelle, en raison de la plus grande ardeur du premier. C’est ainsi que les mâles ont acquis des armes pour lutter avec leurs rivaux, se sont procuré des organes pour découvrir la femelle et la retenir, ou pour l’exciter et la séduire. Quand le mâle diffère sous ces rapports de la femelle, nous avons vu qu’il est alors assez ordinaire que le mâle adulte diffère plus ou moins du jeune mâle ; ce fait nous autorise à conclure que les variations successives, qui ont modifié le mâle adulte, ne se sont généralement pas produites beaucoup avant l’âge où l’animal est en état de se reproduire. Toutes les fois que des variations, en petit ou en grand nombre, se sont produites à un âge précoce, les jeunes mâles participent plus ou moins aux caractères des mâles adultes. On peut observer des différences de cette nature entre les vieux et les jeunes mâles chez beaucoup d’espèces d’animaux.

Il est probable que les jeunes animaux mâles ont dû souvent tendre à varier d’une manière qui, non seulement leur était inutile à un âge précoce, mais qui pouvait même leur être nuisible ; par exemple, l’acquisition de vives couleurs qui les aurait rendus trop apparents, ou l’acquisition de conformations telles que des cornes, dont le développement aurait déterminé chez eux une grande déperdition de force vitale. La sélection naturelle a dû, presque certainement, se charger d’éliminer les variations de ce genre, dès qu’elles se sont produites chez les jeunes mâles. Chez les mâles adultes et expérimentés, au contraire, les avantages qui résultent de l’acquisition de semblables caractères pour la lutte avec les autres mâles, doivent avoir souvent plus que compensé les quelques dangers dont ils pouvaient être d’ailleurs la cause.

Si des variations analogues à celles qui donnent au mâle une supériorité sur ses rivaux, ou lui facilitent la recherche ou la possession de la femelle, apparaissent chez cette dernière, la sélection sexuelle ne saurait intervenir pour les conserver, car elles ne lui sont d’aucune utilité. Les variations de tous genres chez les animaux domestiques se perdent bientôt par les croisements et les morts accidentelles, si on ne les soumet pas à une sélection attentive ; nous pourrions citer de nombreuses preuves à cet égard. Par conséquent, à l’étal de nature, des variations semblables à celles que nous venons d’indiquer seraient très-sujettes à disparaître, si elles venaient à se produire chez les femelles et à être transmises exclusivement au même sexe ; toutefois, si les femelles variaient et transmettaient à leurs descendants des deux sexes leurs caractères nouvellement acquis, la sélection sexuelle interviendrait pour conserver aux mâles ceux de ces caractères qui leur seraient avantageux, bien qu’ils n’aient aucune utilité pour les femelles elles-mêmes. Dans ce cas, les mâles et les femelles se modifieraient de la même manière. J’aurai plus loin à revenir sur ces éventualités si complexes. Enfin, les femelles peuvent acquérir et ont certainement acquis par transmission des caractères appartenant au sexe mâle.

La sélection sexuelle a accumulé incessamment et a tiré grand parti, au point de vue de la reproduction de l’espèce, des variations qui se produisent à un âge avancé et qui ne se transmettent qu’à un seul sexe ; il paraît donc inexplicable, à première vue, que la sélection naturelle n’ait pas accumulé plus fréquemment des variations semblables ayant trait aux habitudes ordinaires de la vie. S’il en avait été ainsi, les mâles et les femelles auraient souvent éprouvé des modifications différentes dans le but, par exemple, de capturer leur proie ou d’échapper au danger. Des différences de ce genre se présentent parfois, surtout chez les animaux inférieurs. Mais ceci implique que les mâles et les femelles ont des habitudes différentes dans la lutte pour l’existence, ce qui est très-rare chez les animaux supérieurs. Le cas est tout différent quand il s’agit des fonctions reproductrices, point sur lequel les deux sexes diffèrent nécessairement. En effet, les variations de structure qui se rapportent à ces fonctions sont souvent avantageuses à un sexe, et ces variations se transmettent à un sexe seulement parce qu’elles se sont produites à un âge avancé ; or ces variations conservées et transmises par hérédité ont amené la formation des caractères sexuels secondaires.

J’étudierai, dans les chapitres suivants, les caractères sexuels secondaires chez les animaux de toutes les classes, en cherchant à appliquer, dans chaque cas, les principes que je viens d’exposer dans ce chapitre. Les classes inférieures ne nous retiendront pas longtemps, mais nous aurons à étudier longuement les animaux supérieurs, les oiseaux surtout. Il est inutile de rappeler que, pour des raisons déjà indiquées, je citerai peu d’exemples des innombrables conformations qui servent au mâle à trouver la femelle et à la retenir lorsqu’il l’a rencontrée. Je discuterai, au contraire, avec tous les développements que comporte ce sujet, si intéressant à plusieurs points de vue, toutes les conformations et tous les instincts qui permettent à un mâle de vaincre les autres mâles, et qui le mettent à même de séduire ou d’exciter la femelle.


Supplément sur le nombre proportionnel des mâles et des femelles chez les animaux appartenant à diverses classes.


Personne n’a encore, autant toutefois que je puis le savoir, étudié quel est le nombre relatif des mâles et des femelles dans le règne animal ; je crois donc devoir résumer ici les documents, d’ailleurs très-incomplets, que j’ai pu recueillir à ce sujet. Ils comprennent quelques statistiques, mais le nombre n’en est malheureusement pas grand. Je citerai d’abord, comme terme de comparaison, les faits relatifs à l’homme, parce que ce sont les seuls qui soient connus avec quelque certitude.

Homme. — En Angleterre, pendant une période de dix ans (1857 à 1866), il est né annuellement, en moyenne, 707,120 enfants vivants, dans la proportion de 104,5 garçons pour 100 filles. Mais en 1857, la proportion des garçons nés en Angleterre a été comme 105,2, et en 1865, comme 104 est à 100 filles. Considérons des districts séparés : dans le Buckinghamshire (où en moyenne il naît annuellement 5,000 enfants), la proportion moyenne des naissances de garçons et de filles, pendant la période décennale ci-dessus indiquée, a été comme 102,8 est à 100 ; tandis que dans le nord du pays de Galles (où les naissances annuelles s’élèvent à 12,873) la proportion a été de 106,2 garçons pour 100 filles. Prenons un district plus restreint, le Rutlandshire (où la moyenne annuelle des naissances n’est que de 739), en 1864, il naquit 114,6 garçons, et en 1862, 97 garçons seulement, pour 100 filles ; mais, même dans ce petit district, la moyenne des 7,385 naissances des dix ans donnait une proportion de 101,5 garçons, pour 100 filles, c’est-à-dire une proportion égale à celle de toute l’Angleterre[48]. Des causes inconnues modifient quelquefois les proportions ; ainsi, le professeur Faye constate « que, dans quelques parties de la Norvège, il s’est manifesté, pendant une période décennale, un déficit persistant de garçons, tandis que, dans d’autres parties, le fait contraire s’est présenté. » En France, la proportion des naissances mâles et femelles a été, pendant une période de quarante-quatre ans, comme 106,2 est à 100 ; mais, pendant cette période, il est arrivé, cinq fois dans un département et six fois dans un autre, que les naissances du sexe féminin ont excédé les naissances du sexe masculin. En Russie, la proportion moyenne est fort élevée : comme 108,9 est à 100 ; et, à Philadelphie, aux États-Unis, comme 110,5 est à 100[49]. La moyenne pour toute l’Europe, moyenne calculée par Bickes d’après environ soixante-dix millions de naissances est 106 garçons contre 100 filles. D’autre part, chez les enfants blancs nés au cap de Bonne-Espérance, la moyenne est très-peu élevée, car, pendant plusieurs années successives, on n’a compté que de 90 à 99 garçons contre 100 filles. Signalons un fait remarquable : chez les juifs, la proportion des naissances mâles est relativement plus forte que chez les chrétiens ; ainsi, en Prusse, la proportion est comme 113, à Breslau comme 114, en Livonie, comme 120 est à 100. Chez les chrétiens, dans ces mêmes pays, la moyenne ne s’élève pas au-dessus de la proportion habituelle : par exemple, en Livonie, elle est de 104 garçons pour 100 filles[50]. Le professeur Faye fait remarquer qu’« on constaterait une prépondérance de mâles encore bien plus considérable, si la mort frappait également les individus des deux sexes, tant pendant la gestation qu’à la naissance. Mais le fait est que, pour 100 enfants mort-nés du sexe féminin, nous trouvons dans plusieurs pays de 134,6 à 144,9 mort-nés du sexe masculin. En outre, il meurt plus de garçons que de filles dans les quatre ou cinq premières années de la vie ; en Angleterre, par exemple, dans la première année, il meurt 126 garçons pour 100 filles, la proportion observée en France est encore plus défavorable[51]. » Le docteur Stockton-Hough explique en partie ces faits par le développement plus souvent défectueux des garçons que des filles. Nous avons déjà dit que l’homme est sujet à plus de variations que la femme ; or ces variations, portant sur des organes importants, sont ordinairement nuisibles. En outre, le corps de l’enfant mâle, et surtout la tête, est plus gros que celui de la femelle, et c’est encore là une cause de la mort plus fréquente des garçons, car ils sont plus exposés à des accidents pendant l’accouchement. En conséquence, les mâles mort-nés sont plus nombreux, et un juge très-compétent, le docteur Crichton Browne, croit que les enfants mâles souffrent fréquemment pendant plusieurs années après leur naissance. Cet excès de la[52] mortalité des enfants mâles au moment de la naissance et pendant les premières années, les dangers plus grands que courent les hommes adultes, leur disposition à émigrer, expliquent que, dans tous les pays civilisés qui possèdent des documents statistiques, le nombre des femmes est considérablement supérieur à celui des hommes[53].

