La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/16

La bibliothèque libre.


CHAPITRE XVI


OISEAUX (fin).


Rapports entre le plumage des jeunes et les caractères qu’il affecte chez les individus adultes des deux sexes. — Six classes de cas. — Différences sexuelles entre les mâles d’espèces très-voisines ou représentatives. — Acquisition des caractères du mâle par la femelle. — Plumage des jeunes dans ses rapports avec le plumage d’été et le plumage d’hiver des adultes. — Augmentation de la beauté des oiseaux. — Colorations protectrices. — Oiseaux colorés d’une manière très-apparente. — Les oiseaux aiment la nouveauté. — Résumé des quatre chapitres sur les oiseaux.


Nous avons maintenant à considérer la transmission des caractères, limitée par l’âge, dans ses rapports avec la sélection sexuelle. Nous ne discuterons ici ni le bien fondé ni l’importance du principe de l’hérédité aux âges correspondants ; c’est un sujet sur lequel nous avons déjà assez insisté. Avant d’exposer les diverses règles assez compliquées, ou les catégories dans lesquelles, autant que je le comprends, on peut faire rentrer toutes les différences qui existent entre le plumage des jeunes et celui des adultes, je crois devoir faire quelques remarques préliminaires.

Lorsque, chez des animaux, quels qu’ils soient, les jeunes affectent une coloration différente de celle des adultes, sans qu’elle ait pour eux, autant que nous en pouvons juger, aucune utilité spéciale, on peut généralement attribuer cette coloration, de même que diverses conformations embryonnaires, à ce que le jeune animal a conservé le caractère d’un ancêtre primitif. Cette hypothèse, il est vrai, n’acquiert un grand degré de probabilité que dans le cas où les jeunes appartenant à plusieurs espèces se ressemblent beaucoup et ressemblent également aux adultes appartenant à d’autres espèces du même groupe ; on peut conclure en effet de l’existence de ces derniers qu’un pareil état était autrefois possible. Les jeunes lions et les jeunes pumas portent des raies ou des rangées de taches faiblement indiquées, et les membres de beaucoup d’espèces voisines, jeunes ou adultes, présentent des marques semblables ; en conséquence, un naturaliste qui croit à l’évolution graduelle des espèces peut admettre sans la moindre hésitation que l’ancêtre du lion et du puma était un animal rayé, les jeunes ayant, comme les petits chats noirs, conservé la trace des raies qui ont absolument disparu chez les adultes. Chez beaucoup d’espèces de cerfs les adultes n’ont aucune tache, tandis que les jeunes sont couverts de taches blanches ; le même fait se présente également chez les adultes de certaines espèces. Dans toute la famille des porcs (Suidés) et chez quelques autres animaux qui en sont assez éloignés, tels que le tapir, les jeunes sont marqués de bandes longitudinales foncées ; mais nous nous trouvons là en présence d’un caractère qui doit, selon toute apparence, provenir de quelque ancêtre éteint, et qui ne se conserve plus que chez les jeunes. Dans tous les cas que nous venons de citer la coloration des adultes s’est modifiée dans le cours des temps, les jeunes ont cependant peu changé, et cela en vertu du principe de l’hérédité aux âges correspondants.

Ce même principe s’applique à beaucoup d’oiseaux appartenant à divers groupes : les jeunes se ressemblent beaucoup, tout en différant considérablement de leurs parents adultes respectifs. Les jeunes, chez presque tous les gallinacés et chez certaines espèces ayant avec eux une parenté éloignée, comme les autruches, portent des stries longitudinales alors qu’ils sont encore couverts de duvet ; mais ce caractère rappelle un état de choses assez reculé pour que nous n’ayons pas à nous en occuper. Les jeunes becs croisés (Loxia) ont d’abord le bec droit comme les autres pinsons, et leur jeune plumage strié ressemble à celui de la linotte adulte et du tarin femelle, ainsi qu’à celui des jeunes chardonnerets, des verdiers et de quelques autres espèces voisines. Les jeunes de plusieurs espèces de bruants (Emberiza) se ressemblent beaucoup, et ressemblent aussi aux adultes de l’espèce commune (E. miliaria). Dans presque tout le groupe des grives, les jeunes ont la poitrine tachetée, — caractère que beaucoup d’espèces conservent pendant toute leur vie, — tandis que d’autres, comme le Turdus migratorius, le perdent entièrement. Plusieurs grives ont les plumes du dos pommelées avant la première mue, caractère permanent chez certaines espèces orientales. Les jeunes de beaucoup d’espèces de pies-grièches (Lanius), de quelques pics et d’un pigeon indien (Chalcophaps indicus), portent à la surface inférieure du corps des stries transversales, marques qu’on retrouve chez certaines espèces et chez quelques genres voisins à l’état adulte. Chez quelques coucous indiens alliés très-brillants (Chrysococcyx), on ne peut distinguer les jeunes les uns des autres, bien que les espèces adultes diffèrent considérablement entre elles au point de vue de la coloration. Les jeunes d’une oie indienne (Sarkidiornis melanonotus) ressemblent de près, au point de vue du plumage, aux individus adultes d’un genre voisin, celui des Dendrocygna[1]. Nous citerons plus loin quelques faits analogues relatifs à certains hérons. Les jeunes tétras noirs (Tetrao tetrix) ressemblent aux individus jeunes et adultes d’autres espèces, au grouse rouge (T. scoticus) par exemple. Enfin, M. Blyth, qui s’est beaucoup occupé de cette question, a fait remarquer, avec beaucoup de justesse, que les affinités naturelles de beaucoup d’espèces se manifestent très-clairement dans leur jeune plumage ; or, comme les affinités vraies de tous les êtres organisés dépendent de leur descendance d’un ancêtre commun, cette remarque vient confirmer l’hypothèse que le plumage du jeune âge nous indique approximativement l’état ancien de l’espèce.

Un grand nombre de jeunes oiseaux de divers ordres nous fournissent ainsi l’occasion d’entrevoir, pour ainsi dire, le plumage de leurs ancêtres reculés, mais il en est beaucoup d’autres, dont la coloration brillante ou terne ressemble beaucoup à celle de leurs parents. Dans ce cas, les jeunes des diverses espèces ne peuvent ni se ressembler plus que ne le font les parents, ni offrir de fortes ressemblances avec des formes voisines adultes. Ils nous fournissent donc très-peu de renseignements sur le plumage de leurs ancêtres ; cependant, lorsque les jeunes et les adultes affectent, dans un groupe entier d’espèces, une coloration semblable, on est autorisé à conclure que cette coloration était aussi celle de leurs ancêtres.

Nous pouvons maintenant examiner les catégories dans lesquelles on peut grouper les différences et les ressemblances qui existent entre le plumage des jeunes oiseaux et celui des adultes, entre celui des individus des deux sexes ou celui d’un sexe seul. Cuvier est le premier qui ait formulé des règles à cet égard ; mais il convient, par suite des progrès de nos connaissances, de leur faire subir quelques modifications et quelques amplifications. C’est, autant que l’extrême complication du sujet peut le permettre, ce que j’ai cherché à faire d’après des documents puisés à des sources diverses ; mais un travail complet à cet égard, fait par un ornithologiste compétent, serait très-nécessaire. Pour vérifier jusqu’à quel point chaque règle peut s’appliquer, j’ai relevé en tableau les faits cités dans quatre grands ouvrages : Macgillivray sur les oiseaux d’Angleterre ; Audubon sur ceux de l’Amérique du Nord ; Jerdon sur ceux de l’Inde, et Gould sur ceux de l’Australie. Il est indispensable de faire remarquer que, premièrement, les différentes catégories tendent à se confondre l’une avec l’autre ; et, secondement, que, lorsqu’on dit que les jeunes ressemblent à leurs parents, on n’entend pas par là une similitude absolue, car les couleurs des jeunes sont presque toujours moins vives, les plumes sont plus douces et affectent souvent une forme différente.


RÈGLES OU CATÉGORIES.


I. Lorsque le mâle adulte est plus beau ou plus brillant que la femelle adulte, le premier plumage des jeunes des deux sexes ressemble beaucoup à celui de la femelle adulte, comme chez la volaille commune et chez le paon ; et, s’ils ont quelque ressemblance avec le mâle, ce qui arrive parfois, les jeunes ressemblent beaucoup plus à la femelle adulte qu’au mâle adulte.

II. Lorsque la femelle adulte est plus brillante que le mâle adulte, cas rare, mais qui cependant se présente quelquefois, les jeunes des deux sexes ressemblent au mâle adulte.

III. Lorsque le mâle adulte ressemble à la femelle adulte, les jeunes des deux sexes ont un premier plumage spécial qui leur est propre, comme chez le rouge-gorge.

IV. Lorsque le mâle adulte ressemble à la femelle adulte, le premier plumage des jeunes des deux sexes ressemble à celui des adultes ; le martin-pêcheur, beaucoup de perroquets, le corbeau, les becs fins, par exemple.

V. Lorsque les adultes des deux sexes ont un plumage distinct pour l’hiver et un autre pour l’été, que le plumage du mâle diffère ou non de celui de la femelle, les jeunes ressemblent aux adultes des deux sexes dans leur costume d’hiver, et beaucoup plus rarement dans leur costume d’été ; ou ils ressemblent aux femelles seules ; ou ils peuvent avoir un caractère intermédiaire ; ou bien encore, ils peuvent différer considérablement des adultes dans leurs deux plumages de saison.

VI. Dans quelques cas fort rares, le premier plumage des jeunes diffère suivant le sexe ; les jeunes mâles ressemblent plus ou moins étroitement aux mâles adultes, les jeunes femelles ressemblent, de leur côté, plus ou moins étroitement aux femelles adultes.

Catégorie I. — Dans cette catégorie, les jeunes des deux sexes ressemblent plus ou moins étroitement à la femelle adulte, tandis que le mâle adulte diffère souvent de celle-ci de la manière la plus tranchée. Nous pourrions citer d’innombrables exemples à l’appui, exemples tirés de tous les ordres ; il suffira de rappeler le faisan commun, le canard et le moineau. Les cas de cette classe se confondent souvent avec les autres. Ainsi, les individus adultes des deux sexes diffèrent parfois si peu les uns des autres et les jeunes diffèrent si peu des adultes, qu’on se prend à douter si ces cas doivent rentrer dans la présente classe ou se placer dans la troisième ou dans la quatrième. Parfois aussi, les jeunes des deux sexes, au lieu d’être tout à fait semblables, diffèrent légèrement les uns des autres, comme dans la sixième classe. Les cas de transition sont toutefois peu nombreux, tout au moins ne sont-ils pas aussi prononcés que ceux qui appartiennent rigoureusement à la présente catégorie.

La force de la présente loi se manifeste admirablement dans les groupes où, en règle générale, les individus adultes des deux sexes et les jeunes sont tous pareils ; car, lorsque dans ces groupes le mâle diffère de la femelle, comme chez certains perroquets, chez les martins-pêcheurs, chez les pigeons, etc., les jeunes des deux sexes ressemblent à la femelle adulte[2]. Le même fait se présente encore plus évident dans certains cas anormaux ; ainsi, le mâle d’un oiseau-mouche, Heliothrix auriculata, diffère notablement de la femelle par une splendide collerette et par de belles huppes auriculaires ; mais la femelle est remarquable par sa queue beaucoup plus longue que celle du mâle ; or, les jeunes des deux sexes ressemblent, sous tous les rapports (la poitrine tachetée de bronze exceptée), y compris la longueur de la queue, à la femelle adulte ; il en résulte une circonstance inusitée[3] : à mesure que le mâle approche de l’âge adulte, sa queue se raccourcit. Le plumage du grand harle mâle (Mergus merganser) est plus brillamment coloré que celui de la femelle, et ses rémiges scapulaires et secondaires sont plus longues que chez cette dernière ; mais, contrairement à tout ce qui existe à ma connaissance chez d’autres oiseaux, la huppe du mâle adulte, quoique plus large que celle de la femelle, est beaucoup plus courte, car elle n’a guère que 3 centimètres de longueur, alors que celle de la femelle en a sept ou huit. Les jeunes des deux sexes ressemblent, sous tous les rapports, à la femelle adulte, de sorte que leurs huppes sont réellement plus longues, mais plus étroites que chez le mâle adulte[4].

Lorsque les jeunes et les femelles se ressemblent étroitement et diffèrent tous deux du mâle, il est tout naturel de conclure que le mâle seul a été modifié. Dans des cas anormaux même de l’Heliothrix et du Mergus, il est probable que les mâles et les femelles adultes de la première espèce étaient primitivement pourvus d’une queue allongée, et, ceux de la seconde, d’une huppe également grande, caractères que quelque cause inconnue a fait partiellement perdre aux mâles adultes, et qu’ils transmettent, dans leur état amoindri, à leur descendance mâle seule, lorsqu’elle atteint l’âge adulte correspondant. M. Blyth[5] cite quelques faits remarquables relatifs aux espèces alliées qui se représentent les unes les autres dans des pays différents ; ces faits viennent à l’appui de l’hypothèse que, dans la catégorie qui nous occupe, le mâle seul a été modifié quand il s’agit toutefois des différences qu’on observe entre lui, la femelle et les jeunes. En effet, les mâles adultes de plusieurs de ces espèces représentatives ont éprouvé quelques modifications, ce qui permet de distinguer l’un de l’autre les mâles appartenant à deux de ces espèces, tandis que les femelles et les jeunes restent absolument semblables ; il est donc évident que ces derniers n’ont subi aucune modification. On peut observer ces faits chez quelques traquets indiens (Thamnobia), chez quelques Nectarinidés (Nectarinia), chez les pies-grièches (Tephrodornis), chez certains martins-pêcheurs (Tanysiptera), chez les faisans Kallij (Gallophasis) et chez les perdrix des arbres (Arboricola).

