La Doctrine du fascisme/14

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Traduction par Charles Belin.
Vallecchi (p. 23-26).


1. Origine de la Doctrine


« Quand, en ce lointain mois de mars 1919, je convoquai à Milan, des colonnes du Popolo d’Italia, les survivants de l’« intervention » qui m’avaient suivi, depuis la constitution des Faisceaux d’action révolutionnaire — survenue en janvier 1915 —, aucun plan doctrinal spécifique n’existait dans mon esprit. J’apportais l’expérience vécue d’une seule doctrine : celle du socialisme, de 1903–04 jusqu’à l’hiver de 1914, c’est-à-dire d’une dizaine d’années environ. Expérience de partisan et de chef, et non expérience de doctrine. Ma doctrine, même à cette époque, avait été la doctrine de l’action. Une doctrine unique, universellement acceptée, du socialisme n’existait plus depuis 1905, lorsque commença, en Allemagne, le mouvement révisionniste dirigé par Bernstein, et lorsque, par contre, se forma dans le jeu alternatif des tendances, un mouvement de gauche révolutionnaire qui, en Italie, ne sortit jamais du domaine des phrases, tandis que, pour le socialisme russe, ce fut un prélude du bolchévisme. Réformisme, révolutionnarisme, centrisme, les échos mêmes de cette terminologie sont éteints tandis que, dans le grand fleuve du fascisme, vous trouverez les courants de Sorel, de Péguy, du Lagardelle du Mouvement socialiste et de la cohorte des syndicalistes italiens qui, de 1904 à 1914, portèrent une note de nouveauté dans les milieux socialistes de notre pays, déjà émasculés et chloroformés par la fornication giolittienne, avec les : Pages libres d’Olivetti, La Louve d’Orano, le Devenir social d’Enrico Leone.

En 1919, la guerre terminée, le socialisme n’existait déjà plus comme doctrine : il n’existait qu’à l’état de rancœur et n’avait plus qu’une seule possibilité, surtout en Italie : les représailles contre ceux qui avaient voulu la guerre et devaient l’« expier ». Le Popolo d’Italia portait le sous-titre de « quotidien des combattants et des producteurs ». Le mot « producteurs » était déjà l’expression d’une directive spirituelle. Le fascisme ne fut pas le fruit d’une doctrine déjà élaborée en chambre : il naquit d’un besoin d’action et fut une action ; ce ne fut pas un parti mais, pendant les deux premières années, un antiparti et un mouvement. Le nom que je donnai à l’organisation, en fixait les caractéristiques. D’ailleurs, ceux qui reliront, dans les feuilles maintenant fanées de cette époque, le compte-rendu de l’assemblée de constitution des Faisceaux italiens de combat, ne trouveront pas une doctrine, mais une série d’esquisses, d’anticipations et d’allusions qui, libérées de la gangue inévitable des contingences, devaient ensuite, après plusieurs années, se développer en une série de positions doctrinales qui firent du fascisme une doctrine politique bien déterminée par rapport à toutes les autres doctrines passées ou contemporaines. « Si la bourgeoisie, disais-je alors, croit trouver en nous des paratonnerres, elle se trompe. Nous devons aller au-devant du travail… Nous voulons habituer les classes ouvrières à être capables de diriger, ne fût-ce que pour les convaincre qu’il n’est pas facile de faire marcher une industrie ou un commerce. Nous combattrons le « rétrogradisme » technique et spirituel… Si la succession du régime s’ouvre, nous ne devons pas être pris au dépourvu. Nous devons courir ; et, si le régime disparaît, c’est nous qui devrons prendre sa place. Le droit de succession nous appartient, parce que c’est nous qui avons poussé le pays à la guerre et l’avons conduit à la victoire. La représentation politique actuelle ne peut nous suffire, nous voulons une représentation directe de tous les intérêts… On pourrait objecter à ce programme que nous revenons aux corporations. Qu’importe ! Je voudrais donc que l’assemblée acceptât les revendications du syndicalisme national au point de vue économique… »

N’est-il pas singulier que, dès la première journée, de la Place San Sepolcro, retentisse le mot « corporation », qui devait, au cours de la Révolution, signifier une des créations législatives et sociales fondamentales du Régime ?