Il semble tout d’abord très-extraordinaire que chez divers peuples, dans des conditions et sous des climats différents, à Naples, en Prusse, en Westphalie, en Hollande, en France, en Angleterre et aux États-Unis, l’excès des naissances mâles sur les naissances femelles est moins considérable quand les enfants sont illégitimes que quand ils sont légitimes[54]. Plusieurs savants ont cherché à expliquer ce fait de bien des façons différentes ; les uns l’attribuent à ce que les mères sont ordinairement jeunes, les autres à ce que les enfants proviennent d’une première grossesse, etc. Mais nous avons vu que les garçons, ayant la tête plus grosse, souffrent plus que les filles pendant l’accouchement ; en outre, comme les mères d’enfants illégitimes sont plus exposées que les autres femmes à des accouchements laborieux résultant de diverses causes, telles qu’une dissimulation de grossesse, un travail pénible, l’inquiétude, etc., les enfants mâles doivent souffrir proportionnellement. C’est probablement à ces causes qu’il faut attribuer la proportion moindre des enfants illégitimes mâles. Chez la plupart des animaux, la taille plus grande du mâle adulte provient de ce que les mâles les plus forts ont vaincu les plus faibles dans la lutte pour la possession des femelles, et c’est sans doute à cette cause qu’il faut attribuer la différence de grosseur des petits, au moins chez quelques animaux au moment de la naissance. Il en résulte que nous pouvons attribuer, en partie au moins, à la sélection sexuelle le fait curieux que la mortalité est plus grande chez les garçons que chez les filles, surtout quand il s’agit d’enfants illégitimes.

Il résulte de cet excès de la mortalité des enfants mâles, et aussi de ce que les hommes adultes sont exposés à plus de dangers et émigrent plus facilement, que, dans tous les pays anciennement habités, où l’on a conservé des documents statistiques, on observe que les femmes l’emportent considérablement par le nombre sur les hommes.

On a souvent supposé que l’âge relatif des parents détermine le sexe des enfants, et le professeur Leuckart[55] a accumulé des documents qu’il considère comme suffisants pour prouver, en ce qui concerne l’homme et quelques animaux domestiques, que ce rapport d’âge constitue un des facteurs importants dans le résultat. On a aussi regardé comme une cause effective l’époque de la fécondation relativement à l’état de la femelle, mais des observations récentes ne confirment pas cette manière de voir. D’après le docteur Slockton-Hough[56], la saison de l’année, l’état de pauvreté ou de richesse des parents, la résidence à la campagne ou dans les villes, la présence d’immigrants, etc., sont toutes des causes qui exercent une influence sur la proportion des sexes. Pour l’homme encore, on a supposé que la polygamie détermine la naissance d’une plus grande proportion d’enfants du sexe féminin ; mais le docteur J. Campbell[57], après des recherches nombreuses faites dans les harems de Siam, a été amené à conclure que la proportion des naissances de garçons et de filles est la même que celle que donnent les unions monogames. Bien que peu d’animaux aient été rendus aussi polygames que notre cheval de course anglais, nous allons voir que ses descendants mâles et femelles sont presque en nombre exactement égal.

Je vais maintenant citer les faits que j’ai recueillis relativement au nombre proportionnel des sexes chez diverses espèces d’animaux, puis je discuterai brièvement quel rôle a pu jouer la sélection pour amener le résultat.


Cheval. — Je dois à l’obligeance de M. Tegetmeier un relevé dressé, d’après le Calendrier des Courses, des naissances de chevaux de courses pendant une période de vingt et une années, de 1847 à 1867 ; l’année 1849 seule est omise, aucun rapport n’ayant été publié. Les naissances se sont élevées à 25,560[58] ; elles consistent en 12,763 mâles et 12,797 femelles, soit un rapport de 99,7 mâles pour 100 femelles. Ces chiffres étant assez considérables, et portant sur toutes les parties de l’Angleterre, pendant une période de plusieurs années, nous pouvons en conclure que, chez le cheval domestique, au moins pour la race dite de course, les deux sexes sont produits en nombre presque égal. Les fluctuations que présentent, dans les années successives, la proportion des sexes, sont très-analogues à celles qui s’observent dans le genre humain, lorsqu’on ne considère qu’une surface peu étendue et peu peuplée ; ainsi, en 1856, on a compté, pour 100 juments, 107,1 étalons, et en 1867, seulement 92,6. Dans les rapports présentés en tableaux, les proportions varient par cycles : ainsi le nombre des mâles a excédé celui des femelles pendant six années consécutives ; et le nombre de celles-ci a excédé celui des mâles pendant deux périodes de quatre années chacune. Il se peut, toutefois, que ce soit là un fait accidentel, car je ne découvre rien de semblable dans la table décennale du Rapport relatif à la population humaine pour 1866.


Chiens. — On a publié pendant une période de douze ans, de 1857 à 1868, dans un journal, le Field, le relevé des naissances d’un grand nombre de lévriers dans toute l’Angleterre, et c’est encore à l’obligeance de M. Tegetmeier que j’en dois un relevé exact. On a enregistré 6,878 naissances, dont 3,605 mâles, et 3,273 femelles, soit un rapport de 110,1 mâles pour 100 femelles. Les plus fortes fluctuations ont eu lieu en 1864, où la proportion a été de 95,3 mâles pour 100 femelles ; et en 1867, où elle s’éleva à 116,3 mâles pour 100 femelles. La première moyenne, de 110,1 mâles pour 100 femelles, est probablement à peu près vraie pour le lévrier ; mais il est quelque peu douteux qu’on puisse l’adopter pour les autres races domestiques. M. Cupples, après avoir questionné plusieurs grands éleveurs de chiens, a conclu que tous, sans exception, admettent que les femelles sont produites en excès ; il attribue cette opinion à ce que, les femelles ayant moins de valeur, le désappointement des éleveurs, qui en est la conséquence, les a plus fortement impressionnés.


Mouton. — Les agriculteurs ne vérifiant le sexe des moutons que plusieurs mois après la naissance, à l’époque où l’on procède à la castration des mâles, les relevés qui suivent ne donnent pas les proportions au moment de la naissance. En outre, plusieurs grands éleveurs d’Écosse, qui élèvent annuellement des milliers de moutons, sont fortement convaincus qu’il périt, dans les deux premières années de la vie, une plus grande proportion d’agneaux mâles que de femelles ; la proportion des mâles serait donc quelque peu plus forte au moment de la naissance qu’à l’âge de la castration. C’est là une coïncidence remarquable avec ce qui se passe chez l’homme, et les deux cas dépendent probablement de quelque cause commune. J’ai reçu des relevés faits par plusieurs propriétaires anglais qui ont élevé des moutons de plaines, surtout des Leicester, pendant les seize dernières années : le nombre des naissances s’élève à un total de 8,965 dont 4,407 mâles et 1,558 femelles ; soit le rapport de 96,7 mâles pour 100 femelles. J’ai reçu sur des moutons cheviot et à face noire produits en Écosse, des relevés faits par six éleveurs dont deux très-importants ; ces relevés s’appliquent surtout aux années 1867-1869, bien que quelques-uns remontent jusqu’à 1862. Le nombre total enregistré se monte à 50,685 moutons, comprenant 25,071 mâles et 25,614 femelles, soit une proportion de 97,9 mâles pour 100 femelles. Si nous réunissons les données des rapports anglais et des rapports écossais, le nombre total s’élève à 59,650 moutons, consistant en 29,478 mâles et 30,172 femelles, soit le rapport de 97,7 mâles pour 100 femelles. À l’âge où l’on châtre les moutons, les femelles sont donc certainement en excès sur les mâles ; mais il n’est pas certain que cela soit le cas au moment de la naissance[59].


Bétail. — J’ai reçu des rapports de neuf personnes portant sur un nombre de 982 têtes de bétail, chiffre trop faible pour qu’on puisse en tirer aucune conclusion. Ce nombre total comportait 477 mâles et 505 femelles, soit une proportion de 91,4 mâles pour 100 femelles. Le Rév. W. D. Fox m’informe qu’en 1867, un seul veau sur 34, nés dans une ferme du Derbyshire, était mâle. M. Harrison Weir m’écrit que plusieurs éleveurs de porcs, auxquels il a demandé des renseignements à ce sujet, estiment que, chez cet animal, le rapport des naissances mâles, comparativement aux naissances femelles, est comme 7 est à 6. M. Weir, ayant élevé pendant fort longtemps des lapins, a remarqué qu’il naissait un plus grand nombre de mâles que de femelles. Mais ce sont là des renseignements qui n’ont qu’une valeur très-secondaire.

Je n’ai pu recueillir que bien peu de renseignements sur les mammifères à l’état de nature. Ceux qui concernent le rat commun sont contradictoires. M. R. Elliot, de Laighwood, m’informe qu’un preneur de rats lui a assuré qu’il avait toujours trouvé un excès de mâles, même dans les nids de petits. M. Elliot, ayant ensuite examiné lui-même quelques centaines de rats adultes, a constaté que le fait est exact. M. F. Buckland, qui a élevé une grande quantité de rats blancs, admet aussi que le nombre des mâles excède de beaucoup celui des femelles. On dit que chez les taupes, les mâles sont beaucoup plus nombreux que les femelles[60] ; la chasse de ces animaux constituant une occupation spéciale, on peut peut-être se fier à cette assertion. Décrivant une antilope de l’Afrique[61] (Kobus ellipsiprymnus), Sir A. Smith remarque que, dans les troupeaux de cette espèce et d’autres espèces, le nombre des mâles est petit comparativement à celui des femelles ; les indigènes croient qu’ils naissent dans ces proportions, d’autres indigènes disent que les plus jeunes mâles sont expulsés des troupeaux, et Sir A. Smith ajoute que, bien qu’il n’ait jamais lui-même rencontré des bandes composées seulement de jeunes mâles, d’autres assurent qu’ils en ont vu. Il est probable que les jeunes mâles, une fois chassés du troupeau, doivent être exposés à devenir la proie des nombreux animaux féroces qui peuplent le pays.


OISEAUX.