Les oiseaux qui revêtent un plumage distinct pendant l’été et pendant l’hiver à peu près semblable chez les mâles et les femelles nous fournissent un exemple analogue ; on peut facilement, en effet, distinguer les unes des autres certaines espèces très-voisines, alors qu’elles portent leur plumage nuptial ou plumage d’été, mais il est impossible de les reconnaître quand elles revêtent leur plumage d’hiver, ou qu’elles portent leur premier plumage. On pourrait citer comme exemple quelques hoche-queues indiennes (Motacilla) très-voisines. M. Swinhoe[6] affirme que trois espèces de Ardeola, genre de hérons, qui se représentent sur des continents séparés, sont « complètement différentes » lorsqu’elles portent leurs plumes d’été, mais qu’il est presque impossible de les distinguer en hiver. Le premier plumage des jeunes de ces trois espèces ressemble beaucoup à celui que les adultes revêtent pendant l’hiver. Le cas est d’autant plus intéressant qu’il existe deux autres espèces d’Ardeola chez lesquelles les individus des deux sexes conservent, hiver comme été, un plumage à peu près semblable à celui que les trois espèces précédentes portent pendant l’hiver et le jeune âge ; or ce plumage, commun à plusieurs espèces distinctes à différents âges et pendant différentes saisons, nous indique probablement quelle était la coloration de l’ancêtre du genre. Dans tous ces cas, le plumage nuptial, probablement acquis dans l’origine par les mâles pendant la saison des amours, et transmis à la saison correspondante aux adultes des deux sexes, est celui qui a subi des modifications, tandis que le plumage d’hiver et celui du jeune âge n’en ont subi aucune.

On se demandera, naturellement, comment il se fait que, dans ces derniers cas, le plumage d’hiver des deux sexes, et dans les cas précédents celui des femelles adultes, ainsi que le premier plumage des jeunes, n’aient subi aucune modification ? Les espèces représentatives habitant des pays différents ont dû presque toujours être exposées à des conditions un peu différentes ; mais nous ne pouvons guère attribuer la modification du plumage des mâles seuls à l’action de ces conditions, puisqu’elles n’ont en aucune façon affecté celui des jeunes et des femelles, bien que tous deux y fussent également exposés. La différence étonnante qui existe entre les mâles et les femelles de beaucoup d’oiseaux est peut-être, de tous les faits de la nature, celui qui nous démontre le plus clairement combien peu a d’importance l’action directe des conditions d’existence comparativement à ce que peut effectuer l’accumulation indéfinie de variations mises en jeu par la sélection ; car les mâles et les femelles ont absorbé les mêmes aliments, et subi les influences du même climat. Néanmoins il n’y a là rien qui nous empêche de croire que, dans le cours du temps, de nouvelles conditions d’existence ne puissent produire un certain effet direct soit sur les individus des deux sexes, soit sur ceux d’un seul sexe, en conséquence de quelques particularités constitutionnelles ; nous voyons seulement que ces effets restent, comme importance, subordonnés aux résultats accumulés de la sélection. Cependant, lorsqu’une espèce émigre dans un pays nouveau, fait qui doit précéder la formation des espèces représentatives, le changement des conditions auxquelles cette espèce aura presque toujours dû être exposée doit déterminer chez elle, comme on peut en juger par de nombreuses analogies, une certaine variabilité flottante. Dans ce cas, la sélection sexuelle, qui dépend d’un élément éminemment susceptible de changement — le goût et l’admiration de la femelle — doit avoir accumulé de nouvelles teintes de coloration et d’autres différences. Or la sélection sexuelle est toujours à l’œuvre ; il serait donc fort surprenant, à en juger par les résultats que produit chez les animaux domestiques la sélection non intentionnelle de l’homme, que des animaux qui habitent des régions séparées, et qui ne peuvent, par conséquent, jamais se croiser et mélanger ainsi des caractères nouvellement acquis, ne fussent pas, au bout d’un laps de temps suffisant, différemment modifiés. Ces remarques s’appliquent également au plumage d’été ou plumage de la saison des amours, que ce plumage soit limité aux mâles ou commun aux deux sexes.

Bien que les femelles et les jeunes des espèces très-voisines ou représentatives dont nous venons de parler diffèrent à peine les uns des autres, de sorte qu’on ne peut reconnaître facilement que les mâles, cependant les femelles de la plupart des espèces d’un même genre doivent différer les unes des autres dans une certaine mesure. Toutefois il est rare que ces différences soient aussi prononcées que chez les mâles. La famille entière des gallinacés nous en fournit la preuve absolue : les femelles, par exemple, du faisan commun et du faisan du Japon, surtout celles du faisan doré et du faisan Amherst, — du faisan argenté et de la volaille sauvage, — se ressemblent beaucoup au point de vue de la coloration, tandis que les mâles diffèrent à un degré extraordinaire. On observe le même fait chez les femelles de la plupart des Cotingidés, des Fringillidés et de beaucoup d’autres familles. On ne peut douter que, en règle générale, les femelles ont été moins modifiées que les mâles. Quelques espèces cependant présentent une exception singulière et inexplicable ; ainsi les femelles du Paradisea apoda et du P. papuana diffèrent plus l’une de l’autre que ne le font leurs mâles respectifs[7] ; la femelle de cette dernière espèce a la surface inférieure du corps blanc pur, tandis qu’elle est brun foncé chez la femelle du P. apoda. Ainsi encore, le professeur Newton affirme que les mâles de deux espèces d’Oxynotus (pie-grièche), qui se représentent dans l’île Maurice et dans l’île Bourbon[8], diffèrent peu au point de vue de la couleur, tandis que les femelles diffèrent beaucoup. La femelle de l’espèce de l’île Bourbon paraît avoir conservé, en partie au moins, une apparence de plumage non arrivé à maturité ; car, à première vue, on pourrait la prendre « pour un jeune individu de l’espèce de l’île Maurice. » Ces différences sont comparables à celles qui surgissent en dehors de toute sélection humaine, et qui restent inexplicables chez certaines sous-races du coq de combat, où les femelles sont très-différentes, tandis qu’on peut à peine distinguer les mâles les uns des autres[9].

Je considère que la sélection sexuelle a joué un rôle très-important pour amener ces différences entre les mâles d’espèces voisines ; comment donc expliquer les différences qui existent entre les femelles ? Nous n’avons pas à nous occuper des espèces qui appartiennent à des genres distincts, car l’adaptation à des habitudes d’existence différentes et certaines autres influences ont dû jouer un grand rôle. Quant aux différences qu’on observe entre les femelles d’un même genre, l’étude des divers groupes importants me porte à conclure que l’agent principal de la production de ces différences a été le transfert à la femelle, à un degré plus ou moins prononcé, des caractères que la sélection sexuelle a développés chez les mâles. Chez les divers pinsons de l’Angleterre, les deux sexes diffèrent, peu ou beaucoup, et, si nous comparons les femelles des verdiers, des pinsons, des chardonnerets, des bouvreuils, des becs-croisés, des moineaux, etc., nous remarquerons qu’elles diffèrent les unes des autres, surtout par les caractères qui les font partiellement ressembler à leurs mâles respectifs ; or on peut, avec confiance, attribuer la coloration des mâles à la sélection sexuelle. Chez beaucoup d’espèces de gallinacés, les mâles diffèrent des femelles à un degré extrême, chez le paon, chez le faisan, et chez les volailles par exemple ; tandis que, chez d’autres espèces, le mâle a transmis à la femelle tout ou partie de ses caractères. Les femelles des diverses espèces de Polyplectron laissent entrevoir obscurément, surtout sur la queue, les magnifiques ocelles du mâle. La perdrix femelle ne diffère du mâle que par la grandeur moindre de la marque rouge du poitrail ; la dinde sauvage ne diffère du dindon que parce que ses couleurs sont plus ternes. Chez la pintade, les deux sexes sont identiques. Il est probable que le mâle de cette dernière espèce doit son plumage uniforme, quoique singulièrement tacheté, à la sélection sexuelle, puis qu’il l’ait transmis aux femelles, car ce plumage n’est pas essentiellement différent de celui qui caractérise les mâles seuls chez les faisans tragopans, bien que ce dernier soit bien plus magnifiquement tacheté.

Il faut remarquer que, dans certains cas, le transfert des caractères du mâle à la femelle s’est effectué à une époque évidemment très-reculée, depuis laquelle le mâle a subi de grandes modifications, sans transmettre à la femelle aucun des caractères qu’il a ultérieurement acquis. La femelle et les jeunes du tétras noir (Tetrao tetrix), par exemple, ressemblent d’assez près aux mâles et aux femelles ainsi qu’aux jeunes du tétras rouge (T. coticus) ; nous pouvons, par conséquent, conclure que le tétras noir descend de quelque espèce ancienne dont les mâles et les femelles affectaient une coloration presque analogue à celle de l’espèce rouge. Les individus des deux sexes chez cette dernière espèce sont beaucoup plus distinctement barrés pendant la saison des amours qu’à toute autre époque, et le mâle diffère légèrement de la femelle par la plus grande intensité de ses teintes rouges et brunes[10] ; nous pouvons donc conclure que son plumage a été, au moins dans une certaine mesure, modifié par la sélection sexuelle. S’il en est ainsi, nous pouvons également conclure que le plumage presque analogue du tétras noir femelle a été développé de la même manière à quelque antique période. Mais, depuis lors, le tétras noir mâle a acquis son beau plumage noir avec ses rectrices frisées et disposées en fourchette ; caractères qui n’ont pas été transmis à la femelle, à l’exception d’une faible trace de la fourchette recourbée qu’on aperçoit sur sa queue.

Les faits que nous venons de relater nous autorisent à conclure que le plumage des femelles d’espèces distinctes, quoique voisines, s’est souvent plus ou moins modifié, grâce à la transmission, à des degrés divers, de caractères acquis anciennement, récemment même par les mâles, sous l’influence de la sélection sexuelle. Mais il importe de remarquer que les couleurs brillantes ont été beaucoup plus rarement transmises que les autres teintes. Par exemple, le Cyanecula suecica mâle a la gorge rouge et la poitrine d’un bleu magnifique, ornée en outre d’une tache rouge à peu près triangulaire ; or des taches ayant approximativement la même forme ont été transmises aux femelles ; toutefois le point central est fauve au lieu d’être rouge, et est entouré de plumes pommelées au lieu d’être bleues. Les gallinacés offrent de nombreux exemples analogues ; car aucune des espèces, telles que les perdrix, les cailles, les pintades, etc., chez lesquelles la transmission des couleurs du plumage du mâle à la femelle s’est largement effectuée, n’offre une coloration brillante. Les faisans nous offrent un excellent exemple de ce fait ; les faisans mâles, en effet, sont généralement beaucoup plus brillants que les femelles ; il existe cependant deux espèces, le Crossoptilon auritum et le Phasianus Wallichii, chez lesquelles les mâles et les femelles se ressemblent beaucoup et affectent des couleurs sombres. Nous sommes même autorisés à croire que, si une partie quelconque du plumage des mâles chez ces deux espèces de faisans eût revêtu de brillantes couleurs, ces couleurs n’auraient pas été transmises aux femelles. Ces faits viennent fortement à l’appui de l’hypothèse de M. Wallace, c’est-à-dire que la sélection naturelle s’est opposée à la transmission des couleurs brillantes du mâle à la femelle chez les oiseaux qui courent de sérieux dangers pendant l’incubation. N’oublions pas, toutefois, qu’une autre explication, déjà donnée, est possible ; à savoir, que les mâles qui ont varié et qui sont devenus brillants, alors qu’ils étaient jeunes et inexpérimentés, ont dû courir de grands dangers et être en général détruits ; en admettant, au contraire, que les mâles plus âgés et plus prudents aient varié de la même manière, non-seulement ils auraient pu survivre, mais aussi se trouver en possession de grands avantages au point de vue de leur rivalité avec les autres mâles. Or les variations qui se produisent à un âge un peu tardif de la vie tendent à se transférer exclusivement au même sexe, de sorte que, dans ce cas, les teintes extrêmement vives n’auraient pas été transmises aux femelles. Au contraire, des ornements d’un genre moins brillant, comme ceux que possèdent les faisans dont nous venons de parler, n’auraient pas été de nature bien dangereuse, et, s’ils ont apparu pendant la jeunesse, ils ont dû se transmettre aux deux sexes.

Outre les effets de la transmission partielle des caractères mâles aux femelles, on peut attribuer certaines différences qu’on remarque entre les femelles d’espèces très-voisines à l’action définie ou directe des conditions d’existence[11]. Les vives couleurs acquises par les mâles grâce à l’action de la sélection sexuelle, ont pu, chez eux, dissimuler toute influence de cette nature, mais il n’en est pas ainsi chez les femelles. Chacune des différences innombrables dans le plumage de nos oiseaux domestiques est, cela va sans dire, le résultat de quelque cause définie ; or, dans des conditions naturelles et plus uniformes, il est certain qu’une nuance quelconque, en supposant qu’elle ne soit en aucune façon nuisible, aurait fini tôt ou tard par prévaloir. Le libre entre-croisement de nombreux individus appartenant à la même espèce tendrait ultérieurement à rendre uniforme toute modification de couleur ainsi produite.

Il est certain que les couleurs des mâles et des femelles chez beaucoup d’oiseaux se sont modifiées en vue de leur sécurité ; il est possible même que, chez quelques espèces, les femelles seules aient éprouvé des modifications propres à atteindre ce but. Bien que, comme nous l’avons démontré dans le chapitre précédent, la conversion d’une forme d’hérédité en une autre au moyen de la sélection soit une chose très-difficile sinon impossible, il n’y aurait pas la moindre difficulté à adapter les couleurs de la femelle, indépendamment de celles du mâle, aux objets environnants, en accumulant des variations dont la transmission aurait été, dès le principe, limitée à la femelle. Si ces variations n’étaient pas ainsi limitées, les teintes vives du mâle seraient altérées ou détruites. Mais il est jusqu’à présent douteux que les femelles seules d’un grand nombre d’espèces aient été ainsi modifiées. Je voudrais pouvoir suivre M. Wallace jusqu’au bout, et admettre avec lui qu’il en est ainsi, car ce système permettrait d’écarter bien des difficultés. Toutes les variations inutiles à la sécurité de la femelle disparaîtraient aussitôt au lieu de se perdre graduellement par défaut de sélection, ou par libre entre-croisement, ou par élimination, parce qu’elles sont nuisibles aux mâles si elles lui sont transmises. Le plumage de la femelle conserverait ainsi un caractère constant. Ce serait aussi un grand avantage que de pouvoir admettre que les teintes sombres de beaucoup d’oiseaux mâles et femelles ont été acquises et conservées comme moyen de sécurité — comme, par exemple, chez la fauvette des bois (Accentor modularis) et chez le roitelet (Troglodytes vulgaris), — chez lesquels on ne trouve pas de preuves suffisantes de l’action de la sélection sexuelle. Il faut cependant se garder de conclure que des couleurs, qui nous paraissent sombres, n’ont aucun attrait pour les femelles de quelques espèces, et nous rappeler les cas tels que celui du moineau domestique, dont le mâle, sans avoir aucune teinte vive, diffère beaucoup de la femelle. Personne ne conteste que plusieurs gallinacés vivant en plein champ n’aient acquis, au moins en partie, leurs couleurs actuelles comme moyen de sécurité. Nous savons avec quelle facilité ils se cachent bien, grâce à cette circonstance ; nous savons combien les ptarmigans ont à souffrir des attaques des oiseaux de proie au moment où ils changent leur plumage d’hiver contre celui d’été, tous deux protecteurs. Mais pouvons-nous croire que les différences fort légères dans les nuances et les taches qui existent, par exemple, entre les grouses femelles noires et les grouses femelles rouges, puissent servir de moyen de protection ? Les perdrix, avec leurs couleurs actuelles, sont-elles plus à l’abri que si elles ressemblaient aux cailles ? Les légères différences que l’on observe entre les femelles du faisan commun et celles des faisans dorés et du Japon, servent-elles de protection, ou leurs plumages n’auraient-ils pas pu être impunément intervertis ? M. Wallace, après avoir étudié les mœurs et les habitudes de certains gallinacés en Orient, admet l’utilité et l’avantage de légères différences de cette nature. Quant à moi, je me borne à dire que je ne suis pas convaincu.

