Aller au contenu

La Divine Comédie (Lamennais 1863)/Le Paradis/Chant 31

La bibliothèque libre.
Traduction par Félicité Robert de Lamennais.
Didier (2p. 509-515).
◄  Chant 30
Chant 32  ►
LE PARADIS


CHANT TRENTE-UNIÈME


1. En la forme donc d’une rose blanche se montrait à moi la sainte milice que dans son sang le Christ épousa.

2. Mais l’autre [1] qui volant voit et chante la gloire de celui qui l’énamoure, et la bonté qui la créa si excellente,

3. Comme un essaim d’abeilles qui tantôt se plonge dans les fleurs, tantôt retourne là où son travail prend de la saveur [2],

4. Descendait dans la grande fleur qui s’orne de tant de feuilles, et de là remontait où son amour toujours séjourne.

5. Leurs faces étaient de flamme vive [3], leurs ailes d’or, et le reste, d’une telle blancheur qu’il n’est point de neige qui l’égale.

6. Lorsque dans la fleur de siège en siège ils descendaient, ils y versaient de la paix et de l’ardeur qu’ils produisent en eux en agitant leurs ailes.

7. Le vol d’une si grande multitude interposée entre la fleur et ce qui est au-dessus, ne voilait ni la vue, ni la splendeur,

8. Car la lumière divine pénètre dans l’univers autant qu’il en est digne [4], tellement que rien ne lui fait obstacle.

9. Plein de sécurité et de joie, ce royaume, qu’habitent un peuple ancien et un peuple nouveau [5], tenait sa vue et son amour tout entiers fixés sur un Point.

10. O trine lumière, qui à leurs yeux scintillant en une seule étoile [6], les abreuve de tant de paix, regarde ici-bas notre tempête !

11. Si les Barbares, venant des régions que couvre chaque jour Elice tournant avec le fils dont elle est éprise [7],

12. En voyant Rome et ses hautes structures demeuraient stupéfaits, alors que Latran [8] s’élevait au-dessus des choses mortelles ;

13. Moi, qui de l’humain au divin, du temps à l’éternité étais venu, et de Florence à un peuple juste et sain,

14. De quelle stupeur dus-je être rempli ! Certes, entre elle et la joie [9], m’était doux le non-ouïr et le demeurer muet.

15. Et comme un pèlerin qui se repose dans le temple où l’a conduit un vœu, regardant, espère en décrire un jour la structure,

16. Ainsi, à travers la vive lumière, je promenais mes yeux sur les gradins, en haut, en bas, et tout autour.

17. Et je voyais des visages inspirant la charité, frangés de la lumière des autres et de la leur, reluisant dans tous leurs traits d’une dignité pudique.

18. La forme générale du Paradis avait jusqu’alors occupé tous mes regards, sur aucune partie non encore fixés fermement ;

19. Et je me tournais avec un désir réenflammé, pour interroger ma Dame sur des choses qui tenaient mon esprit en suspens.

20. Je m’adressais à l’un, et un autre me répondit ; je croyais voir Béatrice, et je vis un vieillard vêtu comme la troupe glorieuse.

21. Dans ses yeux, sur ses joues, dans sa contenance pieuse, était répandue une bénigne joie, telle qu’elle convient à un père tendre.

22. — Et où est-elle ? subitement dis-je. D’où lui : « Pour accomplir ton désir, Béatrice m’a mû de mon lieu ;

23. « Et si tu regardes dans le troisième rang du plus haut gradin, tu la reverras sur le trône qui est le prix de ses mérites. »

24. Sans répondre je levai les yeux, et je la vis qui se faisait une couronne, en réfléchissant les rayons éternels.

25. De cette région qui le plus haut tonne, nul œil mortel, lorsqu’il plonge dans la plus profonde mer, n’est aussi distant

26. Que les miens ne l’étaient de Béatrice ; mais cela rien ne me faisait, parce que son image, en descendant à moi, ne se mêlait avec aucun milieu.

27. — O Dame, en qui florit mon espérance, et qui pour mon salut ne craignis point de laisser en Enfer tes vestiges,

28. Des grandes choses que j’ai vues, la grâce et la force de les voir je reconnais tenir de ta puissance et de ta bonté.