Relativement aux volailles, je n’ai reçu qu’un mémoire de M. Stretch, qui, sur 1,001 poulets d’une race très-soignée de cochinchinois qu’il a élevés pendant huit ans, a obtenu 487 mâles et 514 femelles, soit un rapport de 94,7 à 100. Il est évident que, chez le pigeon domestique, les mâles sont produits en excès, ou qu’ils vivent plus longtemps ; car ces oiseaux s’accouplent, et M. Tegetmeier m’apprend que les mâles isolés coûtent toujours moins cher que les femelles. Ordinairement, les deux oiseaux provenant des deux œufs pondus dans le même nid consistent en un mâle et une femelle ; cependant M. Harrison Weir, qui a élevé beaucoup de pigeons, assure qu’il a souvent eu deux femelles ; en outre, la femelle est généralement plus faible et plus sujette à périr.

Pour les oiseaux à l’état de nature, M. Gould et d’autres savants[62] affirment que les mâles sont généralement plus nombreux que les femelles ; car, chez beaucoup d’espèces, les jeunes mâles ressemblant aux femelles, celles-ci paraissent naturellement être plus nombreuses. M. Baker, de Leadenhall, qui élève de grandes quantités de faisans provenant d’œufs pondus par des oiseaux sauvages, a informé M. Jenner Weir qu’il obtient généralement quatre ou cinq mâles pour une femelle. Un observateur expérimenté remarque[63] qu’en Scandinavie les couvées des coqs de bruyère (T. urogallus et T. tetrix) contiennent plus de mâles que de femelles ; il ajoute que, chez le dal-ripa (espèce de lagopus, ou ptarmigan), il y a plus de mâles que de femelles sur les emplacements où ces oiseaux se réunissent pour se faire la cour ; mais quelques observateurs expliquent cette circonstance par le fait que les carnassiers tuent plus de femelles. Il semble résulter clairement de divers faits signalés par White, de Selborne[64] que les perdrix mâles doivent se trouver en grand excès dans le sud de l’Angleterre ; on m’a assuré qu’il en est de même en Écosse. M. Weir tient de négociants, qui reçoivent à certaines saisons de grands envois de combattants (Machdes pugnax), que les mâles sont de beaucoup les plus nombreux. Le même naturaliste s’est adressé pour avoir quelques renseignements à des preneurs d’oiseaux vivants qui capturent annuellement un nombre étonnant de petites espèces pour le marché de Londres ; un de ces vieux chasseurs, digne de toute confiance, lui a affirmé que chez les pinsons les mâles sont en grand excès ; il pense qu’il y a deux mâles pour une femelle, ou qu’ils se trouvent au moins dans le rapport de 5 à 3[65]. Il ajoute que les mâles sont de beaucoup les plus nombreux chez les merles, soit qu’on les prenne au piège ou au filet. Ces données paraissent exactes, car le même homme a signalé une égalité approximative des sexes chez l’alouette, chez la linotte de montagne (Linaria montana) et chez le chardonneret ; il affirme, d’autre part, que, chez la linotte commune, les femelles sont extrêmement prépondérantes, mais inégalement, suivant les différentes années ; il s’est trouvé des époques où le rapport était de quatre femelles pour un mâle. Il faut cependant tenir compte de ce fait que la chasse aux oiseaux ne commençant qu’en septembre, quelques migrations partielles peuvent avoir eu lieu, et les troupes à cette période n’être composées que de femelles. M. Salvin, qui a porté son attention sur les sexes des oiseaux-mouches de l’Amérique, est convaincu de la prépondérance des mâles chez la plupart des espèces ; ainsi il s’est procuré, une année, 204 individus appartenant à dix espèces, et il a constaté qu’il y avait 166 mâles et 38 femelles. Chez deux autres espèces, les femelles étaient en excès, mais les proportions paraissent varier suivant les saisons et les localités, car les Campylopterus hemileucurus, qui, dans une occasion, présentaient un rapport de 5 mâles pour 2 femelles, présentèrent, dans une autre occasion, exactement le rapport inverse[66]. Comme confirmation de ce dernier point, j’ajouterai que M. Powys a remarqué, à Corfou et en Épire, que les pinsons des deux sexes font bande à part, « et que les femelles sont beaucoup plus nombreuses ; » tandis qu’en Palestine M. Tristram remarqua « que les bandes de mâles paraissaient excéder considérablement en nombre celles des femelles[67]. » De même M. G. Taylor[68] dit du Quiscalus major qu’en Floride il y a « peu de femelles proportionnellement aux mâles, tandis que, dans le Honduras, le rapport étant renversé, l’espèce y affecte un caractère polygame. »


POISSONS


On ne peut, chez les poissons, déterminer les nombres proportionnels des sexes, qu’en les prenant à l’état adulte ou à peu près, et encore là se présente-t-il de nombreuses difficultés pour arriver à une conclusion exacte[69]. On peut facilement prendre des femelles stériles pour des mâles, ainsi que me l’a fait remarquer le docteur Günther, au sujet de la truite. Chez quelques espèces, on croit que les mâles meurent peu de temps après avoir fécondé les œufs. Chez un grand nombre d’espèces, les mâles sont beaucoup plus petits que les femelles, de sorte qu’un grand nombre peuvent échapper au filet dans lequel les femelles restent prises. M. Carbonnier[70], qui a beaucoup étudié l’histoire du brochet (Esox lucius), constate qu’un grand nombre de mâles sont, vu leur petitesse, dévorés par les grandes femelles ; il croit que, chez presque tous les poissons, les mâles sont, pour cette même cause, exposés à plus de dangers que les femelles. Néanmoins, dans les quelques cas où l’on a pu observer les nombres proportionnels réels, les mâles paraissaient être en excès. Ainsi M. R. Buist, le surveillant des expériences faites à Stormontfield, dit qu’en 1865, sur les 70 saumons envoyés d’abord pour fournir les œufs, plus de 60 étaient mâles. En 1867, il attire encore l’attention sur « l’énorme disproportion qui existe entre les mâles et les femelles. Au début nous avions dix mâles pour une femelle. » On se procura ensuite un nombre suffisant de femelles pour en avoir des œufs. Il ajoute « que la grande quantité des mâles fait qu’ils sont constamment occupés à se battre et à s’entre-déchirer sur les bancs de frai[71]. » On peut probablement expliquer, cette disproportion sinon totalement, au moins en partie, par le fait que les poissons mâles remontent les rivières avant les femelles. M. F. Buckland fait remarquer, au sujet de la truite, « qu’il est curieux que les mâles l’emportent autant par le nombre sur les femelles. Il arrive invariablement que, dans le premier afflux du poisson au filet, on trouve, parmi les captifs, au moins sept ou huit mâles pour une femelle. Je ne puis m’expliquer ce fait : il faut en conclure que les mâles sont plus nombreux que les femelles, ou que celles-ci cherchent à éviter le danger plutôt en se cachant que par la fuite. » Il ajoute ensuite qu’en fouillant les bancs avec soin, on y trouve suffisamment de femelles pour fournir les œufs[72]. M. H. Lee m’apprend que, sur 212 truites prises dans le parc de lord Portsmouth, il y avait 150 mâles et 62 femelles.

Les mâles paraissent aussi être en excès chez les Cyprinidés, mais plusieurs membres de cette famille, la carpe, la tanche, la brème et le véron, paraissent régulièrement suivre l’usage, rare dans le règne animal, de la polyandrie ; car la femelle, pendant la ponte, est toujours assistée de deux mâles, un de chaque côté, et, dans le cas de la brème, il y en a trois ou quatre. Le fait est si connu, qu’on recommande toujours de pourvoir un étang de deux tanches mâles pour une femelle, ou au moins trois mâles pour deux femelles. Avec le véron, ainsi que le constate un excellent observateur, les mâles sont dix fois plus nombreux sur les champs de frai que les femelles ; lorsqu’une de celles-ci pénètre parmi les mâles, « elle est immédiatement serrée de près entre deux mâles qui, après avoir conservé cette position pendant quelque temps, sont remplacés par deux autres[73]. »


INSECTES


Les Lépidoptères seuls nous permettent de juger du nombre proportionnel des sexes chez les insectes, car ils ont été recueillis avec beaucoup de soin par de nombreux et d’excellents observateurs ; on s’est beaucoup occupé aussi de leurs transformations. J’avais espéré trouver des documents exacts chez quelques éleveurs de vers à soie ; mais, après avoir écrit en France et en Italie, et avoir consulté divers traités, je suis forcé de conclure qu’on n’a jamais tenu un relevé exact ou même approximatif des sexes. L’opinion générale est que les individus des deux sexes sont en nombre à peu près égal ; mais le professeur Canestrini m’apprend qu’en Italie un grand nombre d’éleveurs sont convaincus que les femelles sont produites en excès. Le même naturaliste, toutefois, m’informe que, dans les deux éclosions annuelles du ver de l’Atlante (Bombyx cynthia), les mâles l’emportent de beaucoup dans la première, puis les deux sexes deviennent presque égaux, ou les femelles sont un peu en excès dans la seconde.

Plusieurs observateurs ont été vivement frappés de la prépondérance, en apparence énorme, des mâles chez les Lépidoptères à l’état de nature[74]. Ainsi M. Bates[75], parlant des espèces qui, au nombre d’une centaine, habitent les régions de l’Amazone supérieur, dit que les mâles sont beaucoup plus nombreux que les femelles, et cela dans une proportion qui peut être de 100 pour 1. Edwards, qui a beaucoup d’expérience à ce sujet, estime que, dans l’Amérique du Nord, le rapport des mâles aux femelles, dans le genre Papilio, est de 4 à 1 ; M. Walsh, qui m’a transmis ce renseignement, affirme que tel est le cas pour le P. turnus. Dans l’Afrique méridionale, M. R. Trimen a constaté que les mâles sont en excès chez dix-neuf espèces[76] ; chez l’une de ces espèces, qui fourmille dans les localités ouvertes, il estime la proportion des mâles à cinquante pour une femelle. Il n’a pu, dans l’espace de sept années, récolter que cinq femelles d’une autre espèce dont les mâles sont abondants dans certaines localités. Dans l’île de Bourbon, M. Maillard a constaté que les mâles d’une espèce de Papilio sont vingt fois plus nombreux que les femelles[77]. M. Trimen m’apprend qu’autant qu’il a pu le vérifier lui-même ou le savoir par d’autres, il est rare que, chez les papillons, le nombre des femelles excède celui des mâles, mais trois espèces de l’Afrique du Sud semblent faire exception à cette règle. M. Wallace[78] dit que les femelles de l’Ornithoptera crœsus, de l’archipel Malais, sont plus communes et plus faciles à prendre que les mâles, mais c’est d’ailleurs une espèce rare. J’ajouterai ici que, chez le genre de phalènes Hyperythra, d’après M. Guenée, on envoie, dans les collections venant de l’Inde, de quatre à cinq femelles pour un mâle.