J’étais autrefois disposé à attribuer une grande importance au principe de la protection, pour expliquer les couleurs plus sombres des oiseaux femelles ; je pensais donc que les mâles et les femelles, ainsi que les jeunes, avaient dans le principe été également pourvus de couleurs brillantes, mais que subséquemment le danger que ces couleurs faisaient courir aux femelles pendant l’incubation, et aux jeunes dépourvus d’expérience, avait déterminé l’assombrissement de leur plumage comme moyen de sécurité. Mais aucune preuve ne vient à l’appui de cette hypothèse, et je considère qu’elle est peu probable ; car nous exposons ainsi en imagination, pendant les temps passés, les femelles et les jeunes à des dangers contre lesquels il a fallu subséquemment protéger leurs descendants modifiés. Il faudrait aussi supposer que la sélection a graduellement pourvu les femelles et les jeunes de taches et de nuances à peu près identiques, et a opéré la transmission de celles-ci au sexe et à l’époque de la vie correspondants. En supposant aussi que les femelles et les jeunes aient, à chaque phase de la modification, participé à une tendance à être aussi brillamment colorés que les mâles, il serait fort étrange que les femelles n’aient jamais acquis leur sombre plumage sans que les jeunes aient éprouvé le même changement. En effet, autant que je puis le savoir, il n’existe aucune espèce où la femelle porte des couleurs sombres et où les jeunes en affectent de brillantes. Les jeunes de quelques pics font, cependant, exception à cette règle, car ils ont « toute la partie supérieure de la tête teintée en rouge », teinte qui ensuite diminue et se transforme en une simple ligne rouge circulaire chez les adultes des deux sexes, ou qui disparaît entièrement chez les femelles adultes[12].

En résumé, quand il s’agit de la catégorie qui nous occupe, l’hypothèse la plus probable paraît être que les variations successives en éclat ou celles relatives à d’autres caractères d’ornementation, qui ont surgi chez les mâles à un âge assez tardif de la vie, ont été seules conservées ; et que, pour ce motif, toutes ou la plupart n’ont été transmises qu’à la descendance mâle adulte. Toute variation en éclat surgissant chez les femelles et chez les jeunes, n’ayant aucune utilité pour eux, aurait échappé à la sélection, et de plus aurait été éliminée par cette dernière si elle était dangereuse. Aussi les femelles et les jeunes n’ont pas dû se modifier, ou, ce qui a été plus fréquent, n’ont été que partiellement modifiés par la transmission de quelques variations successives des mâles. Les conditions d’existence auxquelles les deux sexes ont été exposés ont peut-être exercé sur eux une certaine action directe, et c’est surtout chez les femelles, qui n’ont pas subi beaucoup d’autres modifications, que leur effet s’est fait le mieux sentir. Le libre entre-croisement des individus a dû rendre ces changements uniformes comme tous les autres d’ailleurs. Dans quelques cas, surtout chez les oiseaux vivant sur le sol, les femelles et les jeunes peuvent, indépendamment des mâles, avoir été modifiés dans un but de sécurité, et avoir subi un assombrissement semblable de leur plumage.

Catégorie II. Lorsque la femelle adulte est plus brillante que le mâle adulte, le premier plumage des jeunes des deux sexes ressemble au plumage du mâle. — Cette catégorie comprend des cas absolument contraires à ceux de la classe précédente, car les femelles portent ici des couleurs plus vives et plus apparentes que celles des mâles ; or les jeunes, autant qu’on les connaît, ressemblent aux mâles adultes, au lieu de ressembler aux femelles adultes. Mais la différence entre les sexes n’est jamais, à beaucoup près, aussi grande que celle qu’on rencontre dans la première catégorie, et les cas sont relativement rares. M. Wallace, qui a, le premier, attiré l’attention sur le singulier rapport qui existe entre la coloration terne des mâles et le fait qu’ils remplissent les devoirs de l’incubation, insiste fortement sur ce point[13], car il le considère comme une preuve irrécusable que les couleurs ternes servent à protéger l’oiseau pendant l’époque de la nidification. Une autre opinion me paraît plus probable, et les cas étant curieux et peu nombreux, je vais brièvement signaler tout ce que j’ai pu recueillir sur cette question.

Dans une section du genre Turnix, oiseau ressemblant à la caille, la femelle est invariablement plus grosse que le mâle (elle est presque deux fois aussi grosse que le mâle chez une espèce australienne), fait qui n’est pas usuel chez les gallinacés. Dans la plupart des espèces, la femelle affecte des couleurs plus distinctes et plus vives que le mâle[14], mais il en est quelques-unes où les deux sexes se ressemblent. Chez le Turnix taigoor de l’Inde, « le mâle ne porte pas les taches noires sur la gorge et sur le cou, et tout son plumage est d’une nuance plus claire et moins prononcée que celui de la femelle. » Celle-ci paraît être plus criarde que le mâle et est certainement beaucoup plus belliqueuse que lui : aussi les indigènes se servent-ils, pour les faire se battre, des femelles et non des mâles. De même que les chasseurs d’oiseaux en Angleterre exposent des mâles près de leurs trappes pour en attirer d’autres en excitant leur rivalité, de même dans l’Inde on emploie la femelle du turnix. Ainsi exposées, les femelles commencent bientôt à faire entendre « un bruit très-sonore qui ressemble au bruit du rouet, bruit qui s’entend de fort loin, et amène rapidement sur les lieux, pour se battre avec l’oiseau captif, les femelles qui se trouvent à portée ». On peut ainsi, dans un seul jour, prendre de douze à vingt oiseaux, toutes femelles prêtes à pondre. Les indigènes assurent qu’après avoir pondu, les femelles se réunissent en bandes et laissent aux mâles le soin de couver leurs œufs. Il n’y a pas de raison pour douter de cette assertion, que confirment quelques observations faites en Chine par M. Swinhoe[15]. M. Blyth croit que les jeunes des deux sexes ressemblent au mâle adulte.

Les femelles des trois espèces de bécasses peintes (Rhynchæa) (fig. 62) « ne sont pas seulement plus grandes, mais aussi beaucoup plus brillamment colorées que les mâles[16] ». Chez tous les autres oiseaux où la trachée diffère de conformation dans les deux sexes, elle est plus développée et plus compliquée chez le mâle que chez la femelle ; mais, chez le Rhynchæa australis, elle est simple chez le mâle, tandis que, chez la femelle, elle décrit quatre circonvolutions distinctes avant d’entrer dans les poumons[17]. La femelle de cette espèce a donc acquis un caractère éminemment masculin. M. Blyth a vérifié, en disséquant un grand nombre d’individus, que la trachée n’est enroulée ni chez les mâles ni chez les femelles de la R. bengalensis, espèce qui ressemble tellement à la R. australis, qu’on ne peut guère distinguer cette dernière que par un seul caractère : la moindre longueur de ses doigts. Ce fait est encore un exemple frappant de la loi que les caractères sexuels secondaires diffèrent souvent beaucoup chez les formes très-voisines, bien qu’il soit fort rare de trouver ces différences chez le sexe femelle. Le premier plumage des jeunes des deux sexes de la R. bengalensis ressemble, dit-on, à celui du mâle adulte[18]. Il y a aussi des raisons de croire que le mâle se charge de l’incubation, car, avant la fin de l’été, M. Swinhoe[19] a trouvé les femelles associées en bandes comme les femelles du turnix.

Fig 62. — Rhynchæa Capensis (d’après Brehm).

Les femelles du Phalaropus fulicarius et du P. hyperboreus sont plus grandes que les mâles, et leur plumage d’été « est plus brillamment orné que celui des mâles », sans que la différence entre les couleurs des sexes soit bien remarquable ; seul le P. fulicarius mâle, d’après le professeur Steenstrup, accomplit les devoirs de l’incubation, ce que prouve d’ailleurs l’état de ses plumes pectorales pendant la couvée. La femelle du pluvier (Eudromias morinellus) est plus grande que le mâle, et les teintes rouges et noires du dessous du corps, le croissant blanc sur la poitrine, et les raies placées au-dessus des yeux sont plus prononcés chez elle que chez le mâle. Le mâle prend au moins une part à l’incubation, mais la femelle s’occupe également de la couvée[20]. Je n’ai pu découvrir si, dans ces espèces, les jeunes ressemblent davantage aux mâles adultes qu’aux femelles adultes ; la comparaison est très-difficile à cause de la double mue.

Passons maintenant à l’ordre des Autruches. On prendrait facilement le Casoar commun mâle (Casuarius galeatus) pour la femelle, en raison de sa moindre taille et de la coloration moins intense des appendices et de la peau dénudée de sa tête. M. Bartlett affirme qu’aux Zoological Gardens, le mâle couve les œufs et prend soin des jeunes[21]. D’après M. T. W. Wood[22], la femelle manifeste pendant la saison des amours les dispositions les plus belliqueuses ; ses barbes deviennent alors plus grandes et revêtent une couleur plus éclatante. De même, la femelle d’un Émeu (Dromæus irroratus) est beaucoup plus grande que le mâle ; mais, à part une légère huppe céphalique, elle ne se distingue pas autrement par son plumage. Lorsqu’elle est irritée ou autrement excitée, « elle paraît pouvoir plus facilement que le mâle redresser, comme le dindon, les plumes de son cou et de son poitrail. Elle est ordinairement la plus courageuse et la plus belliqueuse. Elle émet un boum guttural et profond, qui résonne comme un petit gong, surtout pendant la nuit. Le mâle a le corps plus frêle ; il est plus docile ; il n’a d’autre voix qu’un sifflement contenu ou un croassement lorsqu’il est en colère. » Non seulement il se charge de tous les soins inhérents à l’incubation, mais il doit protéger les petits contre leur mère, « car dès qu’elle les aperçoit, elle s’agite avec violence et semble faire tous ses efforts pour les détruire, malgré la résistance du père. Il est imprudent de remettre les parents ensemble pendant plusieurs mois après la couvée, car il en résulte de violentes querelles dont la femelle sort en général victorieuse[23]. » Cet Émeu nous offre donc l’exemple d’un renversement complet, non-seulement des instincts de la parenté et de l’incubation, mais encore des qualités morales habituelles des deux sexes ; les femelles sont sauvages, querelleuses et bruyantes, les mâles doux et tranquilles. Le cas est tout différent chez l’autruche d’Afrique, car le mâle, un peu plus grand que la femelle, a des plumes plus élégantes, avec des couleurs plus fortement accentuées ; néanmoins c’est lui qui se charge de tous les soins de l’incubation[24].

Je signalerai encore les quelques autres cas parvenus à ma connaissance, dans lesquels la femelle est plus brillamment colorée que le mâle, bien que nous n’ayons aucun renseignement sur le mode d’incubation. J’ai été très-surpris, en disséquant de nombreux Milvago leucurus des îles Falkland, de trouver que les individus aux teintes le plus accusées, et au bec et aux pattes de couleur orange, étaient des femelles adultes ; tandis que ceux à plumage plus terne et à pattes plus grises étaient des mâles ou des jeunes. La Climacteris erythrops femelle d’Australie diffère du mâle en ce qu’elle est ornée de magnifiques taches « rougeâtres, rayonnant sur la gorge, tandis que cette partie est très-simple chez le mâle ». Enfin, chez un engoulevent (Eurostopode) australien, « les femelles sont toujours plus grosses et plus vivement colorées que les mâles, qui, d’autre part, portent sur leurs rémiges primaires deux taches blanches plus marquées que chez les femelles[25]. »

Les cas de coloration plus intense chez les femelles que chez les mâles, et ceux où le premier plumage des jeunes adultes ressemble à celui des mâles adultes au lieu de ressembler à celui des femelles adultes, comme dans la première catégorie, ne sont donc pas nombreux, bien qu’ils se rencontrent dans des ordres variés. L’étendue des différences entre les sexes est ainsi incomparablement moindre que celle qu’on peut observer dans la première catégorie ; de telle sorte que, quelle que puisse avoir été la cause de cette différence, elle a dû agir chez les femelles de la seconde classe avec moins d’énergie ou de persistance que chez les mâles de la première. M. Wallace explique cet amoindrissement de la coloration chez les mâles, par le besoin d’un moyen de sécurité pendant la période de l’incubation ; mais il ne semble pas que les différences entre les sexes, dans les exemples que nous venons de citer, soient assez prononcées pour justifier suffisamment cette opinion. Dans quelques-uns des cas, les teintes brillantes de la femelle sont restreintes à la surface inférieure du corps ; aussi les mâles, s’ils eussent porté ces mêmes couleurs, n’auraient couru aucun danger plus considérable pendant qu’ils couvent les œufs. Il faut aussi remarquer que non-seulement les mâles sont, à un faible degré, moins brillamment colorés que les femelles, mais qu’ils ont aussi une taille moindre et qu’ils sont moins forts. Ils ont de plus, non-seulement acquis l’instinct maternel de l’incubation, mais ils sont encore moins belliqueux et moins criards que les femelles, et, dans un cas, ont des organes vocaux plus simples. Il s’est donc effectué ici, entre les deux sexes, une transposition presque complète des instincts, des mœurs, du caractère, de la couleur, de la taille, et de quelques points de la conformation.