29. Tu m’as de la servitude conduit à la liberté, par toutes les voies, de toutes les manières que tu avais le pouvoir de le faire.

30. Garde envers moi ta munificence, afin que mon âme que tu as guérie, digne de te plaire, se délie du corps.

31. Ainsi priai-je, et elle, si loin qu’elle parût être, sourit et me regarda ; puis elle se tourna vers l’éternelle fontaine ;

32. Et le saint vieillard : « Afin que se consomme parfaitement ton voyage, ce pourquoi une prière et un amour saint m’ont envoyé,

33. « Avec les yeux vole par ce jardin, car le voir aiguisera [10] ton regard, pour monter plus haut vers le rayon divin.

34. « La Reine du ciel, pour qui je brûle d’amour, nous accordera toute grâce, car je suis son fidèle Bernard. »

35. Tel que celui qui de la Croatie, peut-être, vient pour voir notre sainte Véronique, et, à cause de l’antique renommée [11], point ne se rassasie [12],

36. Mais, dit en son penser, pendant qu’on la montre : « Mon seigneur Jésus-Christ vrai Dieu, ainsi était donc votre visage ? »

37. Tel étais-je, regardant la vive charité de celui qui, dans ce monde, en contemplant goûta de cette paix.

38. « Fils de la Grâce, commença-t-il, cet être joyeux ne te sera point connu en tenant seulement tes yeux abaissés là au fond.

39. « Mais regarde les cercles jusqu’au plus éloigné, si haut que tu vois siéger la Reine à qui ce royaume est soumis et dévoué. »

40. Je levai les yeux, et de même qu’au matin l’horizon oriental surpasse en éclat celui où le soleil décline,

41. Ainsi, comme en montant d’une vallée, mes yeux virent, dans le cercle le plus élevé, une partie vaincre de splendeur tout le reste.

42. Et comme là où s’attend le timon [13] que mal guida Phaéton, plus s’enflamme le ciel, et d’ici et de là la lumière s’affaiblit.

43. Ainsi dans le milieu s’avivait cette Oriflamme pacifique, et de chaque côté, d’une égale manière, s’alanguissait la flamme.

44. Et en ce milieu je vis, les ailes étendues, plus de mille anges célébrer leurs fêtes, divers chacun et d’éclat et d’art :

45. Là je vis, à leurs jeux et à leurs chants, sourire une beauté qui était la joie de tous les autres saints ;

46. Et fussé-je aussi riche en dire qu’en imaginer, je n’oserais tenter de peindre la moindre de ses délices.

47. Voyant sur sa vive flamme mes yeux attentivement fixés, Bernard avec tant d’affection tourna les siens vers elle.

Que les miens à regarder devinrent plus ardents.




NOTES DU CHANT TRENTE-UNIÈME


3-31-1. La milice angélique.

3-31-2. Dans la ruche où il produit le miel.

3-31-3. Couleur de flamme vive.

3-31-4. Selon ses divers degrés de perfection.

3-31-5. Les anges, premiers habitants du ciel, et les âmes bienheureuses.

3-31-6. La trinité des Personnes divines dans l’unité d’essence.

3-31-7. La Grande Ourse, près de laquelle est située une autre constellation appelée Bootès ou Arcturus, qu’on supposait être son fils.

3-31-8. Latran, pour Rome même, avec tous ses édifices.

3-31-9. « Partagé que j’étais entre la stupeur où me jetaient ces merveilles et la joie de les contempler ; il m’était doux de n’entendre aucune voix, et de rester moi-même en silence ».

3-31-10. Nous lisons acuirà, avec Betti. Dans l’édition des Aides, on lit acconerà, et dans le Cod. Gact. acconcierà.

3-31-11. A cause de ce que dit d’elle une ancienne tradition ; à savoir, qu’elle est l’empreinte véritable de la figure de Jésus-Christ. Il s’agit du Suaire qu’à Rome, pendant la semaine sainte, on montre au peuple, d’une des tribunes de saint Pierre, et qu’on ne tient exposé à ses yeux que peu d’instants.

3-31-12. De la voir.

3-31-13. Au point de l’horizon où le Soleil va paraître.