Lorsque la question du nombre proportionnel du sexe des insectes fut posée devant la Société d’entomologie[79], on admit généralement que soit à l’état adulte, soit à l’état de chrysalide, on prend plus de Lépidoptères mâles que de femelles ; mais plusieurs observateurs attribuèrent ce fait à ce que les femelles ont des habitudes plus retirées, et que les mâles sortent plus tôt du cocon. On sait, en effet, que cette dernière circonstance se présente chez la plupart des Lépidoptères comme chez d’autres insectes. Il en résulte, selon la remarque de M. Personnat, que les mâles du Bombyx Yamamai domestique, au commencement, ainsi que les femelles à la fin de la saison, ne peuvent, ni les uns ni les autres, servir à la reproduction, faute d’individus du sexe opposé[80]. Je ne puis croire, cependant, que ces causes suffisent à expliquer le grand excès des mâles chez les papillons, qui sont très-communs dans le pays qu’ils habitent. M. Stainton qui a, pendant plusieurs années, étudié avec soin les phalènes de petites dimensions, m’apprend que, lorsqu’il les recueillait à l’état de chrysalide, il croyait que les mâles étaient dix fois plus nombreux que les femelles ; mais que, depuis qu’il s’est mis à les élever sur une grande échelle, en les prenant à l’état de chenille, il a pu se convaincre que les femelles sont certainement plus nombreuses. Plusieurs entomologistes partagent cette opinion. M. Doubleday et quelques autres soutiennent un avis contraire, et affirment avoir élevé de l’œuf et de la chenille une plus grande proportion de mâles que de femelles.

Outre les habitudes plus actives des mâles, leur sortie plus précoce du cocon et leur séjour, dans quelques cas, dans des stations plus découvertes, on peut assigner d’autres causes à la différence apparente ou réelle qu’on constate dans les nombres proportionnels des sexes des Lépidoptères, lorsqu’on les prend à l’état parfait, ou qu’on les élève en les prenant à l’état d’œufs ou de chenilles. Beaucoup d’éleveurs italiens, à ce que m’apprend le professeur Canestrini, croient que le ver à soie femelle est plus sujet que le mâle à la maladie et le docteur Staudinger assure que, lorsqu’on élève les Lépidoptères, il périt en cocons plus de femelles que de mâles. Chez beaucoup d’espèces, la chenille femelle est plus grosse que le mâle, et le collectionneur, choisissant naturellement les plus beaux individus, se trouve, sans intention, amené à recueillir un plus grand nombre de femelles. Trois collectionneurs m’ont assuré qu’ils agissent toujours ainsi ; d’autre part, le docteur Wallace croit qu’ils recueillent tous les individus des espèces rares qu’ils rencontrent, les seules qui méritent la peine d’être élevées. Entourés de chenilles, les oiseaux doivent probablement dévorer les plus grosses ; le professeur Canestrini m’informe que plusieurs éleveurs, en Italie, croient, quoique sur des preuves insuffisantes, que les guêpes détruisent un plus grand nombre de chenilles femelles que de mâles lors de la première éclosion du ver à soie de l’Ailante. Le docteur Wallace remarque, en outre, que les chenilles femelles, étant plus grosses que les mâles, exigent plus de temps pour leur évolution, consomment plus de nourriture et ont besoin de plus d’humidité ; elles sont donc ainsi exposées plus longtemps aux dangers que leur font courir les ichneumons, les oiseaux, etc., et doivent, en temps de disette, périr en plus grand nombre. Il semble donc tout à fait possible que, à l’état de nature, moins de chenilles femelles que de mâles parviennent à la maturité ; or, pour la question spéciale qui nous occupe, nous n’avons à considérer que le nombre des individus qui atteignent l’état adulte, le seul pendant lequel les deux sexes peuvent reproduire l’espèce.

Le rassemblement en nombre si extraordinaire autour d’une seule femelle de mâles de certaines phalènes, indique évidemment un grand excès d’individus de ce sexe, bien que ce fait puisse peut-être tenir à l’émergence plus précoce des mâles du cocon. M. Stainton a constaté la présence fréquente de douze à vingt mâles autour d’une femelle de Elachista rufocinerea. On sait que, si l’on expose dans une cage une Lasiocampa quercus ou une Saturnia carpini vierge, de grandes quantités de mâles viennent bientôt se réunir autour d’elle ; si on l’enferme dans une chambre, ils descendent même par la cheminée pour la rejoindre. M. Doubleday estime de 50 à 100 le nombre des mâles de ces deux espèces attirés en un seul jour par une femelle captive. M. Trimen a exposé, dans l’île de Wight, une boite dans laquelle il avait la veille renfermé une Lasiocampa femelle ; cinq mâles se présentèrent bientôt pour y pénétrer. M. Verreaux ayant, en Australie, mis dans sa poche une petite boite contenant la femelle d’un petit Bombyx, fut suivi d’une nuée de mâles, et environ deux cents entrèrent avec lui dans la maison[81].

M. Doubleday a appelé mon attention sur une liste de Lépidoptères du docteur Staudinger[82], portant les prix des mâles et des femelles de 300 espèces ou variétés bien accusées de papillons diurnes (Rhopalocera). Les prix des individus des deux sexes, pour les espèces très-communes, sont les mêmes ; mais ils diffèrent pour 114 des plus rares espèces ; les mâles, dans tous les cas, sauf une exception, sont les moins chers. D’après la moyenne des prix de 113 espèces, le rapport du prix du mâle à celui de la femelle est de 100 à 149, ce qui paraît indiquer que les mâles doivent inversement excéder les femelles dans la même proportion. Deux mille espèces ou variétés de papillons nocturnes (Heterocera) sont cataloguées ; mais on a exclu celles dont les femelles sont aptères, en raison de la différence des habitudes des deux sexes ; sur 2,000 espèces, 141 diffèrent de prix suivant le sexe ; chez 130 les mâles sont meilleur marché, et chez 11 seulement les mâles plus chers que les femelles. Le rapport du prix moyen des mâles de 130 espèces, comparé à celui des femelles, est de 100 à 143. M. Doubleday (et personne en Angleterre n’a plus d’expérience sur ce sujet) pense que, en ce qui concerne les papillons de ce catalogue tarifé, il n’y a rien dans les habitudes des espèces qui puisse expliquer les différences de prix des sexes, et qu’elle ne peut être attribuée qu’à un excès dans le nombre des mâles. Mais je dois ajouter que le docteur Staudinger lui-même m’a exprimé une opinion toute différente. Il pense que l’activité moindre des femelles et l’éclosion précoce des mâles explique pourquoi les collectionneurs prennent plus de mâles que de femelles, d’où le prix moindre des premiers. Quant aux individus élevés de l’état de chenille, le docteur Staudinger, croit, comme nous l’avons dit plus haut, qu’il périt dans le cocon plus de femelles que de mâles. Il ajoute que, chez certaines espèces, un des sexes semble pendant certaines années prédominer sur l’autre.

Quant aux observations directes sur les sexes des Lépidoptères élevés d’œufs ou de chenilles, j’ai reçu seulement communication du petit nombre de cas suivants :


MÂLES
 

FEMELLES
 
Le Rév. J. Hellins[83], d’Exeter, a élevé, en 1868, des chrysalides de 73 espèces, et a obtenu
153 137
M. Albert Jones, d’Eltham, a élevé, en 1868, des chrysalides de 9 espèces, et a obtenu
159 126
En 1869, il en a élevé de 4 espèces, et a obtenu 
114 112
M. Buckler, d’Emsworth, Hants, en 1869, a élevé des chrysalides de 74 espèces, et a obtenu
180 169
Le Dr Wallace, de Colchester, a élevé d’une ponte de Bombyx cynthia
  52   48
Le Dr Wallace, en 1869, a élevé, de cocons de Bombyx Pernyi venant de Chine
224 123
Le Dr Wallace, en 1868 et 1869, a élevé, de deux lots de cocons de Bombyx yama-mai
  52   46


Total…… 934 761

Donc, ces sept lots de cocons et d’œufs ont produit un excédant de mâles qui, pris dans leur ensemble, sont aux femelles dans le rapport de 122,7 à 100. Mais ces chiffres sont à peine assez importants pour être bien dignes de confiance.

En résumé, les diverses preuves qui précèdent, inclinant toutes dans la même direction, m’autorisent à conclure que, chez la plupart des espèces de Lépidoptères, le nombre des mâles à l’état d’adultes excède généralement celui des femelles, quelles que puissent être, d’ailleurs, leurs proportions à la sortie de l’œuf.

Je n’ai pu recueillir que fort peu de renseignements dignes de foi sur les autres ordres d’insectes. Chez le cerf-volant (Lucanus cervus), les mâles paraissent beaucoup plus nombreux que les femelles ; mais Cornelius a observé qu’en 1867, lors de l’apparition dans une partie de l’Allemagne d’un nombre inusité de ces coléoptères, les femelles étaient six fois plus abondantes que les mâles. Une espèce d’Élatérides passe pour avoir des mâles beaucoup plus nombreux que les femelles, « et on en trouve deux ou trois unis à une femelle[84] ; » il semble donc y avoir polyandrie. Chez le Siagonium (Staphylinides), où les mâles sont pourvus de cornes, « les femelles sont de beaucoup les plus nombreuses. » M. Janson a communiqué à la Société entomologique le fait que les femelles du Tomicus villosus, qui vit d’écorce, constituent un vrai fléau par leur abondance, tandis qu’on ne connaît presque pas les mâles, tant ils sont rares.