Or, si nous pouvions supposer que, dans la classe dont nous nous occupons, les mâles ont perdu quelque peu de cette ardeur qui est habituelle à leur sexe, de telle sorte qu’ils ne cherchent plus les femelles avec autant d’empressement ; ou, si nous pouvions admettre que les femelles sont devenues beaucoup plus nombreuses que les mâles, — cas constaté pour une espèce indienne de turnix, « car on rencontre beaucoup plus ordinairement des femelles que des mâles[26], » — il n’est pas improbable qu’elles aient été ainsi amenées à rechercher les mâles, au lieu d’être courtisées par eux. Ce fait se présente d’ailleurs, dans une certaine mesure, chez quelques espèces ; chez les paonnes, chez les dindes sauvages et chez quelques tétras, par exemple. Si nous en jugeons par les mœurs de la plupart des oiseaux mâles, la taille plus considérable, la force et le caractère extraordinairement belliqueux des Émeus et des turnix femelles doivent signifier qu’elles cherchent à se débarrasser de leurs rivales pour s’assurer la possession des mâles. Cette hypothèse explique tous les faits, car les mâles se laissent probablement séduire par les femelles, qui ont, par leur coloration plus vive, par leurs autres ornements, et par leurs facultés vocales, plus d’attraits pour eux. La sélection sexuelle, entrant alors enjeu, tendrait constamment à augmenter ces attraits chez les femelles, tandis que les mâles et les jeunes subiraient peu, ou pas, de modifications.

Catégorie III. Lorsque le mâle adulte ressemble à la femelle adulte, les jeunes des deux sexes ont un premier plumage qui leur est propre. — Dans cette classe, les deux sexes adultes se ressemblent et diffèrent des jeunes. On peut observer ce fait chez beaucoup d’oiseaux divers. Le rouge-gorge mâle se distingue à peine de la femelle ; mais les jeunes, avec leur plumage pommelé olive obscur et brun, ressemblent très-peu à leurs parents. Le mâle et la femelle du magnifique ibis écarlate se ressemblent, tandis que les petits sont bruns ; et la couleur écarlate, bien que commune aux deux sexes, est apparemment un caractère sexuel, car elle ne se développe qu’imparfaitement chez les oiseaux en captivité, comme cela arrive fréquemment aussi aux mâles d’autres espèces très-brillamment colorés. Chez beaucoup d’espèces de hérons, les jeunes diffèrent beaucoup des adultes, dont le plumage d’été, bien que commun aux deux sexes, a un caractère nuptial évident. Les jeunes cygnes sont ardoisés, tandis que les adultes sont blanc pur. Il y a une foule d’autres cas qu’il serait superflu d’énumérer ici. Ces différences entre les jeunes et les adultes dépendent, selon toute apparence, comme dans les deux autres classes, de ce que les jeunes ont conservé un état de plumage antérieur et ancien que les adultes des deux sexes ont échangé contre un nouveau. Lorsque les adultes affectent de vives couleurs, nous pouvons conclure, des remarques faites au sujet de l’ibis écarlate et de beaucoup de hérons, ainsi que de l’analogie avec les espèces de la première classe, que les mâles presque adultes ont acquis ces couleurs sous l’influence de la sélection sexuelle, mais que, contrairement à ce qui arrive dans les deux premières classes, la transmission, bien que limitée au même âge, ne l’a pas été au même sexe. Il en résulte par conséquent que, une fois adultes, les deux sexes se ressemblent et diffèrent des jeunes.

Classe IV. Lorsque le mâle adulte ressemble à la femelle adulte, les jeunes des deux sexes dans leur premier plumage leur ressemblent aussi. — Les jeunes et les adultes des deux sexes, qu’ils soient colorés brillamment ou non, se ressemblent dans cette classe ; cas qui est, à ce que je crois, beaucoup plus commun que le cas précédent. En Angleterre, nous en trouvons des exemples chez le martin-pêcheur, chez quelques pics, chez le geai, chez la pie, chez le corbeau, et chez un grand nombre de petits oiseaux à couleur terne, comme les fauvettes et les roitelets. Mais la similitude du plumage entre les jeunes et les adultes n’est jamais absolument complète et passe graduellement à une dissemblance. Ainsi les jeunes de quelques membres de la famille des martins-pêcheurs sont, non seulement moins brillamment colorés que les adultes, mais ont beaucoup de plumes dont la surface inférieure est bordée de brun[27], vestige probable d’un ancien état de plumage. Il arrive souvent que, dans un même groupe d’oiseaux et souvent aussi dans un même genre, le genre australien des perruches (Platycercus) par exemple, les jeunes de quelques espèces ressemblent beaucoup à leurs parents des deux sexes qui se ressemblent aussi, tandis que ceux d’autres espèces diffèrent considérablement de leurs parents d’ailleurs semblables[28]. Les deux sexes et les jeunes du geai commun se ressemblent beaucoup, mais chez le geai du Canada (Prisoreus canadensis), la différence entre les jeunes et leurs parents est assez grande pour qu’on les ait autrefois décrits comme des espèces distinctes[29].

Avant de continuer, je dois faire observer que les faits compris dans la présente classe et dans les deux suivantes sont si complexes et que les conclusions à en tirer sont si douteuses, que j’invite le lecteur qui n’éprouve pas un intérêt tout spécial pour ce sujet à ne pas lire les remarques suivantes.


Les couleurs brillantes ou voyantes, qui caractérisent beaucoup d’oiseaux de la présente classe, ne peuvent que rarement ou même jamais avoir pour eux la moindre utilité au point de vue de la protection ; elles ont donc probablement été produites chez les mâles par la sélection sexuelle, puis ensuite transmises aux femelles et aux jeunes. Il est toutefois possible que les mâles aient choisi les femelles les plus attrayantes ; si ces dernières ont transmis leurs caractères à leurs descendants des deux sexes, il a dû en résulter les mêmes conséquences que celles qu’entraîne la sélection par les femelles des mâles les plus séduisants. Mais il y a quelques preuves que cette éventualité, si elle s’est jamais présentée, a dû être fort rare dans les groupes d’oiseaux où les sexes sont ordinairement semblables ; car, en admettant que quelques variations successives, en quelque petit nombre que ce soit, n’aient pas été transmises aux deux sexes, les femelles auraient un peu excédé les mâles en beauté. C’est précisément le contraire qui arrive dans la nature ; car, dans presque tous les groupes considérables dans lesquels les sexes se ressemblent d’une manière générale, il se trouve quelques espèces où les mâles ont une coloration légèrement plus vive que celle des femelles. Il est possible encore que les femelles aient fait choix des plus beaux mâles, et que ceux-ci aient réciproquement choisi les plus belles femelles ; mais il est douteux que cette double marche de sélection ait pu se réaliser, par suite de l’ardeur plus grande dont fait preuve l’un des sexes ; il est d’ailleurs douteux aussi qu’elle eût pu être plus efficace qu’une sélection unilatérale seule. L’opinion la plus probable est donc que, dans la classe dont nous nous occupons, la sélection sexuelle, en ce qui se rattache aux caractères d’ornementation, a, conformément à la règle générale dans le règne animal, exercé son action sur les mâles, lesquels ont transmis leurs couleurs graduellement acquises, soit également, soit presque également à leur descendance des deux sexes.

Un autre point encore plus douteux est celui de savoir si les variations successives ont surgi d’abord chez les mâles au moment où ils atteignaient l’âge adulte, ou pendant leur jeune âge ; mais, en tous cas, la sélection sexuelle ne peut avoir agi sur le mâle que lorsqu’il a eu à lutter contre des rivaux pour s’assurer la possession de la femelle ; or, dans les deux cas, les caractères ainsi acquis ont été transmis aux deux sexes et à tout âge. Mais, acquis par les mâles à l’état adulte, et d’abord transmis aux adultes seulement, ces caractères ont pu, à une époque ultérieure, être transmis aussi aux jeunes individus. On sait, en effet, que, lorsque la loi d’hérédité aux âges correspondants fait défaut, le jeune hérite souvent de certains caractères à un âge plus précoce que celui auquel ils ont d’abord surgi chez les parents[30]. On a observé des cas de ce genre chez des oiseaux à l’état de nature. M. Blyth, par exemple, a vu des Lanius rufus et des Colymbus glacialis qui, pendant leur jeunesse, avaient très-anormalement revêtu le plumage adulte de leurs parents[31]. Les jeunes du cygne commun (Cygnus olor) ne dépouillent leurs plumes foncées et ne deviennent blancs qu’à dix-huit mois ou deux ans ; or le docteur Forel a décrit le cas de trois jeunes oiseaux vigoureux, qui, sur une couvée de quatre, étaient blanc pur en naissant. Ces jeunes cygnes n’étaient pas des albinos, car la couleur du bec et des pattes de ces oiseaux se rapprochait beaucoup de celle des mêmes parties chez les adultes[32].

Pour expliquer et rendre compréhensibles les trois modes précités qui, dans la classe qui nous occupe, ont pu amener une ressemblance entre les deux sexes et les jeunes, je citerai l’exemple curieux du genre Passer[33]. Chez le moineau domestique (P. domesticus), le mâle diffère beaucoup de la femelle et des jeunes. La femelle et les jeunes se ressemblent, et ressemblent également beaucoup aux deux sexes et aux jeunes du moineau de Palestine (P. brachydactilus) et de quelques espèces voisines. Nous pouvons donc admettre que la femelle et les jeunes du moineau domestique représentent approximativement le plumage de l’ancêtre du genre. Or, chez le P. montanus, les deux sexes et les jeunes ressemblent beaucoup au moineau domestique mâle ; ils ont donc tous été modifiés de la même manière, et s’écartent tous de la coloration typique de leur ancêtre primitif. Ceci peut provenir de ce qu’un ancêtre mâle du P. montanus a varié : premièrement alors qu’il était presque adulte ; ou secondement alors qu’il était tout jeune, et qu’il a, dans l’un et l’autre cas, transmis son plumage modifié aux femelles et aux jeunes ; ou, troisièmement, il peut avoir varié à l’état adulte et transmis son plumage aux deux sexes adultes ; et, la loi de l’hérédité aux âges correspondants n’intervenant pas, l’avoir, à quelque époque subséquente, transmis aux jeunes oiseaux.

Il est impossible de déterminer quel est celui de ces trois modes qui a pu prévaloir généralement dans la classe qui nous occupe. L’hypothèse la plus probable peut-être est celle qui admet que les mâles ont varié dans leur jeunesse et transmis leurs variations à leurs descendants des deux sexes, J’ajouterai ici que j’ai tenté, avec peu de succès d’ailleurs, d’apprécier, en consultant divers ouvrages, jusqu’à quel point la période de la variation a pu déterminer chez les oiseaux en général la transmission des caractères à un des sexes ou aux deux. Les deux règles auxquelles nous avons souvent fait allusion (à savoir que les variations survenant à une époque tardive ne se transmettent qu’au même sexe, tandis que celles survenant à un âge précoce se transmettent aux deux sexes) paraissent vraies pour la première[34], pour la seconde et pour la quatrième classe de cas ; mais elles sont en défaut dans la troisième, souvent dans la cinquième[35] et la sixième classe. Elles s’appliquent pourtant, autant que je puis en juger, à une majorité considérable des espèces, et nous ne devons pas oublier à cet égard la généralisation frappante que le Dr W. Marshall a faite relativement aux protubérances qui apparaissent sur la tête des oiseaux. Quoi qu’il en soit, nous pouvons conclure des faits cités dans le huitième chapitre, que l’époque de la variation constitue un élément important dans la détermination de la forme de transmission.

Il est difficile de décider quelle est la mesure qui doit nous servir à apprécier, chez les oiseaux, la précocité ou le retard de l’époque de la variation ; est-ce l’âge par rapport à la durée de la vie, ou l’âge par rapport à l’aptitude de la reproduction, ou l’âge par rapport au nombre de mues que l’espèce a à subir ? Les mues des oiseaux, même dans une seule famille, diffèrent quelquefois beaucoup sans cause apparente. Il est certains oiseaux qui muent de si bonne heure, que presque toutes les plumes du corps tombent avant que les premières rémiges se soient complètement développées, ce que nous ne pouvons admettre comme l’état primordial des choses. Lorsque l’époque de la mue a été accélérée, l’âge auquel les couleurs du plumage adulte se développent pour la première fois nous paraît à tort plus précoce qu’il ne l’est réellement. En effet, certains éleveurs d’oiseaux ont l’habitude d’arracher quelques plumes du poitrail à des bouvreuils, ou des plumes de la tête et du cou aux jeunes faisans dorés encore au nid afin de connaître leur sexe ; car, chez les mâles, ces plumes enlevées sont immédiatement remplacées par d’autres plumes colorées[36]. Comme la durée exacte de la vie n’est connue que pour peu d’oiseaux, nous ne pouvons tirer aucune conclusion certaine de cette donnée. Quant à l’époque où se produit l’aptitude à la reproduction, il est un fait remarquable, c’est que divers oiseaux peuvent reproduire, pendant qu’ils portent encore leur plumage de jeunesse[37].

Ce fait que les oiseaux se reproduisent, alors qu’ils portent encore leur jeune plumage, semble contraire à la théorie que la sélection sexuelle ait joué un rôle aussi important que celui que je lui attribue, c’est-à-dire qu’elle a procuré aux mâles des couleurs d’ornementation, des panaches, etc., ornements que, en vertu d’une égale transmission, elle a procurés aussi aux femelles de beaucoup d’espèces. L’objection aurait une certaine portée si les mâles plus jeunes et moins ornés réussissaient, aussi bien que les mâles plus âgés et plus beaux, à captiver les femelles et à propager leur espèce. Mais nous n’avons aucune raison pour supposer qu’il en soit ainsi. Audubon parle de la reproduction des mâles de l’Ibis tantalus avant l’âge adulte comme d’un fait fort rare ; M. Swinhoe en dit autant des mâles non adultes de l’Oriolus[38]. Si les jeunes d’une espèce quelconque portant leur plumage primitif réussissaient mieux que les adultes à trouver des compagnes, le plumage adulte se perdrait probablement bientôt, car les mâles qui conserveraient le plus longtemps leur jeune plumage prévaudraient, ce qui tendrait à modifier ultérieurement les caractères de l’espèce[39]. Si, au contraire, les jeunes mâles ne parvenaient pas à se procurer des femelles, l’habitude d’une reproduction précoce disparaîtrait tôt ou tard complètement, comme superflue et comme entraînant à une perte de force.

