Savoir aimer/Le Corps et l’Âme
LE CORPS ET L’ÂME
Dieu fit votre corps noble et votre âme charmante,
Le corps sort de la terre et l’âme aspire aux cieux,
L’un est un amoureux et l’autre est une amante.
Dans la paix d’un jardin vaste et délicieux
Dieu souffla dans un peu de boue un peu de flamme,
Et le corps s’en alla sur des pieds gracieux.
Et ce souffle enchantait le corps et c’était l’âme
Qui mêlée à l’amour des bêtes et des bois
Chez l’homme adorait Dieu que contemplait la femme.
L’âme rit dans les yeux et vole avec la voix
Et l’âme ne meurt pas, mais le corps ressuscite
Sortant du limon noir une seconde fois.
Une flèche est légère et les éclairs vont vite,
Mais le mystérieux élan de l’âme est tel
Que l’ange qui veut bien lutter contre elle, hésite.
Dieu fit suave et beau votre corps immortel
Les jambes sont les deux colonnes de ce temple,
Les genoux sont la chaise et le buste est l’autel.
Et la ligne du torse, à son sommet plus ample,
Comme aux flancs purs du vase antique rêve et court,
Dans l’ordre harmonieux dont la lyre est l’exemple.
Pendant qu’un hymne à Dieu, dans un battement court,
Comme au cœur de la lyre, une éternelle phrase
Chante aux cordes du cœur mélodieux et sourd.
Des épaules planant comme les bords du vase
La tête émerge, et c’est une adorable fleur
Noyée en une longue et lumineuse extase.
Si l’âme est un oiseau, le corps est l’oiseleur,
Le regard brûle au fond des yeux qui sont des lampes
Où chaque larme douce est l’huile de douleur.
La mesure du temps tinte aux cloisons des tempes
Et les bras longs aux mains montant au firmament
Ont charitablement la sûreté des rampes.
Le cœur embrase et fond dans leur embrassement
Comme sous les pressoirs fond le fruit de la vigne,
Et sur les bras croisés vit le recueillement.
Ni les béliers frisés ni les plumes de cygne
Ni la crinière en feu des crieurs de la faim
N’effacent ta splendeur, ô chevelure insigne !
Faite avec l’azur noir de la nuit où l’or fin
De l’aurore et sur qui nage un parfum farouche,
Où la femme endort l’homme en une mer sans fin.
Rossignol vif et clair, grave et sonore mouche
Frémis ou chante au bord des lèvres, douce voix !
Douce gloire du rire, épanouis la bouche !
Chaque chose du corps est soumise à tes lois
Dieu grand, qui fais tourner la terre sous ton geste
Dans la succession régulière des mois.
Tes lois sont la santé de ce compagnon leste
De l’âme, ainsi, qu’un rythme est l’amour de ses pas
Mais l’âme solitaire est joyeuse où Dieu reste.
La souffrance du corps s’éteint dans le trépas
Mais la douleur de l’âme est l’océan sans borne
Et ce sont deux présents que l’on n’estime pas.
Ô ne négligez pas votre âme, l’âme est morne
Que l’on néglige et va s’effaçant, comme au jour
Qui monte le croissant voit s’effacer sa corne.
Et le corps pour lequel l’âme n’a pas d’amour
Dans la laideur que Dieu condamne s’étiole,
Comme un fou relégué dans le fond d’une cour.
La grâce de votre âme éclot dans la parole
Et l’autre dans le geste aimant les frais essors
Au vêtement léger comme une âme qui vole.
Sachez aimer votre âme en aimant votre corps,
Cherchez l’eau musicale aux bains de marbre pâle
Et l’onde du génie au cœur des hommes forts.
Mêlez vos membres lourds de fatigue où le hâle
De la vie imprima son baiser furieux
Aux gémissements frais que la Naïade exhale ;
Afin qu’au jour prochain votre corps glorieux,
Plus léger que celui des Mercures fidèles,
Monte à travers l’azur du ciel victorieux,
Dans l’onde du génie aux sources sûres d’elles
Plongez votre âme à nu, comme les bons nageurs
Pour qu’elle en sorte avec la foi donneuse d’ailes !
Dans la nuit vers une aube aux divines rougeurs
Marchez par le sentier de la bonne habitude,
Soyez de patients et graves voyageurs.
Que cette jeune sœur charmante de l’étude
Et du travail tranquille et gai, la Chasteté
Parfume vos discours et votre solitude.
La pâture de l’âme est toute vérité ;
Le corps, content de peu cueille une nourriture
Dans le baiser mystique où règne la beauté.
Puisque Dieu répandit l’homme dans la nature,
Sachez l’aimer en vous et d’abord soyez doux
À vous-mêmes et doux à toute créature.
Si vous ne vous aimez en Dieu, vous aimez-vous ?