Dans d’autres ordres, par suite de causes inconnues, mais évidemment dans quelques cas, par suite d’une parthénogèse, les mâles de certaines espèces sont d’une rareté excessive ou n’ont pas encore été découverts, comme chez plusieurs Cynipidés[85]. Chez tous les Cynipidés gallicoles que connaît M. Walsh, les femelles sont quatre ou cinq fois plus nombreuses que les mâles ; il en est de même, à ce qu’il m’apprend, chez les Cécidomyiées (Diptères) qui produisent des galles. Il est quelques espèces de Porte-scies (Tenthrédines) que M. F. Smith a élevées par centaines de larves de toutes grandeurs sans obtenir un seul mâle ; d’autre part, Curtis[86] a trouvé, chez une autre espèce (Athalia) qu’il a élevée, une proportion de mâles égale à six fois celle des femelles, tandis qu’il en a été précisément l’inverse pour les insectes parfaits de la même espèce qu’il a recueillis dans les champs. Hermann Müller[87] a étudié tout particulièrement les abeilles ; il a recueilli un grand nombre d’individus appartenant à beaucoup d’espèces ; il en a élevé d’autres ; puis il a compté les individus appartenant à chaque sexe. Il a trouvé que, chez quelques espèces, le nombre des mâles excède de beaucoup celui des femelles ; chez d’autres espèces, c’est tout le contraire ; chez d’autres enfin, les individus des deux sexes sont en nombre à peu près égal. Mais, les mâles sortant presque toujours du cocon plus tôt que les femelles, les mâles sont pratiquement en excès au commencement de la saison. Müller a aussi observé que le nombre relatif des individus de certaines espèces diffère beaucoup dans diverses localités. Mais, comme Müller lui-même me l’a fait observer, ces remarques ne doivent être acceptées qu’avec une grande réserve, car il se peut que les individus appartenant à un sexe échappent plus facilement que les autres aux observations. Ainsi son frère, Fritz Müller, a remarqué au Brésil que les deux sexes d’une même espèce d’abeille fréquentent quelquefois des espèces différentes de fleurs. Je ne sais presque rien sur le nombre relatif des sexes chez les Orthoptères : Körte[88] affirme cependant que, sur 500 sauterelles qu’il a examinées, les mâles étaient aux femelles dans la proportion de 5 à 6. M. Walsh constate, à propos des Névroptères, que, chez beaucoup d’espèces du groupe Odonates, mais pas chez toutes, il y a un grand excédant de mâles ; chez le genre Hetærina, les mâles sont au moins quatre fois plus abondants que les femelles. Chez certaines espèces du genre Gomphus, les mâles sont également en excès, tandis que, chez deux autres espèces, les femelles sont deux ou trois fois plus abondantes que les mâles. Chez quelques espèces européennes de Psocus, on peut recueillir des milliers de femelles sans trouver un seul mâle ; les deux sexes sont communs chez d’autres espèces du même genre[89]. En Angleterre, M. Mac Lachlan a capturé des centaines de Apatania muliebris sans avoir jamais vu un seul mâle ; on n’a encore vu que quatre ou cinq mâles de Boreus hyemalis[90]. Il n’y a, pour la plupart de ces espèces (les Tenthrédinées exceptées), pas de raison pour supposer une parthénogenèse chez les femelles ; nous sommes donc encore très-ignorants sur les causes de ces différences apparentes dans le nombre proportionnel des individus des deux sexes.

Les renseignements me font presque complètement défaut relativement aux autres classes. M. Blackwall, qui, pendant bien des années, s’est occupé des araignées, m’écrit que, en raison de leurs habitudes plus errantes, on voit plus souvent les araignées mâles, qui paraissent ainsi être les plus nombreux. C’est réellement le cas chez quelques espèces ; mais il mentionne plusieurs espèces de six genres, où les femelles semblent être bien plus nombreuses que les mâles[91]. La petite taille des mâles, comparée à celle des femelles, et leur aspect très-différent, peut, dans quelques cas, expliquer leur rareté dans les collections[92].

Certains Crustacés inférieurs pouvant se propager asexuellement, on s’explique l’extrême rareté des mâles. Ainsi von Siebold[93] a examiné avec soin 13,000 individus du genre Apus provenant de vingt et une localités différentes, et il n’a trouvé que 319 mâles. Fritz Müller a des raisons de croire que, chez quelques autres formes (les Tanais et les Cypris), le mâle vit moins longtemps que la femelle, ce qui, même en cas d’égalité primitive dans le nombre des individus des deux sexes, expliquerait la rareté des mâles. D’autre part, sur les côtes du Brésil, le même naturaliste a toujours capturé infiniment plus de mâles que de femelles de Diastylides et de Cypridines ; c’est ainsi qu’une espèce de ce dernier genre lui a fourni 37 mâles sur 63 individus pris le même jour ; mais il suggère que cette prépondérance peut être due à quelque différence inconnue dans les habitudes des deux sexes. Chez un crabe brésilien plus élevé, un Gelasimus, Fritz Müller a constaté que les mâles sont plus nombreux que les femelles. M. M. C. Spence Bate, qui a une longue expérience à cet égard, m’a affirmé que chez six crustacés communs de nos côtes de l’Angleterre dont il m’a indiqué les noms, les femelles sont, au contraire, plus nombreuses que les mâles.


Influence de la sélection naturelle sur la proportion des mâles et des femelles. – Nous avons raison de croire que, dans quelques cas, l’homme au moyen de la sélection a exercé une influence indirecte sur la faculté qu’il a de produire des enfants de l’un ou l’autre sexe. Certaines femmes, pendant toute leur vie, engendrent plus d’enfants d’un sexe que de l’autre ; la même loi s’applique à beaucoup d’animaux, aux vaches et aux chevaux par exemple ; ainsi M. Wright m’apprend qu’une de ses juments arabes, couverte sept fois par différents chevaux, a produit sept juments. Bien que j’aie fort peu de renseignements à cet égard, l’analogie me porte à conclure que la tendance à produire l’un ou l’autre sexe est héréditaire comme presque tous les autres caractères, la tendance à produire des jumeaux, par exemple. M. J. Downing, une excellente autorité, m’a communiqué certains faits qui semblent prouver que cette tendance existe certainement chez certaines familles de bétail courtes cornes. Le colonel Marshall[94], après avoir étudié avec soin les Todas, tribu montagnarde de l’Inde, a trouvé qu’il existe chez eux 112 mâles et 84 femelles de tout âge, soit une proportion de 133,3 mâles pour 100 femelles. Les Todas, qui observent la polyandrie, tuaient autrefois les enfants femelles ; mais ils ont abandonné cette pratique depuis un temps considérable. Chez les enfants nés pendant ces dernières années, les garçons sont plus nombreux que les filles, dans la proportion de 124 à 100. Le colonel Marshall explique ingénieusement ce fait ainsi qu’il suit : « Supposons, par exemple, que trois familles représentent la moyenne de la tribu entière ; supposons qu’une mère engendre six filles et pas de fils ; la seconde mère engendre six fils seulement et la troisième mère trois fils et filles. La première mère, pour se conformer aux usages de la tribu, détruit quatre filles et en conserve deux ; la seconde conserve ses six fils ; la troisième conserve ses trois fils, mais tue deux filles et n’en conserve qu’une. Les trois familles se composeront donc de neuf garçons et de trois filles pour perpétuer la race. Mais, tandis que les fils appartiennent à des familles chez lesquelles la tendance à produire des mâles est considérable, les filles appartiennent à des familles qui ont une tendance contraire. Les coutumes de la tribu tendront donc à augmenter cette tendance à chaque génération, de sorte que nous pourrons constater, comme nous le faisons aujourd’hui, que les familles élèvent habituellement plus de garçons que de filles. »

Il est presque certain que la forme d’infanticide dont nous venons de parler doit amener ce résultat, si nous supposons que la tendance à produire un certain sexe soit héréditaire. Mais les chiffres que je viens de citer sont si faibles qu’on ne saurait en tirer aucune conclusion ; j’ai donc cherché d’autres témoignages ; je ne saurais dire si ceux que j’ai trouvés sont dignes de foi ; il m’a semblé en tous cas qu’il était utile de citer les faits que j’ai recueillis.

Les Maories de la Nouvelle-Zélande ont longtemps pratiqué l’infanticide ; M. Fenton[95] affirme qu’il a rencontré « des femmes qui ont détruit quatre, six et même sept enfants, la plupart des filles. Toutefois le témoignage universel de ceux qui sont à même de se former une opinion correcte prouve que cette coutume a cessé d’exister depuis bien des années, probablement depuis l’année 1833. » Or, chez les Nouveaux-Zélandais comme chez les Todas, les naissances de garçons sont considérablement en excès. M. Fenton ajoute (p. 30) : « Bien qu’on ne puisse fixer pertinemment l’époque exacte du commencement de cette singulière condition de la disproportion des sexes, on peut affirmer que l’excès du sexe mâle sur le sexe femelle était en pleine opération pendant la période qui s’est écoulée entre 1830 et 1844, et s’est continuée avec beaucoup d’énergie jusqu’au temps actuel. » J’emprunte les renseignements suivants à M. Fenton (p. 26), mais, comme les nombres ne sont pas considérables et que le recensement n’a pas été fait très-exactement, on ne peut s’attendre à des résultats uniformes. Je dois rappeler tout d’abord, dans ce cas et dans les cas suivants, que l’état normal de la population, au moins dans tous les pays civilisés, comporte un excès de femmes à cause de la plus grande mortalité des enfants mâles pendant la jeunesse et des plus nombreux accidents auxquels sont exposés les hommes pendant toute la vie. En 1858, on estimait que la population indigène de la Nouvelle-Zélande se composait de 31,667 hommes et de 24,303 femmes de tout âge, c’est-à-dire dans la proportion de 130,3 mâles pour 100 femelles. Mais, pendant cette même année et dans certaines régions limitées, on recensa les indigènes avec beaucoup de soin, et on trouva 753 hommes de tout âge contre 616 femmes, c’est-à-dire dans la proportion de 122,2 mâles pour 100 femelles. Il est encore plus important pour nous de savoir que, pendant cette même année 1858 et dans cette même région, les mâles non adultes s’élevaient au nombre de 178, et les femelles non adultes au nombre de 142, c’est-à-dire dans la proportion de 125,3 mâles pour 100 femelles. Nous pouvons ajouter qu’en 1844, alors que l’infanticide des filles n’avait cessé que depuis peu de temps, les mâles non adultes dans une région s’élevaient au nombre de 281, et les femelles non adultes au nombre de 194, c’est-à-dire dans la proportion de 144,8 mâles pour 100 femelles.