Le plumage de certains oiseaux va croissant en beauté pendant plusieurs années après qu’ils ont atteint l’état adulte ; c’est le cas de la queue du paon, et des aigrettes et des plumets de quelques hérons, l’Ardea Ludoviciana par exemple[40] ; mais on peut hésiter à attribuer le développement continu de ces plumes à la sélection de variations successives avantageuses (bien que, chez les oiseaux de paradis, ce soit l’hypothèse la plus probable) ou simplement à un fait de croissance prolongée. La plupart des poissons continuent à augmenter de taille tant qu’ils sont en bonne santé et qu’ils ont à leur disposition une quantité suffisante de nourriture ; et il se peut qu’une loi semblable régisse la croissance des plumes des oiseaux.

Classe v. Lorsque les adultes des deux sexes ont un plumage pendant l’hiver et un autre pendant l’été, que le mâle diffère ou non de la femelle, les jeunes ressemblent aux adultes des deux sexes dans leur tenue d’hiver, ou beaucoup plus rarement dans leur tenue d’été, ou ressemblent aux femelles seules ; ou ils peuvent présenter un caractère intermédiaire, ou enfin ils peuvent différer considérablement des adultes, soit que ces derniers portent leur plumage d’hiver ou celui d’été. — Les cas que présente cette classe sont fort complexes, ce qui n’est pas étonnant, car ils dépendent de l’hérédité limitée plus ou moins par trois causes différentes, c’est-à-dire le sexe, l’âge et l’époque de l’année. Dans quelques cas, des individus de la même espèce passent par au moins cinq états distincts de plumage. Chez les espèces où les mâles ne diffèrent de la femelle que pendant l’été, ou, ce qui est plus rare, pendant les deux saisons[41], les jeunes ressemblent en général aux femelles, — comme chez le prétendu chardonneret de l’Amérique du Nord, et, selon toute apparence, chez le magnifique Maluri d’Australie[42]. Chez les espèces où les sexes se ressemblent été et hiver, les jeunes peuvent premièrement ressembler aux adultes dans leur tenue d’hiver ; secondement, ce qui est beaucoup plus rare, ils peuvent ressembler aux adultes dans leur tenue d’été ; troisièmement, ils peuvent affecter un état intermédiaire entre ces deux états ; et, quatrièmement, ils peuvent différer beaucoup des adultes en toute saison. Le Buphus coromandus de l’Inde nous fournit un exemple du premier de ces quatre cas : les jeunes et les adultes des deux sexes sont blancs pendant l’hiver et les adultes revêtent, pendant l’été, une teinte buffle dorée. Chez l’Anastomus oscitans de l’Inde, nous observons un cas semblable avec renversement des couleurs ; car les jeunes et les adultes des deux sexes sont gris et noirs pendant l’hiver et les adultes deviennent blancs pendant l’été[43]. Comme exemple du second cas, les jeunes pingouins (Alca torda, Linn.), dans le premier état de leur plumage, sont colorés comme les adultes le sont en été ; et les jeunes du moineau à couronne blanche de l’Amérique du Nord (Fringilla leucophrys) portent, dès qu’ils sont emplumés, d’élégantes raies blanches sur la tête, qu’ils perdent ainsi que les adultes pendant l’hiver[44]. Quant au troisième cas, celui où les jeunes ont un plumage intermédiaire entre celui d’hiver et celui d’été chez les adultes, Yarrell[45] assure qu’on peut l’observer chez beaucoup d’Échassiers. Enfin, pour le dernier cas, où les jeunes diffèrent considérablement des adultes des deux sexes, soit que ces derniers portent leur plumage d’été, soit qu’ils portent leur plumage d’hiver, on observe le fait chez quelques hérons de l’Amérique du Nord et de l’Inde, les jeunes seuls étant blancs.

Je me bornerai à faire quelques remarques sur ces cas si complexes. Lorsque les jeunes ressemblent à la femelle dans sa tenue d’été, ou aux adultes des deux sexes dans leur tenue d’hiver, ils ne diffèrent de ceux groupés dans les classes I et III qu’en ce que les caractères, originellement acquis par les mâles pendant la saison des amours, ont été limités dans leur transmission à la saison correspondante. Lorsque les adultes ont deux plumages distincts, un pour l’été et l’autre pour l’hiver, et que le plumage des jeunes diffère de l’un et de l’autre, le cas est plus difficile à comprendre. Nous pouvons admettre comme probable que les jeunes ont conservé un ancien état de plumage ; nous pouvons expliquer par l’influence de la sélection sexuelle le plumage d’été, ou plumage nuptial des adultes, mais comment expliquer leur plumage d’hiver distinct ? S’il nous était possible d’admettre que, dans tous les cas, ce plumage constitue une protection, son acquisition serait un fait assez simple, mais je ne vois pas de bonnes raisons sur lesquelles baser cette supposition. On peut soutenir que les conditions vitales si différentes entre l’été et l’hiver ont agi directement sur le plumage ; cela peut, en effet, avoir produit quelque résultat, mais je ne crois pas qu’on puisse voir dans ces conditions la cause de différences aussi considérables que celles que nous observons quelquefois entre les deux plumages. L’explication la plus probable est celle d’une conservation chez les adultes, pendant l’hiver, d’un ancien type de plumage, partiellement modifié par une transmission de quelques caractères propres au plumage d’été. En résumé, tous les cas que présente la classe qui nous occupe dépendent, selon toute apparence, de caractères acquis par les mâles adultes, caractères diversement limités dans leur transmission suivant l’âge, la saison ou le sexe ; mais il serait inutile et oiseux d’essayer de suivre plus loin des rapports aussi complexes.

Classe VI. Les jeunes différent entre eux suivant le sexe par leur premier plumage, les jeunes mâles ressemblant de plus ou moins près aux mâles adultes, et les jeunes femelles ressemblant de plus ou moins près aux femelles adultes. — Les cas de cette classe, bien que se présentant dans des groupes divers, ne sont pas nombreux ; et cependant, il nous semble tout naturel que les jeunes dussent d’abord, jusqu’à un certain point, ressembler aux adultes du même sexe, pour arriver enfin à leur ressembler tout à fait. Le mâle adulte de la fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) a la tête noire ; la tête est brun rouge chez la femelle ; et M. Blyth m’apprend qu’on peut même distinguer par ce caractère les jeunes des deux sexes encore dans le nid. On a constaté un nombre inusité de cas analogues dans la famille des merles ; le merle commun mâle (Turdus merula) peut se distinguer de la femelle même dans le nid. Les deux sexes de l’oiseau moqueur (T. polyglottus, Linn.) diffèrent fort peu l’un de l’autre ; cependant on peut facilement distinguer, dès un âge très-précoce, les mâles et les femelles, en ce que les premiers offrent plus de blanc[46]. Les mâles d’une espèce habitant les forêts (Orocetes erythrogastra) et du merle bleu (Petrocincla cyanea) ont une grande partie de leur plumage d’un beau bleu, tandis que les femelles sont brunes ; et les mâles des deux espèces encore dans le nid ont les rémiges et les rectrices principales bordées de bleu, tandis que celles de la femelle sont bordées de brun[47]. De sorte que ces mêmes plumes qui, chez le jeune merle noir, prennent leur caractère adulte et deviennent noires après les autres, revêtent dès la naissance dans ces deux espèces le même caractère adulte et deviennent bleues avant les autres. Ce qu’on peut dire de plus probable sur ces cas, est que les mâles, différant en cela de ceux de la première classe, ont transmis leurs couleurs à leur descendance mâle à un âge plus précoce que celui auquel ils les ont eux-mêmes acquises ; car, s’ils avaient varié très-jeunes, ils auraient probablement transmis tous leurs caractères à leurs descendants des deux sexes[48].

Chez l’Aithurus polytmus (oiseau-mouche), le mâle est magnifiquement coloré noir et vert, et porte deux rectrices qui sont énormément allongées ; la femelle a une queue ordinaire et des couleurs peu apparentes ; or, au lieu de ressembler à la femelle adulte, conformément à la règle habituelle, les jeunes mâles commencent dès leur naissance à revêtir les couleurs propres à leur sexe et leurs rectrices ne tardent pas à s’allonger. Je dois ces renseignements à M. Gould, qui m’a communiqué le cas encore plus frappant que voici, cas qui n’a pas encore été publié. Deux oiseaux-mouches appartenant au genre Eustephanus, habitent la petite île de Juan-Fernandez ; tous deux sont magnifiques de coloration et ont toujours été considérés comme spécifiquement distincts. Mais on s’est récemment assuré que l’un, d’une couleur brun marron fort riche, avec la tête rouge dorée, est le mâle, tandis que l’autre, qui est élégamment panaché de vert et de blanc et a la tête d’un vert métallique, est la femelle. Or, tout d’abord, les jeunes présentent, jusqu’à un certain point, avec les adultes du sexe correspondant, une ressemblance qui augmente peu à peu et finit par devenir complète.

Si nous considérons ce dernier cas, en nous guidant comme nous l’avons fait jusqu’à présent sur le plumage des jeunes, il semblerait que les deux sexes se sont embellis d’une façon indépendante, et non par transmission partielle de la beauté de l’un des sexes à l’autre. Le mâle a, selon toute apparence, acquis ses vives couleurs par l’influence de la sélection sexuelle, comme le paon ou le faisan dans notre première classe de cas ; et la femelle, comme celle du Rhynchæa ou du Turnix dans la seconde classe. Mais il est fort difficile de comprendre comment ce résultat a pu se produire en même temps chez les deux sexes de la même espèce. Comme nous l’avons vu dans le huitième chapitre, M. Salvin constate que, chez certains oiseaux-mouches, le nombre des mâles excède de beaucoup celui des femelles, tandis que dans d’autres espèces habitant le même pays, ce sont les femelles qui sont en nombre plus considérable que les mâles. Or nous pourrions supposer que, pendant une longue période antérieure, les mâles des espèces de l’île Juan-Fernandez ont de beaucoup excédé les femelles, et que, pendant une autre longue période, ce sont les femelles qui ont été plus abondantes que les mâles ; nous pourrions, dans ce cas, comprendre comment il se fait que les mâles à un moment, et les femelles à un autre, aient pu s’embellir par la sélection des individus les plus vivement colorés de chaque sexe ; les individus des deux sexes auraient, en outre, transmis leurs caractères à leurs jeunes, à un âge un peu plus précoce qu’à l’ordinaire. Je n’ai nullement la prétention de soutenir que cette explication soit la vraie, mais le cas était trop remarquable pour n’être pas signalé.


Les nombreux exemples que nous avons cités, dans chacune des six classes, nous autorisent à conclure qu’il existe d’intimes rapports entre le plumage des jeunes et celui des adultes, tant d’un sexe que des deux sexes. Le principe qu’un sexe — qui, dans la grande majorité des cas, est le mâle — a d’abord acquis par variation et par sélection sexuelle de vives couleurs et divers autres ornements, puis les a transmis de diverses manières, d’après les lois connues de l’hérédité, permet d’expliquer ces rapports. Nous ne saurions dire pourquoi des variations ont surgi à différents âges, même chez les espèces d’un même groupe ; mais l’âge auquel les variations ont apparu en premier lieu paraît avoir eu une influence prépondérante sur la forme de la transmission qui a prévalu.

Le principe de l’hérédité aux âges correspondants, le fait que les variations de couleur, qui apparaissent chez les mâles très-jeunes, ne sont pas soumises à l’influence de la sélection, mais sont, au contraire, éliminées comme dangereuses, tandis que des variations semblables surgissant à l’âge adulte, se conservent, amènent l’absence complète, ou à peu près, de modifications dans le plumage des jeunes. Cette absence de modifications nous permet d’entrevoir quelle a dû être la coloration des ancêtres de nos espèces actuelles. Dans cinq de nos six catégories, les adultes mâles et femelles d’un nombre considérable d’espèces affectent des couleurs brillantes, au moins pendant la saison des amours, tandis que les jeunes sont invariablement moins colorés et sont même souvent tout à fait obscurs ; je n’ai, en effet, pu trouver un seul cas où les jeunes d’espèces à couleurs sombres, offrent une coloration plus vive que celles de leurs parents ; je n’ai pu découvrir non plus un seul exemple de jeunes, appartenant à des espèces brillamment colorées, qui portent des couleurs plus brillantes que celles de leurs parents. Toutefois, dans la quatrième classe, où jeunes et adultes se ressemblent, il y a beaucoup d’espèces (mais non pas toutes certainement) qui sont brillamment colorées ; or, comme ces espèces constituent des groupes entiers, on pourrait en conclure que les ancêtres primitifs de ces espèces devaient porter des couleurs également brillantes. À cette exception près, et considérant les oiseaux dans leur ensemble, il nous semble que leur beauté a dû fort s’augmenter ; leur plumage devait être primitivement dans les mêmes conditions que le plumage des jeunes aujourd’hui.


De la coloration du plumage dans ses rapports avec la protection. — Je ne peux, on l’a vu, admettre avec M. Wallace que, dans la plupart des cas, les couleurs ternes, quand elles sont limitées aux femelles, aient été spécialement acquises dans un but de sécurité. Toutefois, on ne peut douter que, chez beaucoup d’oiseaux, les deux sexes n’aient subi des modifications de couleur pour échapper aux regards de leurs ennemis ; ou, dans quelques cas, pour s’approcher de leur proie sans être aperçus ; ainsi le hibou, dont le plumage s’est modifié de telle sorte que son vol ne produit plus aucun bruit. M. Wallace[49] remarque que « c’est seulement sous les tropiques, au milieu de forêts qui ne se dépouillent jamais de leur feuillage, que nous rencontrons des groupes entiers d’oiseaux dont le vert constitue la couleur principale. » Quiconque a eu l’occasion de l’observer doit reconnaître combien il est difficile de distinguer des perroquets sur un arbre couvert de feuilles. Nous devons nous rappeler cependant que beaucoup d’entre eux sont ornés de teintes écarlates, bleues et orangées qui ne doivent guère être protectrices. Les pics sont des oiseaux qui vivent sur les arbres ; mais, à côté des espèces vertes, il y a des espèces noires et des espèces noires et blanches, et toutes ces espèces sont évidemment exposées aux mêmes dangers. Il est donc probable que les oiseaux vivant sur les arbres ont acquis leurs couleurs voyantes, grâce à l’influence de la sélection sexuelle, mais que les teintes vertes ont eu sur les autres nuances, en vertu de la sélection naturelle, un avantage comme moyen de sécurité.

Quant aux oiseaux qui vivent sur le sol, personne ne contestera que les teintes de leur plumage n’imitent parfaitement la couleur de la terre. Combien n’est-il pas difficile d’apercevoir une perdrix, une bécasse, un coq de bruyère, certains pluviers, alouettes et engoulevents, lorsqu’ils se blottissent sur le sol ! Les animaux qui habitent les déserts offrent les exemples les plus frappants en ce genre : la surface nue du sol ne leur donne aucun abri, et la sécurité de tous les petits quadrupèdes, de tous les reptiles et de tous les oiseaux dépend de leur couleur. Ainsi que le remarque M. Tristram[50] au sujet des habitants du Sahara, tous sont protégés par leur « couleur sable ou isabelle ». D’après ce que j’avais vu dans les déserts de l’Amérique du Sud, et observé pour la plupart des oiseaux de l’Angleterre qui vivent sur le sol, il me semblait que les deux sexes avaient, en général, la même coloration. M’étant adressé à M. Tristram pour les oiseaux du Sahara, il a bien voulu me donner les informations que je transcris ici. Il y a vingt-six espèces appartenant à quinze genres qui ont un plumage dont la couleur les protège évidemment ; et cette coloration spéciale est d’autant plus frappante que, pour la plupart de ces oiseaux, elle est différente de celle de leurs congénères. Dans treize espèces sur les vingt-six, les deux sexes ont la même teinte ; mais comme elles appartiennent à des genres où l’identité de coloration est de règle ordinaire, on ne peut rien en conclure sur les couleurs protectrices dans les deux sexes des oiseaux du désert. Sur les treize autres espèces, il en est trois qui appartiennent à des genres dont les sexes diffèrent habituellement entre eux, mais qui se ressemblent au désert. Dans les dix espèces restantes, le mâle diffère de la femelle, mais la différence n’existe que dans cette partie du plumage, qui se trouve cachée, lorsque l’oiseau se blottit sur le sol ; la tête et le dos ayant d’ailleurs la même teinte de sable dans les deux sexes. Dans ces dix espèces, par conséquent, il y a eu action exercée par la sélection naturelle sur le plumage supérieur des deux sexes, pour le rendre semblable dans un but de sécurité ; tandis que le plumage inférieur des mâles seuls a été modifié et orné par la sélection sexuelle. Comme, dans le cas actuel, les deux sexes sont également bien protégés, nous voyons clairement que la sélection naturelle n’a pas empêché les femelles d’hériter des couleurs de leurs parents mâles ; nous devons donc, comme nous l’avons déjà expliqué, recourir ici à la loi de la transmission sexuellement limitée.

Dans toutes les parties du monde, les deux sexes des oiseaux à bec mou, surtout ceux qui fréquentent les roseaux et les carex, portent des couleurs sombres. Il n’est pas douteux que si elles eussent été brillantes, ces oiseaux auraient été plus exposés à la vue de leurs ennemis ; mais, autant que je puis en juger, il me paraît douteux que leurs teintes obscures aient été acquises en vue de leur sécurité. Il l’est encore davantage qu’elles l’aient été dans un but d’ornementation. Nous devons toutefois nous rappeler que les oiseaux mâles, bien que de couleur terne, diffèrent souvent beaucoup de leurs femelles, ainsi le moineau commun, ce qui ferait croire que ces couleurs sont bien un produit de la sélection sexuelle et ont été acquises comme couleurs attrayantes. Un grand nombre d’oiseaux à bec mou sont chanteurs ; or, nous avons vu que les meilleurs chanteurs sont rarement ornés de belles couleurs. Il semblerait, en règle générale, que les femelles choisissent les mâles, soit à cause de leur belle voix, soit pour leurs vives couleurs, mais s’inquiètent peu de la réunion de ces deux charmes. Quelques espèces, évidemment colorées dans un but de sécurité, comme la bécasse, le coq de bruyère, l’engoulevent, sont également tachetées et ombrées avec une extrême élégance. Nous pouvons conclure que, dans ces cas, la sélection naturelle et la sélection sexuelle ont toutes deux agi pour assurer la protection et l’ornementation. On peut douter qu’il existe un oiseau qui n’ait pas quelque attrait spécial pour charmer l’autre sexe. Lorsque les deux sexes sont assez pauvres d’apparence pour exclure toute probabilité d’action de la sélection sexuelle, et qu’il n’existe aucune preuve d’utilité protectrice, il vaut mieux avouer qu’on ignore la cause de cette pauvreté d’extérieur, ou, ce qui revient à peu près au même, l’attribuer à l’action directe des conditions d’existence.

Chez beaucoup d’oiseaux, les deux sexes sont colorés d’une manière très-apparente mais peu brillante, comme les nombreuses espèces qui sont noires, blanches ou pies ; or, ces colorations sont probablement le résultat de l’action de la sélection sexuelle. Chez le merle commun, chez le grand tétras, chez le tétras noir, chez la macreuse noire (Oidemia) et même chez un oiseau du paradis (Lophorina atra), les mâles seuls sont noirs, tandis que les femelles sont brunes ou pommelées, et il n’est guère douteux que, dans ces cas, la couleur noire ne soit le résultat de la sélection sexuelle. Il est donc jusqu’à un certain point probable que la coloration noire complète ou partielle des deux sexes, chez des oiseaux comme les corbeaux, quelques cacatoès, quelques cigognes, quelques cygnes, et beaucoup d’oiseaux de mer, est également le résultat de la sélection sexuelle, avec égale transmission aux deux sexes, car la couleur noire ne peut, dans aucun cas, servir à la sécurité. Chez plusieurs oiseaux où le mâle seul est noir, et chez d’autres où les deux sexes le sont, le bec et la peau qui recouvre la tête revêtent une coloration intense, et le contraste qui en résulte ajoute beaucoup à leur beauté ; nous en voyons des exemples dans le bec jaune brillant du merle mâle, dans la peau écarlate qui recouvre les yeux du tétras noir et du grand tétras, dans le bec diversement et vivement coloré de la macreuse noire (Oidemia), les becs rouges des choucas (Corvus graculus, Linn.), des cygnes et des cigognes à plumage noir. Ceci m’a conduit à penser qu’il n’y aurait rien d’impossible à ce que les toucans puissent devoir à la sélection sexuelle les énormes dimensions de leur bec, dans le but d’exhiber les raies colorées si variées et si éclatantes qui ornent cet organe[51]. La peau nue qui se trouve à la base du bec et autour des yeux, est souvent aussi très-brillamment colorée, et M. Gould dit, en parlant d’une espèce[52], que les couleurs du bec « sont incontestablement à leur point le plus brillant et le plus beau pendant la saison des amours. » Il n’y a pas plus d’improbabilité à ce que les toucans se soient embarrassés d’énormes becs, que leur structure rend d’ailleurs aussi légers que possible, pour un motif qui nous paraît à tort insignifiant, à savoir, l’étalage de belles couleurs, qu’il n’y en a à ce que les faisans argus et quelques autres oiseaux mâles aient acquis de longues pennes qui les encombrent au point de gêner leur vol.

De même que chez diverses espèces les mâles seuls sont noirs, tandis que les femelles sont de couleur terne, de même aussi, dans quelques cas, les mâles seuls sont partiellement ou entièrement blancs, comme chez plusieurs Chasmorynchus de l’Amérique du Sud, chez l’oie antarctique (Bernicla antarctica), chez le faisan argenté, etc., tandis que les femelles restent sombres ou obscurément pommelées. Par conséquent, en vertu du même principe, il est probable que les deux sexes de beaucoup d’oiseaux, tels que les cacatoès blancs, plusieurs hérons avec leurs splendides aigrettes, certains ibis, certains goélands, certains sternes, etc., ont acquis par sélection sexuelle leur plumage plus ou moins blanc. Ce plumage blanc n’apparaît quelquefois qu’à l’état adulte. C’est également le cas chez certaines oies d’Écosse, chez certains oiseaux des tropiques, etc., et chez l’Anser hyperboreus. Cette dernière espèce se reproduit sur les terrains arides, non couverts de neige, puis émigré vers le Midi pendant l’hiver ; il n’y a donc pas de raison de supposer que son plumage blanc lui serve de protection. Dans le cas de l’Anastomus oscitans, auquel nous avons précédemment fait allusion, nous trouvons la preuve que le plumage blanc a un caractère nuptial, car il ne se développe qu’en été ; les jeunes et les adultes, dans leur terme d’hiver, sont gris et noirs. Chez beaucoup de mouettes (Larus), la tête et le cou deviennent blanc pur pendant l’été, tandis qu’ils sont gris ou pommelés pendant l’hiver et chez les jeunes. D’autre part, chez les mouettes plus petites (Gavia), et chez quelques hirondelles de mer (Sterna), c’est précisément le contraire ; pendant la première année pour les jeunes, et pendant l’hiver pour les adultes, la tête est d’un blanc pur ou d’une teinte beaucoup plus pâle que pendant la saison des amours. Ces derniers cas offrent un autre exemple de la manière capricieuse suivant laquelle la sélection sexuelle paraît avoir fréquemment exercé son action[53].

La plus grande fréquence d’un plumage blanc chez les oiseaux aquatiques que chez les oiseaux terrestres provient probablement de leur grande taille et de leur puissance de vol, ce qui leur permet de se défendre aisément contre les oiseaux de proie ou de leur échapper ; ils sont d’ailleurs peu exposés aux attaques. La sélection sexuelle n’a donc pas été troublée ou réglée par des besoins de sécurité. Il est hors de doute que, chez des oiseaux qui planent librement au-dessus de l’Océan, les mâles et femelles se rencontreront plus facilement, si leur plumage blanc ou noir intense les rend très-apparents ; ces colorations semblent donc remplir le même but que les notes d’appel de beaucoup d’oiseaux terrestres[54]. Un oiseau blanc ou noir qui s’abat sur une carcasse flottant sur la mer ou échouée sur le rivage, sera vu à une grande distance et attirera d’autres oiseaux de la même espèce ou d’autres espèces ; mais il en résulterait un désavantage pour les premiers arrivés, les individus les plus blancs ou les plus noirs n’ayant pu prendre plus de nourriture que les individus moins brillants. La sélection naturelle n’a donc pu graduellement produire les couleurs voyantes dans ce but.

La sélection sexuelle dépendant des caprices du goût, il est facile de comprendre qu’il peut exister dans un même groupe d’oiseaux, ayant presque les mêmes habitudes, des espèces blanches ou à peu près, et des espèces noires ou approchant, — par exemple chez les cacatoès, chez les cigognes, les ibis, les cygnes, les sternes et les pétrels. On rencontre quelquefois dans les mêmes groupes des oiseaux pies ; par exemple le cygne à cou noir, certains sternes, et la pie commune. Il suffit de parcourir une collection de spécimens ou une série de figures coloriées, pour conclure que les contrastes prononcés de couleur plaisent aux oiseaux ; car les sexes diffèrent fréquemment entre eux en ce que le mâle a des parties pâles d’un blanc plus pur et des parties colorées de diverses manières, encore plus foncées de teinte que la femelle.

Il semble même que la simple nouveauté, le changement pour le changement, ait quelquefois eu de l’attrait pour les oiseaux femelles, de même que les changements de la mode ont de l’attrait pour nous. Ainsi, des perroquets mâles à peine plus beaux que les femelles, à notre avis, ne diffèrent de celles-ci que par un collier rose, au lieu du « collier étroit vert émeraude éclatant » ou par un collier noir remplaçant « le demi-collier jaune antérieur, » ou encore par les teintes roses de la tête qui se sont substituées au bleu de prune[55]. Tant d’oiseaux mâles sont pourvus, à titre d’ornement principal, de rectrices ou d’aigrettes allongées, que la queue écourtée que nous avons décrite chez un oiseau-mouche et l’aigrette diminuée du mâle du grand Harle semblent pouvoir se comparer aux nombreux changements que la mode apporte sans cesse à nos costumes, changements que nous ne nous lassons pas d’admirer.

Quelques membres de la famille des hérons nous offrent un cas encore plus curieux d’une nouvelle coloration qui, selon toute apparence, n’a été appréciée que pour sa nouveauté. Les jeunes de l’Ardea asha sont blancs, les adultes de couleur ardoisée et foncée ; et non seulement les jeunes, mais les adultes d’une espèce voisine (Buphus coronandus), sont blancs dans leur plumage d’hiver, et teinte chamois doré pendant la saison des amours. Il est difficile de croire que les jeunes de ces deux espèces, ainsi que de quelques membres de la même famille[56], aient revêtu spécialement un blanc pur, et soient ainsi devenus très-voyants pour leurs ennemis ; ou que les adultes d’une des deux espèces aient été spécialement rendus blancs pendant l’hiver dans un pays qui n’est jamais couvert de neige. D’autre part, nous avons lieu de croire que beaucoup d’oiseaux ont acquis la couleur blanche comme ornement sexuel. Nous pouvons donc conclure qu’un ancêtre reculé de l’Ardea asha et qu’un ancêtre du Buphus ont revêtu un plumage blanc pendant la saison des amours, et qu’ils l’ont ensuite transmis à leurs jeunes ; de sorte que les jeunes et les adultes devinrent blancs comme certains hérons à aigrettes ; cette couleur blanche a été ensuite conservée par les jeunes, tandis que les adultes l’échangeaient pour des teintes plus prononcées. Mais si nous pouvions remonter plus en arrière encore dans le passé, jusqu’aux ancêtres plus anciens de ces deux espèces, nous verrions probablement que les adultes avaient une coloration foncée. Je conclus qu’il en serait ainsi par l’analogie avec d’autres oiseaux qui ont des couleurs sombres lorsqu’ils sont jeunes, et deviennent blancs une fois adultes ; ce qui le prouve plus particulièrement, d’ailleurs, c’est l’exemple de l’Ardea gularis, dont les couleurs sont l’inverse de celles de l’A. asha, car les jeunes de cette espèce portent des couleurs sombres, parce qu’ils ont conservé un ancien état de plumage, et les adultes sont blancs. Il paraît donc que, dans leur état adulte, les ancêtres des Ardea asha, des Buphus et de quelques formes voisines, ont éprouvé, dans le cours d’une longue ligne de descendance, les changements de couleur suivants : d’abord une teinte sombre, puis blanc pur, et, enfin, par un autre changement de mode (si je puis m’exprimer ainsi), leurs teintes actuelles ardoisées, rougeâtres, ou chamois doré. On ne peut comprendre ces changements successifs qu’en admettant le principe que les oiseaux ont admiré la nouveauté pour elle-même.