Aux îles Sandwich, le nombre des hommes excède celui des femmes. Autrefois l’infanticide était très en honneur, mais ne portait pas seulement sur les femelles, ainsi que le prouve M. Ellis[96] dont les assertions sont, d’ailleurs, confirmées par l’évêque Staley et par M. Coan. Toutefois un autre écrivain digne de foi, M. Jarves, dont les observations ont porté sur tout l’archipel, s’exprime ainsi que suit[97] : « On rencontre un grand nombre de femmes qui avouent avoir tué de trois à six ou huit de leurs enfants ; » et il ajoute : « On considérait les filles comme moins utiles que les garçons, et, par conséquent, on les mettait plus souvent à mort. » Cette assertion est probablement fondée, si l’on en juge par ce qui se passe dans d’autres parties du monde. La pratique de l’infanticide cessa vers 1819, alors que l’idolâtrie fut abolie et que les missionnaires s’établirent dans l’archipel. Un recensement fait avec beaucoup de soin en 1839, des hommes et des femmes adultes et imposables dans l’île de Kauai et dans un district d’Oahu (Jarves, p. 404) indique 4,723 hommes et 3,776 femmes, c’est-à-dire dans la proportion de 125,08 hommes pour 100 femmes. À la même époque, le nombre des enfants mâles au-dessous de quatorze ans à Kauai et au-dessous de dix-huit ans à Oahu s’élevait à 1,797 et celui des enfants femelles du même âge à 1,429, ce qui donne une proportion de 125,75 mâles pour 100 femelles.

Un recensement de toutes les îles fait, en 1850[98], indique 36,272 hommes et 33,128 femmes de tout âge, soit dans la proportion de 109,49 mâles pour 100 femelles. Le nombre des garçons au-dessous de 17 ans s’élevait à 10,773 et celui des filles au-dessous du même âge à 9,593, soit 112,3 mâles pour 100 femelles. D’après le recensement de 1872, la proportion des mâles de tout âge, y compris les demi-castes, aux femelles est comme 125,36 est à 100. Il importe de remarquer que tous ces recensements pour les îles Sandwich indiquent la proportion des hommes vivants aux femmes vivantes et non pas celle des naissances. Or, s’il faut en juger d’après les pays civilisés, la proportion des mâles aurait été beaucoup plus considérable si les chiffres avaient porté sur les naissances[99].

Les faits qui précèdent nous autorisent presque à conclure que l’infanticide, pratiqué dans les conditions que nous venons d’expliquer, tend à amener la formation d’une race produisant principalement des enfants mâles. Mais je suis loin de supposer que cette pratique, dans le cas de l’homme, ou quelque pratique analogue dans le cas des autres espèces, soit la seule cause déterminante d’un excès des mâles. Il se peut qu’une loi inconnue agisse pour amener ce résultat chez les races qui diminuent en nombre et qui sont déjà quelque peu stériles. Outre les diverses causes auxquelles nous avons fait allusion, il se peut que la plus grande facilité des accouchements chez les sauvages et, par conséquent, les désavantages moins grands qui en résultent pour les enfants mâles, tende à augmenter la proportion de mâles comparativement aux femelles. Rien ne semble, d’ailleurs, indiquer qu’il existe un rapport nécessaire entre la vie sauvage et un excès du sexe mâle, si nous pouvons juger toutefois d’après le caractère des quelques enfants des derniers Tasmaniens et des enfants croisés des Tahitiens qui habitent aujourd’hui l’île Norfolk.

Les mâles et les femelles de beaucoup d’animaux ont des habitudes quelque peu différentes et sont exposés à des dangers plus ou moins grands ; il est donc probable que, dans bien des cas, les individus appartenant à un sexe encourent une destruction plus considérable que ceux appartenant à l’autre. Mais, autant toutefois que je peux considérer l’ensemble, de ces causes complexes, une destruction considérable de l’un des sexes m’entraînerait pas la modification de l’espèce au point de vue de la production de l’un ou de l’autre sexe. Quand il s’agit des animaux strictement sociables, tels que les abeilles ou les fourmis, qui produisent un nombre beaucoup plus considérable de femelles fécondes et stériles que de mâles, et parmi lesquels cette prépondérance des femelles a une importance extrême, nous nous expliquons facilement que les sociétés qui contiennent des femelles ayant une forte tendance héréditaire à produire un nombre plus grand de femelles doivent réussir le mieux ; dans ce cas, la sélection naturelle doit agir de façon à développer cette tendance. On peut concevoir également que la sélection naturelle développe la production des mâles chez les animaux qui vivent en troupeaux, comme les bisons de l’Amérique du Nord, et certains babouins, parce que les mâles se chargent de la défense du troupeau, et que le troupeau le mieux protégé doit avoir de plus nombreux descendants. Quand il s’agit de l’espèce humaine, on attribue en grande partie la destruction volontaire des filles à l’avantage qui résulte pour la tribu de contenir un plus grand nombre d’hommes.

Dans aucun cas, autant que nous en pouvons juger, la tendance héréditaire à produire les deux sexes en nombre égal ou à produire un sexe en excès, ne constituerait un avantage ou un désavantage direct pour les individus ; un individu, par exemple, ayant une tendance à produire plus de mâles que de femelles ne réussirait pas mieux dans la lutte pour l’existence qu’un individu ayant une tendance contraire ; par conséquent, la sélection naturelle ne pourrait pas déterminer une tendance de cette nature. Néanmoins, il existe certains animaux, les poissons et les cirripèdes par exemple, chez lesquels deux ou plusieurs mâles semblent indispensables pour la fécondation de la femelle ; en conséquence, les mâles existent en plus grand nombre, mais il est difficile d’expliquer quelle cause a amené cette prépondérance des mâles. J’étais, autrefois, disposé à croire que, quand la tendance à produire les deux sexes en nombre à peu près égal est avantageuse à l’espèce, cette tendance résulte de l’action de la sélection naturelle, mais de nouvelles recherches m’ont démontré que le problème est si complexe qu’il est plus sage de laisser à l’avenir le soin d’en présenter une solution.