Plusieurs savants ont repoussé toute la théorie de la sélection sexuelle en se basant sur ce que chez les animaux, de même que chez les sauvages, le goût de la femelle pour certaines couleurs et pour certains ornements ne peut pas persister pendant de nombreuses générations ; que les femelles doivent admirer tantôt une couleur, tantôt une autre, et qu’en conséquence aucun effet permanent ne pourrait se produire. Nous admettons parfaitement que le goût est apte à changer, mais non pas d’une façon absolument arbitraire. Le goût, nous en voyons la preuve chez l’espèce humaine, dépend beaucoup de l’habitude ; nous pouvons admettre qu’il en est de même chez les oiseaux et chez les autres animaux. Même quand il s’agit de nos costumes, le même caractère général persiste très-longtemps et les changements sont presque toujours gradués. Nous citerons, dans un chapitre subséquent, des faits nombreux qui prouvent évidemment que les sauvages de bien des races ont admiré, pendant de longues générations, les mêmes cicatrices sur la peau, les mêmes perforations hideuses des lèvres, des narines ou des oreilles, etc., et ces difformités présentent quelque analogie avec les ornements naturels de divers animaux. Toutefois ces modes ne persistent pas toujours chez les sauvages, comme semblent le prouver les différences au point de vue des ornements qu’on observe entre les tribus alliées habitant le même continent. En outre, les éleveurs d’animaux ont certainement admiré pendant bien des générations et admirent encore les mêmes races ; ils recherchent avec soin de légères modifications qu’ils considèrent comme un perfectionnement, mais ils repoussent tout changement considérable qui se présente soudainement. Nous n’avons aucune raison de supposer que les oiseaux à l’état de nature admireraient un mode de coloration entièrement nouveau, en admettant même que de grandes et soudaines variations surgissent fréquemment, ce qui est loin d’être le cas. Nous savons que les pigeons de colombier ne s’associent pas volontiers avec les pigeons de diverses couleurs ; nous savons aussi que les oiseaux albinos ne trouvent pas à s’accoupler, et que les corbeaux noirs des îles Féroé chassent impitoyablement les corbeaux-pies qui habitent les mêmes îles. Mais cette haine pour un changement soudain n’empêche certainement pas les oiseaux d’apprécier des modifications légères, tout comme le fait l’homme. En conséquence, quand il s’agit du goût qui dépend de bien des causes, mais surtout de l’habitude et aussi de l’amour de la nouveauté, il semble probable que les animaux ont admiré pendant une longue période le même style général d’ornementation et d’autres attractions, et cependant qu’ils apprécient de légères modifications dans les couleurs, les formes ou la musique.


Résumé des quatre chapitres sur les Oiseaux. — La plupart des oiseaux mâles sont très-batailleurs pendant la saison des amours, et il en est qui ne sont armés que dans le but spécial de se battre avec leurs rivaux. Mais la réussite des plus belliqueux et des mieux armés ne dépend que rarement de leur triomphe sur leurs rivaux ; il leur faut, en outre, des moyens spéciaux pour charmer les femelles. C’est, chez les uns, la faculté de chanter ou d’émettre des cris étranges, ou d’exécuter une sorte de musique instrumentale : aussi les mâles diffèrent-ils des femelles par leurs organes vocaux ou par la conformation de certaines plumes. La diversité singulière des moyens propres à produire des sons différents nous montre l’importance que doit avoir ce moyen quand il s’agit de séduire les femelles. Beaucoup d’oiseaux cherchent à attirer l’attention des femelles en se livrant à des danses et à des bouffonneries, soit sur le sol, soit dans les airs, quelquefois sur des emplacements préparés. Mais les moyens les plus communs consistent en ornements de diverses sortes, teintes éclatantes, crêtes et appendices, plumes magnifiques fort longues, huppes, etc. Dans quelques cas, la simple nouveauté paraît avoir exercé un attrait. Les ornements que portent les mâles semblent avoir pour eux une haute importance, car ils les ont souvent acquis au prix d’une augmentation de danger du côté de l’ennemi, et même d’une perte de puissance dans la lutte contre leurs rivaux. Les mâles de beaucoup d’espèces ne revêtent leur costume brillant qu’à l’âge adulte, ou seulement pendant la saison des amours ; les couleurs prennent alors une plus grande intensité. Certains appendices décoratifs s’agrandissent, deviennent turgescents et très-colorés pendant qu’ils font leur cour. Les mâles étalent leurs charmes devant les femelles avec un soin raisonné et de manière à produire le meilleur effet. La cour que les mâles font aux femelles est quelquefois une affaire de longue haleine, et un grand nombre de mâles et de femelles se rassemblent en un lieu désigné pour se courtiser. Supposer que les femelles n’apprécient pas la beauté des mâles serait admettre que les belles décorations de ces derniers et l’étalage pompeux qu’ils en font sont inutiles ; ce qui n’est pas croyable. Les oiseaux ont une grande finesse de discernement, et il est des cas qui prouvent qu’ils ont du goût pour le beau. Les femelles manifestent d’ailleurs, parfois, une préférence ou une antipathie marquée pour certains individus mâles.

Si on admet que les femelles sont inconsciemment excitées par les plus beaux mâles et les préfèrent, il faut admettre aussi que la sélection sexuelle doit tendre, lentement mais sûrement, à rendre les mâles toujours plus attrayants. Du fait que, dans presque tous les genres, où les sexes ne sont pas semblables quant à l’extérieur, les mâles diffèrent beaucoup plus entre eux que les femelles, on peut conclure que le sexe mâle a été le plus modifié ; c’est ce que prouvent certaines espèces représentatives très-voisines, chez lesquelles les femelles se ressemblent toutes, tandis que les mâles sont fort différents. Les oiseaux à l’état de nature présentent des différences individuelles qui suffiraient amplement à l’œuvre de la sélection sexuelle ; mais nous avons vu qu’ils sont parfois l’objet de variations plus prononcées revenant si fréquemment, qu’elles seraient aussitôt fixées si elles servaient à séduire les femelles. Les lois de la variation auront déterminé la nature des changements primitifs et largement influencé le résultat final. Les gradations qu’on observe entre les mâles d’espèces voisines indiquent la nature des échelons franchis, et expliquent d’une manière fort intéressante certains caractères, tels que les ocelles dentelés des plumes caudales du paon, et surtout les ocelles si étonnamment ombrés des rémiges du faisan Argus. Il est évident que ce n’est pas comme moyen de sécurité que beaucoup d’oiseaux mâles ont acquis de vives couleurs, des huppes, des plumes allongées, etc. C’est là même quelquefois pour eux une cause de danger. Nous pouvons être sûrs que ces ornements ne proviennent pas de l’action directe et définie des conditions de la vie, puisque les femelles, dans ces mêmes conditions, diffèrent souvent des mâles à un degré extrême. Bien qu’il soit probable que des conditions modifiées, agissant pendant une longue période, aient dû produire quelque effet défini sur les deux sexes, leur résultat le plus important aura été une tendance croissante vers une variabilité flottante ou vers une augmentation des différences individuelles, ce qui aura fourni à la sélection sexuelle un excellent champ d’action.

Les lois de l’hérédité, en dehors de la sélection, paraissent avoir déterminé si les organes acquis par les mâles soit à titre d’ornements, soit pour produire des sons, soit pour se battre, ont été transmis aux mâles seuls ou aux deux sexes, d’une manière permanente, ou périodiquement pendant certaines saisons de l’année. On ignore, dans la plupart des cas, pourquoi divers caractères ont été tantôt transmis d’une manière, tantôt d’une autre ; mais l’époque de la variabilité paraît souvent avoir été la cause déterminante de ces phénomènes. Lorsque les deux sexes ont hérité de tous les caractères communs, ils se ressemblent nécessairement ; mais, comme les variations successives peuvent se transmettre différemment, on peut observer tous les degrés possibles, même dans un genre donné, depuis une identité des plus complètes jusqu’à la dissemblance la plus grande entre les sexes. Chez beaucoup d’espèces voisines, ayant à peu près les mêmes habitudes, les mâles sont arrivés à différer les uns des autres surtout par l’action de la sélection sexuelle ; tandis que les femelles en sont venues à différer les unes des autres principalement parce qu’elles participent à un degré plus ou moins grand aux caractères acquis par les mâles. De plus, les effets définis des conditions d’existence ne seront pas masqués chez les femelles, comme ils le sont chez les mâles, par les couleurs tranchées et par les autres ornements que la sélection sexuelle accumule chez eux. Les individus des deux sexes, quelque modifiés qu’ils soient par ces conditions extérieures, resteront presque uniformes à chaque période successive par le libre entrecroisement d’un grand nombre d’individus.

Chez les espèces où les sexes diffèrent de couleur, il est possible qu’il y ait eu d’abord tendance à la transmission égale aux deux sexes des variations successives, mais que les dangers auxquels les femelles auraient été exposées pendant l’incubation, si elles avaient revêtu les brillantes couleurs des mâles, en ont empêché le développement chez elles. Mais, autant que je puis le voir, il serait très-difficile de convertir une des formes de transmission en une autre, au moyen de la sélection naturelle. D’un autre côté, il n’y aurait aucune difficulté à donner à une femelle des couleurs ternes, le mâle restant ce qu’il est, par la sélection de variations successives qui, dès le principe, ne se seraient transmises qu’au même sexe. Jusqu’à présent, il est encore douteux que les femelles de beaucoup d’espèces aient été ainsi modifiées. Lorsque, en vertu de la loi d’égale transmission des caractères aux deux sexes, les femelles ont revêtu des couleurs aussi vives que les mâles, leurs instincts ont souvent dû se modifier et les pousser à se construire des nids couverts ou cachés.

Dans un petit nombre de cas curieux, les caractères et les habitudes des deux sexes ont subi une transposition complète : les femelles sont, en effet, plus grandes, plus fortes, plus criardes et plus richement colorées que les mâles. Elles sont aussi devenues assez querelleuses pour se battre les unes avec les autres, afin de s’emparer des mâles, comme les mâles des espèces les plus belliqueuses pour s’assurer la possession des femelles. Si, comme cela paraît probable, elles chassent ordinairement les femelles rivales et attirent les mâles par l’étalage de leurs vives couleurs ou de leurs autres charmes, nous pouvons comprendre comment elles sont devenues peu à peu, grâce à la sélection sexuelle et à la transmission limitée au sexe, plus belles que les mâles, — ceux-ci ne s’étant que peu ou pas modifiés.

Toutes les fois que prévaut la loi d’hérédité à l’âge correspondant, mais non celle de la transmission sexuellement limitée, et que les parents varient à une époque tardive de leur vie, — fait constant chez nos races gallines et qui se manifeste aussi chez d’autres oiseaux, — les jeunes ne subissent aucune modification, tandis que les adultes des deux sexes éprouvent de grands changements. Si ces deux lois de l’hérédité prévalent, et que l’un ou l’autre sexe varie tardivement, ce sexe seul se modifie ; l’autre sexe et les jeunes restent intacts. Lorsque des variations brillantes ou affectant tout autre caractère voyant surgissent à une époque précoce de la vie, ce qui arrive souvent, la sélection sexuelle ne peut agir sur elles que lorsque les jeunes se trouvent en état de reproduire ; il s’ensuit que la sélection naturelle pourra les éliminer, si elles sont dangereuses pour les jeunes. On comprend ainsi comment les variations qui surgissent tardivement ont été si souvent conservées pour l’ornementation des mâles ; les femelles et les jeunes n’éprouvent aucune modification, et restent par conséquent semblables entre eux. Les degrés et la nature des ressemblances entre les parents et les jeunes deviennent d’une complexité extrême, dans les espèces qui revêtent un plumage distinct pour l’été et pour l’hiver, car les mâles ressemblent alors aux femelles ou en diffèrent, soit dans les deux saisons, soit dans une seule : les caractères acquis par les mâles se doivent transmettre, mais avec des modifications que déterminent l’âge du père et de la mère, le sexe du jeune et la saison.

Les jeunes d’un grand nombre d’espèces n’ayant subi que peu de modifications dans la couleur et les autres ornements, nous pouvons nous faire quelque idée du plumage de leurs ancêtres reculés ; et en conclure que la beauté de nos espèces existantes, si nous envisageons la classe dans son ensemble, a considérablement augmenté. Beaucoup d’oiseaux, surtout ceux qui vivent sur le sol, revêtent sans aucun doute des couleurs sombres comme moyen de se protéger. La partie du plumage exposée à la vue s’est parfois ainsi colorée chez les deux sexes, tandis que la sélection sexuelle a orné de différentes façons le plumage de la partie inférieure du corps des mâles seuls. Enfin, les faits signalés dans ces quatre chapitres nous permettent de conclure que les variations et la sélection sexuelle ont généralement produit chez les mâles les armes de bataille, les organes producteurs de sons, les ornements divers, les couleurs vives et frappantes, et que ces caractères se sont transmis de différentes manières, conformément aux diverses lois de l’hérédité, — les femelles et les jeunes n’ayant été comparativement que peu modifiés[57].


  1. Pour les grives, laniers et pics, voir Blyth, dans Charlesworth, Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1837, p. 304 ; et dans une note de sa traduction du Règne animal de Cuvier, p. 159. Je donne d’après M. Blyth le cas du Loxia. Voir Audubon, sur les grives, Ornith. Biogr., vol. II, p. 195. Sur les Chrysococcyx et Chalcophaps, Blyth cité dans Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 485. Sur le Sarkidiornis, Blyth, Ibis, 1867, p. 175.
  2. Voir par exemple ce que dit Gould (Handb. of the Birds of Australia, I, p. 133) du Cyanalcyon (un martin-pêcheur) dont le mâle jeune, bien que ressemblant à la femelle adulte, est moins brillant qu’elle. Chez quelques espèces de Dacelo, les mâles ont la queue bleue, et les femelles la queue brune ; et Mr R. B. Sharp m’apprend que la queue du jeune D. Gaudichaudi est d’abord brune. M. Gould (o. c., II, pp. 14, 20, 37) décrit les sexes et les jeunes de certains cacatois noirs et du roi Lory, chez lesquels la même règle s’observe. Jerdon aussi (Birds of India, I, p. 260) l’a constatée chez le Palæornis rosa, où les jeunes ressemblent plus à la femelle qu’au mâle. Sur les deux sexes et les jeunes de la Columba passerina, voir Audubon (Ornith. Biogr., II, p. 475).
  3. Je dois ces renseignements à M. Gould, qui m’a montré ses spécimens. Voir son Introd. to Trochilidæ, 1861, p. 120.
  4. Macgillivray, Hist. Brit. Birds, V, p.207-214.
  5. Voir son remarquable travail dans Journal of the Asiatic Soc. of Bengal, XIX, 1850, p. 223 : Jerdon, Birds of India, I, Introduction, p. xxix. Quant au Tanysiptera, M. Blyth tient du prof. Schlegel qu’on peut y distinguer plusieurs races, simplement en comparant les mâles adultes.
  6. Swinhoe, Ibis, July 1863, p. 131 ; et un article antérieur contenant un extrait d’une note de M. Blyth, dans Ibis, January 1861, p. 52.
  7. Wallace, the Malay Archipelago, vol. II, 1869, p. 394.
  8. Ces espèces sont décrites avec figures en couleur, par M. F. Pollen, Ibis, 1866, p. 275.
  9. Variations, etc., vol I, p 267.
  10. Macgillivray, Hist. Brit. Birds, vol. I, p. 172-174.
  11. Voir, sur ce sujet, le chap. xxiii de la Variation des Animaux, etc.
  12. Audubon, o. c., vol I, p. 193. Macgillivray, o. c., vol. III, p. 85. Voir aussi le cas de l’Indopicus carlotta, cité précédemment.
  13. Westminster Review, July 1867 ; et A. Murray, Journal of Travel, 1868, p. 83.
  14. Pour les espèces australiennes, voir Gould (Handbook, etc., vol. II, pp. 178, 180, 186, 188). On voit au British Museum des spécimens du Pedicnemus torquatus australien, présentant des différences sexuelles semblables.
  15. Jerdon, Birds of India, Vol. III, p. 596. Swinhoe, Ibis, 1865, p. 542, 1866, pp. 131, 405.
  16. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 677.
  17. Gould, Handbook of Birds of Australia, vol. II, p. 275.
  18. The Indian Field, Sept. 1858, p. 3.
  19. Ibis, 1866, p. 298.
  20. Pour ces diverses assertions, voir Gould, Birds of Great Britain. Le professeur Newton m’informe que ses propres observations, autant que celles d’autrui, l’ont convaincu que les mâles des espèces nommées ci-dessus prennent tout ou partie de la charge des soins que nécessite l’incubation, et qu’ils témoignent beaucoup plus de dévouement que les femelles lorsque les jeunes sont en danger. Il en est de même du Limosa lapponica et de quelques autres échassiers, dont les femelles sont plus grandes, et ont des couleurs plus vives que les mâles.
  21. Les indigènes de Ceram (Wallace, Malay Archipelago, vol. II, p. 150) assurent que le mâle et la femelle se posent alternativement sur le nid ; mais M. Bartlett croit qu’il faut expliquer cette assertion par le fait que la femelle se rend au nid pour y pondre ses oeufs.
  22. The Student, Avril 1870, p. 124.
  23. Voir l’excellente description des mœurs de cet oiseau en captivité, par A. W. Bennett, Land and Water, Mai 1868, p. 233.
  24. M. Sclater, sur l’incubation des Struthiones, Proc. Zool. Soc., June 9 1863. Il en est de même du Rhea Darwinii ; le capitaine Musters (At home with the Patagoneans, 1871, p. 128) dit que le mâle est plus grand, plus fort et plus rapide que la femelle et il affecte des teintes un peu plus foncées qu’elle ; cependant il se charge seul de veiller sur les œufs et sur les jeunes comme le fait le mâle de l’espèce commune de Rhea.
  25. Sur le Milvago, voir Zoology of the Voyage of the Beagle, Birds, p. 16, 1841. Pour le Climacteris et l’Eurostopodus, voir Gould, Handbook of the Birds of Australia, vol. I, p. 602 et 97. La Tordona variegata de la Nouvelle-Zélande offre un cas tout à fait anormal : la tête de la femelle est blanc pur, et son dos plus rouge que celui du mâle ; la tête de celui-ci a une riche teinte bronze foncé, et son dos est revêtu de plumes de couleur ardoisée, finement striées, de sorte qu’on peut le considérer comme le plus beau des deux. Il est plus grand et plus belliqueux que la femelle, et ne couve pas les œufs. Sous tous ces rapports, l’espèce rentre donc dans notre première classe de cas ; mais M. Sclater (Proc. Zool. Soc., 1866, p. 150), à son grand étonnement, a vu que les jeunes des deux sexes, âgés de trois mois environ, ressemblaient aux mâles adultes par leur tête et leur cou de couleur foncée, au lieu de ressembler aux femelles adultes ; ce qui semblerait, dans ce cas, indiquer que les femelles se sont modifiées, tandis que les mâles et les jeunes ont conservé un état antérieur de plumage.
  26. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 598.
  27. Jerdon (o. c., vol. I, p. 222, 228) ; Gould, Handbook, etc., vol. I. p. 124, 130).
  28. Gould, ib., vol. II, p. 37, 46, 56.
  29. Audubon, Ornith. Biogr., vol. II, p. 55.
  30. Variation, etc., vol. II, p. 84.
  31. Charlesworth, Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1837, p. 303-306.
  32. Bulletin de la Soc. vaudoise des sc. nat., vol. X, 1869, p. 132 ; les jeunes du cygne polonais, Cygnus immutabilis de Yarrell, sont toujours blancs ; mais on croit que cette espèce, à ce que me dit M. Sclater, n’est qu’une variété du cygne domestique (C. olor).
  33. Je dois à M. Blyth les renseignements sur ce genre. Le moineau de Palestine appartient au sous-genre Petronia.
  34. Par exemple, les mâles du Tanagra æstiva et du Fringilla cyanea exigent trois ans, et celui du Fringilla ciris, quatre ans pour compléter leur beau plumage. (Audubon, Ornith. Biogr., vol. I, p. 233, 280, 378.) Le Canard arlequin prend trois ans. (Ib., vol. III, p. 614). Selon M. J. Jenner Weir, le Faisan doré mâle peut déjà se distinguer de la femelle à l’âge de trois mois, mais il n’atteint sa complète splendeur que vers la fin de septembre de l’année suivante.
  35. Ainsi l’Ibis tantalus et le Grus Americanus exigent quatre ans, le Flamant plusieurs années, et l’Arden Ludoviciana deux ans pour acquérir leur plumage parfait (Audubon, o. c., vol. I, p. 221 ; vol. III, p. 133, 139, 211).
  36. M. Blyth, dans Charlesworth’s Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1837, p. 300. Les indications sur le Faisan doré sont dues à M. Bartlett.
  37. J’ai remarqué les cas suivants dans l’Ornithological Biography d’Audubon. Le gobe-mouche américain (Muscicapa ruticilla, vol. I, p. 203). L’Ibis tantalus met quatre ans pour arriver à maturation complète, mais s’apparie quelquefois dans le cours de la seconde année (vol. III, p. 133). Le Grus Americanus prend le même temps et reproduit avant d’avoir revêtu son plumage parfait (vol. III, p. 211). Les Ardea cærulea adultes sont bleus et les jeunes blancs, et on peut voir appariés ensemble des oiseaux blancs pommelés et des oiseaux bleus adultes (vol. IV, p. 58) ; mais M. Blyth m’apprend que certains hérons sont évidemment dimorphes, car on peut voir des individus du même âge les uns blancs, les autres colorés. Le canard arlequin (Anas histrionica) ne revêt son plumage complet qu’au bout de trois ans, quoiqu’un grand nombre reproduisent dès la seconde année (vol. III, p. 614). L’aigle à tête blanche (Falco leucocephalus, vol. III, p. 210) reproduit également avant d’être adulte. Quelques espèces d’Oriolus (selon MM. Blyth et Swinhoe, Ibis, Juillet 1863, p. 68) font de même.
  38. Voir la note précédente.
  39. D’autres animaux faisant partie de classes fort distinctes sont, ou habituellement, ou occasionnellement, capables de reproduire avant qu’ils aient acquis leurs caractères adultes complets. C’est le cas des jeunes saumons mâles. On connaît plusieurs Amphibiens qui se sont reproduits alors qu’ils avaient encore leur conformation larvaire. Fritz Müller a prouvé (für Darwin, etc., 1869) que les mâles de plusieurs crustacés amphipodes se complètent sexuellement fort jeunes ; et je conclus que c’est là un cas de reproduction prématurée, parce qu’ils n’ont pas encore acquis leurs appendices préhensiles complets. Tous ces faits sont intéressants au plus haut point en ce qu’ils portent sur un moyen qui peut provoquer de grandes modifications dans l’espèce.
  40. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 507, sur le Paon. Le Dr Marshall pense que les oiseaux de paradis mâles, plus vieux et plus brillants, ont une certaine supériorité sur les jeunes ; voir Archives Néerlandaises, vol. VI, 1871 ; Audubon, o. c., vol. III, p. 139, sur l’Ardea.
  41. Pour des exemples, voir Macgillivray, Hist. Brit. Birds, vol. IV ; sur le Tringa, etc., p. 229, 271 ; sur le Machetes, p. 172 ; sur le Charadrius hiticula, p. 118 ; sur le Charadrius pluvialis, p. 94.
  42. Sur le Chardonneret de l’Amérique du Nord, Fringilla tristis, Audubon, Orn. Biogr., vol. I, p. 172. Pour le Maluri, Gould, Handbook, etc., vol. I, p. 318.
  43. Je dois à M. Blyth les renseignements sur le Buphus ; Jerdon, o. c., vol. III, p. 749. Sur l’Anastomus, Blyth, Ibis, 1867, p. 173.
  44. Sur l’Alca, Macgillivray, o. c., vol. v, p. 347. Sur la Fringilla leucophrys, Audubon, o. c., vol. II, p. 89. J’aurai plus tard à rappeler le fait que les jeunes de certains hérons et de certaines aigrettes sont blancs.
  45. History of British Birds, vol. I, 1839, p. 159.
  46. Audubon, o. c., vol. I, p. 113.
  47. M. C. A. Wright, Ibis., vol. VI, 1804, p. 65. Jerdon, Birds of India, vol. I, p. 515. Voir aussi sur le Merle, Blyth dans Charlesworth, Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1837, p. 113.
  48. On peut ajouter les cas suivants : les jeunes mâles du Tanagra rubra peuvent se distinguer des jeunes femelles (Audubon, o. c., vol. IV, p. 392) ; il en est de même des jeunes d’une Sitelle bleue Dendrophila frontalis de l’Inde (Jerdon, Birds of India, vol. I, p. 389). M. Blyth m’apprend aussi que les sexes du Traquet (Saxicola rubicola) peuvent se distinguer de très-bonne heure. M. Salvin (Proc. Zool. Soc., 1870, p. 206), cite le cas d’un oiseau-mouche analogue à celui de l’Eustephanus.
  49. Westminster Review, July 1867, p. 5.
  50. Ibis, 1859, vol. I, p. 429 et suivantes. Toutefois le docteur Rohlfs me fait remarquer qu’à en juger par les observations qu’il a pu faire dans le Sahara, cette assertion est trop péremptoire.
  51. On n’a point encore trouvé d’explication satisfaisante de l’immense grosseur et encore moins des vives couleurs du bec du toucan. M. Bates (The Naturalist on the Amazons, II, p. 341, 1863) constate que ces oiseaux se servent de leur bec pour atteindre les fruits placés aux dernières extrémités des branches ; et aussi, comme l’ont signalé d’autres observateurs, pour prendre les œufs et les jeunes dans les nids des autres. Mais, d’après M. Bates, on ne peut guère considérer ce bec comme un instrument bien conformé pour les usages auxquels il sert. La grande masse du bec résultant de ses trois dimensions n’est pas compréhensible si l’on ne veut voir en lui qu’un organe à saisir les objets. M. Belt (the Naturalist in Nicaragua, p. 197) croit que le bec sert de défense principalement à la femelle quand elle couve.
  52. Ramphastos carinatus ; Gould, Monogr. of Ramphastidæ.
  53. Sur le Larus, le Gavia, le Sterna, voir Macgillivray, Hist. Brit. Birds, v, 513, 584. 626. Sur l’Anser hyperboreus, Audubon, o. c., IV, p. 562. Sur l’Anastomie, Blyth, Ibis, p. 173, 1867.
  54. On peut remarquer que, chez les vautours qui errent dans les grandes étendues des plus hautes régions de l’atmosphère, comme les oiseaux marins sur l’Océan, il y a trois ou quatre espèces blanches en totalité ou en partie, et que beaucoup d’autres sont noires. Ce fait confirme la conjecture que ces couleurs voyantes facilitent la rencontre des sexes pendant la saison des amours.
  55. Sur le genre Palæornis, Jerdon, Birds of India, I, p. 258-260.
  56. Les jeunes des Ardea rufescens et des A. cærulea des États-Unis sont également blancs, les adultes étant colorés selon leurs noms spécifiques. Audubon (o. c., III, p. 416 ; IV, p. 58) paraît satisfait à la pensée que ce changement remarquable dans le plumage déconcertera grandement les systématistes.
  57. Je dois à M. Sclater toute ma reconnaissance pour l’obligeance avec laquelle il a bien voulu revoir ces quatre chapitres sur les Oiseaux et les deux suivants sur les Mammifères, et m’éviter ainsi toute erreur sur les noms spécifiques, ou l’insertion de faits que ce naturaliste distingué aurait pu reconnaître comme erronés. Mais il va sans dire qu’il n’est nullement responsable de l’exactitude des assertions que j’ai empruntées à diverses autorités.