  1. Westwood, Modern. Classif. of Insects, vol. II, 1840, p. 541. Je dois à Fritz Müller le fait relatif au Tanais.
  2. Kirby et Spence, Introd. to Entomology, vol. III, 1826, p. 309.
  3. Birds of New Zealand, 1872, p. 66.
  4. M. Perrier, Revue scientifique, 15 mars 1873, p. 865, invoque ce cas qu’il considère comme portant un coup fatal à l’hypothèse de la sélection sexuelle, car il suppose que j’attribue à cette cause toutes les différences entre les sexes. Je dois en conclure que cet éminent naturaliste, comme tant d’autres savants français, ne s’est pas donné la peine d’étudier et de comprendre les premiers principes de la sélection sexuelle. Un naturaliste anglais insiste sur le fait que les crochets dont sont pourvus certains animaux mâles ne peuvent devoir leur développement à un choix exercé par la femelle ! Il me fallait lire cette remarque pour supposer que quiconque a lu ce chapitre s’imagine que j’aie jamais prétendu que le choix de la femelle avait une influence quelconque sur le développement des organes préhensiles du mâle.
  5. J.-A. Allen, Mammals and Winter Birds of Florida ; Bull, Comp. Zoology, Harvard College, p. 268.
  6. Même chez les plantes à sexes séparés, les fleurs mâles arrivent généralement à maturité avant les fleurs femelles. Beaucoup de plantes hermaphrodites, comme C.-K. Sprengel l’a démontré le premier, sont dichogames ; c’est-à-dire ne peuvent pas se féconder elles-mêmes, leurs organes mâles et femelles n’étant pas prêts ensemble. Dans ces plantes, le pollen arrive ordinairement à maturité avant le stigmate de la même fleur, bien qu’il y ait quelques espèces spéciales où les organes femelles arrivent à maturité avant les organes mâles.
  7. Je puis invoquer l’opinion d’un savant ornithologiste sur le caractère des petits. M. J.-A. Allen, Mammals and Winter Birds of Florida, p. 229, dit en parlant des couvées tardives après la destruction accidentelle des premières couvées, que les oiseaux qui en proviennent sont « plus petits, plus pauvrement colorés que ceux éclos au commencement de la saison. Dans le cas où les parents font plusieurs couvées par an, les oiseaux qui proviennent de la première semblent, sous tous les rapports, plus parfaits et plus vigoureux. »
  8. Hermann Müller adopte la même conclusion relativement aux abeilles femelles, qui, chaque année, sortent les premières de la chrysalide. Voir à cet égard son remarquable mémoire : Anwendung den Darwin’schen Lehre auf Bienen ; Verh. d. v. Iahrg XXIX, p. 45.
  9. J’ai reçu à cet égard, sur la volaille, des renseignements que je citerai plus loin. Même chez les oiseaux tels que les pigeons, qui s’apparient pour la vie, la femelle, à ce que m’apprend M. Jenner Weir, abandonne le mâle, s’il est blessé ou s’il devient trop faible.
  10. Sur le Gorille, voir Savage et Wyman, Boston Journ. of Nat. Hist., vol. v, 1845-47, p. 423. Sur le Cynocéphale, Brehm, Illustr. Thierleben, vol. I, 1864, p. 77. Sur le Mycetes, Rengger, Naturg. Säugethiere von Paraguay, 1830, p. 14, 20. Sur le Cebus, Brehm, op. c., p. 108.
  11. Pallas, Spicilegia Zoolog. Fasc. XII, 1777, p. 29. Sir Andrew Smith, Illustrations of the Zoolog. of S. Africa, 1849, p. 29, sur le Kobus. Owen, Anat. of Vertebrates, vol. III, 1868, p. 633, donne un tableau indiquant quelles sont les espèces d’antilopes qui s’apparient et celles qui vivent en troupeaux.
  12. D. Campbell, Proc. Zoolog. Soc., 1869, p. 138. Voir aussi un mémoire intéressant du lieutenant Johnstone, Proc. Asiatic. Soc. of Bengal, mai 1868.
  13. Dr Gray, Annals and Nat. Hist., 1871, p. 302.
  14. Voir un excellent mémoire du Dr Dobson, Proc. Zoolog. Society, 1873, p. 241.
  15. The Eared Seals ; American Naturalist, vol. IV, janv. 1871.
  16. The Ibis, vol. iii, 1861, p. 133, sur le Chera Progne. Voir aussi, sur le Vidua axillaris, ibid., vol. ii, 1868, p. 211. Sur la polygamie du grand Coq de bruyère et de la grande Outarde, voir L. Lloyd, Game Birds of Sweden, 1867, pp. 19 et 182. Montagu et Selby affirment que le Grouse noir est polygame et que le Grouse rouge est monogame.
  17. Noel Humphreys, River Gardens, 1857.
  18. Kirby et Spence, Introd. to Entomology, vol. III, 1826, p. 342.
  19. D’après Westwood (Modern. Classif. of Insects, vol. II, p. 160), un insecte hyménoptère parasite constitue une exception à la règle, car le mâle n’a que des ailes rudimentaires et ne quitte jamais la cellule où il est né, tandis que la femelle a des ailes bien développées. Audouin croit que les femelles sont fécondées par les mâles nés dans les mêmes cellules qu’elles, mais il est probable que les femelles visitent d’autres cellules, évitant ainsi un croisement consanguin trop rapproché. Nous rencontrerons plus loin, dans divers groupes quelques cas exceptionnels où la femelle, au lieu du mâle, recherche l’accouplement.
  20. Essay and Observations, édités par Owen, vol. I, 1861, p. 194.
  21. Le professeur Sachs (Lehrbuch der Botanik, 1870, p. 633), en parlant des cellules reproductrices mâles et femelles, remarque que « l’une se comporte activement… tandis que l’autre paraît passive pendant la réunion ».
  22. Vortrage über Viehzucht, 1872, p. 63.
  23. Reise der Novara ; Anthropol. Theil, 1867, pp. 216-269. Le Dr Weisbach a calculé les résultats d’après les mesurages faits par les Drs  Scherzer et Schwarz. Voir sur la grande variabilité des animaux domestiques mâles, la Variation, etc., vol. II, p. 79 (Paris, Reinwald).
  24. Proceedings Royal Soc., vol. xvi, juil. 1868, pp. 519 et 524.
  25. Proc. Roy. Irish Academy, vol. x, 1868, p. 123.
  26. Massachusett’s Medic. Soc., vol. II, no 3, 1868, p. 9.
  27. Archiv. für Path. Anat. und Phys., 1871, p. 488.
  28. Les conclusions du Dr J. Stockton Hough sur la température de l’Homme ont été récemment publiées dans Pop. Science Review, 1er  janv. 1874, p. 97.
  29. Le professeur Mantegazza est disposé à croire (Lettera a Carlo Darwin, Archivio per l’Anthropologia, 1871, p. 306) que les brillantes couleurs communes à tant d’animaux mâles résultent de la présence chez eux du fluide spermatique. Je ne crois pas que cette opinion soit fondée, car beaucoup d’oiseaux mâles, les jeunes faisans, par exemple, revêtent leurs brillantes couleurs pendant l’automne de leur première année.
  30. Voir, pour l’espèce humaine, le Dr J. Stockton Hough, dont les conclusions ont été publiées par la Pop. Science Review, 1874, p. 27. Voir, sur les Lépidoptères, les observations de Girard, Zoological Record, 1869, p. 347.
  31. Mammals and Birds of Florida, pp. 234, 280, 295.
  32. H. Müller, Anwendung der Darwin’schen Lehre, etc., p. 42.
  33. Variation, etc., vol. II, p. 79. L’hypothèse provisoire de la pangenèse, à laquelle je fais allusion, est expliquée dans l’avant-dernier chapitre.
  34. Ces faits sont donnés dans le Poultry Book, 1869, p. 158, de Tegetmeier sur l’autorité d’un grand éleveur, M. Teebay. Voir, pour les caractères des volailles de diverses et des races de pigeons, la Variation, etc., vol. I, pp. 169, 264 ; vol. II, p. 82.
  35. Novæ species Quadrupedum e Glirium ordine, 1778, p. 7. Sur la transmission de la couleur chez le cheval, Variation, etc., vol. I, p. 21. Voir vol. II, p. 76, pour la discussion générale sur l’hérédité limitée par le sexe.
  36. Le docteur Chapuis, le Pigeon voyageur belge, 1865, p. 87. Boitard et Corbié, les Pigeons de volière, etc., 1824, p. 173. Voir aussi pour des différences analogues chez diverses races à Modène, Bonizzi. Le variazoni dei colombi domestici, 1873.
  37. Depuis la publication de la première édition de cet ouvrage, M. Tegetmeier, l’éminent éleveur, a publié dans le Field (sept. 1872) les remarques suivantes que j’ai lues avec une vive satisfaction. Après avoir décrit chez les pigeons quelques cas curieux de la transmission de la couleur par un sexe seul, et la formation d’une sous-race possédant ce caractère, il ajoute : « Par une singulière coïncidence, M. Darwin a suggéré la possibilité qu’il y aurait à modifier les couleurs sexuelles des oiseaux à l’aide de la sélection artificielle. Alors que M. Darwin faisait cette suggestion, il ignorait les faits que je viens de relater ; il est donc très-remarquable qu’il ait indiqué le vrai moyen à employer. »
  38. Variation des animaux, etc., vol. II, p. 76.
  39. Je dois à l’obligeance de M. Cupples les renseignements qu’il s’est procurés sur le chevreuil et sur le cerf d’Écosse auprès de M. Robertson, le garde forestier si expérimenté du marquis de Breadalbane. M. Eyton et d’autres m’ont fourni des informations sur le daim. Pour le Cervus alces, de l’Amérique du Nord, voir Land and Water, 1868, pp. 221 et 254 ; et pour les C. Virginianus et strongyloceros du même continent, voir J.-D. Caton, Ottawa Acad. of Nat. Science, 1868, p. 13. Pour le Cervus Eldi du Pegou, voir le lieutenant Beavan. Proc. Zool. Soc., 1867, p. 762.
  40. Antilocapra Americana, Owen, Anat. of Vertebrates, III, p. 627.
  41. On m’a assuré que, dans le nord du pays de Galles, on peut toujours sentir les cornes des moutons à leur naissance ; quelquefois même, elles ont alors deux centimètres de longueur. Pour le bétail, Youatt (Cattle, 1834, p. 277) dit que la saillie de l’os frontal traverse la cuticule à la naissance, et que la substance cornée se forme rapidement sur elle.
  42. Je dois au professeur Victor Carus des renseignements qu’il a bien voulu demander aux plus hautes autorités sur le mouton mérinos de la Saxe. Sur la côte de la Guinée, il y a une race où, comme chez le mérinos, les béliers seuls ont des cornes ; M. Windwood Reade m’apprend que, dans un cas qu’il a observé, un jeune bélier, né le 10 février, ne poussa de cornes que le 6 mars suivant, de sorte que, conformément à la loi que nous avons posée, le développement des cornes eut lieu à une époque plus tardive que chez le mouton gallois, où les deux sexes ont des cornes.
  43. Ueber die knöchernen Schädelhöcker der Vögel ; Niederlandischen Archiv für Zoologie, vol. I, part. 2, 1872.
  44. Chez le paon commun (Pavo cristatus), le mâle seul est armé d’éperons, tandis que chez le paon de Java (P. muticus), les deux sexes, cas fort inusité, en sont pourvus. Je me crus donc autorisé à conclure que, chez cette dernière espèce, ces appendices doivent se développer plus tôt que chez le paon commun ; mais M. Hegt, d’Amsterdam, m’apprend qu’il n’a remarqué aucune différence dans le développement des ergots sur de jeunes oiseaux de l’année précédente, appartenant aux deux espèces, et examinés le 25 avril 1869. Les ergots, toutefois, ne consistaient encore qu’en de légers tubercules. Je pense que j’aurais été informé si quelque différence de développement eût été ultérieurement observée.
  45. Chez quelques autres espèces de la famille des Canards, le spéculum diffère davantage chez les deux sexes ; mais je n’ai pu découvrir si son développement complet a lieu plus tard chez les mâles de ces espèces que chez ceux de l’espèce commune, comme cela devrait être selon notre règle. Un cas de ce genre se présente toutefois chez le Mergus cucullatus voisin, où les deux sexes diffèrent notablement par leur plumage général, et à un degré considérable par le spéculum, qui est blanc pur chez le mâle, et gris blanchâtre chez la femelle. Les jeunes mâles ressemblent, sous tous les rapports, aux femelles, et ont un spéculum gris blanchâtre, mais qui devient blanc avant l’âge où le mâle adulte acquiert les autres différences plus prononcées de son plumage. (Audubon, Ornithological Biography, vol. III, 1835, pp. 249-250.)
  46. Das Ganze der Taubenzucht, 1837, pp. 21, 24. Pour les pigeons rayés, voir D. Chapuis, le Pigeon voyageur belge, 1863, p. 87.
  47. Pour les détails complets sur tous les points qui concernent les diverses races de volaille, voir la Variation, etc., vol. I, pp. 266, 272. Quant aux animaux supérieurs, les différences sexuelles produites par la domestication sont décrites dans le même ouvrage, dans le chapitre relatif à chacun d’eux.
  48. Twenty-ninth annual Report of the Registrar general for 1866. Ce rapport contient (p. XII) une table décennale spéciale.
  49. Extrait des recherches du professeur Faye sur la Norvège et la Russie, dans British and Foreign Medico Chirurg. Review, pp. 343, 345, avril 1867. Pour la France, l’Annuaire de 1867, p. 213. Pour Philadelphie, voir le Dr Stockton-Hough, Social science Assoc., 1874. Pour le cap de Bonne-Espérance, voir Quételet, cité dans la traduction hollandaise de cet ouvrage, vol. I, p. 407.
  50. À l’égard des juifs, voy. M. Thury, la Loi de production des sexes, 1863, p. 25.
  51. British and Foreign Medico-Chirurg. Review, avril 1867, p. 343. Le Dr Stark (Dixième rapport annuel des Naissances, Morts, etc., en Écosse, 1867, p. xxviii) fait remarquer que « ces exemples suffisent pour prouver que, presque à chaque phase de l’existence, en Écosse, les mâles sont plus exposés à mourir et que la mortalité est plus élevée chez eux que chez les femelles. Toutefois, le fait que cette particularité se présente surtout pendant cette période enfantine de la vie où les vêtements, la nourriture et le traitement général des enfants des deux sexes sont les mêmes, semble prouver que la proportion plus élevée de la mortalité chez les mâles est une particularité naturelle et constitutionnelle due au sexe seul. »
  52. West Riding lunatic Asylum Reports, vol. I, 1871, p. 8. Sir Simpson a prouvé que la tête de l’enfant mâle excède de 9 millimètres en circonférence et de 3 millimètres en diamètre celle de l’enfant femelle. Quetelet a démontré que la femme est plus petite que l’homme au moment de la naissance. Voir Dr Duncan, Fecundity, Fertility and Sterility, 1871, p. 382.
  53. Azara affirme, Voyage dans l’Am. mérid., vol. II, 1809, pp. 60, 179, que chez les Guaranys du Paraguay les femmes sont aux hommes dans la proportion de 14 à 13.
  54. Babbage, Edinbough J. of Science, 1829, vol. pp. 88, 90. Voir aussi Report of Registrar general pour 1866, p. xv.
  55. Leuckart (dans Wagner, Handwörterbuch der Phys., 1853, Bd. IV, p. 774).
  56. Social Science Assoc. of Philadelphia, 1874.
  57. Anthropological Review, avril 1870, p. cviii.
  58. Pendant onze années, on a enregistré le nombre des juments qui sont restées stériles ou ont mis bas avant terme : il est digne d’attention de constater que ces animaux, très-soignés et accouplés dans des conditions de consanguinité trop rapprochées, en sont arrivés au point que presque un tiers des juments n’ont point donné de poulains vivants. Ainsi, en 1866, il naquit 809 poulains et 816 pouliches, et 743 juments ne produisirent rien. En 1867, 836 mâles et 902 femelles virent le jour, 794 juments restèrent stériles.
  59. Je dois à l’obligeance de M. Cupples les documents relatifs à l’Écosse, ainsi que quelques-unes des données suivantes sur le bétail. M. R. Elliot, de Laighwood, a, le premier, attiré mon attention sur la mort prématurée des mâles, fait que M. Aitchison et d’autres ont confirmé depuis. C’est ce dernier, ainsi que M. Payan, qui ont bien voulu me communiquer les renseignements les plus circonstanciés sur les moutons.
  60. Bell, History of British Quadrupeds, p. 100.
  61. Illustrations of Zoology of S. Africa, 1849, pl. 29.
  62. Brehm, Illust. Thierleben, vol. IV, p. 990, en arrive à la même conclusion.
  63. Sur l’autorité de L. Lloyd, Game Birds of Sweden, 1867, pp. 13, 132.
  64. Nat. Hist. of Selborne, lett. xxix, édit. de 1825, vol. I, p. 139.
  65. M. Jenner Weir obtint des renseignements semblables à la suite de son enquête de l’année suivante. Pour montrer des pinsons attrapés, deux chasseurs avaient fait, en 1869, un pari à qui en prendrait le plus ; l’un des deux en prit en un jour, 62, et l’autre, 40 du sexe mâle. Le plus grand nombre qu’on ait prit en un jour fut 70.
  66. Ibis, vol. II, p. 260, cité dans Gould’s Trochilidæ, 1861, p. 52. J’ai emprunté les proportions ci-dessus à un tableau dressé par M. Salvin.
  67. Ibis, 1860, p. 137 et 1867, p. 369.
  68. Ibis, 1862, p. 137.
  69. Leuckart assure d’après Bloch (Wagner, Handvörterbuch der Phys., v. IV, 1853, p. 775) que chez les poissons, les mâles sont deux fois plus nombreux que les femelles.
  70. Cité dans le Farmer, 18, mars 1869, p. 369.
  71. The Stormontfield Piscicultural Experiments, 1866, p. 23. The Field, 29 juin 1867.
  72. Land and Water, 1868, p. 41.
  73. Yarrel, Hist. British Fishes, vol. I, p. 307 ; sur le Cyprinus carpio, p. 331 ; sur le Tinca vulgaris, p. 331 ; sur l’Abramis brama, p. 336. Voir pour le Leuciscus phoxinus, Loudon, Mag. of Nat. Hist., vol. v, 1832, p. 682.
  74. Leuckart cite Meinecke (Wagner, Handvörterbuch der Phys., vol. IV, 1853, p. 775), qui affirme que chez les papillons les mâles sont trois ou quatre fois aussi nombreux que les femelles.
  75. The Naturalist on the Amazons, vol. II, 1863, pp. 228, 347.
  76. Trimen, Rhopaovera Africæ Australis.
  77. Cité dans Trimen, Trans. Ent. Soc., vol. v, part. IV, 1866, p. 330.
  78. Transac. Linn. Society, vol. xxv p. 37.
  79. Proc. Entomolog. Soc., 17 fév. 1868.
  80. Cité par D. Wallace dans Proc. Ent. Soc., 3e  série, vol. v, 1867, p. 487.
  81. Blanchard, Métamorphoses, mœurs des Insectes, 1868, pp. 225-226.
  82. Lepidopteren-Doubbletten Liste, Berlin, no x, 1866.
  83. Ce naturaliste a eu l’obligeance de m’envoyer quelques résultats d’années précédentes dans lesquelles les femelles paraissent prédominer ; mais, la plupart des chiffres n’étant que des évaluations, je n’ai pu les relever en tableaux.
  84. Günther, Record of Zoological Literature, 1867, p. 260, sur l’Excès des Lucanes femelles, id., p. 250 ; sur les Mâles de Lucanus en Angleterre, Westwod, Mod. Class. of Insects, vol. I, p. 187, sur le Siagonium, ibid., p. 172.
  85. Walsh, American Entomologist, vol. I, 1869, p. 103 ; F. Smith, Record of Zoolog. Literature, 1867, p. 328.
  86. Farm Insects, pp. 45-46.
  87. Anwendung der Darwinschen Lehre ; Verh. d. n. V. Jahrg. XXIV.
  88. Die Strich, Zug oder Wanderheushrecke, 1828, p. 20.
  89. Obs. on N. American Neuroptera par H. Hagen et Walsh, Proc. Ent. Soc. Philadelphia, oct. 1863, pp. 168, 223, 239.
  90. Proc. Ent. Soc. London, 17, fév. 1868.
  91. Une autre grande autorité sur la matière, le professeur Thorell, d’Upsala (On European Spiders, 1869-70, part. I, p. 285), parle des araignées femelles comme généralement plus communes que les mâles.
  92. Voir sur ce sujet, M. P. Cambridge, cité dans Quarterly Journal of Science, 1868, p. 429.
  93. Beiträge zur Parthenogenesis, p. 174.
  94. The Todas, 1873, pp. 100, 111, 194, 196.
  95. Aboriginal Inhabitants of New Zeland ; Government report, 1859, p. 36.
  96. Narrative of a tour through Hawaii, 1826, p. 298.
  97. History of the Sandwich Islands, 1843, p. 93.
  98. Rev. H. T. Cheever, Life in the Sandwich Islands, 1851, p. 277.
  99. Le Dr Coulter en décrivant (Journal R. Geographical Soc., vol. v, 1835, p. 67) l’État de la Californie vers l’année 1830, affirme que presque tous les indigènes convertis par les missionnaires espagnols ont péri ou sont sur le point de périr, bien qu’ils reçoivent de bons traitements, qu’ils ne soient pas chassés de leur pays natal et qu’on ne leur permette pas l’usage des spiritueux. Le Dr Coulter attribue en grande partie cette mortalité au fait que les hommes sont beaucoup plus nombreux que les femmes ; mais il ne dit pas si cet excès des hommes provient du manque de filles ou de ce que plus de filles meurent pendant la jeunesse. Si l’on en juge par analogie, cette dernière alternative est très-peu probable. Il ajoute que « l’infanticide proprement dit n’est pas commun, mais que les indigènes pratiquent souvent l’avortement ». Si le Dr Coulter est bien renseigné à propos de l’infanticide, on ne peut citer ce cas à l’appui de l’hypothèse du colonel Marshall. Nous sommes disposés à croire que la diminution rapide du nombre des indigènes convertis provient, comme dans les cas que nous avons précédemment cités, de ce que le changement des habitudes d’existence a diminué leur fécondité.

    J’espérais que l’élevage des chiens me fournirait quelques renseignements sur la question qui nous occupe, car, à l’exception peut-être des lévriers, on détruit ordinairement beaucoup plus de femelles que de mâles comme cela arrive chez les Todas. M. Cupples m’affirme qu’en effet on détruit beaucoup de femelles chez le chien courant écossais. Malheureusement je n’ai pu me procurer des renseignements exacts sur la proportion des sexes chez aucune race à l’exception des lévriers, et, chez ces derniers, les naissances mâles sont aux naissances femelles comme 110,1 est à 100. Les renseignements que j’ai pris auprès de beaucoup d’éleveurs me permettent de conclure que les femelles sont, à beaucoup d’égards, plus estimées que les mâles ; en outre, il est certain qu’on ne détruit pas systématiquement plus de mâles que de femelles chez les races les plus estimées. En conséquence, je ne saurais dire s’il faut attribuer au principe que je cherche à établir l’excès des naissances mâles chez les lévriers. D’autre part, nous avons vu que, chez les chevaux, les bestiaux et les moutons, les petits de l’un ou de l’autre sexe ont trop de valeur pour qu’on les détruise ; et, si l’on peut constater une différence chez ces races, il semble que les femelles soient légèrement en excès.